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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 13:20

XX
Rabougnal et sa Reine

Il tombait une forte pluie ce matin là et le bruit des gouttes d’eau s’écrasant sur la vitre était devenu le fond sonore de la pièce. Dehors, le petit jardin de la Reine de Rabougnal était à peine perceptible, seules les couleurs des fleurs qui commençaient à éclore en ce début de printemps étaient encore visibles sous la forme de tâches colorées.
La Reine Falina Ysideus de Rabougnal était assise à son bureau où elle passait beaucoup trop de temps à son goût, mais c’était le lot des dirigeants, lire et signer des contrats, des rapports et autres. Pour autant, elle ne se plaignait pas ouvertement car Falina n’aimait pas qu’une décision soit prise sans qu’elle en soit informée. Ce fut ce qui dérouta les Sénatrices qui avaient élue Reine une jeune femme à peine sortie de l’adolescence.
Elle voulait être celle qui obtiendrait l’indépendance de son Royaume. Ses conseillères lui avaient indiqué que le plus simple aurait été de se ranger du côté de Drastan dans la lutte à la succession de Mogueras. Falina le savait aussi mais c’était sans compter son aversion pour le Seigneur Moriannor qui connaissait son projet d’indépendance et qui avait tenté de lui offrir son soutien si elle devenait l’épousait. Il y avait eu des Reines qui s’étaient ainsi mariées avec des hommes puissants, l’une d’elle fut même Impératrice, pour améliorer la condition du Royaume. Falina ne faisait pas partie de ces femmes là. De plus, le Seigneur de Drastan était connu pour avoir de nombreuses maîtresses et enfants naturels.
Elle ne voulait pas un mariage d’intérêt, qui dépende entièrement de la politique. Depuis son adolescence, Falina avait eu beaucoup de soupirants du fait de sa beauté et de son charme exceptionnels. Sa chevelure blonde à reflets roux et son grand regard d’azur faisaient tourner la tête de nombreux hommes. Son physique avantageux était aussi peu être une des raisons pour  lesquelles les Sénatrices l’avaient choisie car, trop souvent, ce genre de femme se repose sur leur apparence plutôt que de développer leur esprit. Habilement, Falina en avait fait une arme dont elle se servait à la perfection. Inconsciemment, perdre cette attention que lui offraient les hommes par le port d’une bague au doigt serait un grand sacrifice qu’elle ne s’imaginait pas faire pour le moment.
Complètement absorbée par ses pensées, la Reine ne pris conscience de la présence de sa vieille secrétaire et conseillère, Judith, que lorsque celle-ci se racla bruyamment la gorge. Falina sursauta et posa un regard interrogateur sur la femme aux cheveux blancs et au visage ridé qui se tenait très droite malgré son âge avancé.
«  Votre majesté, le Prince-Héritier de Callaven, Belenor des Acciprides ainsi que la Voyageuse Jeanne Aneim attendent l’audience que vous leur avez concédée.
-    Faites les rentrer ici, demanda la Reine.
-    Vous n’allez pas les accueillir dans la salle du trône ? fit la conseillère visiblement surprise.
-    Lorsque je considère mes invités comme des égaux, pourquoi me mettrai-je sur un piédestal ?
-    Vous avez raison ma Reine, comme souvent. » se soumit l’ancienne en se retirant.
Judith était une conseillère qui lui avait été imposée par le Sénat. Falina lui préférait de loin son amie Ællena qui lui offrait des conseils plus avisés et surtout, elle n’était pas là pour l’espionner. Néanmoins, peu à peu, Judith semblait s’attacher à sa Reine et ses rapports au Sénats n’étaient plus aussi précis qu’au début du règne de la jeune femme.
Ses deux invités entrèrent peu de temps après le départ de la vieille conseillère et la pluie semblait perdre de son intensité, ce qui rendait le bruit plus supportable.
Jeanne Aneim n’avait pas changé depuis la dernière fois que la Reine l’avait vue, une femme charmante sur laquelle le temps ne semblait, pour le moment, pas trouver de prise. Elle portait une robe d’un vert sombre qui soulignait ses belles courbes.
Lorsque Falina posa les yeux sur le Prince, elle eu du mal à contenir un sursaut de rage. Au premier coup d’œil, elle avait cru que cet homme était le Seigneur Moriannor. La rumeur était donc vraie, le Prince Belenor et le Seigneur Moriannor se ressemblaient bel et bien. En s’attardant un peu, il était aisé de trouvé des différences : le Prince semblait plus grand et surtout il était indéniablement plus jeune. Ensuite venaient les yeux, dans son souvenir, Falina voyait clairement les yeux bleus clairs de Moriannor, Belenor en revanche les avait verts émeraude.
Reprenant le contrôle d’elle-même et se composant une expression neutre, Falina se leva pour les accueillir. Tandis que Jeanne fit une courte révérence, Belenor déposa le léger baiser traditionnel sur la main qu’elle lui tendait.
«  Bienvenue à Rabougnal, dit chaleureusement Falina.
-    Merci à vous de nous recevoir, répondit Jeanne sur le même ton.
-    Je vous en prie, prenez place. Cela fait bien longtemps que je ne vous ai vue, malgré notre contact épistolaire fréquent, ma chère Jeanne.
-    A mon grand regret, assura la Voyageuse, mais mes obligations envers l’Académie des mages ne m’ont permis de vous visiter plus souvent. Là encore je ne puis vous voir que quelques minutes à peine. Néanmoins, je suis heureuse de voir que Rabougnal se porte mieux sous votre règne que sous celui de ma mère.
-    Elle est et restera un modèle pour moi, l’égaler dans sa gestion méticuleuse du Royaume serait pour moi une grande consécration.
-    Sincèrement, je suis sure que ce sera à vous que les futures Reines se compareront.
-    Vous me flattez, mon amie.
-    J’ose croire que non, sourit Jeanne.
-    Et vous, Prince Belenor, votre voyage dans le Nord a-t-il été fructueux? demanda la Reine.
-    Vous devez déjà savoir, votre Majesté, que le Congrès de l’Union ne s’est pas engagé aux côtés de l’Empire. Le Nord préfère rester neutre dans cette affaire. Nous avons au moins obtenu qu’ils ne se rangent pas non plus du côté de Drastan, répondit le Prince avec un regard triste.
-    Il est étonnant de voir que la conclusion de ce voyage vous rend si malheureux, remarqua Falina.
-    Veuillez m’excusez, Votre Majesté, je pensais  à ce que j’ai laissé là-bas, à Halden. Ce sont mes affaires privées et elles ne devraient pas influencer notre entrevue.
-    Vous savez, Prince Belenor, bien souvent, la politique se mêle de tout, même de la vie privée de ceux qui la font.
-    Excusez-moi, Falina, je dois me retirer, annonça Jeanne. J’aurai beaucoup souhaité continuer cette discussion avec vous deux mais mon devoir m’appelle. Mon mari, l’Archimage Kerneli, a besoin de moi pour tester les Guérisseuses, voir si l’une d’elle a un Don. Son intérêt pour la Guérison par le Don est renouvelé depuis qu’il a rencontré une jeune femme qui le pratiquait, mais le Prince Belenor en parlera sûrement mieux que moi.
-    Vous me voyez très attristée que vous preniez congé si vite. J’aurai grand plaisir à vous revoir, Jeanne. Présentez mes respects à l’Archimage Kerneli, votre époux. »
Sur ces mots de conclusion, Jeanne s’inclina respectueusement devant la Reine et laissa alors cette dernière seule avec le Prince qui semblait plongé profondément dans ses pensées et observait l’extérieur d’un regard vide.
La Reine remarqua alors que la pluie avait cessé. Comme toujours après une telle averse, les couleurs des fleurs ressortaient encore plus qu’à la normale ce qui rajoutait beaucoup à la beauté de son jardin personnel.
«  Peut-être voudriez-vous sortir un peu ? proposa Falina. J’aime me promener après une averse.
-    A votre aise, assura Belenor en se levant, j’avoue qu’un peu d’air frais me fera du bien.
Ils sortirent par la porte-fenêtre située derrière le bureau de la Reine. Lorsque la beauté du jardin s’offrit à ses yeux, Belenor en eut presque le souffle coupé.
«  Est-ce vous qui vous occupez de faire de cet endroit un bout de Paradis ?
-    Oui, lorsque j’en ai le temps. Ce qui est assez rare ces derniers mois. Avec cette succession.
-    Certes, je n’étais pas non plus censé jouer le rôle de diplomate et de commandant au cours de cette année. Si nous sommes venus à Sipar avec mes compagnons, c’était dans le but d’étudier pour pouvoir succéder à nos pères. Ou à mon oncle, le Roi Ingald, dans mon cas.
-    C’est pour cela que vous renvoyez vos hommes à Callaven.
-    Oui, les menaces directes à l’intérieur de l’Empire sont écartées. Mis à part les Blancs qui continuent à sévir. Cependant nous devons informer mon Royaume et le préparer à aider le Surintendant. Quant à moi, je vais devoir suivre une formation à l’Académie. Mon Don s’est éveillé.
-    Et quel est-il ?
-    Je n’en suis pas sûr, le fait est que j’ai acquis les Dons des mages que j’ai rencontrés.
-    Montrez-moi » fit Falina, curieuse.
Le Prince eut alors l’air de se concentrer intensément, ce qui accentua sa ressemblance avec Moriannor. Rien ne se passait, puis, le Prince regarda dans le ciel où une sorte d’oiseau y décrivait des cercles concentriques en se rapprochant de plus en plus d’eux. La forme grossit de plus en plus jusqu’à ce que Falina puisse enfin l’identifier. Un Dakhart ! Et il fonçait droit sur eux en plus ! Prise d’une soudaine panique, la Reine voulut s’enfuir.
« Ne bougez pas, ordonna Belenor d’une voix profonde, vous allez tout rater. »
Le monstre s’approchait de plus en plus et le Prince restait immobile et parfaitement concentré. Le Dakhart rugit alors et tout s’accéléra. Il se dirigeait droit sur Falina qui faisait de gros efforts pour rester à moitié aussi statique que le Belenor. Lorsque le Dakhart fut tout proche, il ouvrit la gueule, prêt à engloutir la pauvre jeune femme qui n’avait aucun moyen de défense contre de tels monstres. Lorsqu’elle vit ses crocs blancs acérés et sentit son haleine fétide, elle ferma les yeux alors qu’il refermait sa mâchoire sur elle.
Rien ne se passa pendant plusieurs secondes, Falina risqua d’ouvrir un œil. Le Dakhart avait disparut, en face d’elle, le Prince affichait un grand sourire de satisfaction.
"L’illusion“ pensa-t-elle alors.
«  Voilà ce que j’ai acquis en combattant Tar’Ammon, déclara Belenor. L’illusion.
-    J’avais compris, fit Falina presque furieuse, vous auriez pu éviter de m’effrayer !
-    Que vous y ayez cru montre que l’illusion était réaliste, cela faisait longtemps que je n’avais pas utilisé cette capacité.
-    Que savez-vous d’autre ?
-    Je sais également ralentir le temps autour de moi et manipuler l’air comme l’Archimage Kerneli. Veuillez m’excuser de ne pas vous montrer ces pouvoirs mais les utiliser m’exténuerai.
-    Après ce que je viens de voir, je suis enclin à vous croire sur parole. Vous allez révolutionner l’Académie avec vos pouvoirs ! D’autant plus que vous êtes plus vieux que les apprentis normaux.
-    J’espère seulement que ma formation ne durera pas trop longtemps, la succession n’est pas finie et je pense qu’il y aura encore beaucoup de rebondissements avant la fin.
-    Je crains que vous ayez raison, le Seigneur Moriannor se vengera de son revers à Karrog. Assez parlé de politique, parlez-moi de cette femme que vous avez laissé dans le Nord.
-    Il est encore douloureux pour moi d’en parler. C’est à contrecœur qu’elle est restée à Halden mais il ne pouvait en être autrement.
-    Qu’avait-elle qui vous empêchait de la fréquenter ?
-    Cela doit, pour elle comme pour moi, rester un secret.
-    Vous êtes bien mystérieux… Je n’insisterai pas, chacun à ses secrets. Cependant, ne soyez pas si triste, vous aurez l’occasion de rencontrer d’autres femmes qu’elle.
-    Merci, Reine Falina, votre compréhension des relations humaines est aussi grande que votre beauté.
-    Ne me flattez pas à ce point, Prince Belenor et appelez-moi par mon prénom.
-    A la seule condition que vous en fassiez de même pour moi.
-    Vous savez vous servir de votre langue Belenor, cela vous sera très utile, croyez moi.
-    Je vous remercie, Falina.
-    Dites-moi, avez-vous déjà rencontré le Seigneur Moriannor ?
-    Non, les relations diplomatiques entre Drastan et Callaven sont inexistantes depuis la prise de Dollovan par Moriannor. Pourquoi cette question ?
-    Simple curiosité, votre ressemblance avec lui est des plus troublantes. Mis à part les yeux.
-    Je le sais. Pourtant, à ma connaissance, nous n’avons pas de parents communs.
-    Je n’ai jamais eu vent d’une quelconque relation entre vos deux familles. C’est étrange tout de même.
-    J’en conviens. »
Alors qu’ils étaient en train de discuter ainsi, tranquillement sur un banc du petit jardin, Ællena fit son entrée car l’entrevue entre le Prince et la Reine avait duré plus longtemps que prévu et cette dernière ne pouvait pas lui consacrer plus de temps. Elle s’excusa alors auprès du Prince qui fut reconduit par la conseillère vers la sortie.
Ce fut à reculons que Falina se rassit à son bureau, devant toutes les tâches qui lui restaient à accomplir avant la fin de la journée. Lorsqu’Ællena revint pour l’aider dans sa gestion du Royaume, la Reine ne put s’empêcher de déclarer :
«  Il est bien dommage qu’il ressemble tant à Moriannor, j’aurai grandement apprécié qu’il me fasse la cour dans le cas contraire. Il est rare de rencontrer un homme aussi intéressant. »
Ællena sourit à cette remarque, pensant à l’appétit que son amie et Reine avait pour les hommes. Elle mesurait de plus en plus la chance qu’elle avait eu de rencontrer Tibérion. Ils s’entendaient si bien.

*
* *

Depuis des générations, les Seigneurs de Drastan s’étaient assis sur le magnifique trône sur lequel Moriannor se tenait en ce moment. Seul le Trône de l’Empereur à Sipar le surpassait, mais cela n’avait plus d’importance car, bientôt, la succession se terminerait par sa victoire éclatante et la défaite sans appel du Lion d’Or.
Cela faisait des années que Moriannor préparait son plan, fait de petites étapes a priori insignifiantes mais qui, à terme, imposerait sa supériorité. La prise éclair de Sipar n’était que la plus visible d’entre elles et la meilleure façon de montrer ses ambitions.
La victoire était plus proche que jamais, l’Empire était à feu et à sang, malgré le mystérieux Cavalier Noir, tout se déroulait parfaitement bien. Ce parasite avait, en fait, une utilité, celle renforcer la haine qui existait entre les deux camps. Les actions se radicalisaient laissant à Drastan plus de marge de manœuvre.
Récemment, l’Union avait refusé de s’engager dans le conflit. Le représentant de l’Empire, le Prince Belenor de Callaven, avait très bien négocié car avant sa venue, beaucoup de Comtes Electeurs se seraient laissés convaincre par Grimm d’Hansballet d’intervenir en faveur de Drastan. Ce Prince serait sûrement présent lors du Grand Conseil et sera éliminé tout comme le Surintendant.
Quant au Roi Ingald de Callaven, la dernière partie du plan allait bientôt être mise à exécution avec pour but son élimination.
Même si Drastan avait moins d’alliés qu’initialement prévu, son armée seule pouvait contrôler tout opposant. C’était sans compter les mercenaires orques qui restaient encore sous ses ordres.
Ce fut cette pensée qui le ramena brusquement au moment présent. En effet, le chef des orques, Uznarc, était censé le rencontrer sous peu. Comme à son habitude – qui semblait être celle de tous les mercenaires orques – il était en retard.
De longues minutes passèrent encore, pendant lesquelles le Seigneur de Drastan rongeait nerveusement son frein, avant que le héraut entre enfin dans la salle du trône et annonça :
«  Uznarc, chef des orques, se présente devant Moriannor de Drastan. »
L’homme en livrée d’or et blanche était suivi par un orque de plus de deux mètres de haut à la musculature impressionnante, vêtu de fourrures et de précieux bracelets et colliers qui soulignaient son rang parmi les siens. Sa peau était d’un vert pâle et il portait un longue natte noire qui lui descendait jusqu’au creux des reins. Chez les orques, comme chez de nombreux peuples nomades, la longueur de la chevelure était synonyme de puissance. Dans certains livres il était dit que des cultures humaines avaient ce mode de différenciation sociale similaire, encore aujourd’hui.
Trop fier pour s'incliner devant un humain, le chef orque ne fit pas de révérence mais il eu quand même la décence de reconnaître la supériorité de Moriannor en s'adressant à lui en premier :
«  Seigneur Moriannor, c’est victorieux que je me présente aujourd’hui devant vous. »
Contrairement à la plupart de ses congénères, Uznarc parlait sans l’accent guttural si caractéristique de son peuple. Son parler fluide reflétait en réalité son origine de demi-orque, ce qui expliquait aussi sa couleur de peau. Né du croisement entre un orque et une humaine – probablement un viol – il avait été rejeté par les humains et ne doit sa place dominante parmi les orques qu’à ses actions. Il avait vaincu successivement chacun de ses rivaux en combat singulier et avait ainsi peu à peu gravi les échelons jusqu’au titre de chef du clan. De cela, Uznarc avait acquis une grande fierté et un dégout profond du genre humain.
«  Enfin, vous daignez vous présenter devant votre commanditaire, répliqua Moriannor.
-    Nous fêtions notre victoire et pleurions nos morts, maudits, que nous n’avons pu enterrer, que ce soit à Sipar ou pendant le voyage de retour où nous furent harcelés par les troupes de Dunnastell de l’Eriol jusqu’à la frontière.
-    Votre mission était de prendre la ville, tuer l’Empereur puis de l’évacuer aussi vite pour revenir ici. Vous n’aviez pas le temps de vous occuper de vos morts.
-    Le peuple orque a perdu beaucoup d’honneur en ce jour.
-    Vous en êtes sortis plus riches ! Vous connaissiez les risques lorsque vous avez accepté mon or. Je vous paye, vous me servez.
-    Jamais les orques ne prêteront allégeance à un humain !
-    Quoi que vous en disiez, vous êtes des mercenaires et vous vous soumettez à l’or.
-    Notre accord comprend l’or et le libre passage de la frontière. Au Sud, nous retrouverons nos frères et enfin nous pourrons recréer le Khânat des ancêtres. »
Ce chef orque commençait à vraiment énerver le Seigneur de Drastan. Pour mettre fin à ses protestations inutiles, Moriannor en appela à son Don
D'un claquement de doigts, il alluma tous les lustres, chandeliers et cheminées de la salle du trône. Uznarc ne parut pas surpris mais la tension se lisait sur son visage quand il déclara :
«  Vous méritez mon respect en tant que mage de Feu. Cependant ne dépasser pas les conditions fixées par notre accord.
-    Alors donnez-moi la Couronne et vous aurez le reste de votre or ! Exigea Moriannor en intensifiant ses flammes ce qui augmenta un  peu plus la chaleur ambiante.
-    Très bien, Seigneur de Drastan. »
Uznarc ouvrit la sacoche qu'il gardait dans le dos et en sortit le Couronne tant convoitée. Ce symbole de pouvoir avait été porté par tous les Empereurs et la tradition voulait qu'elle n’ait jamais été modifiée depuis Logarn Ier. La monture circulaire était en or massif incrustée des sept plus gros diamants de l'Empire – du monde disaient certains. Ils représentaient Dieu et ses six Archanges car l'Empereur devait régner en faisant le lien entre le peuple et les Cieux.
Moriannor se leva et descendit de son trône pour que le chef orque lui remette la Couronne dans les mains. Il fut surpris de sentir que l’objet était chaud alors qu’il s’attendait à ce que le métal ne le soit pas autant. La tentation fut grande de se coiffer de l’objet sur le champ.
Son geste, à peine esquissé, fut interrompu par l’entrée de Tar’Ammon dans la salle.
«  Monseigneur, s’exclama-t-il, ne faites pas cela ! La Couronne ne doit pas être porté par quelqu’un d’autre qu’un Empereur consacré. Seul le Prieur de Bonnenbourg peut lever les charmes qui protègent cet objet.
-    Vous avez raison, je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête. Vous pouvez disposer. » ajouta-t-il à l’intention du chef orque.
Ce dernier ne se fit pas prier et sorti vivement de la pièce, apparemment en colère mais néanmoins soulagé d’être délié de tout engagement envers Drastan. Lorsqu’Uznarc fut parti, Moriannor invita son mentor dans son bureau personnel, adjacent à la salle du trône. Il déposa précautionneusement la Couronne sur un piédestal qu’il avait prévu de longue date pour l’accueillir.
Une fois tous deux installés de part et d’autre du bureau de travail, le Seigneur de Drastan s’autorisa un brin de triomphalisme :
«  Enfin, la Couronne est entre mes mains, je vois mal comment les Hauts Nobles de l’Empire pourront encore longtemps me résister.
-    La victoire n’est pourtant pas assurée. Il vous reste un défaut de taille pour eux, vous n’êtes pas marié et n’avez donc pas d’héritier légitime. Un Empereur se doit de perdurer sa lignée et, je pense, que ce serait un argument de poids pour votre cause.
-    Le seul fait que j’ai engendré des enfants naturels devrait les contenter, je ne suis pas comme Mogueras, stérile et condamné à adopter. Vous savez comme moi que la seule femme qui ne m’ait jamais intéressé pour un mariage était la Reine Falina de Rabougnal mais nous n’avons pas la même conception de la politique.
-    Vous devriez peut-être envisager un mariage avec une fille d’un Haut Noble. Avec la mort d’Irmuler de Fendsbourg, la fille du Duc de Rembrunt, un des plus fidèles défenseurs de la cause du Surintendant de Sipar n’est plus promise à personne. Une demande d’union de votre part entrainerait difficilement un refus.
-    Ludciné de Rembrunt ? Peut-être que vous avez raison.
-    Sinon, vous pouvez toujours tendre la main vers les familles de Drastan qui sont en froid avec vous depuis le massacre de la Main à Dollovan.
-    Eux ? Jamais ! s’énerva Moriannor. Si j’ai sacrifié les agents de la Main Rouge, ce n’est pas par plaisir sadique, contrairement à ce que peuvent penser certains. Je l’ai fait par obligation, vous savez comme moi que les familles de la Main voulaient me destituer en utilisant leurs agents pour m’assassiner. C’était un mal nécessaire. Seule la famille Tallonn avait, et a toujours, mon entière confiance. Si je dois me marier avec une fille d’une famille de Drastan ce serait avec la fille des Tallonn.
-    Vous savez très bien que les Tallonn n’ont que deux héritiers, l’ainé est destiné à succéder à son père tandis que la cadette est en formation pour devenir une agente de la Main Rouge. Vous marier avec serait complètement inutile car vous perdriez votre seul agent complètement loyal.
-    Très bien, j’enverrai donc une demande au Duché de Rembrunt. J’espère que la Duchesse verra l’intérêt de l’union et saura convaincre son mari.
-    Certainement. » conclut le mage en se levant.
Tar’Ammon sortit, la discussion étant terminée, ayant d’autres activités qui méritaient son attention, laissant le Seigneur de Drastan seul. Moriannor, quant à lui, resta assis à son bureau, à se réjouir d’avance de sa victoire. Elle était presque certaine désormais, l’Empire sombrait peu à peu dans le chaos et même si ses dirigeants ne l’avouaient pas, l’ordre qui régnait à Drastan était tentant. Ainsi, cela faisait quelques mois déjà que les douaniers voyaient se présenter beaucoup de réfugiés impériaux. Bien sûr, ils étaient quasiment tous refoulés après que les autorités leur aient expliqué que Drastan était prête à les accueillir mais que la guerre rendait cela impossible. Les réfugiés partaient donc déçus et en colère, non pas contre la Cité de la Lumière mais contre l’Empire.
Drastan s’élevait comme une réponse évidente contre le chaos avec son système basé sur l’ordre en toute chose. Ainsi, par exemple, son système judiciaire était l’un des plus sévères du monde connu et pourtant les condamnations à la peine capitale étaient de plus en plus rares.
Bientôt, oui bientôt, Moriannor imposerait sa loi à l’Empire et tous l’acclameraient comme le véritable Sauveur. Ce n’était plus qu’une question de temps.

*
* *

En ce jour de départ, Tibérion était tiraillé entre la joie de repartir pour son pays et la tristesse de ne plus revoir Ællena avant longtemps. Le Prince Belenor avait prévu qu’ils partiraient ensemble dans l’après midi, lui vers l’Académie grâce aux talents de Jeanne, les autres vers Callaven et par des moyens plus conventionnels.
Pendant qu’il se rasait, Tibérion ressassait encore et encore ce qu’il avait prévu de dire à sa bien-aimée. Il devait bien choisir ses mots car il avait eu tant de mal à la convaincre de passer un peu de temps seule avec lui qu’une séparation maintenant risquait de tout gâcher.
«  Tu lui tires une sacré tronche à ton reflet dis donc, ne manqua pas de remarquer Imladas qui venait de s’introduire dans la tente du capitaine de Bregorgne.
-    Et toi, tu as le don de déranger les gens au plus mauvais moment, répondit Tibérion avec une pointe de colère.
-    Ta belle ne t’oubliera pas de si tôt, arrête de te morfondre et va passer le temps qu’il te reste avec elle.
-    Qu’est-ce que tu y connais, toi, aux relations sérieuses ?
-    Oh, et puis, fais comme tu l’entends. »
La réplique de Tibérion l’avait piqué au vif et Imladas préféra sortir de la tente que d’affronter vainement la mauvaise humeur de son ami.
Il est vrai que leurs caractères étaient différents et cela entraînait de petites querelles. Tandis que Tibérion semblait s’ancrer peu à peu dans sa relation avec Ællena, Imladas continuait à "croquer la vie à pleines dents" comme il aimait le dire. Charmeur et beau-parleur, Imladas ne pensait pas à s’établir encore dans une relation de couple durable. Surement que son père, Théodrim de Sandorn, avait des projets différents à ce sujet mais jusque là il n’en avait pas informé son fils. Pour cela en particulier, Imladas était, lui aussi, moyennement heureux de rentrer à Callaven.
Le capitaine de Bregorgne, désormais seul, repensait aux paroles de son ami qui n’étaient pas dénuées de bon sens. Il finit rapidement de se raser, de se préparer et de ranger ses affaires pour le départ afin d’aller chercher Ællena dans Rabougnal et passer le plus de temps possible avec elle.
Aux portes de la ville, les gardes, qui commençaient à connaître cet officier de Callaven, le laissèrent passer sans poser de question. Il traversa la cité jusqu’à atteindre les portes des quartiers où résidaient les guerrières. Tibérion s’annonça et, sans aucun problème, put entrer librement dans ces lieux normalement interdits aux hommes. Une palefrenière vint même lui prendre les rênes de son cheval alors qu’il démontait. Il trouva sa bien-aimée dans la cour, en train de s’entraîner à tirer à l’arc.
Etant dos à l’entrée, elle n’avait pas remarqué l’arrivée de Tibérion qui en profita pour s’avancer silencieusement jusqu’à ce qu’il puisse l’enlacer. Il pencha alors la tête en avant et lui souffla à l’oreille :
«  Laisse donc cette cible tranquille un moment, tu lui mène la vie dure. »
Surprise, Ællena sursauta et lâcha la corde de son arc. La flèche se ficher dans un des panneaux de bois qui soutenaient les cibles de tir. En se retournant, elle lui lança un regard rempli de reproches. En retour Tibérion afficha son plus grand sourire.
«  Il ne me reste plus beaucoup de temps ici, lui dit-il, et ce temps j’ai décidé de le passer avec toi.
-    Tu sais bien que j’ai des responsabilités ici, la Reine peut me requérir à n’importe quel moment.
-    Elle est jeune elle aussi, je pense qu’elle comprendra.
-    Et que veux-tu que l’on fasse alors ?
-    Le départ est prévu dans l’après midi, d’ici là nous avons largement le temps d’aller nous promener autour de la ville.
-    Tu as un endroit en particulier en tête ?
-    C’est ta ville, tu dois connaître les lieux dignes d’intérêt.
-    Il y a un lac, pas très loin de la cité, je voulais justement te le montrer. C’est encore plus beau lorsqu’il neige mais malheureusement, tout a fondu.
-    Allons-y ! » décida Tibérion.

*
* *

Alors que le jeune couple se retirait du terrain d’entrainement, Icella poussa un long soupir. Elle avait tout fait pour inciter sa sœur à fréquenter ce capitaine de Callaven et pourtant leur bonheur affiché ne semblait pas la réjouir. En réalité, elle enviait beaucoup sa sœur car, elle, de son côté, soupirait après Andreï de Moganris qui n’avait rien fait en retour pour lui plaire.
Soudain pleine de confiance en elle, Icella décida d’aller chercher le protégé du Prince Belenor. A cette heure matinale, il devait sûrement être en train de suivre une leçon de l’Archimage Kerneli. Elle n’avait pas tout compris, mal il semblait qu’Andreï maîtrisait son Don d’une manière particulière qui le rendait dangereux sans la tutelle d’un mage confirmé. Ce que n’était pas le Prince Belenor apparemment.
Dans la cité de Rabougnal, le passage d’une Page courant on ne sait où était parfaitement normal, ainsi, Icella ne fut pas arrêtée par la garde ou les patrouilles alors qu’elle cherchait un peu partout où l’Archimage pouvait bien donner ses cours.
Lorsqu’elle les trouva enfin, dans une petite place paisible où il y avait peu de passage, mis à part quelques couples cherchant un peu de tranquillité. Situé dans la partie nord-ouest de la cité, l’endroit était surplombait la ville basse et offrait une vue panoramique sur le reste de Rabougnal et ses alentours.
Andreï et Kerneli étaient accroupis à même le sol dallé, face à face. Icella regretta bien vite d’avoir autant couru car elle était essoufflée et ne pouvait pas dissimuler son arrivée. Ainsi, immédiatement, Kerneli, même si, comme son vis-à-vis, avait au préalable les yeux fermés, braqua son regard sur elle. Cela sembla la traverser de part en part, de sorte qu’elle resta immobile, impressionnée par l’intensité avec laquelle l’Archimage la regardait.
«  Ce que je ressens en vous est assez étrange, déclara-t-il au bout d’un moment.
-    Que voulez-vous dire ? arriva-t-elle à articuler.
-    A proprement parler, expliqua-t-il, vous n’avez pas de Don. Pourtant, je ne puis affirmer que vous êtes une jeune fille normale.
-    Je ne savais pas que vous pouviez ressentir les Dons des autres, fit Icella.
-    Ce n’est pas exactement cela. Tous les mages ayant suivit une formation à l’Académie sont capables de ressentir le pouvoir chez les autres. Identifier le Don, par conte, est impossible à moins d’en avoir le Don. Vous, en revanche, vous êtres une énigme. N’y a-t-il rien d’extraordinaire, littéralement j’entends, dans votre quotidien ?
-    Pas que je sache, mentit Icella qui ne voulait pas que les mages s’intéressent à ses capacités.
-    Il y a autre chose dont certains mages sont capables, moi y compris, c’est déceler le mensonge. Que me caches-tu ?
-    Mais rien du tout, je vous assure !
-    Laissez là tranquille ! intervint Andreï.
-    Mon petit, l’un des devoirs des mages est de déceler les Dons et d’envoyer ces personnes à l’Académie d’ici ou d’ailleurs pour éviter l’apparition de Mages Noirs. Chose que tu as bien failli devenir si Belenor avait continué à être ton mentor. Maintenant, jeune fille, quel est ton secret ? De toute manière je dispose de l’autorité nécessaire pour t’emmener avec nous à l’Académie. Là-bas, un mage arrivera sûrement à trouver la capacité dont tu dispose.
-    S’il vous plait, non ! Je reconnais être capable de certaines choses mais je veux devenir une Amazone, comme ma sœur, Ællena. Ce n’est pas en allant à l’Académie que je le deviendrai.
-    Si tu ne veux pas que ton secret s’ébruite, dis le à moi seulement. Je te fais le serment de me taire s’il le faut. En revanche si tu ne dis rien et que les mages cherchent à trouver tes capacités, tu peux être sûre que tout le monde sera au courant.
-    Quoiqu’il arrive je pars avec vous ?
-    C’est plus que probable. A toi de voir si tu veux que beaucoup de gens soient au courant de ton pouvoir ou juste moi.
-    Et vos supérieurs ?
-    Je n’ai pas de supérieurs. Je siège au Conseil des Mages au même titre que les autres Archimages. Je n’ai pas comptes à rendre à qui que ce soit si ce n’est à moi-même.
-    Très bien. Je peux voir des images, des scènes autour des gens. Elles représentent parfois le futur, parfois le passé. Souvent néanmoins ce que je vois est sujet à interprétations et je ne comprends pas moi-même la signification des images.
-    Je n’ai jamais rien connu de tel, commenta simplement Kerneli.
-    Je suis toujours obligée de venir avec vous ?
-    Plus que jamais, l’énigme que tu représente doit trouver une réponse. Je n’ai pas trouvé de Guérisseuses avec le Don. Il fallait bien que je ramène quelque chose d’autre, fit l’Archimage en souriant. La leçon est terminée, Andreï. Je dois vous laissez, d’autres tâches m’appellent que je dois régler avant le départ. »
Sans plus de discours, Kerneli se leva et parti d’un bon train. Icella mit un moment avant de réaliser qu’elle était désormais seule avec Andreï. Pire, elle allait le côtoyer pendant beaucoup plus longtemps à l’Académie ! Elle ne savait pas si elle devait se réjouir ou pleurer. Bien sûr, elle était contente de voir un peu plus cet adolescent qui l’intriguait tant mais, pour autant, était-elle prête à le côtoyer quotidiennement.
«  Alors comme ça tu voies des images autour des gens ? demanda Andreï.
-    Euh, oui, enfin, pas toujours.
-    Par exemple, tu voies quelque chose autour de moi ?
-    Pas en ce moment, non, désolée.
-    Et avant, le premier soir ? Je t’avais vue très troublée.
-    Je ne me rappelle plus, mentit-elle.
-    C’est dommage. Pourquoi es-tu venue ici en fin de compte ?
-    Pour te… pour la vue, bégaya-t-elle.
-    La cité est très belle vue d’ici. C’est en partie pour cela que l’Archimage Kerneli est venu ici. Aussi pour le calme. Moganris n’est pas aussi belle que Rabougnal.
-    J’aime beaucoup cette ville, la quitter sera dur, je pense.
-    J’avais peur aussi de quitter ma maison même si je ne l’ai pas montré. On s’habitue. Personnellement, avec tous les paysages que j’ai vus, je ne suis pas déçu d’avoir voyagé.
-    Si tu le dis, mais dans mon cas, je vais juste aller à l’Académie, se désola-t-elle.
-    "juste" ? De tous les lieux que j’aie entendu parler, l’Académie est souvent décrite comme une magnifique cité, peuplée de nombreux mages. J’ai vraiment hâte d’y être.
-    Quel est ton Don exactement, au juste ?
-    Je suis capable de voir et de contrôler les flux d’énergie. Enfin, c’est ce que dit l’Archimage Kerneli. Concrètement, j’ai déjà réussi à créer un éclair au bout de mes doigts.
-    Impressionnant ! Y-a-t-il beaucoup qui ont ce Don ?
-    Je n’en ai aucune idée. Avant de rencontrer le Prince Belenor, je pensais que les Dons n’étaient qu’une légende. La plupart des mages actuels n’ont pas de Don, ils ont appris à maîtriser la magie comme on apprend à lire ou à compter. Ils sont cependant beaucoup plus faibles.
-    Je ne savais pas que la magie s’apprenait.
-    Ce n’est pas facile et ni à la portée de tous. Il y en a toutefois plus que des mages avec des Dons. »
Au grand dam d’Icella, qui commençait à vraiment apprécier leur interaction, il se mit à pleuvoir. D’abord quelques gouttes avant-coureuses qui furent ignorés par l’un et l’autre, puis l’averse commença réellement. D’un commun accord, ils s’en retournèrent, chacun de leur côté. Icella devait préparer ses affaires pour le départ vers l’Académie. La première fois qu’elle quittait Rabougnal ! De plus, elle n’allait pas inviter Andreï à venir dans sa chambre, c’était interdit. Bien malheureuse, elle se sépara de lui et d’un pas traînant, se dirigea vers les quartiers des Pages où elle habitait.

*
* *

Ce fut avec un soupir de soulagement que Belenor réussi à boucler la dernière sangle de cuir qui relier le plastron et le dos de son armure. Il n’avait pas été seul pour se préparer ainsi depuis bien des mois, avant qu’il ne rencontre Dématris. Normalement, un officier de son statut avait toujours un écuyer ou un page, même s’il ne lui était pas affecté personnellement, pour revêtir son armure. Cependant, Andreï, qui aurait pu l’aider, prenait des leçons de l’Archimage Kerneli et Belenor n’en avait pas d’autre sous la main. Après tout, c’était la dernière fois qu’il revêtait un tel uniforme avant longtemps car, à l’Académie, il n’en aurait pas besoin.
L’heure du départ était venue et il devait faire un court discours devant ses hommes avant de partir. Après avoir bouclé son baudrier duquel pendait son épée, il sortit de sa tente. Il avait plut, plus tôt dans la journée, mais l’averse était passée et le ciel s’était éclairci. Presqu’aucun nuage visible, un temps parfait pour un départ. Belenor se dirigea vers le bout de prairie ou tous les soldats s’étaient rassemblés, attendant son allocution.
Il remonta tous les rangs de soldats au garde-à-vous jusqu’au premier où étaient ses trois Capitaines : Soldoban d’Aronberg, Imladas de Sandorn et Tibérion de Bregorgne. Il manquait Fildar de Korventen mais il devait être à Vessala pour soigner sa blessure de Dakhart grâce à la science du Seigneur Siougrev. D’un geste, il indiqua à tous qu’ils pouvaient cesser le garde-à-vous et se mettre au repos. Prenant une grande inspiration, il déclara :
«  Soldats, frères de Callaven, vous avez traversé bien des épreuves depuis notre départ du Royaume et vous pouvez être fiers de vous. Aujourd’hui, vous rentrez chez vous, notre mission d’ambassade diplomatique a pris fin lorsque nous avons rencontré le Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris. J’ai pris la décision d’aider l’Empire dans sa lutte contre Moriannor et, même si je pense que cela est bien dans la même optique que la politique que notre Roi Ingald mène envers Drastan depuis des années, nos actions n’impliquent que nous et seul un décret royal peut assurer l’alliance de Callaven à l’Empire dans cette guerre. Je ne doute pas que notre Roi agira dans ce sens. J’ai néanmoins remis à mon second, le Capitaine Soldoban d’Aronberg, une missive destiné à notre monarque pour lui décrire mes impressions.
«  Vous l’aurez compris, encore une fois, je me vois obligé de me séparer de vous. Je pars étudier à l’Académie. Je n’oublie pas pour autant les devoirs qui me lient à vous et je m’efforcerai de rester actif malgré la distance dans les affaires de notre Royaume.
«  Ce dernier voyage que vous entreprenez sera, je le souhaite, ni trop long, ni difficile mais en ces temps troublés je ne peux rien vous promettre. Vive Callaven, vive le Roi.
-    Vive Callaven, vive le Roi, reprirent en chœur tous les soldats. »
Les soldats se dispersèrent rapidement, le départ étant imminent, il restait encore quelques tentes à emballer et tant d’autres petites choses à faire. Les hommes étaient disciplinés et savaient tous ce qu’ils avaient à faire. Belenor resta donc seul avec ses Capitaines et Al’Ivna qui ne s’éloignait jamais beaucoup de Soldoban.
Ce fut en regardant, avec admiration, les hommes s’affairer à démonter ce qu’il restait du camp que Belenor vit l’Archimage Kerneli venir à eux en compagnie de sa femme Jeanne, d’Andreï de Moganris. Jusque là tout était normal. Cependant, venaient avec eux, Icella Strod et sa grande sœur Ællena ainsi que le Reine Falina Ysideus en personne.
«  Votre Majesté, que nous vaut cet honneur ? s’exclama Belenor.
-    J’ai réussi à me libérer pour assister à votre départ, Prince Belenor. Ce n’est pas souvent que l’on a l’occasion de voir une Voyageuse à l’œuvre.  De plus, l’Archimage Kerneli souhaite emmener avec lui une Page, Icella Strod, la sœur de ma Gardienne des Sceaux. Je me devais donc de venir.
-    La jeune damoiselle Strod semble avoir un talent très particulier, expliqua Kerneli. Il est de mon devoir de la conduire à l’Académie.
-    Nous allons pouvoir y aller, annonça Jeanne, je suis prête.
-    Très bien, laisser moi faire mes adieux à mes Capitaines » imposa Belenor.
Un par un, ils se firent l’accolade, se souhaitant bonne route. Intérieurement, le Prince se jura de réunir de nouveau ces quatre amis, ainsi que Fildar s’il se rétablissait.
Tibérion se détacha du groupe après avoir dit au revoir à Belenor et se rapprocha d’Ællena. De ce qu’il en avait vu et déduit, le Prince s’attendait à ce que cette séparation soit douloureuse pour le couple, or il n’en paraissait rien. En effet, il ne pouvait pas savoir ce qu’ils s’étaient dit pendant leur promenade au lac. Au final, Tibérion et Ællena s’éloignèrent pour avoir plus d’intimité et échangèrent un long baiser.
Belenor croisa le regard amusé et heureux de la Reine Falina et d’Icella. Il en conclut que ces deux là avaient dû influer, de près ou de loin, dans la formation de ce couple. Il s’approcha de la Reine et, avec un grand sourire qu’elle lui rendit, il lui fit une révérence ainsi qu’un baisemain des plus protocolaires, mais le regard qu’ils échangèrent signifiait bien plus.
Comprenant, qu’il était temps pour elle d’agir, Jeanne se concentra pour former son portail de Voyage. Ce furent les deux sœurs qui se dirent au revoir en dernier avant que tous ne franchissent le portail qui s’ouvrait sur une clairière en pleine forêt avec des arbres aux troncs si larges que certains arbres auraient bien pu être millénaires voire plus.
La dernière pensée qu’eut Belenor au moment de franchir le portail fut dirigée vers Dématris de laquelle s’éloignait encore plus mais qui restait malgré tout très présente au fond de lui. Il lui souhaitait que tout se passe pour le mieux jusqu’à ce qu’ils se revoient.

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3 septembre 2011 6 03 /09 /septembre /2011 12:23

De nouveaux blasons, les derniers décrits dans le roman pour le moment.

 

l-Aigle-Noir.png

Aigle de sable sur champ d'or, ce blason fut celui du premier Empereur, Logarn, surnommé "l'Aigle noir".

 

Maison Korventen

L'ours de sable sur champ jaune est l'emblème de la maison Korventen, particulièrement du Baron Wilbru (père de Fildar).

 

Rabougnal

Certainement l'emblème qui m'a donné le plus de fil à retordre. Le blason de Rabougnal est écartelé au premier qaurt de gueules orné d'un coeur croisé du même, au deuxieme quart vert orné d'une épée, d'un arc et d'une lance entrecroisés du même, au troisième d'azur orné d'un marteau du même et au dernier blanc orné d'un livre du même, le tout orné d'un R jaune.

Chacun des quarts représente une des Confession : rouge pour les guérisseuses, vert pour les soldates, bleu pour les artisanes et blanc pour les érudites.

Le blason est rond car dans la tradition héraldique, la forme ronde était celle des dames alors que la forme en écu était celle des hommes.

 

Pour aujourd'hui ce sera tout, n'hésitez pas à poser vos questions au cas où vous en auriez.

 

 

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2 septembre 2011 5 02 /09 /septembre /2011 01:21

XIX

Les voyages continuent

 

Le Grand Océan sous les yeux, Ascadon ressassait encore et encore les leçons du Duc Veassen de Rembrunt. La légère brise d’air iodé lui faisait du bien lorsqu’il la sentait caresser son visage, car la politique impériale était, pour lui, un casse-tête bien plus complexe que de commander et diriger une armée en campagne. Intrigues en tous genres, complots mesquin à foison, les nobles des Grandes Maisons Impériales ne reculaient devant rien pour gagner un tant soit peu d’influence.

Ascadon comprenait enfin la raison pour laquelle il n’avait jamais reçu la reconnaissance de ses pairs nobles. Ils dénigraient totalement l’ascension par les faits d’armes telle qu’il l’avait faite. En un sens seul le défunt Empereur Mogueras reconnaissait sa valeur. Ascadon admirait encore plus ce dernier depuis qu’il avait appris que les conflits d’influence étaient omniprésents entre les nobles et que la corruption faisait souvent loi. En effet, Mogueras avait fait le pari risqué de faire abstraction de tout cela et se concentrer uniquement sur la gestion de l’Empire à grande échelle, en particulier en prêtant une oreille attentive aux revendications du peuple, à travers les séances de doléances auxquelles il assistait en personne – une première pour un Empereur de mémoire d’homme. Cette gestion particulière avait contribué à un certain essor économique du pays mais en même temps les Grandes Maisons n’ont pas cessé leurs intrigues et la corruption a malheureusement gagné de l’ampleur. A tel point qu’elle gêne même ceux qu’elle arrangeait au premier abord. Certains prenaient alors le parti du Seigneur de Drastan – "prendre le Blanc" comme disaient les gens du peuple – alors qu’ils n’avaient jamais exprimé une quelconque aversion envers la Couronne.  Cela s’expliquait : les territoires sous la domination de Moriannor sont totalement épargnés par ces vices. Moriannor, et les Seigneurs qui l’avaient précédé, s’étaient construit, au fil des générations, une réputation de tyrans sanguinaires – et ils l’étaient, Moriannor n’était pas plus cruel que ses prédécesseurs mais la gestion des affaires internes à Drastan était exemplaire.

Néanmoins, diriger un pays d’une main de fer par la peur était, selon le Duc de Rembrunt, pas la bonne solution. En effet, les décisions pragmatiques que l’on pouvait prendre en temps de guerre s’appliquaient mal aux affaires politiques car malgré tout il fallait toujours faire attention au peuple qui pouvait se soulever s’il était trop mal traité. Contrairement aux Drastaniens, habitués à respecter des dirigeants tyranniques, les Impériaux n’accepteraient pas de perdre les droits qu’ils avaient gagné au fil du temps.

Les informateurs du Duc Veassen avaient quand même fait parvenir une bonne nouvelle ces derniers jours, il y avait de moins en moins de monde à prendre le Blanc. Sûrement à cause du Cavalier Noir qui chassait littéralement les Blancs de là où il passait. Ascadon retenait surtout l’assassinat du Seigneur Capitaine, Irmuler de Fendsbourg qui campait avec ses partisans non loin de Sipar. Ce décès avait complètement désorganisé les Blancs.

Le Cavalier Noir. Un allié providentiel même si personne ne savait son nom. Ascadon paierait cher pour le rencontrer. En plus de dissuader de prendre le Blanc, il avait fait en sorte que les Blancs se rassemblent autour d’un seul chef qui restait inconnu. Malheureusement, ces nobles radicalisaient leur action et la terreur régnait sur leurs terres.

D’un autre côté, l’entreprise d’Ascadon de trouver des alliés extérieurs aux nobles d’Empire avançait. En premier venait le Royaume de Callaven, bien sûr, comme allié de la première heure. Il avait d’ailleurs récemment reçu une lettre du Roi Ingald lui assurant son soutien. De plus, le Prince Belenor – même s’il restait jeune – faisait preuve d’un certain discernement et d’audace, choses qui lui seraient sûrement utiles lorsqu’il sera amené à régner.

L’Ordre des Chevaliers Ailés, malheureusement considérablement affaibli par les troubles qui l’avaient secoué, se joignait à l’autorité de Sipar. En particulier le Grand Maître Istram Vonwulf voulait se venger de Moriannor pour lui faire payer la mort d’une grande partie de ses Chevaliers.

Concernant Rabougnal, Ascadon venait de recevoir une lettre le matin même de la main du Capitaine Soldoban d’Aronberg confirmant que la Reine Falina s’engageait enfin à ses côtés sans aucune réserve. La souveraine s’en était donc remise au serment de vassalité qui liait Rabougnal à l’Empire, même s’il avait fallu qu’il lui laisse quelques terres qui étaient déjà propriété de Rabougnal, sinon de droit, au moins de fait. Heureusement qu’elle se rangeait enfin car la Reine avait du caractère. Ascadon se souvenait encore de leur première rencontre. Elle venait tout juste d’accéder au trône. Quant à lui, il accompagnait un conseiller impérial qui avait été chargé de s’assurer que les frontières du Nord du Royaume de Rabougnal ainsi que le cours de l’Eriol qui délimitait la bordure Est du territoire de la Reine étaient correctement protégés.

La jeune Reine, nouvellement élue après le décès de la précédente, avait, bien entendu, reçu les représentants de son suzerain avec les tous les honneurs qui leur étaient dus. Par contre, lorsqu’elle apprit la raison de cette visite, sa réaction fut très violente et faisait comprendre qu’elle se sentait insultée que l’Empire eût jugé bon de s’assurer de la garde desdites frontières. Elle arguait d’ailleurs qu’elle ne souhaitait – au même titre que l’Empire – se faire envahir.

En réalité, il semblait qu’elle laissait entendre – alors qu’elle n’avait absolument pas le droit de le faire – que les Impériaux feraient mieux de s’occuper de leurs propres frontières. Le fait est que, quelques années plus tard, la cité de Sipar tomba lors d’un assaut fulgurant. L’Empereur lui-même y trouva la mort. Ascadon sourit tristement. Ironiquement, cette jeune Reine impétueuse à la limite de l’insolence avait eu raison.

«  Il est bien rare de voir un sourire éclairer ton visage de pierre ces temps-ci. » remarqua une voix, qu’il reconnu comme étant celle de sa femme Aethel qui venait de le rejoindre.

Il se retourna et contempla la femme de sa vie. Il la connaissait depuis sa plus tendre enfance. Fille d’un Baron dont les terres s’étendaient au sud de Rabougnal et avec qui son défunt père entretenait d’excellentes relations. Beaucoup de familles nobles mineures de l’Empire copiaient les manières des maisons plus puissantes. Notamment lorsqu’il s’agissait de marier les enfants.

Par chance, la famille de Moganris ne s’enfermait pas dans de telles traditions même s’il était de coutume de choisir des prétendants de bonne famille. Ce fut alors tout naturellement qu’Ascadon fit sa demande en mariage et demanda la main d’Aethel à son père alors qu’il venait d’entrer dans sa vingt-et-unième année. En fait il avait choisi de se marier jeune pour fonder une famille avant que son devoir dans l’armée impériale ne l’en empêche. Ce qui ne tarda pas : à peine son fils né qu’il dû partir pour sa première campagne militaire. Une campagne de formation sous les ordres du Commandant de l’Armée du Sud de l’époque. Ils devaient sécuriser les frontières Sud-est de l’Empire pour éviter que les troubles qui avaient succédé à la fin du conflit entre le Royaume de Callaven et le Seigneur de Drastan pour la domination de Dollovan ne s’étendent à l’Empire.

Quinze ans avaient passé et malgré toute sa fierté, Ascadon devait reconnaître que le temps avait joué son rôle. Il n’était plus aussi vigoureux qu’avant. De plus, il voyait que certains cheveux sur ses tempes avaient commencé à grisonner. En comparaison, sa femme n’avait l’air de ne pas avoir ressenti les ravages du temps, à peine quelques rides d’expression, mais aux yeux d’Ascadon, elle était toujours belle comme le jour où il l’avait épousée. Il l’aimait toujours d’un amour profond car, au fond, peu de femmes auraient accepté que leur mari soit si peu présent dans leur vie. Son sourire s’élargit à l’évocation de ces souvenirs.

«  Je repensais à nos jeunes années. A la naissance d’Andreï et ce qui suivit, lui répondit-il.

-       Oui, souri-t-elle à son tour, c’était merveilleux. J’aurais tant aimé pouvoir avoir d’autres enfants.

-       Oui, moi aussi. C’est la seule tache d’ombre. »

La grossesse d’Aethel avait été particulièrement difficile et les guérisseurs qu’ils avaient consultés étaient formels : le risque d’enfant mort né était grand. Ensuite l’accouchement fut des plus douloureux pour elle, là encore les spécialistes étaient unanimes, une seconde grossesse mettrait la vie d’Aethel en danger et la fausse couche était quasi-assurée. Ce fut cet événement douloureux qui amena la femme d’Ascadon à une vie presque monastique pour implorer les Archanges et Dieu de permettre à son seul fils de vivre pleinement.

«  As-tu fini de prier pour ce matin ? demanda-t-il.

-       Oui, et j’ai appris que la fille de Veassen est revenue au domaine de son père en bien curieuse compagnie.

-       Ah ? Je ferai bien d’aller voir ça. Elle est sûrement au courant de quelques rumeurs qui ont échappées aux informateurs du Duc qu’elle a glané ici et là tout au long de son absence. »

Tout en parlant, Ascadon se dirigeait vers le grand hall où Veassen de Rembrunt devait sûrement recevoir sa fille. Sa femme lui emboita le pas. Elle aimait beaucoup participer aux débats et aux discussions que son mari avait avec le Duc qui s’efforçait de lui faire comprendre les rudiments de la politique. En fait, Aethel se révélait être bien meilleure que lui lorsqu’il s’agissait de trouver le sens caché des choses. Ascadon pensait qu’elle pouvait, à l’avenir, lui offrir une aide précieuse et surtout un regard très différent que celui d’un politicien chevronné sur les manœuvres des grands nobles. Il avait l’intention d’en faire sa conseillère privée.

La demeure des Ducs de Rembrunt était immense. Ce n’était pas un château car elle n’avait pas de vocation défensive, ni un Palais car l’architecture restait simple et n’était pas assez majestueuse pour être ainsi qualifiée. Cela restait néanmoins un grand manoir où il était aisé de se perdre son chemin. Etant un invité de marque, les gardes laissaient à Ascadon la liberté d’aller et venir là où bon lui semblait – à l’exception de quelques pièces privées réservées à l’usage du maître des lieux. Quant aux serviteurs, tous en livrée bleue et blanche de la famille, ils s’efforçaient de s’effacer sur son passage tant et si bien qu’il ne les voyait parfois même pas. Bien qu’il s’efforçât de ne pas paraître insensible à leur travail comme le faisaient ces seigneurs qui méprisaient les domestiques,  les considérant presque comme du mobilier alors que l’esclavage avait été aboli de l’Empire depuis le règne du troisième Empereur, Imberich.

Arrivant devant la porte qui menait au grand hall, Ascadon s’arrêta un instant. La fille du Duc, Ludciné avait été promise à un noble qui avait fini par rejoindre les Blancs avant de mourir assassiné par le Cavalier Noir. Qui savait si elle n’avait pas adhéré aux idées de son défunt compagnon ? Sur cette incertitude, Ascadon retint son souffle et fit signe aux domestiques de lui ouvrir la porte.

En l’apercevant, Veassen le présenta à sa fille, une belle et jeune femme très pâle à la chevelure brune comme son père et avec les yeux bleus de sa mère, la Duchesse, dont Ascadon avait vu tableau dans une des salles.

«  Ludciné, fit-il, voici son Excellence le Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris.

-       Votre Excellence, lui dit-elle en lui faisant une profonde révérence.

-       S’il vous plaît, ma Demoiselle, évitons tous ces titres, répliqua-t-il en lui faisant le baisemain, appelez moi Ascadon.

-       A votre aise.

-       Mon ami, reprit le Duc, ma fille apporte de bien curieuses nouvelles. Il se trouve que les Blancs ont un nouveau dirigeant, le Seigneur Vistulas, et il a établi un nouveau quartier général à Standell, son fief.

-       Qui se trouve être un des domaines les plus facilement défendables de tout l’Empire, regretta Ascadon.

-       Certes, mais Ludciné m’a également appris qu’elle avait accompagné le Cavalier Noir pendant plusieurs mois.

-       Pardon ? s’étrangla le Surintendant. Où est-il à présent ?

-       Il est gravement malade, intervint Ludciné qui était jusque là restée dans l’ombre de son père. Je l’ai amené ici mais il est inconscient. La dernière chose censée qu’il m’a dit était qu’il voulait aller se faire soigner dans les Bois Cendrés, à Vessala, voir un mage prénommé Siougrev.

-       Hum, réfléchit Ascadon, il me semble avoir déjà entendu ce nom. De la bouche du Prince Belenor si je me souviens bien. Ce n’est quand même pas lui le Cavalier Noir. Je l’ai envoyé dans le Nord !

-       Non, ce n’est pas le Prince de Callaven, répondit la jeune femme, mais il prétend le connaître. Il ne veut pas que son identité soit révélée.

-       Ce qui est compréhensible, fit le Duc. Je pense que nous lui devons assistance maintenant, sans rien lui demander, vu qu’il nous a fourni de telles informations, que – je pense – la plupart des Blancs eux-mêmes ignorent.

-       Je souhaite tout de même le voir, je crois avoir une idée de son identité et j’aimerai m’en assurer. Je serai seul et je garderai le secret, ajouta-t-il à l’intention de Ludciné. »

Elle acquiesça d’un signe de tête et ils sortirent tous les deux du hall. Elle le conduisit à travers tous les couloirs jusqu’à l’aile des appartements de la famille de ducale. En réalité le Cavalier Noir avait été installé à la demande de Ludciné dans ses  appartements personnels. Lorsqu’il le comprit, Ascadon faillit renoncer, car il considérait les appartements privés comme strictement personnels. Surtout qu’il était marié et elle non. La jeune femme avait du sentir son trouble car elle lui assura qu’elle n’en ferait rien et qu’il était son invité.

Sur ce, ils pénétrèrent dans le petit salon. La décoration était visiblement très personnelle et déjà la gêne d’Ascadon revint. Il y avait de nombreuses fleurs et, généralement, au centre des bouquets, trônait un lys, l’emblème de la Maison. Il y avait d’ailleurs la bannière blanche avec le lys bleu en son centre suspendue à au mur en face de la porte. Chose plus curieuse, les couleurs de la Maison natale de la Duchesse, la mère de Ludciné étaient aussi présentes. Ainsi un étendard était fixé au-dessus de la porte d’entrée et représentait un cygne blanc sur un champ vert pâle. Les deux blasons se faisaient face même si les couleurs de la Maison de Rembrunt étaient clairement mises en valeur. Concernant le mobilier, il était digne d’une Damoiselle de haut rang avec tout le confort nécessaire. Néanmoins les meubles restaient simples et beaux mais n’étaient pas extravagants et lourds de fioritures tels que certains nobles les appréciaient. Ainsi cela devenait une vitrine de leur richesse.

Ludciné le fit passer dans la chambre à coucher – elle aussi très simple – où un homme était étendu sur le lit à baldaquin. La lumière étant très tamisée sur ordre de la jeune femme, Ascadon dû s’approcher pour détailler les traits de l’individu. C’était un homme à la peau très pâle avec les cheveux châtains clairs. Ses traits fins et délicats en faisaient un bel homme. Ascadon se rappelait avoir vu un visage qui ressemblait à celui-ci mais il ne pouvait dire où.

«  Il ne vous dit rien ? demanda Ludciné.

-       C’est difficile à dire, je me souviens d’avoir vu un visage comme celui là mais c’est comme si c’était un frère ou un fils de quelqu’un que je connais, bien que je sois incapable de dire qui.

-       Dans ce cas, je pense que vous devriez partir. Si vous ne savez pas le reconnaître.

-       Attendez, il ne vous a même pas donné un nom ?

-       Juste un prénom, mentit-elle car elle ne voulait pas trahir son ami en donnant son nom complet.

-       Et quel est-il ?

-       Si je vous le dis, vous partirez ensuite.

-       Si cela ne me dit rien non plus, oui.

-       Très bien, il se fait appeler Fildar. » révéla la jeune femme.

Ascadon se rappela alors. Le cavalier blessé par un Dakhart à Karrog mais qui n’est pas mort. L’ami du Prince Belenor qui fut envoyé se faire soigner à Vessala. Fildar Korventen. Il semblait être un autre homme tout en ayant gardé de nombreux traits.

«  Je le connais, annonça-t-il, il se nomme Fildar Korventen. C’était un capitaine de l’armée de Callaven mais il a été blessé à Karrog. Le Prince Belenor l’avait envoyé avec une escorte à Vessala justement, voir le fameux guérisseur.

-       Vous le connaissez mieux que moi on dirait.

-       Pas tant que cela, mais c’était un excellent cavalier et un homme d’honneur. Je suis attristé de le voir dans cet état. Il a beaucoup changé, physiquement

-       Je dois vous avouer qu’il m’inquiète beaucoup. Même si son physique est le même que lorsque je l’ai rencontré. J’espère qu’il survivra.

-       Je suis heureux de voir qu’il peut compter sur quelqu’un pour surveiller ses arrières, sourit-il.

-       Au début, il ne voulait pas que je l’accompagne mais il s’est résigné et, au final, je lui permettais d’avoir une échappatoire lors de ces escarmouches contre les Blancs.

-       Comment est-il depuis qu’il est inconscient ?

-       Il ne bouge presque jamais, sauf une fois tout au début, il s’est évanoui puis redressé et il a tenté de me mordre.

-       De vous mordre ?

-       Oui, mais ne vous inquiétez pas, il ne m’a presque pas touché. Juste à la main, mais je n’ai plus rien.

-       Faites attention tout de même, c’est le premier homme à survivre au poison d’un Dakhart, personne ne sait ce dont il est capable. En temps normal, je vous aurai demandé de ne pas vous en approcher mais je vois bien que vous ne le quitterez pas.

-       Qu’insinuez-vous ?

-       Vous le découvriez bien assez tôt, sourit Ascadon. Je vous remercie de m’avoir permis de le voir. Maintenant je suis assuré que le Cavalier Noir est bien un allié de notre cause. Je dois vous quitter, d’autres tâches m’appellent.

-       C’est à moi de vous remercier, j’ai appris beaucoup sur Fildar grâce à vous, même si je n’ai pas tout compris.

-       Je vous l’ai dit, vous vous en rendrez compte le moment voulu. Faites attention à vous tout de même. » conclut-il avec un baisemain.

Lorsqu’Ascadon sorti, Ludciné ne le suivit pas. Ce fut donc seul qu’il reparu dans le grand hall où sa femme et Veassen étaient en grande discussion. Ils se turent dès qu’il s’approcha, le Duc lui demanda :

«  Etes-vous rassuré, Ascadon ?

-       Oui, merci. Je puis vous assurer que le Cavalier Noir est bien notre allié en tous points.

-       C’est une merveilleuse nouvelle ! se réjouit Aethel.

-       Assurément. De plus, continua le Surintendant, j’ai pris une décision.

-       Quelle est-elle ? s’inquiéta Veassen.

-       Je pense qu’il est temps que nous allions à Dunnastell pour préparer le Grand Conseil. Il ne sert à rien de rester ici.

-       Cela fait bien deux semaines que j’attends de vous l’entendre dire ! se réjoui le Duc. Cette décision est la preuve que vous commencez à comprendre. Il faut toujours rester au plus proche de ses adversaires. Très bien, nous partirons pour Dunnastell quand vous le souhaiterez.

-       Ce sera le plus tôt possible. Demain, si possible. Je vais aller donner les ordres à mes hommes.

-       Comme vous voudrez, je vais de ce pas prévenir les miens. »

Ascadon, suivit de sa femme, se dirigea vers l’aile des gardes, un lieu sobre et froid tout en pierre, comme la plupart des quartiers de garnison que l’on pouvait trouver dans l’Empire. Il y trouva le capitaine des Gardes Pourpres qui l’accompagnaient. Il lui transmit rapidement les ordres concernant le départ du lendemain. L’officier ne fit aucun commentaire mais il paraissait évident qu’il préférait voyager que rester oisif ici.

Le reste de la journée passa rapidement, Ascadon et Aethel allèrent tout d’abord faire leurs bagages puis, dans la soirée, ils allèrent se recueillir dans la Cathédrale du Sacre de Bonnenbourg.

C’était un immense lieu de culte sensé pouvoir accueillir tous les  personnes qui voudraient voir le Sacre de l’Empereur, ce qui comprenait nécessairement une grande partie des nobles d’Empire, de nombreux gentilshommes et la quasi-totalité de la population aux alentours de Bonnenbourg. L’immensité du lieu était représentative de la puissance de l’Empire à son apogée – lorsqu’il unifiait presque tous les territoires humains du monde connu. Très haute, la cathédrale avait une nef centrale qui avait la particularité de s’enfoncer dans le sol ce qui formait des gradins. De sorte que même aux derniers rangs, les gens pouvaient voir le chœur où se déroulait la cérémonie.

Le chœur de la Cathédrale se caractérisait son immensité, telle qu’il pouvait accueillir facilement une centaine de personnes pour l’office. De plus, au fond, il y avait une des plus grandes et des plus belles statues de Dieu de l’Empire qui surplombait le Reliquaire du Sacre tout en or massif.

Sur les bas côtés se tenaient les petites chapelles pour les Six Archanges qui avaient aidé Dieu à la création du monde. Il y en avait trois de chaque coté et chacune était une vraie chapelle ou des bancs de prière étaient installés et non juste une simple alcôve.

Ascadon et Aethel choisirent de se recueillir près du Reliquaire. Lui, priait pour la réussite du voyage jusqu’à Bonnenbourg et implorait, comme à chaque fois, le pardon de l’Eternel pour toutes les morts dont il était responsable. Elle, demandait à ce que son fils soit protégé de tout mal et qu’il puisse être heureux. Elle priait aussi pour le salut de son mari qui, devant la tâche à accomplir, devait être soutenu par les Cieux pour réussir. Ils y restèrent pendant presque toute l’après midi avant de rentrer au Manoir dans le début de soirée.

 

*

* *

 

Après qu’Ascadon fut sorti de la chambre, Ludciné resta au chevet de Fildar. Elle pensait encore à ce qu’avait dit le Surintendant. Bien sûr qu’elle resterait aux côtés de son compagnon, après tout il l’avait sauvée d’un homme pour à qui elle avait été promise et qu’elle détestait. Elle se sentait obligée de rester proche de ce Cavalier Noir car il voulait tout faire seul et paraissait fort mais il était beaucoup plus fragile qu’il ne voulait l’admettre. En cela, il avait besoin de quelqu’un, et ce serait elle. Il fallait qu’elle pense désormais à la prochaine étape, les Bois Cendrés. Fildar affirmait qu’il y avait une cité, nommée Vessala, dans cette forêt. Portant personne, en traversant les Bois ne l’avait jamais vue, il y avait juste des rumeurs et des mythes sur un lieu hors du temps, mais c’était des légendes et des contes de bonne femme. Ludciné doutait de la présence de Vessala et du mage Siougrev. Pourtant elle allait y aller. Pour Fildar.

Soudain, elle entendit frapper à la porte et alla ouvrir. C’était son père, Veassen. Elle le fit entrer dans le petit salon et l’invita à s’asseoir.

«  Non, allons faire un tour dans le jardin, exigea-t-il, il fait beau et je voudrais profiter du Soleil.

-       Je ne préfère pas, déclina-t-elle. J’ai pris l’habitude avec le Cavalier Noir d’éviter la lumière, elle l’insupporte et, par habitude, moi aussi.

-       Allons, allons, tu es pâle comme jamais, un peu de Soleil te fera le plus grand bien.

-       Très bien, mais je resterai à l’ombre.

-       Comme tu voudras. » lâcha-t-il, préférant éviter une dispute stérile.

Le jardin dont parlait Veassen était très grand et accessible par les différentes ailes du manoir. Ludciné s’assit à sur un de ses bancs favoris lorsqu’elle habitait encore au manoir familial qui était à moitié à l’ombre d’un hêtre à cette heure de la journée. Son père prit place à côté d’elle, au Soleil.

«  Notre ami le Surintendant souhaite partir demain pour Bonnenbourg., déclara-t-il. J’aurai aimé que tu restes ici avec ta mère.

-       Je suis désolée, père, mais je dois accompagner le Cavalier Noir dans les Bois Cendrés.

-       Quelqu’un d’autre peu le faire, et ta mère n’est pas bien actuellement. J’ai peur que son état se dégrade.

-       Non ! J’ai promis à cet homme que je l’aiderai à guérir et je dois m’y tenir. Bien sûr que j’aimerai passer du temps avec mère, mais vous m’avez enseigné qu’une promesse est un engagement solennel et de ne jamais se parjurer.

-       Cet homme compte beaucoup pour toi, à ce que je vois.

-       Il m’a sauvée d’Irmuler et je lui en serai éternellement reconnaissante.

-       Très bien, mais permet moi de t’offrir une escorte, je n’aime pas savoir ma fille seule sur les routes.

-       Vous préférez la voir accompagnée d’une brute comme mari pour apaiser un rival politique et même temps avoir une espionne dans sa maison, fit-elle ironiquement.

-       Non, bien sûr que non. Je sais que ce choix était mauvais mais rappelle toi qu’à cette époque tu n’avais pas dit non.

-       J’étais dévastée et perdue après que l’Archiduc Morwind de Callaven t’ait refusé de me marier avec son fils.

-       Il avait ses raisons. Même si c’est un homme froid et qu’il parait cruel, tous ses efforts sont dans l’intérêt de son fils. S’il n’a pas voulu arranger un mariage, c’était pour laisser Belenor libre de s’unir avec celle qui souhaitait. Il n’a pas refusé à cause de toi mais ça t’a brisé le cœur. Peut-être que finalement tu te marieras un jour avec le Prince Belenor.

-       J’en doute. Depuis cette histoire, j’ai compris que je l’aimais, certes, mais comme une sœur peut aimer un frère.

-       Dommage, je ne verrai jamais ma fille couronnée Reine de Callaven. Je ne referai pas la même erreur. Désormais, je ne t’imposerai pas ton mari. Ton compagnon devra venir me demander ta main.

-       Je préfère que ce soit ainsi. Quant à l’escorte, je n’en ai pas besoin et là où je vais, les routes sont sures.

-       S’ils étaient là, j’aurai demandé à l’un de tes frères de t’accompagner, voire les deux.

-       Et j’aurai tout de même refusé. Que deviennent-ils ? La dernière fois que je les ai vus, Anselme était prêt à s’engager dans l’armée et Charles était dans ses études.

-       Anselme, près de trois ans de plus que toi mais toujours aussi tête brûlée. Oui, il s’est engagé mais il a été affecté à Dunnastell et, Dieu soit loué, n’a pas prit par aux combats de Sipar. Il réussi plutôt bien car il m’a écrit que son officier supérieur lui a confié le grade de Capitaine de la Garde et il est très fier d’être celui qui assurera la sécurité lors du Grand Conseil. Quant à ton jeune frère, Charles est toujours en train d’étudier, à l’Académie des mages maintenant. il m’écrit souvent pour me dire qu’il veut devenir mage, entouré d’étudiants comme il est, mais il n’a aucun Don et je crains que son apprentissage soit difficile. Je ne vais pas briser l’ambition de ce jeune homme de seize ans mais à mon avis, il devrait essayer de rentrer dans l’Ordre des Chevaliers Ailés, il a plus de chances d’y réussir.

-       C’est une vie monastique, je ne suis pas sûr qu’il en ait vraiment envie.

-       Oui, c’est vrai. L’avenir nous le dira. 

-       Je suis heureuse d’apprendre qu’ils n’ont pas souffert des troubles de ses derniers mois. Presque toutes les familles nobles ont perdu un parent, parait-il.

-       C’est surement vrai. Revenons-en à nos moutons. Tu ne veux pas d’escorte ni d’homme de confiance, que puis-je faire, alors, pour t’aider ?

-       Pourquoi devrai-je dépendre de vous, père ? Je suis adulte, maintenant. Il faut que je me débrouille seule.

-       Permet-moi au moins de te fournir tout ce dont tu auras besoin, dit-il après un long soupir. Vivres, chevaux et tout le reste.

-       J’ai amené avec moi des chevaux.

-       Dans quel état ! Ils étaient presque morts. Je me demande bien où tu les avais déniché.

-       Emprunté. Le Cavalier Noir les avait empruntés à des Blancs, rencontrés au hasard de ses pérégrinations. En même temps, ils lui ont tué le sien.

-       Je comprends. Bref, je te fournirai tout et tu ne peux refuser, ordre de ton père.

-       Très bien, mais peut-on rentrer ? demanda la jeune femme qui commençait à être indisposée par le Soleil.

-       Bien sûr, répondit-il en l’accompagnant à l’intérieur. Quand souhaites-tu partir ?

-       Le plus tôt possible. Je pensais repartir ce soir, lorsque le Soleil se sera couché. Je ne dois pas perdre de temps. Pour lui.

-       Je vois. Je vais organiser ça. Repose-toi en attendant. »

Il la quitta devant la porte de ses appartements. Ludciné se rendit rapidement au chevet de Fildar qui n’avait pas bougé. En temps normal, elle aurait accepté une escorte mais ils auraient plutôt été une gêne car elle veillait à nourrir son compagnon et il lui fallait du sang. Humain, si possible. De plus, elle y avait pris goût elle aussi. Tout cela aurait été bien trop compliqué à faire accepter aux gens de son père. Seul Fildar pouvait comprendre. C’est pourquoi elle irait seule malgré les dangers. Elle ne savait trop pourquoi mais ce qu’elle ressentait pour Fildar était nouveau et elle ne voulait pas en être séparé.

 

*

* *

 

Lorsque le portail disparut, le petit jardin où Dématris se tenait encore très droite et très fière avec lui, Belenor sentit son cœur se serrer. Il savait que se séparer d’elle serait difficile et pensait s’y être préparé, mais, maintenant, elle était à Halden et lui pouvait contempler Rabougnal au loin. Son cœur se serra. Malgré tout, il ne s’était jamais vraiment séparé de Dématris. La sensation était insupportable.

Perdu dans ses pensées, il laissa son cheval suivre les autres qui se mettaient en marche vers la ville. Il n’avait que vaguement conscience des champs qu’ils traversaient. Rapidement, alors que le Soleil se couchait, ils rejoignirent une route pavée et, de là, la cité de Rabougnal se rapprocha de plus en plus.

Ce fut une voix féminine qui le tira de ses pensées alors qu’ils étaient arrivés devant la grande porte de la ville. Il voyait sur les tours flotter le drapeau de Rabougnal, écartelé, au premier quart avec un cœur croisé – symbole des guérisseuses de Rabougnal – le tout de gueules, au deuxième avec entrecroisés une épée, un arc et une lance le tout vert – les armes des combattantes – , au troisième avec un marteau, le tout d’azur – symbole de l’artisanat de Rabougnal – et au dernier avec un livre le tout immaculé – représentant les érudites – le tout était surmonté d’un magnifique R jaune calligraphié.

«  Qui êtes-vous et pourquoi cherchez-vous à entrer dans Rabougnal, demandait la voix qui se révélait être celle d’une petite femme grisonnante qui gardait la porte.

-       Je me nomme Jeanne Aneim, née Gisgonelle, déclara la Voyageuse. J’ai grandi ici. Je me rappelle de vous, Elisen.

-       Jeanne ? C’est bien vous ? Excusez-moi, je ne vous avez pas reconnue. Vous n’avez pas été annoncée, la Reine voudra sûrement vous rencontrer, en tant que fille de la précédente. Vous et vos gens pouvez rentrer.

-       Merci, ma chère. Mon ami cherche ses compagnons, dit-elle en désignant Belenor du regard, ils sont de Callaven, peut être savez-vous où ils sont ?

-       Bien sûr, je reconnais ces insignes, dit-elle en indiquant les uniformes des deux soldats, leur camp se trouve à l’ouest de la ville. Si vous voulez vous adresser aux officiers, je sais qu’au moins deux d’entre eux sont à la taverne La Chaleureuse. Pour y aller, vous prenez la cinquième rue pavée, à gauche.

-       Merci bien, Elisen, au revoir. » salua Jeanne.

Belenor, sorti de sa léthargie, choisi d’aller voir la fameuse taverne et ordonna aux soldats Histey et Résys de se rendre au campement, annoncer sa venue. Kerneli, Jeanne et Andreï choisirent de suivre le Prince.

La taverne se trouvait dans une rue assez belle et semblait bien tenue. Il y avait, bien sûr, dans les rues beaucoup plus de femmes que d’hommes. Cela était assez troublant au début surtout lorsqu’elles effectuaient un travail généralement réservé aux hommes, comme les forgeronnes ou les patrouilles de soldates. Les femmes militaires étaient souvent tolérées même si elles restaient cependant très rare, que ce soit dans l’Empire ou à Callaven. C’est pourquoi, Belenor avait bien noté que son initiative d’apprendre le maniement de l’épée à Dématris n’était pas approuvée par tous. Dans cette ville, en revanche, les forces armées étaient exclusivement féminines ce qui choquait au premier abord.

Le bâtiment qui abritait la taverne était assez spacieux, tout en pierre qui s’accordait parfaitement à l’allure architecturale générale de la ville. En poussant la porte, Belenor n’avait aucune idée de ce qu’il trouverait à l’intérieur. La salle était grande et propre, les serveuses se déplaçaient parmi les clients, nombreux à cette heure de la soirée. Un groupe de musiciennes, jouait un air doux qui invitait les gens à danser, mais ils étaient encore peu nombreux à le faire.

Le Prince repéra ses deux officiers. Il s’agissait d’Imladas Sandorn et de Tibérion de Bregorgne. Comme à son habitude, le premier jouait aux cartes, sa longue et large épée posée à coté de son bras,  avec quelques charmantes clientes, tout en parlant fort et rigolant beaucoup. Le second, quant à lui, était attablé dans un coin, près d’une fenêtre, ses deux lames au pied de sa chaise, en compagnie d’une femme aux longs cheveux blonds. A l’entrée du groupe, Imladas les remarqua tout de suite, tandis que Tibérion ne semblait se préoccuper que de son vis-à-vis.

Le capitaine Sandorn se leva et s’approcha de Belenor.

«  Prince Belenor, s’exclama-t-il. Qu’il est bon de te revoir !

-       Allons, allons, Imladas, répliqua l’intéressé. Je suis heureux que tu ailles bien et Tibérion aussi apparemment.

-       Tibérion ? Ah oui, euh… Tibérion ! » hurla Imladas.

Surpris, le capitaine tourna la tête vers le groupe qui venait d’entrer. Prestement, il lâcha la main de la femme en face de lui et rejoignit son acolyte.

«  Mes excuses, Prince Belenor, je n’ai pas fait attention au va-et-vient des clients.

-       Je te pardonne, si tu me présente celle qui t’empêche d’être attentif.

-       Oui…euh…

-       Je me nomme Ællena Strod, répondit la jeune femme qui s’avérait avoir les yeux verts. Je suis la Gardienne des Sceaux de Sa Majesté la Reine.

-       Je vois. Je n’envisageai pas les négociations diplomatiques soient si informelles.

-       Non, corrigea Tibérion, nous ne parlions pas de diplomatie.

-       Oh, je vois…

-       N’allez pas vous imaginer autre chose, intervint vivement Ællena.

-       Je n’irai pas jusque là, dit Belenor qui prenait goût à la gêne évidente des deux jeunes gens.

-       Très bien, sur ce, je vais devoir vous quitter, annonça la Gardienne des Sceaux. Au revoir, Tibérion, ajouta-elle en le regardant dans les yeux.

-        Mais non, restez, très chère, insista Jeanne.

-       Vous, ici ? fit Ællena visiblement surprise.

-       Je crois qu’il serait mieux que nous nous attablions, nous gênons les clients, remarqua Kerneli.

-       Vous avez raison, dit Imladas. Tavernier ! Une table pour sept, s’il vous plait.

Le tavernier était une femme – évidemment – grisonnante et assez forte, elle se fit un plaisir d’accueillir ces nouveau clients et leur présenta une table dans un angle de la salle et assez loin des musiciens, de sorte qu’ils ne seraient pas dérangés pas les éventuels danseurs.

Ils étaient à peine installés que le capitaine Soldoban d’Aronberg fit son entrée en compagnie d’Al’Ivna dans la salle et se dirigea vers eux, visiblement essoufflé. Ils saluèrent amicalement Belenor et, après qu’ils se soient tous présentés, Imladas posa la question qui brûlait toutes les lèvres :

«   Je ne vois pas Dématris, où est-elle, Belenor ?

-       Elle est restée dans le Nord avec sa famille, répondit le Prince en essayant de paraître impassible. Famille qui se trouve être celle de ma mère, ajouta-t-il après un temps. Nous sommes cousins au premier degré.

-       Oh… Je comprends, dit Al’Ivna qui parlait au nom de tous. J’espère que vous êtes restés en bons termes.

-       Ne t’inquiètes pas pour cela, ce sont mes affaires et votre soutient moral me suffit.

-       Qu’allons-nous faire à présent ? demanda Soldoban qui sentait qu’un départ se présageait.

-       Je vais, avec Andreï, étudier à l’Académie, sur les terres du Vice-Empereur Hillidas, sous la direction de l’Archimage…

-       Je suis désolé de vous enlever votre cher Prince, le coupa Kerneli, mais disons que c’est dans l’intérêt général. Seul un fou laisserait des Dons comme ceux que ces deux là ont sans formation.

-       Bref, je tenais à vous informer de cela avant de vous renvoyer à Callaven.

-       Nous retournons au pays ? fit Imladas interloqué. Ne sommes-nous pas au service du Surintendant ?

-       N’oublions pas qu’à la base nous sommes une ambassade. Notre mission est terminée officiellement. Nous aurions pu rentrer dès que nous avons rencontré le Surintendant. Si nous sommes restés, c’est qu’il avait besoin d’hommes. Aujourd’hui, la situation est différente et le danger d’une seconde vague d’assaut venant de Drastan semble improbable. De plus, vous n’avez pas reçu d’ordres après la fin des négociations avec la Reine Falina.

-       Non, il a juste ordonné au lieutenant impérial que ses troupes devaient sécuriser le pont au Nord de Sipar.

-       Je vois, j’enverrai un courrier au Surintendant pour l’informer de vos mouvements et des miens.

-       Quand partirons-nous ? s’inquiéta Tibérion.

-       Pour ma part, Jeanne Aneim nous fera Voyager lorsqu’elle le pourra.

-       Dans une semaine normalement, intervint-t-elle.

-       C’est cela. Je pense donc que nous partirons tous en même temps.

-       N’oubliez pas que vous devez rencontrer la Reine, rappela Ællena.

-       J’ai bien assez d’une semaine pour la rencontrer, non ?

-       Elle peut parfois être très occupée, mais je pense que pour la fille de l’ancienne Reine ainsi que le Prince Héritier de Callaven, elle trouvera le temps. »

Ils restèrent ainsi longtemps à discuter de tout ce qui c’était passé pendant les mois où ils ne s’étaient vus. Agréablement, Jeanne et Kerneli se joignirent à la conversation, agrémentant les propos de quelques anecdotes. Surtout Jeanne qui semblait bien connaître le fonctionnement de la cité même si elle ne venait que rarement depuis que sa mère était décédée.

Ællena, quant à elle, ne dit pas grand-chose. Elle songeait surtout au départ futur des soldats de Callaven. Particulièrement, le départ de Tibérion, car même si elle avait encore du mal à l’avouer, elle se sentait bien avec cet homme. De plus, depuis peu, leur relation avait évolué. En effet, après plus de deux mois pendant lesquels Tibérion lui faisait la cour à laquelle – bien qu’elle ne le montrât pas – elle n’était pas insensible, il arrêta subitement et commença à l’éviter. Elle crut alors qu’il ne se soit découragé et ait abandonné l’idée de la séduire. Elle prit alors sur elle et choisit d’aller le voir. Elle n’avait pas du tout aimé faire comme ça car elle se découvrait beaucoup trop à son goût mais elle voulait en avoir le cœur net. Elle ne fut pas déçue. Ce fut comme si Tibérion avait toujours su qu’elle viendrait le voir et qu’il l’attendait. Pour cela elle soupçonnait sa sœur, Icella, d’avoir tenté de les rapprocher. Finalement, Ællena n’en avait que faire, sa relation avec Tibérion était passée à un autre niveau et elle en était très heureuse, même si cela ne s’était pas passé exactement comme elle l’avait imaginé. Sauf que, maintenant qu’elle se sentait prête à avoir une vraie relation avec un homme, on le lui enlevait.

Tibérion sentit son inquiétude et, comme ils étaient côte à côte, il lui serra la main en dessous la table, montrant qu’il partageait ses inquiétudes. Cela la rassura et, voyant le regard qu’il lui lançait, elle se dit que même loin d’elle, il ne l’oublierait pas.

La soirée avançait et peu à peu, les clients, plus nombreux alors, furent de plus en plus à ce mettre à danser. Tant et si bien que leur petit groupe se trouva finalement à la limite de la piste improvisée. C’est alors que Kerneli invita sa femme Jeanne alors que les musiciennes jouaient un air romantique. Al’Ivna sauta sur ses pieds et tira son compagnon par la main pour qu’il vienne aussi danser. Imladas s’excusa et se leva demander à une de ses charmantes adversaires aux cartes de bien vouloir lui accorder cette danse. Sentant l’envie qui tiraillait Tibérion, Belenor déclara :

«  Allez-y, je ne vous retiens pas. Je vous l’enlève dans une semaine ne l’oubliez pas, ajouta-t-il à l’intention d’Ællena.

-       Merci, Belenor, répondit Tibérion alors qu’il se levait avec main de la jeune femme au creux de la sienne.

-       Hé bien, voilà, nous voici abandonnés, n’est-ce pas Andreï ?

-       Je n’irai pas jusque là, maître.

-       Ne m’appelle plus comme cela, maintenant ton maître, comme le mien, est l’Archimage Kerneli.

-       Comme vous voudrez, m…,  Belenor.

-       Je préfère cela. » souri le Prince.

Ils continuèrent tous deux à discuter, surtout des rares rumeurs qu’ils avaient pu entendre sur l’Académie. Belenor prenait plaisir à discuter avec ce jeune homme qui montrait de l’intérêt et une curiosité peu commune. Depuis son éclat lors de la découverte de son aptitude à maîtriser l’énergie ambiante, il semblait qu’il avait appris à mieux se contrôler mais le Prince sentait toujours une envie profonde de faire ses preuves et de dépasser le commun des mortels. En fait, ce n’était pas si étonnant venant du fils d’un homme aussi doué qu’Ascadon. Il l’avait facilement accepté pour maître mais ce n’était pas évident qu’il soit aussi coulant avec Kerneli qui semblait avoir ses méthodes bien à lui. Des méthodes très différentes de celles que Belenor avait acquises avec Siougrev et qu’il avait transmises à Andreï. Il espérait de tout cœur que l’adolescent puisse devenir le mage qu’il souhaitait et ensuite faire de sa vie ce qu’il souhaitait. En revanche Kerneli lui avait confié qu’il sentait que la Corruption s’était ancrée en lui, peut être trop profondément pour qu’il s’en débarrasse un jour.

 

*

* *

 

Icella était inquiète, il était tard et sa sœur Ællena n’était toujours pas rentrée. Depuis que Tibérion avait suivi son conseil d’ignorer sa sœur un temps, celle-ci avait réagi et elle passait beaucoup de temps avec lui. Beaucoup trop de temps. Elle rentrait tard et Icella avait peur qu’elle commence à négliger ses devoirs. D’un pas résolu, la jeune Page – qui devait bientôt devenir Compagne – traversa la rue pour se rendre à La Chaleureuse, la fameuse taverne où les capitaines Sandorn et Bregorgne tuaient leur temps libre.

Elle poussa la porte et, immédiatement, la musique mêlée au bruit des clients agressa ses oreilles. Icella n’aimait pas la foule et là, la salle était comble, pour son plus grand malheur. Elle repéra sa sœur en train de  danser, en compagnie, évidemment, de Tibérion. Par respect pour les autres danseurs, elle s’assit à une table, pour attendre la fin de la danse, avant d’aborder Ællena.

Comme d’habitude lorsqu’elle observait les gens, elle vit pleins d’images tournoyant autour des têtes des clients. Elle ne savait pas toujours ce que cela signifiait et certains en avaient plus que d’autres. Parmi ceux-ci il y avait dans la salle les capitaines de Callaven, qui étaient trois ce soir là à la taverne, sa sœur, Al’Ivna, un couple qui devaient être des magiciens vu les habits qu’ils portaient. Ce soir là, il y avait, à une table, un homme et adolescent qui lui tournait le dos. L’homme portait le même genre d’uniforme qu’elle avait vu sur les soldats de Callaven mais le plus remarquable chez lui était les images qu’elle voyait. Icella n’en avait jamais vu autant chez une seule personne.

Curieuse, elle s’approcha discrètement de leur table. L’adolescente ne pouvait prédire avec exactitude le futur de l’homme mais il allait avoir une vie exceptionnelle. Quant au garçon, elle ne voyait rien, elle s’en rendit compte qu’après car elle était fascinée par l’homme qui se tenait en face. En y réfléchissant, cela la troublait beaucoup plus car elle voyait toujours quelque chose sauf sur elle-même lorsqu’elle se regardait dans un miroir.

Elle vit alors le visage de l’inconnu qui était beau avec ses yeux perçants et ses traits élégants. Icella s’assit et le dévora des yeux à son insu alors qu’il discutait tranquillement avec l’homme qui avait toujours plein d’images autour de lui.

La jeune Page ne se rendit pas compte que la musique s’était arrêtée le temps que les deux musiciennes puissent se désaltérer avant de recommencer de plus belle. Ce fut la voix de sa sœur, dans son dos, qui la fit sursauter.

«  Je croyait que Mère nous disait qu’il était inconvenant d’espionner les gens, lui dit-elle sur un ton qui se voulait dur.

-       Je… euh… Je suis désolée, bredouilla-t-elle. Tu n’étais toujours pas rentrée et il était tard, tenta-elle de se justifier. J’étais inquiète.

-       Je sais bien, j’avais l’intention de partir mais j’ai rencontré les deux personnes de la table qui t’intéresse tant.

-       Qui sont-ils ? voulu-t-elle savoir.

-       Tu n’as qu’à le leur demander. »

La jeune fille devint toute rouge à l’idée de parler à celui qui la troublait. Elle fut terriblement gênée lorsque l’adulte la remarqua et demanda à sa sœur qui elle était. Il lui fit signe d’approcher et il se présenta.

«  Ma Demoiselle Icella Strod, je suis Belenor Acciprides, Prince de Callaven et voici, Andreï de Moganris. »

Ce dernier qui discutait jusque là à voix basse avec Imladas entendit son nom et regarda son ancien maître puis la jeune fille à qui il parlait. Il cessa alors tout mouvement, ses yeux s’immobilisèrent sur son visage, comme s’ils étudiaient chaque trait. Puis il se rendit compte que tous les adultes avaient cessé toute conversation et l’observaient – la plupart amusés – alors, rougissant presqu’autant qu’Icella, il la salua en bredouillant puis il détourna les yeux gêné.

La jeune Page ne savait que penser, elle avait toujours cru que les hommes étaient insensibles et beaucoup moins sujets à la gêne que les femmes et là, elle en découvrait un aussi gêné qu’elle par la situation. Ællena – qui avait salué tout le monde – sentit son trouble et la dirigea vers la sortie. Icella lui en fut très reconnaissante. Elle avait honte d’elle-même d’être restée ainsi immobile.

«  Tu comprends maintenant comme il est difficile d’accepter d’avoir toutes ses défenses détruites par un simple regard, lui dit sa sœur.

-       Oh ! Non, ce n’est pas ça ! voulu se défendre Icella.

-       Bien sûr, bien sûr. Tu t’en rendras compte toi aussi très vite. Allez, rentrons. Demain, je dois demander à la Reine quand elle prévoit rencontrer le Prince Belenor et Jeanne Aneim.

-       Tu ne lui as pas parlé de mes visions ? s’inquiéta la jeune fille.

-       Le Prince Belenor n’en sait rien, lui assura Ællena, et le bel Andreï non plus. Y-a-t-il un problème ?

-       Non, pas vraiment. Le Prince a plus d’images autour de lui que je n’en ai jamais vues autour d’un seul homme. Quant à Andreï… Je ne vois rien du tout. Ça n’était jamais arrivé. Je me demande ce que cela signifie.

-       Je suis désolée, je n’en sais rien. Tu devras le découvrir par toi-même. »

Elles remontèrent la rue sans regarder en arrière, vers les appartements des Pages. Ainsi, aucune ne vit Andreï observer leur départ part la fenêtre de la taverne alors que les certains allaient reprendre la danse et les autres discutaient. Cette rencontre l’avait aussi troublé et avait éveillé une envie, un sentiment nouveau pour cette Page qui le désorientait tant qu’il n’avait jamais ressenti avant pour qui que ce soit.

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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 11:20

Encore plus de blasons aujourd'hui!

J'en profite pour éclaircir un point non précisé dans le livre dans sa version actuelle. Vous l'aurez remarqué, les blasons sont parfois l'emblème d'une famille et parfois celle d'une seule personne. Il y a une raison à cela : les emblèmes familiales sont portées par tous les membres de la famille et devienne aux yeux du monde les armes du chef de famille.

Ainsi dans le cas de la famille Acciprides, le Roi Ingald porte le blason familial de l'aigle d'or sur champ d'azur tandis que son frère Morwind et son neveu Belenor ont des emblèmes personnelles en plus des armes familliales.

Si jamais ceci reste obscur, n'hésitez pas à m'en faire part, je me ferai un plaisir de rendre tout cela plus clair.

 

Morwind Acciprides

Le blason d'azur au cinq étoiles d'argent, l'emblème de l'Archiduc Morwind Acciprides, le père de Belenor. Aussi surnommé "la bannière étoilée"

 

Rembrunt

Encore non apparu dans le livre - mais ça ne saurai tarder - le lys d'azur sur champ blanc est l'emblème de la famille ducale de Rembrunt.

Rappelons au passage que "Rembrunt" désigne une région et non une ville. Ainsi les Duc de Rembrunt dirigent Bonnenbourg et sa région.

Comme en France le Duc de Bretagne dirige la région et sa capitale Nantes.

 

Maison de la Duchesse de Rembrunt

Enfin, un autre blason encore inconnu, le cygne blanc sur champ vert pâle est l'emblème de la famille de naissance de la Duchesse de Rembrunt.

 

Voilà qui est tout pour aujourd'hui, à très bientôt!

N'hésitez pas à demander un blason si vous voyez qu'il en manque!

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18 août 2011 4 18 /08 /août /2011 23:07

Bonjour à tous,

cela fait maintenant longtemps que je voulais faire les blasons que j'ai décrit ça et là dans le livre.

C'est maintenant chose faite - pour les principaux - et je suis heureux de pouvoir vous les présenter.

 

Belenor-Acciprides.png

Le faucon d'argent sur champ d'azur, le blason personnel du Prince Belenor Acciprides de Callaven.

Callaven

L'aigle d'or sur champ d'azur est l'emblème de Callaven et de sa famille royale, les Acciprides.

Empire

Le lion d'or sur champ de gueules est l'emblème de l'Empire et de sa famille impériale

Garde Pourpre

Le lion d'or sur champ pourpre est le blason des Gardes Pourpres, élite des soldats de l'Empire et Garde Personnelle de l'Empereur.

Moriannor

Le sanglier d'or sur champ blanc (ou immaculé) est le blason de Drastan et plus particulièrement de la famille de Moriannor.

Ordre des Chevaliers Ailés

Le Dakhart blanc sur champ vert, l'emblème de l'Ordre des Chevaliers Ailés.

Moganris

Le loup de gueules sur champ de sable, le blason de la famille de Moganris et donc d'Ascadon de Moganris.

Halden la Grande

L'arbre blanc sur champ de sable, emblème d'Halden la Grande, capitale de l'Union des Etats Septentrionaux.

El'Korgas

Enfin, le blason du cerf de gueules sur champ jaune, l'emblème de la Maison El'Korgas.

(je sais que ce blason est l'inverse de celui décrit dans le livre mais je l'ai modifié ainsi après m'être rendu compe qu'il ressemblait beaucoup trop à celui de l'Empire).

 

Je sais que le fond blanc sur les images est moche mais c'est la publication sur le site qui fait ça, toutes mes excuses.

 

 

Voilà, c'est tout pour aujourd'hui, l'écriture du chapitre XIX avance mais sa sortie n'est pas encore fixée.

 

A la prochaine!

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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 22:51

XVIII

Points de vue

 

 

Le printemps commençait à peine à adoucir le temps. Seul le froid vent descendant des montagnes vers la cité de Rabougnal ralentissait son œuvre. Une brise glaciale soufflait ce matin là alors que Tibérion s’entraînait avec Imladas un peu à l’écart de leur camp, lui-même proche de la ville. A vrai dire, le vent n’était pas si désagréable, il offrait la douce fraicheur dont ses muscles en feu, à cause de l’effort, requéraient.

Son adversaire n’était pas en reste, tout en sueur lui aussi, il avait des rougeurs prononcées là où Tibérion l’avait touché. Lui-même sentait que certaines parties de son corps étaient douloureuses là où Imladas avait percé sa défense. De plus, il ne retenait pas ses coups et était très fort, après tout Imladas était un Sandorn, famille où la force physique était une institution. Il compensait son manque de vitesse par des placements justes et précis, il maniait sa grosse épée d’entraînement – faite de lattes de bois reliées par un lien de cuir – avec une facilité déconcertante.

Tibérion, quant à lui, utilisait deux sabres de bois similaires et étant moins fort que son adversaire, il se mouvait avec rapidité, cherchant la faille dans la garde de son adversaire. Il savait que plus le combat durait, plus ses chances de victoire s’amenuisaient, se fatiguant plus vite que son adversaire.

Il retint son souffle et se remit en garde. Imladas l’imita : son arme, menaçante, dressée au dessus de sa tête dans la position dite "du Faucon". Tibérion lança une attaque de taille avec son sabre gauche ; son adversaire para le coup sans difficulté apparente, mais du même mouvement, Tibérion abatis son arme droite dans le but d’atteindre la tête de son vis-à-vis. Celui-ci bloqua l’attaque grâce à un mouvement vif de son bras gauche, arrêtant le sabre de bois avec sa brassière de métal.

« Bien essayé... » fit Imladas avant de contre-attaquer.

Il poussa fortement sur les sabres de Tibérion, ce qui libera ses bras alors que son adversaire devait reculer sous l’impulsion. Puis Imladas chargea, il arma son coup et abattit sa longue arme sur son adversaire qui dû  mettre ses sabres en croix pour bloquer l’attaque. Cependant était si violent que les sabres de bois émirent un craquement inquiétant. Avec une rapidité que Tibérion n’aurait pas imaginée de la part d’un Sandorn, Imladas libera sa lame et frappa celles de son adversaire d’un puissant coup de botte de cuir renforcée de fer. Le bois rencontra l’acier de la jambière et, déjà fragilisés, les sabres volèrent en éclats et autres copeaux de bois. Tibérion n’en crut pas ses yeux. Il était vaincu, ses sabres d’entraînement brisés, son adversaire le tenant en joue de sa lame sous sa gorge. 

« …mais pas suffisant. » termina Imladas.

-       Je n’aurai pas cru ça possible venant de toi, j’ai été surpris.

-       Ne cherches pas d’excuses, je t’ai vaincu. Je suis le plus fort. Point final.

-       Je ne te permets pas ! Ce n’était qu’un entraînement, tu m’as surpris mais cela ne fait pas de toi le meilleur!

-       C’est bon. On se calme, je plaisantais. Ton humour est parfois plus limité que celui de ton père.

-       Et toi, tu as une certaine tendance à fanfaronner un peu plus que le tien, fit Tibérion tout en donnant une tape amicale sur l’épaule d’Imladas.

-       Bravo, Seigneur de Sandorn ! » fit une vois féminine derrière eux.

Les deux hommes se retournèrent et virent Icella, la petite sœur d’Ællena. Tibérion avait appris à ce méfier de cette jeune fille, elle le regardait – ainsi qu’Imladas et même Soldoban – comme si elle étudiait une créature étrange.

Ils avaient pourtant choisi un endroit tranquille pour s’exercer, assez reculé des tentes des soldats ainsi que de la ville. Si cette fille était là, ce ne pouvait être par hasard, elle les cherchait, au moins l’un d’entre eux.

«  Merci, mais que fais-tu ici, jeune fille ? demanda Imladas.

-       C’est le Seigneur d’Aronberg qui m’envoie. Il veut que vous le rejoigniez au campement immédiatement.

-       Très bien, nous avions fini de toute façon, dit Tibérion, mais comment se fait-il que ce soit toi qu’il ait envoyé ?

-       En fait, j’étais avec ma sœur au campement des soldats de…comment déjà ?

-       Callaven ? avança Imladas.

-       Ah oui, c’est ça ! Callaven. Elle discutait d’arc et de tir avec la belle elfe, Dame Al’Ivna.

-       Ællena est au campement ? s’écria Tibérion en rassemblant précipitamment ses affaires.

-       Doucement, Tibérion, c’est Soldoban qui cherche à nous voir pas la femme que tu essaies de courtiser en vain depuis plus de deux mois.

-       Hurmpf ! grommela l’intéressé.

-       Continue ton histoire, Icella.

-       Bien sûr, acquiesça-t-elle tout en regardant Tibérion d’un air malicieux. Nous discutions ma sœur et moi avec la belle elfe blonde. Puis, alors que la conversation commençait à sérieusement m’ennuyer, vint le Seigneur d’Aronberg visiblement assez agité, il demanda que tous les officiers se présentent dans la grande tente sur le champ. Lorsqu’in rapporta que vous étiez introuvables, il me demanda d’aller vous chercher à différents endroits, celui-ci était le second que je visitais, après une taverne dans la ville.

-       Certes. Il n’a pas donné de raison particulière ?

-       Non, en revanche il m’a dit que si vous disiez cela je devais vous répondre : « Bien qu’il ne soit pas supérieur à vous en grade, c’est lui qui donne les ordres et vous devez obéir. »

-       Il n’y a que lui pour parler ainsi, fit Tibérion. Qu’attendons-nous ? Cela semble urgent. En route. »

Il jeta ses effets sur son épaule et ouvrit la marche vers le campement.

«  Il est bien prompt, chuchota Imladas à Icella, je pense que c’est à cause de ta sœur.

-       Je vous entends parfaitement ! Pas de messes basses, s’il vous plait.

-       Alors répondez moi, demanda candidement la jeune fille, si vous allongez tant votre pas, n’est-ce pas à cause de la présence de ma sœur au camp ?

Tibérion resta silencieux.

-       C’est bien ce que je pensais. Je vais vous confier quelque chose, maître de Bregorgne, fit-elle en baissant d’un ton afin qu’Imladas n’entende rien. Bien qu’elle ne se l’avouera pas avant un moment, ma sœur à un faible pour vous. Elle essaie tant bien que mal de le cacher mais c’est la vérité. Cependant, pour une raison que je ne comprends pas elle ne veut pas se l’avouer.

-       Ahh, la femme et ses mystères, soupira Tibérion. Que faire alors ?

-       Je sais par expérience qu’elle est assez sujette à la jalousie. Faites donc croire que vous l’ignorer et si elle recherche votre présence elle se sera dévoilée elle-même. Une fois ce premier pas fait, le reste est plus aisé.

-       Et si elle m’ignore elle aussi ?

-       Elle ne vous ignorera pas, croyez moi.

-       Pourquoi m’aides-tu ? Tu es bien lucide pour une gamine de treize ans.

-       Je ne suis pas une gamine ! Et je vous aide parce que je veux le bonheur de ma sœur, rien d’autre et j’ai le sentiment qu’elle sera heureuse avec vous. J’en ai même la certitude.

-       Si tu le dis. Merci beaucoup, merci pour tout. » conclut Tibérion alors qu’ils arrivaient au campement.

Elle se sépara alors d’eux, se dirigeant vers le terrain de tir à l’arc tandis qu’ils allaient vers la tente de commandement.

« Ce fut instructif ? demanda Imladas.

-       De quoi parles-tu ?

-       La petite sœur arrange les coups pour la grande, c’est cela ? Allez, je sais lire sur tin visage, tu es radieux, elle t’a annoncé que tu plaisais à Ællena.

-       On ne peut rien te cacher.

-       En réalité, j’ai tout entendu. » avoua Imladas et il éclata de rire entrainant Tibérion.

Ils gloussaient encore lorsqu’ils soulevèrent la toile de la tente pour y pénétrer. La vue des airs sérieux de Soldoban et du lieutenant impérial, ils se forcèrent à s’arrêter de rire.

«  Bien, maintenant que tous les officiers sont rassemblés, nous allons pouvoir commencer. Les négociations avec la Reine Falina sont enfin terminées.

-       Qu’a-t-il été décidé ? s’enquit Tibérion.

-       Il a fallu faire quelques concessions mais elle soutiendra le Surintendant. Elle nous a assuré qu’une troupe serait envoyée à Dunnastell en ambassade dans les plus brefs délais et que le reste des ses forces se tiendrait prêtes à l’effort de guerre dès que le Surintendant l’ordonnera – tout en laissant bien évidemment un contingent suffisant pour que la ville ne soit pas inquiétée.

-       Hum… Elle a donc tout accepté, fit Imladas pensif, quelles sont ces fameuses concessions ?

-       C’est Ascadon qui a dû céder. Falina a voulu être assurée que si l’ordre était rétablit, l’Empire s’engageait à laisser plus de libertés économiques à la Reine de Rabougnal. De plus, elle a presque exigé que son territoire soit agrandi. Le Surintendant a donné son accord, le traité est arrivé tôt ce matin, signé de sa main.

-       Elle est un peu gourmande, remarqua Tibérion.

-       Et encore ! Vous n’avez pas vu la première liste de requêtes ! Heureusement que le Surintendant a su lui tenir tête. Elle exigeait presque l’indépendance en premier lieu ! En tous les cas, désormais, l’Empire a le soutient de Rabougnal. Tout l’Ouest de l’Eriol est a priori contre Moriannor.

-       N’oublions pas que certains nobles impériaux ce sont ralliés au Seigneur de Drastan.

-       Certes, oui, les Blancs sont un problème. Des rumeurs colportent qu’un certain "cavalier noir" donnerait la chasse aux partisans de Moriannor à l’intérieur du pays. En aviez-vous entendu parler lorsque vous étiez avec Fildar en direction de Vessala ? »

Les deux capitaines s’entre-regardèrent, ils avaient leur petite idée sur l’identité de ce "cavalier noir" mais ils s’étaient juré de ne rien révéler de la transformation de Fildar – du moins pas à quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas comme le lieutenant impérial.

«  Non, répondirent-ils à l’unisson.

-       Dommage, dit Soldoban en haussant un sourcil perplexe. C’aurait été utile de pouvoir le contacter si besoin était. Enfin passons. J’ai reçu, ils y a quelques jours les instructions sur la suite des événements. Les soldats de l’Empire qui nous accompagnaient jusque là escorteront l’ambassade de Rabougnal dans son voyage à Dunnastell. Elle est censée partir dans les jours qui viennent.

-       Bien, capitaine d’Aronberg, si ma présence n’est plus nécessaire, je vais de ce pas me l’annoncer aux hommes.

-       Allez-y, lieutenant, vous ne dépendez plus de moi désormais. »

L’officier salua, poing sur le cœur, à la mode impériale et sortit de la tente.

«  En ce qui nous concerne, reprit Soldoban, nous n’avons pas d’instructions particulières mais le Prince Belenor sait que nous sommes à Rabougnal et il y viendra surement lorsqu’il reviendra du Nord. J’ai réussi à obtenir de Falina l’autorisation de rester dans les environs de la cité.

-       C’est une bonne nouvelle, s’exclama Tibérion.

-       Néanmoins, j’aimerai consacrer le temps qui nous est imparti à rechercher Fildar, l’hiver touchant à sa fin, rien ne nous l’empêche.

-       A la vérité… » commença Tibérion, avant de regarder Imladas du coin de l’œil, luis aussi semblait vouloir éviter de mentir à Soldoban. «  Fildar s’est enfui, certes, mais nous l’avions retrouvé…

-       Que voulez-vous dire ?

-       Nous l’avons retrouvé, mais il avait, comment dire… hésita Imladas.

-       … changé, compléta Tibérion. Il avait changé et il voulait continuer seul sa route vers on ne sait quoi. Alors nous l’avons laissé partir.

-       Je vois. Serait-ce donc lui le "cavalier noir" ?

-       Nous n’en sommes pas surs, c’est juste une supposition.

-       J’espère en tout cas qu’il se porte bien, dit Soldoban.

-       Tu le connais, je suis sûr qu’il se porte comme charme, il n’est pas du genre à se mettre dans des situations inextricables. » assura Tibérion.

 

*

* *

 

Fildar expira tout l’air de ses poumons lorsqu’il reçu le poing ganté de métal de son vis-à-vis dans le ventre. L’homme avait beau y mettre toute la force dont il était capable, Fildar ne sentait presque rien, il avait acquis une résistance à la douleur qui l’impressionnait encore. Deux autres hommes lui maintenaient les bras écartés, pour l’empêcher de riposter.

«  Tu vas nous dire ce que tu sais, lui recommanda un homme en tunique et manteau blancs qui se tenait assis en face de lui. J’ai tout mon temps. »

Celui qui avait frappé réarma son coup, pendant que le chef demandait :

«  Nous savons que tu as au moins un complice, pour te sortir des situations dangereuses, comme celle-ci. Mais ne t’inquiètes pas, il ne viendra pas nous déranger. Je veux simplement savoir qui il est et s’il y en à d’autres. »

Fildar éclata de rire, ainsi c’est ce que les Blancs croyaient, qu’il avait besoin d’un complice pour se sortir du pétrin. Il eut le souffle coupé lorsqu’il reçu le coup de poing et lança un regard menaçant au "bourreau" qui eut un rictus de peur pendant une demi-seconde avant de se ressaisir.

«  Acharnez-vous tant que tant, je ne dirais rien, déclara Fildar en recommençant à rire.

-       Très bien, c’est toi qui l’as demandé. » fit le chef tout en indiqua au "bourreau" qu’il pouvait recommencer

Souriant, l’homme s’en donna à cœur joie, torturant Fildar pendant de longs moments entrecoupés de questions du chef auxquelles il ne répondait jamais. Il encaissait les coups, si nombreux qu’un homme normal aurait déjà cédé ou se serait évanoui. Fildar résistait encore et toujours même si la douleur commençait à le gagner.

Il se passa au moins une demi-heure, pendant laquelle il recevait les coups sans broncher, avant qu’un homme en tunique blanche n’entre dans la minuscule pièce où Fildar était retenu. Il s’adressa à l’homme assis :

«  Monseigneur, il se fait tard, je viens de recevoir un message du Seigneur Vistulas, il s’impatiente.

-       Très bien, ne le faisons pas patienter plus longtemps. » répondit le chef puis il dit à Fildar : « Tu en as de la chance, on va te transférer chez le Seigneur Capitaine, le Seigneur Vistulas, à Standell, je suis sûr qu’il sera très heureux de rencontrer le "Cavalier Noir" celui qui sème la terreur à travers tout l’Empire. Qui plus est, je suis assuré d’une promotion en te présentant, il a offert une forte récompense pour ta tête, après tout, c’est toi qui a assassiné son cousin, Irmuler de Fendsbourg, l’ancien Seigneur Capitaine.

-       C’est plus qu’il m’en faut. » déclara Fildar en riant.

Sans le savoir, le Blanc avait donné à Fildar les informations qu’il voulait obtenir en se laissant capturer par une bande de Blancs sans cervelle. Maintenant, il n’avait plus qu’à se libérer. Rien de plus facile, les hommes qui lui maintenaient les bras avaient depuis longtemps cessé de le maintenir fermement en place, ils ne faisaient que lui tenir les bras en l’air. De plus, Fildar sentait la soif de sang, cette sensation de manque qui venait lorsqu’il ne s’était pas abreuvé de sang depuis un moment. Cela le rendait plus fort, mais si la soif était trop grande, il pouvait perdre le contrôle de lui-même. Il y a eu des fois où il avait dépassé les limites qu’il s’était fixé.

«  Excusez-moi, annonça-t-il, mais j’ai soif.

-       Pardon ? demanda le chef. Je ne comprends pas… »

Ses mots moururent dans sa bouche alors que ses yeux s’exorbitaient en voyant Fildar se libérer de l’emprise des deux gardes qui lui maintenaient les bras et, sans que ceux-ci puissent résister, il les empoigna et les envoya avec force contre le mur derrière lui. Ils ne se relevèrent pas, Fildar pensa qu’ils devaient être seulement durement sonnés, pas morts. Il se tourna vers la chef qui s’était levé, s’apprêtant à fuir. Tandis que le messager l’avait déjà fait, lui, et en hurlant qui plus est. Si son évasion devait passer inaperçue, se serait raté. Heureusement, elle ne devait pas passer inaperçue.

Il rattrapa le chef, lui barrant la route, alors celui-ci dégaina son épée dans un élan de courage, avec une haine perceptible dans son regard. Il essaya de porter un grand coup de taille mais Fildar, aidé de sa soif de sang, évita souplement l’épée et donna lui saisit le bras armé, le tordant. L’homme hurla, rejetant la tête en arrière, ce qui découvrit son cou. Fildar découvrit les dents et les lui planta dans la carotide ce qui provoqua une grande effusion de sang. Il s’abreuva allégrement du liquide chaud, jusqu’à ce que l’homme arrête de crier. Il l’aurait bien vidé de son sang mais il devait sortir de cet endroit.

Il n’y avait aucun garde à la porte et le couloir de pierre grise s’étendait des deux côtés sans qu’il puisse distinguer par lequel ils l’avaient emmené. Respirant profondément, il se força à écouter. C’est alors qu’un bruit sourd de se fit entendre à sa droite. Ce devait être la direction à prendre. Récupérant l’épée de son ravisseur, une arme de qualité moyenne, il s’engagea donc dans le couloir de droite.

Ce corridor n’était pas long et rapidement, il se retrouva devant un escalier, qu’il gravit. Cela le mena au rez-de-chaussée, dans une pièce éclairée par quelques bougies, sans fenêtres et vide. Il n’y avait là qu’une porte et quelques meubles de rangement ainsi qu’une armoire qui avait été déplacée pour permettre l’accès à l’escalier.

Il sortit de la pièce et se retrouva dans ce qui semblait être le hall d’entrée. Une grande pièce, avec un escalier à deux cages, il y avait aussi de grandes fenêtres qui laissaient entrevoir l’aube naissante. Il devait se dépêcher, il ne supportait toujours très mal la lumière directe du Soleil. Il y avait des gens, aussi. Trois hommes vêtus de blanc et armés d’une épée gisaient inconscients – ou morts – en plein milieu de la pièce et une femme brune à genoux auprès deux qui lui tournait le dos.

Il fit un pas en avant qui résonna dans la pièce sans qu’il en ait l’intention et la femme se retourna face à lui.

«  Ludciné, s’exclama-t-il en reconnaissant le visage de la jeune femme.

-       Fildar, je t’attendais » fit-elle en s’approchant de lui.

Il lui ouvrit les bras et elle le gifla. Affaibli comme il l’était, cette gifle était presque douloureuse.

«  Ca, c’est pour avoir eu un plan aussi stupide et dangereux.

-       Il a marché, j’ai les renseignements que je voulais.

-       Certes, mais tu t’es regardé, tu as bien failli mourir et tu es blessé !

-       Mais pas mort, ces hommes ne pouvaient rien contre moi.

-       J’étais morte d’inquiétude ! Et puis, la partie du plan où je suis censée flirter avec ces trois lourdauds en attendant ton signal, je ne l’ai pas appréciée non plus.

-       Je ne t’ai jamais demandé de flirter avec eux, il fallait juste les occuper.

-       Avec le regard qu’ils m’ont lancé lorsqu’je suis rentrée ici, je doute qu’autre chose les aurait occupés.

-       Excuse-moi alors, j’aurais dû le prévoir. N’y a-t-il pas d’autres gardes ici ?

-       Ou alors ils sont occupés. J’espère que ton raffut ne les a pas alertés.

-       Espérons. allons, partons.

-       Attends, Fildar ! Prends quelque chose pour te couvrir  le jour s’est levé.

-       Pourtant la lumière des fenêtres…

-       C’est trompeur, des arbres cachent le ciel vu de la fenêtre. Moi non plus je ne comprends pas l’intérêt de faire une ouverture par laquelle ne passe aucune lumière. » ajouta-t-elle alors qu’il fronçait les sourcils.

Il prit un manteau blanc que portait l’un des hommes à terre, s’encapuchonna la tête, mit des gants de cuir et fit bien attention à ce qu’aucune partie de son corps ne soit exposée.  De plus, cet accoutrement pourrait le faire passer pour un Blanc si aucun garde ne lui se posait de question. Ludciné lui prit le bras et ils sortirent.

Le manoir du seigneur qui l’avait capturé se trouvait à l’écart du bourg où ils avaient séjourné. Un peu en hauteur, à l’orée d’un bosquet qui paraissait bien terne en ce début de printemps. Le chemin jusqu’au centre du village n’était pas long mais le jour avait bel et bien commencé et Ludciné était obligée de guider son compagnon en lui tenant fermement le bras.

Une fois arrivés à l’auberge, Fildar ne s’attarda pas plus longtemps dans la salle commune, il se débarrassa du manteau blanc et gravit rapidement les escaliers jusqu’à la chambre qu’il partageait avec Ludciné. Il trouva la chambre dans le même état qu’il l’avait quittée deux jours plus tôt, mis à part les deux fenêtres – une de chaque côté du lit – qui étaient ouvertes et rideaux tirés. Il fut surpris et n’eut pas le temps de se protéger les yeux. Immédiatement, il les sentit bruler comme si on les avait jetés dans le feu d’une forge. Sans pouvoir se retenir, il hurla. Ludciné accouru rapidement, le poussa  hors du champ lumineux et ferma précipitamment les rideaux.

Ses yeux continuaient à le brûler, il les toucha des mains, un liquide en suintaitµ. Des larmes, sûrement. Que dirait Ludciné si elle le voyait pleurer ? Tant bien que mal, il essaya de se cacher d’elle en se retournant sur lui-même.

«  Laisse-moi voir, Fildar, ordonna-t-elle. C’est peut-être grave.

-       Non, gémit-il. Je vais bien. Il me faut juste un peu de repos.

-       Arrêtes d’essayer de le cacher, tu souffres, tu as hurlé. Je ne t’avais jamais entendu crier de douleur. Ecarte tes mains et… »

Le reste de sa phrase ne sortit pas de sa bouche. Elle avait réussi à bouger ses mains et il sentit son regard sur lui.

«  Je sais, lui fit Fildar, je pleure, mon image d’homme vaillant et fort doit en prendre un coup.

-       Non, Fildar, tu ne pleures pas…, fit-elle faiblement. Tu saignes. Tes yeux sont en sang, je… je n’ai jamais rien vu de tel.

-       C’est grave ?

-       Je ne sais pas. Je pense que ça ira. »

Il sentit une goute lui tomber sur la main que Ludciné tenait.

«  Tu pleures ? Je ne crois pas que ma blessure soit belle à voir.

-       Il te faut des soins, nous sommes proches de Bonnenbourg, je pense qu’on pourra t’y soigner. »

Fildar sentit comme une remontée de rage, une colère profonde se déversant en lui, et une présence. Une sensation qu’il n’avait plus ressentie depuis longtemps. Elle cherchait à prendre le dessus. Avec effort il la repoussa. Il savait ce qui arriverait s’il laissait la présence prendre le dessus, c’était la voix qui lui ordonnait de tuer tout ce qu’il voyait. Une bête sanguinaire et sans scrupules qui vit pour tuer.

«  Ve…Vessala, réussi-t-il à articuler. Je dois aller à Vessala.

-       Où donc ?

-       Dans les Bois Cendrés, il y a un ermite… Siougrev… Il saura.

-       Il est médecin ?

-       Pas exactement… mais il s’y connait.

-       Si tu le dis. On peut se fier à lui ?

-       Belenor s’y fie, alors moi aussi. »

Il regretta d’avoir dit ces mots, juste après les avoir prononcés. Pendant les mois qu’ils avaient passés ensemble, Fildar avait toujours été très évasif à propos de son identité. Il n’avait jamais parlé du Prince.

«  Belenor ? Le Prince Belenor Acciprides de Callaven ? Tu connais un Prince Royal !

-       Oui, désolé de te l’avoir caché. C’est un ami à moi. J’étais sous ses ordres en tant que Capitaine de Callaven, représentant la Maison de Korventen jusqu’à ce… que l’on soit séparés. Je suis déjà allé à Vessala.

-       Monseigneur Fildar de Korventen, vous recélez bien des secrets, fit-elle en riant. Très bien alors je t’accompagnerais à Vessala. Tu ne peux pas voyager ainsi, seul.

-       Mais, et ton père ? Il t’attend à Bonnenbourg, tu dois lui livrer les informations que tu as trouvé dans les papiers d’Irmuler et celles que l’on vient d’obtenir.

-       Nous sommes proches de Bonnenbourg, certes, mais tu as besoin de soins et tu ne peux définitivement pas voyager seul dans cet état.

-       Nous allons donc d’abord voir ton père. Ensuite, je me débrouillerai pour aller aux Bois Cendrés.

-       Tu pourras tenir jusque là ?

-       Je pense que oui… Il faudra bien.

-       En es-tu sûr ?

-       Oui, mentit-il. »

Il sentit que la présence se faisait de plus en plus forte, plus pesante, voulant lui prendre possession de son propre corps. Il ne pouvait pas la retenir continuellement. Il se sentait faiblir. Il ne fallait pas qu’il laisse l’ « autre » prendre le contrôle. Fildar comprit que s’il abandonnait lui-même le contrôle de son corps, il pourrait alors la contenir dans un recoin de son esprit. En revanche, il serait alors complètement inconscient de son environnement.

Il ne voyait que cette solution, par contre, il devait placer tout sa confiance en Ludciné pour qu’elle prenne les bonnes décisions. Jusque là, elle avait parfaitement fait la complice lorsqu’il s’agissait d’affaiblir les Blancs, mais de là à lui confier sa vie… C’était la seule solution. Il devait lui expliquer ce qu’il se passait – le strict nécessaire – pour qu’elle sache quoi faire. Il devait faire vite sinon il allait perdre le contrôle.

«  Ludciné, je doit t’expliquer certaines choses et je n’ai pas beaucoup de temps.

-       Décidément, la journée vient à peine de commencer et j’en apprends plus sur toi qu’en plusieurs mois de voyage, dit-elle ironiquement.

-       Je suis sérieux ! Je suis malade. Depuis quelques mois déjà. J’ai été mordu par un Dakhart.

-       Et tu es toujours en vie ? On dit pourtant qu’une goutte de son venin est mortelle !

-       Je ne suis pas réellement tiré d’affaire. De plus le Dakhart m’a juste éraflé, mais là n’est pas la question. C’est en tout cas la cause de ma condition aspect physique et de ma soif de sang. Il y a une présence en moi qui cherche à prendre le contrôle et je sais que c’est un esprit criminel et sans scrupules. Je l’avais vaincue avant de te rencontrer, je croyais en avoir terminé mais à la faveur de ma faiblesse d’aujourd’hui, elle est revenue et elle essaie désormais de m’arracher le contrôle.

-       Je ne suis pas sure de bien tout comprendre.

-       Je te réexpliquerais tout en temps voulu, répliqua Fildar qui sentait qu’il commençait à avoir du mal à respirer. Voilà ce que tu dois savoir : je ne suis pas assez fort pour la retenir sauf si j’abandonne moi aussi le contrôle de mon corps.

-       Mais, tu risques de mourir !

-       Peut être, je ne sais pas, je ne suis même pas sûr d’avoir assez de forces. Ce qui est sûr c’est que pour toi je serais inconscient. Jusqu’à ce que j’arrive à Vessala, je suis obligé de confier ma vie à quelqu’un. Pourras-tu le faire ?

-       J’espère bien. Heureusement que le route n’est plus très dangereuse jusqu’à Bonnenbourg. Je le ferais.

-       Merci, au revoir… »

Il était temps. Encore un peu et il perdait le contrôle. Fildar s’obligea à abandonner son corps pour concentrer toute son énergie vers son esprit, et le long combat qu’il devait mener. Pendant ce moment de latence, il sentit que la présence « fonçait » à travers la « brèche ». Heureusement, il réagi assez rapidement, empêchant ainsi l’esprit sanguinaire de s’installer confortablement aux commandes. En fait, la présence avait eut le contrôle un très court laps de temps.

Puis, plus rien. Fildar et son adversaire étaient de force équivalentes, la présence se fit plus distante, moins pressante, comme pour lui faire croire qu’elle avait totalement disparue, mais il n’était pas dupe, cela ne marcherait pas, pas cette fois. Il n’avait plus qu’à attendre d’être soigné, n’ayant pour compagnon que ses propres pensées, tout en restant suffisamment lucide pour pouvoir repousser l’Autre, au cas où.

 

*

* *

 

Ludciné était affolée, elle ne savait plus quoi faire. Une douzaine de tâches se bousculaient dans sa tête. Se préparer à revoir son père. Trouver un moyen de voyager avec Fildar inconscients sans être trop remarqués. Veiller à se qu’il ne dépérisse pas. Au moins, Fildar s’était calmé. Elle avait eu peur lorsque, juste après qu’il ait perdu conscience, il se releva subitement. Ses yeux encore blessés et ensanglantés étaient presque exorbités et il avait mauvaise mine, plus pâle que d’habitude – c’est-à-dire presque cadavérique. Il avait découvert les dents, comme voulant la mordre mais à peine  avait-il effleuré sa main qu’il reperdit conscience. Une de ses canines avait néanmoins fait saigner sa paume mais la blessure était très superficielle. Elle ne lui ferait plus mal dans une petite heure.

Ludciné devait se dépêcher, il y avait tant à faire. Pour le voyage, le plus sûr était d’acheter une charrette de paysan et d’y transporter Fildar, suffisamment couvert pour que personne ne pose de questions et pour que lui ne subisse pas les effets du Soleil. L’aubergiste était assez honnête et détestait suffisamment les Blancs pour qu’elle puisse lui demander de l’aider aux préparatifs du départ.

Finalement, avec Fildar, elle n’était jamais au bout de ses surprises. Il l’a "délivrée" d’Irmuler de Fendsbourg sans quoi elle serait son amante contrainte et forcée. De plus, il  n’était – selon lui – pas complètement humain. Enfin, il connaissait le Prince Belenor Acciprides de Callaven, un de ses amis d’enfance, dont l’Oncle, le Roi Ingald était un ami de son père le Duc Veassen de Rembrunt. Quelle joie aurait-elle à le revoir !

 

*

* *

 

Le Soleil se levait à peine, créant de longues ombres sur l’immense cité d’Halden, avec ses hautes murailles qu’aucune armée n’avait réussi à franchir. La neige couvrait la plupart des toits alors que l’hiver aurait dû toucher à sa fin. Si loin dans le Nord, il neigeait six mois sur douze et l’air restait frais le reste du temps. Belenor pensa qu’il ne pourrait pas vivre dans de telles conditions.

Il était accoudé à a balustrade d’une terrasse du Mont, lieu qu’il avait choisi pour réfléchir et se répéter le discours qu’il prononcerait devant le Congrès quelques heures plus tard. Il avait de solides arguments mais le Président Junos affirmait que certains Comtes Electeurs s’étaient déjà affirmés en faveur de Moriannor. Il excellait dans la corruption des gens. Cette pratique, bien que détestable, avait toujours fait partie de la politique et ce quel que soit le pays. Selon certaines rumeurs les Elfes y étaient moins sensibles. Lorsqu’il serait Roi de Callaven, il veillerait scrupuleusement à éradiquer la corruption des Nobles.

« J’ai toujours adoré regarder le lever de Soleil de cet endroit », fit une voix féminine dans son dos.

Surpris, il se retourna. Une femme qui faisait une bonne main de moins que lui se tenait près de la porte du balcon. Elle avait de longs cheveux châtains et des yeux noisette. Elle était assez jolie bien qu’ayant au moins dix ans de plus que lui. Elle portait un long manteau gris d’hiver qui couvrait sa robe dans les tons blancs et gris. Cette femme ne semblait pas avoir froid tandis que lui, couvert de la tunique la plus chaude qu’il avait pu trouver ainsi que de son manteau de fourrure, frissonnait.

« Qui êtes-vous ? demanda-il alors qu’elle s’avançait vers le balcon.

-       Mon nom est Jeanne Aneim, je suis une Voyageuse. Vous devez être le fameux Prince Belenor de Callaven. Mon mari m’a beaucoup parlé de vous.

-       En effet, je le suis. Qui est votre mari ?

-       Oh, il ne vous a pas parlé de moi ? » questionna-t-elle et devant son air interdit elle continua : « Je suis la femme de Kerneli Aneim, l’Archimage.

-       Je vois…

-       Cette vue est magnifique, non ? Rien de mieux pour commencer une journée que de la préparer en admirant la beauté de cette cité aux premières lueurs du jour.

-       Oui, c’est pour cela que je suis ici. Vous avez dit que vous êtes une Voyageuse, de quoi s’agit-il exactement ?

-       C’est très simple, je peux me transporter d’un endroit à un autre quasi-instantanément.

-       Vous êtes une sorte de Mage en fait.

-       Oui, même si mon Don ne me donne pas accès à ce titre, je ne suis qu’une Voyageuse.

-       Une des meilleures, qui plus est, dit Kerneli qui venait d’arriver sur le balcon lui aussi. Belenor, ma femme vous aidera à revenir dans l’Empire une fois vos affaires avec le Congrès terminées.

-       Vous pouvez transporter des gens avec vous ? demanda le Prince.

-       Oui, malheureusement je ne peux Voyager qu’avec un petit groupe de personnes. De plus, dans le cas du votre avec vos deux soldats et les chevaux, je ne pourrais plus Voyager du tout pendant une semaine. C’est ainsi que mon Don fonctionne, je n’y peux rien.

-       Merci infiniment d’accepter de nous ramener dans l’Empire mes compagnons et moi.

-       C’est tout naturel, vous êtes l’élève de mon mari et puis je vais revoir ma ville natale, Rabougnal ! C’est bien votre destination, non ?

-       Tout à fait, maintenant, si vous me le permettez, je dois rentrer au Palais Présidentiel, me préparer. A ce soir donc. Voyageuse Aneim. Archimage Kerneli.

-       Prince Belenor. » saluèrent-ils tous deux en retour.

 

Les rues étaient presque désertes alors que Belenor traversait Halden vers le Palais Présidentiel. La plupart des artisans n’avaient pas ouvert leurs boutiques, le vent, glacial, venant du Nord, charriait une forte odeur de poissons. En effet, les seuls bruits venaient du port où les bateaux de pêche déchargeaient leurs prises qui seraient vendues dans la journée.

Arrivé au Palais, les gardes le laissèrent passer, ils le connaissaient. Après avoir salué les deux soldats de Callaven qui partageaient une chambre adjacente aux appartements que son grand-père avait mis à sa disposition, il entra dans sa chambre et s’assit sur le lit qui avait été fait alors qu’il était sortit. Le Congrès était toujours dans ses pensées. Plus il y réfléchissait, plus il lui semblait impossible que la majorité des Comtes Electeur se rangent à sa proposition d’intervenir en faveur de l’Empire.

Il restât ainsi, perdu dans ses pensées, le reste de la matinée. A midi, un bruit venu de la porte le sortit de sa réflexion. Belenor avait demandé à ce qu’on lui monte son déjeuner, déclinant ainsi l’invitation de Junos, préférant ne pas se distraire. En fait, il n’avait même pas faim.

«  Déposez les plats sur la table, je vous prie. » ordonna-t-il alors qu’il entrait lui-même dans le petit salon qui faisait office de salle à manger grande à la grande table.

Il s’arrêta net. A la place de serviteurs en livrée du Palais qu’il s’attendait à voir se tenait Dématris. Elle déposa le grand plat qu’elle tenait sur la table, avant de se retourner vers lui. Sa magnifique chevelure presque blanche brossée avec soin descendait harmonieusement jusqu’au creux de ses reins. Comme toujours très belle, avec ses nouveaux vêtements donnés par son grand-père, elle avait le port d’une reine. Belenor avait jusque là réussi à ne plus penser à elle depuis qu’il connaissait les liens qui les unissaient. En fait, il l’évitait par peur de ne pouvoir se séparer d’elle. Néanmoins, il voyait maintenant que sa grossesse devenait visible et son cœur se serrait encore plus car l’enfant qu’elle portait était illégitime et son existence devait rester secrète. Il s’en rendait compte maintenant mais Dématris était en quelque sorte prisonnière du Palais.

«  J’ai pensé que tu aurais besoin d’un peu de compagnie avait de te confronter au Congrès, annonça-t-elle avec un sourire.

-       Merci, à force de réfléchir sur ce satané discours, je finis par m’embrouiller et perdre confiance en moi.

-       Ce n’est pas ton discours devant les Comtes Electeurs qui m’inquiète le plus, tu seras certainement très convaincant. En fait, si je suis venue te voir, c’est à propos de ton départ. Vois-tu, Junos est très gentil avec moi mais comme ma grossesse doit rester secrète, je suis un peu prisonnière de cet endroit et quand tu partiras ce seras encore pire.

C’est exactement ce que je voulais éviter ! se dit-il

-       Je sais qu’il est très difficile pour toi d’accepter de rester ici, tu voudrais découvrir le monde mais ce que nous avons fait est proscrit par tous, non seulement nous ne sommes pas mariés mais en plus nous sommes du même sang ! Si le monde l’apprenait, Junos serait contraint d’abdiquer, son nom déshonoré. De mon côté, je pourrais être contraint de renoncer à mes titres.

-       Alors je dois m’effacer pour que vous puissiez continuer vos manœuvres politiques ! s’écria-t-elle, furieuse.

-       Non, ne le prends pas comme cela, tenta-t-il pour la calmer. Toi aussi ; tu fais partie de cette famille et tu dois garder ton honneur, c’est ce qui nous différencie des roturiers : l’honneur.

-       Je me fiche de la noblesse, je n’ai jamais eu le sentiment d’être noble ou de grande famille ! J’ai vécu des années dans une société sans classe. Je vivre, voyager et voir le monde ! Pas rester cloîtrée dans de magnifiques appartements ! Cet enfant apparaît comme un boulet qui me tire en arrière et m’empêche de m’épanouir. Pourtant ce bébé est tout ce qui me reste de toi et ce serait un crime de l’abandonner.

-       Ecoute, mon cœur saigne également de te laisser ici pendant que je dois retourner dans l’Empire. Sache que dès que je le pourrai, je viendrai te voir, mais la situation actuelle est très tendue. Quand tout se sera calmé je reviendrai.

-       J’espère bien, mais ce Palais… Belenor, je n’y arriverai pas.

-       Tu es la femme la plus brave que j’ai jamais rencontré, tu surmonteras cette épreuve comme toutes les autres. Je suis sur qu’Halden regorge de lieux et de choses à découvrir. Tu pourras également aller au Mont des Mages, l’Archimage Heneg sera très heureux de t’accueillir et peut-être y découvrira-tu des livres sur ton Don.

-       Cela ne me plait toujours pas, mais j’essaierai. Tu avais l’intention de partir ce soir, est-ce toujours le cas ?

-       Juste après le Congrès. Je serai à Rabougnal ce soir. » Devant son air surpris, il s’expliqua : « J’ai rencontré la femme de l’Archimage Kerneli, elle s’appelle Jeanne et peut voyager d’un endroit à un autre en un battement de cœur.

-       Tu n’avais même pas l’intention de passer me dire au-revoir si je n’étais pas venue ce midi ? s’écria-t-elle en le giflant violemment.

-       J’avais l’intention de te laisser un mot… J’avais peur de ne pas pouvoir partir si je te revoyais, ajouta-t-il rapidement en esquivant une deuxième gifle. Puisque tu es là, reste manger avec moi, il y en aura assez pour deux et se sera notre dernier repas seuls tous les deux avant longtemps.

-       Avec grand plaisir. » s’exclama-t-elle.

 

*

* *

 

La salle du Congrès était immense. Hémicirculaire avec des alcôves aux couleurs des différents Etats dans sa partie arrondie où chaque Comte Electeur prenait place avec ses conseillers dans celui qui leur avait attribué. Le Président prenait place en face de l’Assemblée, sur un véritable trône duquel il voyait tout et était vu de tous.

Après une pompeuse ouverture où chaque Comte était annoncé et prenaient place les uns après les autres, les divers sujets initialement prévus furent traités et cela pris beaucoup plus de temps que Belenor l’avait escompté. En effet, il avait assisté à de nombreuses sessions du Conseil Royal où le Roi présidait l’Assemblée et avait le dernier mot, il prenait les décisions seul et personne ne pouvait réellement s’y opposer à moins que le Conseil déclare unanimement que le monarque était "inapte" et pouvait alors défier son autorité. Cela, à la connaissance du Prince, ne s’était jamais produit à Callaven. Le Président des Etats Septentrionaux n’avait pas le pouvoir de prendre une décision et il devait attendre qu’une majorité des Comtes soit d’un avis et alors il pouvait l’attester. Cela prenait énormément de temps.

Belenor devait attendre le moment où il serait appelé dans une antichambre adjacente car les sessions du Congrès n’étaient pas ouvertes au public et encore moins aux étrangers. Après près de trois heures d’attente, un homme en livrée rouge et jaune, couleur des el’Korgas, vint enfin chercher le Prince pour qu’il puisse intervenir sur invitation du Président. Il le suivit sans rien demander, jusqu’au pupitre où il allait s’exprimer. Il avait le Président dans son dos et faisait face aux Comtes Electeurs. Chacun d’entre eux avait, comme lui, revêtu leurs habits d’apparat. Belenor portait un effet une élégante tunique bleue brodée d’argent ainsi qu’un baudrier jaune or en écharpe d’où pendait son épée.

Junos, vêtu d’un magnifique costume rouge et jaune le tout allégrement brodé d’or se leva et l’annonça :

«  Veuillez à présent accueillir Son Altesse Royale le Prince Belenor Acciprides, héritier du trône de Callaven, que j’invite à délivrer devant le Congrès des Etats Septentrionaux le message qu’il nous apporte.

-       Merci Sire, fit Belenor en s’inclinant légèrement avant de se retourner vers l’assemblée. Mes Seigneurs les Comtes Electeurs, l’ambassade que je conduis a été mandatée par le Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris. Vous n’êtes pas sans savoir que la capitale impériale, Sipar, a été assiégée puis prise et que le Très Saint Empereur Mogueras y a perdu la vie. Ce crime a été perpétré par des mercenaires orques au service du Seigneur Moriannor de Drastan.

»  Le Surintendant a décidé de ne pas laisser ce crime impuni. Malheureusement, l’Empire ne peut pas se lancer dans une guerre contre Drastan seul. C’est pourquoi il se tourne vers ses alliés. Aujourd’hui déjà le Royaume de Callaven, dont je suis le représentant, ainsi que l’Ordre des Chevaliers Ailés se sont engagés aux côtés de l’Empire. L’Union des Etats Septentrionaux et l’Empire ont depuis toujours eu des liens d’amitié, il est l’heure pour vous de les honorer, car Moriannor, non content d’avoir fait tuer le Très Saint Empereur Mogueras, revendique le Trône Impérial. Pourtant ce Trône a un héritier légitime, le fils adoptif de l’Empereur qui vit toujours avec l’Impératrice Dunvainwen.

 » Venez en aide à l’Empire, qui est en proie au chaos. Une guerre civile est imminente, de nombreux partisans du Seigneur de Drastan sèment la terreur dans tout le territoire impérial et l’Armée Impériale n’est plus assez puissante pour pouvoir calmer ces tensions. »

Son discours terminé, Belenor observa les Comtes en attendant leur réaction. C’est alors qu’un Comte Electeur se leva, signe qu’il allait prendre la parole. Il s’agissait d’un nain, vêtu d’un tabard blanc et doré, il semblait évident qu’il prenait le parti de Moriannor. S’il s’attendait à ce que Belenor soit surpris de voir un Comte Electeur nain, il allait être déçu.

En effet, il avait appris que l’Union des Etats Septentrionaux regroupait en son sein des territoires de certains Duchés Nains. La politique naine était étrange et il semblait que certains Ducs dont les territoires étaient adjacents à l’Union ont décidé de la rejoindre et ainsi de devenir Comte Electeur. Il s’agissait en réalité de Duchés qui n’étaient pas assez influents pour que leur Duc devienne Roi des Nains – le Royaume des Nains étant une monarchie élective – donc en devenant un Etat de l’Union ils pouvaient exercer un peu plus de pouvoir. Le Roi des Nains acceptait cela pour éviter une sécession définitive qui lui nuirait beaucoup plus qu’un peu d’ingérence de l’Union dans la gestion de ces Duchés.

Junos lui avait parlé de ce Comte Electeur nain qui s’apprêtait à lui répondre. Il s’agissait du Duc Grimm d’Hansballet. Ami de Moriannor depuis longtemps, il voulait surtout que son Duché devienne un Etat complètement indépendant, son influence parmi ses pairs nains étant insignifiante à cause de la réputation houleuse de sa famille et décroissait avec temps vu qu’il s’intéressait plus aux affaires de l’Union qu’à celles du Royaume des Nains.

«  La parole est au Comte Grimm d’Hansballet, déclara Junos.

-       Merci, Sire. Dire que je ne porte pas l’Empire dans mon cœur serait un euphémisme, commença le nain. En effet, au-delà du système politique très autoritaire en général mené par les différents dirigeants de Sipar depuis la création de l’Empire, le règne de l’Empereur Mogueras en particulier s’est illustré par la propagation affolante de la corruption des instances dirigeantes. Si vous avez de l’argent et que vous savez quelles pattes graisser, vous n’aurez aucun problème dans l’Empire quelque soient vos actions. Pire encore, en cherchant plus loin vous pouvez obtenir des informations cruciales civiles et militaires…

-       C’est complètement faux ! intervint Belenor.

-       Je sais que le processus de débat est complètement absent dans votre Royaume, répliqua le Comte d’Hansballet d’un air mauvais, mais je ne vous ai pas interrompu lorsque vous débitiez des inepties alors vous me laisserez continuer car il faut que cette assemblée sache la vérité.

 » Bien. Je ne saurais me réjouir d’une mort aussi tragique que la fin de l’Empereur mais cela ouvre la possibilité au changement. Je sais que mes propos peuvent vous choquer mais le Seigneur Moriannor incarne ce changement. Si nous devions nous engager je pense que se serait aux côtés du Seigneur de Drastan. Pourtant, nous ne pouvons cautionner l’attaque sauvage de Sipar mais le fait est qu’Ascadon de Moganris, l’actuel Surintendant de Sipar, ne pense qu’à venger la mort de son Empereur, celui là même qui est responsable de son irrésistible ascension jusqu’à aujourd’hui. C’est une affaire que les deux dirigeants se doivent de régler eux-mêmes, pas en impliquant les ressources de tout l’Empire. Pourtant le Surintendant y semble déterminé. Ce que le jeune Prince de Callaven ne vous a pas dit est que le ralliement des Chevaliers Ailés a eu un coup et les effectifs Ordre sont aujourd’hui moitié moins nombreux qu’il y a un an. Quant au Royaume de Callaven, sauf votre respect Prince Belenor, il est décadent depuis la perte de Dollovan vingt ans plus tôt face aux armées du Seigneur Moriannor et nous savons tous que le Roi Ingald allait s’inféoder à l’Empire sous peu. Ainsi qu’il se soit rangé du côté de l’Empire n’est pas surprenant, leur alliance étant très étroite.

»  Notre alliance avec l’Empire, en revanche, est d’une nature différente. Je ne souhaite pas me lancer dans un cours d’histoire, je vais donc simplement vous remémorer quelques faits. Lorsque l’Aigle Noir, fonda l’Empire, il reçu l’aide de nombreux pays entourant l’Empire d’alors, parmi certains d’entre eux, il y avait les Royaumes de Firmnorg et du Gormanac qui sont aujourd’hui les Etats les plus étendu de l’Union. L’Empereur Logarn s’est toujours assuré par la suite des amitiés de ces Royaumes car ils lui assuraient une frontière calme au Nord. C’est là la seule raison d’être de notre alliance, s’assurer que ni l’un, ni l’autre ne s’envahiront. Les successeurs de Logarn n’ont d’ailleurs jamais fait appel aux forces du Nord, encore moins depuis que l’Union est fondée…

-       Ce que vous essayez donc de dire est que l’Union ne doit pas intervenir ni pour un parti ni pour un autre, intervint Belenor qui ne tenait plus en place et qui voyait d’un œil mauvais les autres Comtes se laisser convaincre par ce nain à la longue barbe noire.

-       Vous m’ôtez les mots de la bouche mon cher. » répondit le Comte d’Hansballet en le fusillant du regard.

Encore un peu et le nain aurait convaincu les Comtes les plus crédules de se rallier à Moriannor. Ascadon avait prévenu Belenor que l’Union serait difficile à convaincre mais là, mieux valait qu’il s’assure de leur neutralité.

Alors que Grimm d’Hansballet se rasseyait en regardant toujours Belenor d’un air sombre, le Présidant Junos se leva.

«  Si quelqu’un a encore quelque chose à ajouter à la déclaration du Prince de Callaven, déclara-t-il, qu’il parle maintenant. » Après une pause, il continua : « Nous allons donc continuer à débattre en privé, Prince Belenor, veillez vous retirer. »

Il s’exécuta, accompagné d’un des hommes de Junos qui le reconduisirent vers l’antichambre où il avait attendu. Bien sûr il était libre de partir dès maintenant, mais il ne s’en irait pas sans la réponse de l’Union à sa requête, il devait donc attendre la fin du débat, qui, il l’espérait profondément, ne durerait pas trop longtemps, la journée étant déjà bien avancée.

 

*

* *

 

Pendant que Belenor assistait au Congrès, Dématris se rendit au Mont des Mages. Ce monument édifié magiquement avait un certain charme même si elle concevait que son allure improbable pouvait en rebuter plus d’un. L’homme au crâne dégarni qui l’accueillit fut particulièrement aimable et lui indiqua la bibliothèque.

Dans cet immense lieu de savoir, Dématris ne savait pas par où commencer. Il y avait quelques personnes qui semblaient étudier à des tables de lecture. La plupart étaient assez jeunes et elle se permit de déranger un jeune homme dont les cheveux châtains avaient été tonsurés.

«  Excusez-moi, sauriez-vous s’il existe des livres qui traitent de guérison.

-       Bien sûr, lui répondit-il d’un air très contrarié, mais voyez-vous, ici, c’est un lieu d’étude pour les futurs Mages alors si vous cherchez des livres sur la guérison allez plutôt voir un apothicaire ou un médecin. Et laissez les gens utiles étudier.

-       Vous ne m’avez bien compris, répliqua Dématris qui n’aimait pas beaucoup l’air arrogant du jeune homme, je voulais dire des livres qui traitent de guérison par magie.

-       Vous plaisantez, il n’existe pas de gens qui guérissent par magie !

-       C’est pour cela que vous devez étudier, Philigan ! fit un homme à la longue barbe brune.

-       Oui, Archimage Heneg, dit le jeune tonsuré piteusement.

-       Ma chère, reprit l’Archimage, veuillez me suivre, je suis sûr que nous allons trouver ce que vous cherchez, laissez ces jeunes étudiants arrogants apprendre l’humilité. »

Elle suivit donc l’homme à travers les rayons de la bibliothèque. Ils en traversèrent tellement qu’elle n’aurait jamais pu s’y retrouver toute seule. Rapidement, celui-ci trouva un coin où les livres traitaient effectivement de la guérison par le Don. Il en prit quelque uns et l’entraîna vers une petite table d’étude libre, prêt d’une fenêtre qui plus est.

«  Je pense que vous serez confortablement installée, ici, lui dit-il.

-       Merci, Archimage Heneg.

-       Ce n’est rien, votre cousin le Prince Belenor m’avait prévenu que vous viendrez sûrement ici pour vous renseignez sur votre Don. Un Don si rare… C’est mon devoir en tant qu’Archimage de m’assurer que vous apprenez à vous en servir. Si vous avez besoin de quoique ce soit appelez-moi, je vous aiderais volontiers ou vous enverrai quelqu’un si je suis indisponible.

-       Merci encore. Une chose me trouble, le jeune homme de tout à l’heure a semblé ignorer l’existence de Dons tels que le mien.

-       Philigan a encore beaucoup de choses à apprendre mais je préfère ne pas vous cacher que votre Don est particulièrement rare, voire quasiment disparu. Vous êtes la première femme que je rencontre à avoir ce Don. Bien sûr il y a toujours ces histoires sur des Guérisseurs à droite et à gauche mais ils avaient appris à se servir de la magie pour soigner. Aucun d’eux ne pouvait le faire de façon innée comme vous. Pas même les fameuses Guérisseuses de Rabougnal. Votre Don est unique. Prenez en soin.

-       Je ne sais que dire, Archimage.

-       Ne dites rien, alors et commencez à étudier. » conclut-il en se détournant.

Dématris se mit donc à lire les livres volumineux posés devant elle. Cet exercice était fatiguant pour elle qui avait appris à lire auprès de Belenor. En effet, ayant passé près de seize années dans les souterrains et les ténèbres, elle ne savait plus lire et le Prince dû le lui réapprendre. Ce fut long et difficile mais elle était attentive et rapidement fut capable de lire par elle-même, par contre, elle ne lisait toujours pas très vite.

Le présent livre était très ancien et la langue utilisée différait de la langue commune par certaines tournures ce qui rendait la compréhension particulièrement ardue. L’auteur y décrivait, assez pompeusement, l’utilisation de son Don basée sur la compréhension préalable de la blessure mais surtout une profonde connaissance du corps humain. Finalement, peut être que Philigan n’avait pas tort, elle devait s’informer auprès d’un médecin. Décidément, la journée n’était pas bonne, Belenor partait, la laissant seule dans le Nord et son Don nécessitait beaucoup de travail pour être correctement maîtrisé.

«  C’est notre lot à tous. » fit une voix derrière elle.

Elle sursauta et comprit qu’elle avait pensé à voix haute. Elle se retourna et vit une femme à la longue chevelure châtain et des yeux couleur noisette. C’était une belle dame avec une jolie robe qui alliait des tons blancs et gris. Elle semblait avoir quelque dix ans de plus que Dématris et son regard pétillait toujours de jeunesse mais aussi d’une certaine sagesse.

Devant son air interdit, la femme s’assit en face d’elle et continua :

«  Vous devez être une el’Korgas, avec votre chevelure d’argent et vos yeux gris.

-       En effet. Cela est-il si caractéristique ?

-       Oui, c’est de famille en quelque sorte, le fils du Président Junos el’Korgas était blond aux yeux d’argent. Junos lui-même l’était et tous ces ancêtres parait-il. La fille, par contre, était d’un blond beaucoup plus doré et aux yeux verts.

-       Je suis Dématris el’Korgas, la petite-fille de Junos. Et vous, qui êtes vous ?

-       Excusez-moi, je me nomme Jeanne Aneim.

-       Vous êtes une Voyageuse, n’est-ce pas ?

-       Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

-       C’est mon comp… mon cousin, le Prince Belenor qui m’a annoncé qu’il partirait avec vous ce soir.

-       Ah, le Prince Belenor. Un charmant jeune homme n’est-ce pas ?

-       Oui…, soupira Dématris.

-       Excusez mon franc parler, mais je suis sure qu’il y a des centaines d’hommes qui vous feront tourner la tête et qui, eux, ne sont pas de votre famille.

-       Vous êtes toute pardonnée et vous avez sûrement raison.

-       Dites-moi, vous savez que je suis une Voyageuse mais vous, quel est votre Don ?

-       Je suis capable de guérir par mon Don. Enfin,

une fois que je saurais l’utiliser, jusque là je ne contrôle rien, il se manifeste par intuition.

-       C’est merveilleux, je côtoie des Mages depuis toute petite et je n’ai jamais vu ni entendu parler de Guérisseur en vie.

-       C’est ce que l’on m’a dit. Ce n’est pas étonnant, cela demande énormément de travail.

-       Vous savez, pour devenir Voyageuse, il m’a fallu près de quinze années d’études. Vous ne pouvez imaginer ma joie lorsque, à vingt-six ans j’ai enfin pu devenir Voyageuse.

-       Quinze ans ? Mais c’est extrêmement lent.

-       J’étais une élève peu attentive et je l’ai payé cher, mes camarades ont étés bien plus rapides que moi. En revanche, normalement, les Mages prennent des élèves assez jeunes, au début de leur adolescence. Vous êtes déjà adulte, c’est étonnant pour quelqu’un d’une famille aussi renommée que la votre que vous n’ayez été identifiée avant. Quoique je ne savais pas que Junos avait des descendants encore vivants – à part le Prince Belenor mais c’est un Acciprides.

-       J’ai vécu dans les ténèbres d’en dessous juste avant que – d’après Belenor – mon père meure à Dollovan.

-       Je vois. Néanmoins, ne vous inquiétez outre mesure, avec beaucoup de travail, vous pourrez devenir Guérisseuse très rapidement.

-       Merci, Voyageuse Aneim.

-       S’il vous plait, appelez-moi Jeanne. »

Elles continuèrent à bavarder, à voix basse à cause des étudiants qui, même s’ils étaient très peu, leur jetaient des regards noirs dès qu’ils entendaient un bout de leur conversation. Le temps passa sans que ni l’une ni l’autre ne remarquent la course déclinante de l’astre du jour. Ce fut Andreï qui, l’air soucieux, les interrompit.

«  Voyageuse Aneim, l’Archimage Kerneli m’envoie vous chercher, il semble que l’heure du départ soit arrivée.

-       Très bien, Andreï, je viens, répondit Jeanne.

-       Je vous suis moi aussi, déclara Dématris.

-       Faites comme bon vous semblera. » répliqua Andreï qui semblait ne pas s’intéresser à elle. Ses leçons avec Kerneli avaient dû l’épuiser, il était aimable en temps normal.

Elles emboitèrent le pas de l’adolescent de quinze ans qui les emmena dans un petit jardin adjacent au Mont et où les attendaient déjà Kerneli, Belenor ainsi que les soldats Phil Histey et Klaus Résys. Dématris lança un regard noir au Prince qui déjà prêt à partir n’était pas venu la voir avant. Il s’approcha d’elle et l’éloigna des autres pour qu’ils n’entendent pas à leurs adieux.

«  Je sais ce que tu penses, commença-t-il. J’ai toujours eu l’intention de te voir avant de partir mais Kerneli m’a appris que sa femme était avec toi et je savais que tu la suivrais lorsqu’il enverrait Andreï. J’ai donc juste fait mes adieux à Junos et je t’ai attendu ici.

-       Que puis-je répondre à cela ? Tu trouves toujours les mots pour faire fondre ma colère.

-       Arrête, ne dis plus rien, ne rends pas les choses plus douloureuses qu’elles ne le sont déjà. J’ai là un cadeau, fit-il en lui remettant un petit objet lourd dans sa main, un petit souvenir de moi, pour notre enfant. »

Elle ouvrit les doigts et admira la chevalière d’or que Belenor chérissait tant, avec son faucon parfaitement dessiné.

«  Tu ne peux pas me donner ça, c’est ton insigne, tu es le Faucon d’Argent pas notre enfant.

-       J’en ai le droit, rassure-toi, je suis toujours le Faucon d’Argent, je trouverai bien une autre chevalière pour sceller mes lettres. Celle-ci qui m’a été donnée par mon oncle lorsque j’ai choisi le Faucon, je te la donne librement, tu la présenteras à notre enfant si jamais je n’ai pas l’occasion de le voir.

-       Tu as promis que tu viendras me voir dès que tu pourras !

-       Je le sais bien, mais il y a toujours un risque à la guerre, et…

-       Ne dis pas cela, tu survivras et tu reviendras !

-       Je l’espère bien. L’avenir s’annonce bien sombre pour l’Empire.

-       Qu’ont-ils décidé au Congrès, s’enquit-elle soucieuse.

-       Ils garderont leur neutralité. Je n’ai pas réussi à les convaincre de suivre Ascadon.

-       Ils auraient aussi bien pu se rallier à Moriannor et tu l’as évité.

-       Merci, Dématris, ta bonne humeur va me manquer.

-       Tu vas me manquer en entier, grand imbécile, lui répliqua-t-elle.

Avant qu’il ne puisse répliquer, elle passa ses bras autour de son cou et déposa un baiser sur ses lèvres. Baiser qu’il lui rendit et après un long moment de tendresse, le dernier avec lui pensa tristement Dématris, ils revinrent vers le reste du groupe. Là, tous les autres eurent un petit geste à l’attention de Dématris. Kerneli lui sourit affectueusement, les deux soldats se contentèrent d’un hochement de tête amical, Andreï s’approcha et elle l’embrassa sur la joue, Jeanne enfin l’enlaça et lui promit qu’elle serait une merveilleuse guérisseuse. Elle sentit alors les larmes monter mais se refusa à les laisser couler.

Elle les regarda ensuite se rassembler en cercle autour de Jeanne, tenant les chevaux par la bride. La Voyageuse prit une grande inspiration et une sorte d’ouverture se créa dans l’air lui-même, au-delà s’étendait un grand champ et au loin une ville fortifiée. Rabougnal, très certainement.

Ils passèrent le portail les uns après les autres, déterminés. Aucun ne montra ouvertement qu’il appréhendait la traversée, même si les jambes d’Andreï semblaient trembler et les deux soldats avançaient d’un pas mal assuré. Le dernier à traverser l’ouverture, Belenor la regarda avec des yeux infiniment triste, faisant écho à son propre désespoir.

Puis, le portail disparu, tout simplement. Il cessa d’exister.

Dématris laissa enfin libre cours à sa tristesse et ses larmes coulèrent à flot le long de ses joues alors qu’elle serrait la chevalière de son Prince, de son amour interdit, contre son cœur.

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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 22:26

En ce moment, je passe mes concours donc l'écriture n'avance pas beaucoup même si je n'arrête pas de penser au livre.

 

 

A ce propos, certaines modifications vont avoir lieu:

 

Premièrement, dans le chapitre XVI, les Confessions des femmes de Rabougnal sont au nombre de 7, ce nombre va descendre à 4, certaines ne servant à rien.

Donc, il n'y aura plus que la Confession Rouge des guerrisseuses, la Confession Verte des combattantes, la Confession Bleue des Artisanes et la Confession Blanche des érudites. La Reine n'a plus sa Confession à elle mais fait partie de toues les Confessions et d'aucune à la fois.

 

Deuxièmement, Ludciné de Rembrunt et Belenor se connaissent depuis qu'ils sont enfants. Lorsque je réécrirais les premiers chapitres, il faudra que je parle de leur amitié. Il fallait bien que Belenor ait gardé quelques amis de ses vingt premières années d'existence car jusque là, il semblait avoir vécu en ermite jusqu'au début de l'histoire.

 

Troisièmement, Belenor porte tout le temps une chevalière représentant un faucon. Lorsque je réécrirai, j'insererai cette annecdote car *SPOILER* Elle devient importante par la suite *FIN DU SPOILER*

 

Voilà, c'est tout pour le moment, pas d'image non plus, désolé.

 

A bientot.

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 22:14

Cela fait bien longtemps qu'aucun chapitre n'est sorti...

Je m'en excuse, mais mes heures de temps libre allant diminuant, mon roman avance beaucoup moins vite.

Néanmoins, soyez rassurés, le nouveau chapitre est en bonne voie, même s'il ne sortira pas tout de suite.

Je n'ai d'ailleurs aucune date à vous preciser...

 

En revanche, pour vous faire patienter, deux dessins de ma main (ce n'est absolument pas ma spécialité donc soyez indulgents):

 

Le-Cavalier-Noir.jpg

Istram-Vonwulf.jpg

 

Voilà, c'est tout pour aujourd'hui.

Prochainement, j'essaierai de mettre en ligne des petites présentations sur les différents personnages!

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31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 00:09

La Couronne de l'Empereur est un projet de roman que j'ai commencé il y a de cela 2 ans. L'idée ne m'est pas venue tout de suite mais je suis depuis toujours un grand amateur de fantasy et de science fiction, ce qui m'a amené à créer mon monde, mon univers, mon histoire.

Tome I: La Chute du Lion d'Or.

En effet, l'histoire que j'ai imaginée a besoin de se developper sur plusieurs tomes pour vraiment prendre de l'ampleur et se complexifier.

 

Ce premier Tome a pour but de presenter un peu le monde que j'ai imaginé tout en lançant l'histoire proprement dite.

 

On y suit alors les péripéties du jeune Prince Belenor, Héritier de Callaven qui part de son royaume natal pour l'Empire voisin et sa capitale Sipar.

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Présentation

  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

Scénario :100%

Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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