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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 22:51

XVIII

Points de vue

 

 

Le printemps commençait à peine à adoucir le temps. Seul le froid vent descendant des montagnes vers la cité de Rabougnal ralentissait son œuvre. Une brise glaciale soufflait ce matin là alors que Tibérion s’entraînait avec Imladas un peu à l’écart de leur camp, lui-même proche de la ville. A vrai dire, le vent n’était pas si désagréable, il offrait la douce fraicheur dont ses muscles en feu, à cause de l’effort, requéraient.

Son adversaire n’était pas en reste, tout en sueur lui aussi, il avait des rougeurs prononcées là où Tibérion l’avait touché. Lui-même sentait que certaines parties de son corps étaient douloureuses là où Imladas avait percé sa défense. De plus, il ne retenait pas ses coups et était très fort, après tout Imladas était un Sandorn, famille où la force physique était une institution. Il compensait son manque de vitesse par des placements justes et précis, il maniait sa grosse épée d’entraînement – faite de lattes de bois reliées par un lien de cuir – avec une facilité déconcertante.

Tibérion, quant à lui, utilisait deux sabres de bois similaires et étant moins fort que son adversaire, il se mouvait avec rapidité, cherchant la faille dans la garde de son adversaire. Il savait que plus le combat durait, plus ses chances de victoire s’amenuisaient, se fatiguant plus vite que son adversaire.

Il retint son souffle et se remit en garde. Imladas l’imita : son arme, menaçante, dressée au dessus de sa tête dans la position dite "du Faucon". Tibérion lança une attaque de taille avec son sabre gauche ; son adversaire para le coup sans difficulté apparente, mais du même mouvement, Tibérion abatis son arme droite dans le but d’atteindre la tête de son vis-à-vis. Celui-ci bloqua l’attaque grâce à un mouvement vif de son bras gauche, arrêtant le sabre de bois avec sa brassière de métal.

« Bien essayé... » fit Imladas avant de contre-attaquer.

Il poussa fortement sur les sabres de Tibérion, ce qui libera ses bras alors que son adversaire devait reculer sous l’impulsion. Puis Imladas chargea, il arma son coup et abattit sa longue arme sur son adversaire qui dû  mettre ses sabres en croix pour bloquer l’attaque. Cependant était si violent que les sabres de bois émirent un craquement inquiétant. Avec une rapidité que Tibérion n’aurait pas imaginée de la part d’un Sandorn, Imladas libera sa lame et frappa celles de son adversaire d’un puissant coup de botte de cuir renforcée de fer. Le bois rencontra l’acier de la jambière et, déjà fragilisés, les sabres volèrent en éclats et autres copeaux de bois. Tibérion n’en crut pas ses yeux. Il était vaincu, ses sabres d’entraînement brisés, son adversaire le tenant en joue de sa lame sous sa gorge. 

« …mais pas suffisant. » termina Imladas.

-       Je n’aurai pas cru ça possible venant de toi, j’ai été surpris.

-       Ne cherches pas d’excuses, je t’ai vaincu. Je suis le plus fort. Point final.

-       Je ne te permets pas ! Ce n’était qu’un entraînement, tu m’as surpris mais cela ne fait pas de toi le meilleur!

-       C’est bon. On se calme, je plaisantais. Ton humour est parfois plus limité que celui de ton père.

-       Et toi, tu as une certaine tendance à fanfaronner un peu plus que le tien, fit Tibérion tout en donnant une tape amicale sur l’épaule d’Imladas.

-       Bravo, Seigneur de Sandorn ! » fit une vois féminine derrière eux.

Les deux hommes se retournèrent et virent Icella, la petite sœur d’Ællena. Tibérion avait appris à ce méfier de cette jeune fille, elle le regardait – ainsi qu’Imladas et même Soldoban – comme si elle étudiait une créature étrange.

Ils avaient pourtant choisi un endroit tranquille pour s’exercer, assez reculé des tentes des soldats ainsi que de la ville. Si cette fille était là, ce ne pouvait être par hasard, elle les cherchait, au moins l’un d’entre eux.

«  Merci, mais que fais-tu ici, jeune fille ? demanda Imladas.

-       C’est le Seigneur d’Aronberg qui m’envoie. Il veut que vous le rejoigniez au campement immédiatement.

-       Très bien, nous avions fini de toute façon, dit Tibérion, mais comment se fait-il que ce soit toi qu’il ait envoyé ?

-       En fait, j’étais avec ma sœur au campement des soldats de…comment déjà ?

-       Callaven ? avança Imladas.

-       Ah oui, c’est ça ! Callaven. Elle discutait d’arc et de tir avec la belle elfe, Dame Al’Ivna.

-       Ællena est au campement ? s’écria Tibérion en rassemblant précipitamment ses affaires.

-       Doucement, Tibérion, c’est Soldoban qui cherche à nous voir pas la femme que tu essaies de courtiser en vain depuis plus de deux mois.

-       Hurmpf ! grommela l’intéressé.

-       Continue ton histoire, Icella.

-       Bien sûr, acquiesça-t-elle tout en regardant Tibérion d’un air malicieux. Nous discutions ma sœur et moi avec la belle elfe blonde. Puis, alors que la conversation commençait à sérieusement m’ennuyer, vint le Seigneur d’Aronberg visiblement assez agité, il demanda que tous les officiers se présentent dans la grande tente sur le champ. Lorsqu’in rapporta que vous étiez introuvables, il me demanda d’aller vous chercher à différents endroits, celui-ci était le second que je visitais, après une taverne dans la ville.

-       Certes. Il n’a pas donné de raison particulière ?

-       Non, en revanche il m’a dit que si vous disiez cela je devais vous répondre : « Bien qu’il ne soit pas supérieur à vous en grade, c’est lui qui donne les ordres et vous devez obéir. »

-       Il n’y a que lui pour parler ainsi, fit Tibérion. Qu’attendons-nous ? Cela semble urgent. En route. »

Il jeta ses effets sur son épaule et ouvrit la marche vers le campement.

«  Il est bien prompt, chuchota Imladas à Icella, je pense que c’est à cause de ta sœur.

-       Je vous entends parfaitement ! Pas de messes basses, s’il vous plait.

-       Alors répondez moi, demanda candidement la jeune fille, si vous allongez tant votre pas, n’est-ce pas à cause de la présence de ma sœur au camp ?

Tibérion resta silencieux.

-       C’est bien ce que je pensais. Je vais vous confier quelque chose, maître de Bregorgne, fit-elle en baissant d’un ton afin qu’Imladas n’entende rien. Bien qu’elle ne se l’avouera pas avant un moment, ma sœur à un faible pour vous. Elle essaie tant bien que mal de le cacher mais c’est la vérité. Cependant, pour une raison que je ne comprends pas elle ne veut pas se l’avouer.

-       Ahh, la femme et ses mystères, soupira Tibérion. Que faire alors ?

-       Je sais par expérience qu’elle est assez sujette à la jalousie. Faites donc croire que vous l’ignorer et si elle recherche votre présence elle se sera dévoilée elle-même. Une fois ce premier pas fait, le reste est plus aisé.

-       Et si elle m’ignore elle aussi ?

-       Elle ne vous ignorera pas, croyez moi.

-       Pourquoi m’aides-tu ? Tu es bien lucide pour une gamine de treize ans.

-       Je ne suis pas une gamine ! Et je vous aide parce que je veux le bonheur de ma sœur, rien d’autre et j’ai le sentiment qu’elle sera heureuse avec vous. J’en ai même la certitude.

-       Si tu le dis. Merci beaucoup, merci pour tout. » conclut Tibérion alors qu’ils arrivaient au campement.

Elle se sépara alors d’eux, se dirigeant vers le terrain de tir à l’arc tandis qu’ils allaient vers la tente de commandement.

« Ce fut instructif ? demanda Imladas.

-       De quoi parles-tu ?

-       La petite sœur arrange les coups pour la grande, c’est cela ? Allez, je sais lire sur tin visage, tu es radieux, elle t’a annoncé que tu plaisais à Ællena.

-       On ne peut rien te cacher.

-       En réalité, j’ai tout entendu. » avoua Imladas et il éclata de rire entrainant Tibérion.

Ils gloussaient encore lorsqu’ils soulevèrent la toile de la tente pour y pénétrer. La vue des airs sérieux de Soldoban et du lieutenant impérial, ils se forcèrent à s’arrêter de rire.

«  Bien, maintenant que tous les officiers sont rassemblés, nous allons pouvoir commencer. Les négociations avec la Reine Falina sont enfin terminées.

-       Qu’a-t-il été décidé ? s’enquit Tibérion.

-       Il a fallu faire quelques concessions mais elle soutiendra le Surintendant. Elle nous a assuré qu’une troupe serait envoyée à Dunnastell en ambassade dans les plus brefs délais et que le reste des ses forces se tiendrait prêtes à l’effort de guerre dès que le Surintendant l’ordonnera – tout en laissant bien évidemment un contingent suffisant pour que la ville ne soit pas inquiétée.

-       Hum… Elle a donc tout accepté, fit Imladas pensif, quelles sont ces fameuses concessions ?

-       C’est Ascadon qui a dû céder. Falina a voulu être assurée que si l’ordre était rétablit, l’Empire s’engageait à laisser plus de libertés économiques à la Reine de Rabougnal. De plus, elle a presque exigé que son territoire soit agrandi. Le Surintendant a donné son accord, le traité est arrivé tôt ce matin, signé de sa main.

-       Elle est un peu gourmande, remarqua Tibérion.

-       Et encore ! Vous n’avez pas vu la première liste de requêtes ! Heureusement que le Surintendant a su lui tenir tête. Elle exigeait presque l’indépendance en premier lieu ! En tous les cas, désormais, l’Empire a le soutient de Rabougnal. Tout l’Ouest de l’Eriol est a priori contre Moriannor.

-       N’oublions pas que certains nobles impériaux ce sont ralliés au Seigneur de Drastan.

-       Certes, oui, les Blancs sont un problème. Des rumeurs colportent qu’un certain "cavalier noir" donnerait la chasse aux partisans de Moriannor à l’intérieur du pays. En aviez-vous entendu parler lorsque vous étiez avec Fildar en direction de Vessala ? »

Les deux capitaines s’entre-regardèrent, ils avaient leur petite idée sur l’identité de ce "cavalier noir" mais ils s’étaient juré de ne rien révéler de la transformation de Fildar – du moins pas à quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas comme le lieutenant impérial.

«  Non, répondirent-ils à l’unisson.

-       Dommage, dit Soldoban en haussant un sourcil perplexe. C’aurait été utile de pouvoir le contacter si besoin était. Enfin passons. J’ai reçu, ils y a quelques jours les instructions sur la suite des événements. Les soldats de l’Empire qui nous accompagnaient jusque là escorteront l’ambassade de Rabougnal dans son voyage à Dunnastell. Elle est censée partir dans les jours qui viennent.

-       Bien, capitaine d’Aronberg, si ma présence n’est plus nécessaire, je vais de ce pas me l’annoncer aux hommes.

-       Allez-y, lieutenant, vous ne dépendez plus de moi désormais. »

L’officier salua, poing sur le cœur, à la mode impériale et sortit de la tente.

«  En ce qui nous concerne, reprit Soldoban, nous n’avons pas d’instructions particulières mais le Prince Belenor sait que nous sommes à Rabougnal et il y viendra surement lorsqu’il reviendra du Nord. J’ai réussi à obtenir de Falina l’autorisation de rester dans les environs de la cité.

-       C’est une bonne nouvelle, s’exclama Tibérion.

-       Néanmoins, j’aimerai consacrer le temps qui nous est imparti à rechercher Fildar, l’hiver touchant à sa fin, rien ne nous l’empêche.

-       A la vérité… » commença Tibérion, avant de regarder Imladas du coin de l’œil, luis aussi semblait vouloir éviter de mentir à Soldoban. «  Fildar s’est enfui, certes, mais nous l’avions retrouvé…

-       Que voulez-vous dire ?

-       Nous l’avons retrouvé, mais il avait, comment dire… hésita Imladas.

-       … changé, compléta Tibérion. Il avait changé et il voulait continuer seul sa route vers on ne sait quoi. Alors nous l’avons laissé partir.

-       Je vois. Serait-ce donc lui le "cavalier noir" ?

-       Nous n’en sommes pas surs, c’est juste une supposition.

-       J’espère en tout cas qu’il se porte bien, dit Soldoban.

-       Tu le connais, je suis sûr qu’il se porte comme charme, il n’est pas du genre à se mettre dans des situations inextricables. » assura Tibérion.

 

*

* *

 

Fildar expira tout l’air de ses poumons lorsqu’il reçu le poing ganté de métal de son vis-à-vis dans le ventre. L’homme avait beau y mettre toute la force dont il était capable, Fildar ne sentait presque rien, il avait acquis une résistance à la douleur qui l’impressionnait encore. Deux autres hommes lui maintenaient les bras écartés, pour l’empêcher de riposter.

«  Tu vas nous dire ce que tu sais, lui recommanda un homme en tunique et manteau blancs qui se tenait assis en face de lui. J’ai tout mon temps. »

Celui qui avait frappé réarma son coup, pendant que le chef demandait :

«  Nous savons que tu as au moins un complice, pour te sortir des situations dangereuses, comme celle-ci. Mais ne t’inquiètes pas, il ne viendra pas nous déranger. Je veux simplement savoir qui il est et s’il y en à d’autres. »

Fildar éclata de rire, ainsi c’est ce que les Blancs croyaient, qu’il avait besoin d’un complice pour se sortir du pétrin. Il eut le souffle coupé lorsqu’il reçu le coup de poing et lança un regard menaçant au "bourreau" qui eut un rictus de peur pendant une demi-seconde avant de se ressaisir.

«  Acharnez-vous tant que tant, je ne dirais rien, déclara Fildar en recommençant à rire.

-       Très bien, c’est toi qui l’as demandé. » fit le chef tout en indiqua au "bourreau" qu’il pouvait recommencer

Souriant, l’homme s’en donna à cœur joie, torturant Fildar pendant de longs moments entrecoupés de questions du chef auxquelles il ne répondait jamais. Il encaissait les coups, si nombreux qu’un homme normal aurait déjà cédé ou se serait évanoui. Fildar résistait encore et toujours même si la douleur commençait à le gagner.

Il se passa au moins une demi-heure, pendant laquelle il recevait les coups sans broncher, avant qu’un homme en tunique blanche n’entre dans la minuscule pièce où Fildar était retenu. Il s’adressa à l’homme assis :

«  Monseigneur, il se fait tard, je viens de recevoir un message du Seigneur Vistulas, il s’impatiente.

-       Très bien, ne le faisons pas patienter plus longtemps. » répondit le chef puis il dit à Fildar : « Tu en as de la chance, on va te transférer chez le Seigneur Capitaine, le Seigneur Vistulas, à Standell, je suis sûr qu’il sera très heureux de rencontrer le "Cavalier Noir" celui qui sème la terreur à travers tout l’Empire. Qui plus est, je suis assuré d’une promotion en te présentant, il a offert une forte récompense pour ta tête, après tout, c’est toi qui a assassiné son cousin, Irmuler de Fendsbourg, l’ancien Seigneur Capitaine.

-       C’est plus qu’il m’en faut. » déclara Fildar en riant.

Sans le savoir, le Blanc avait donné à Fildar les informations qu’il voulait obtenir en se laissant capturer par une bande de Blancs sans cervelle. Maintenant, il n’avait plus qu’à se libérer. Rien de plus facile, les hommes qui lui maintenaient les bras avaient depuis longtemps cessé de le maintenir fermement en place, ils ne faisaient que lui tenir les bras en l’air. De plus, Fildar sentait la soif de sang, cette sensation de manque qui venait lorsqu’il ne s’était pas abreuvé de sang depuis un moment. Cela le rendait plus fort, mais si la soif était trop grande, il pouvait perdre le contrôle de lui-même. Il y a eu des fois où il avait dépassé les limites qu’il s’était fixé.

«  Excusez-moi, annonça-t-il, mais j’ai soif.

-       Pardon ? demanda le chef. Je ne comprends pas… »

Ses mots moururent dans sa bouche alors que ses yeux s’exorbitaient en voyant Fildar se libérer de l’emprise des deux gardes qui lui maintenaient les bras et, sans que ceux-ci puissent résister, il les empoigna et les envoya avec force contre le mur derrière lui. Ils ne se relevèrent pas, Fildar pensa qu’ils devaient être seulement durement sonnés, pas morts. Il se tourna vers la chef qui s’était levé, s’apprêtant à fuir. Tandis que le messager l’avait déjà fait, lui, et en hurlant qui plus est. Si son évasion devait passer inaperçue, se serait raté. Heureusement, elle ne devait pas passer inaperçue.

Il rattrapa le chef, lui barrant la route, alors celui-ci dégaina son épée dans un élan de courage, avec une haine perceptible dans son regard. Il essaya de porter un grand coup de taille mais Fildar, aidé de sa soif de sang, évita souplement l’épée et donna lui saisit le bras armé, le tordant. L’homme hurla, rejetant la tête en arrière, ce qui découvrit son cou. Fildar découvrit les dents et les lui planta dans la carotide ce qui provoqua une grande effusion de sang. Il s’abreuva allégrement du liquide chaud, jusqu’à ce que l’homme arrête de crier. Il l’aurait bien vidé de son sang mais il devait sortir de cet endroit.

Il n’y avait aucun garde à la porte et le couloir de pierre grise s’étendait des deux côtés sans qu’il puisse distinguer par lequel ils l’avaient emmené. Respirant profondément, il se força à écouter. C’est alors qu’un bruit sourd de se fit entendre à sa droite. Ce devait être la direction à prendre. Récupérant l’épée de son ravisseur, une arme de qualité moyenne, il s’engagea donc dans le couloir de droite.

Ce corridor n’était pas long et rapidement, il se retrouva devant un escalier, qu’il gravit. Cela le mena au rez-de-chaussée, dans une pièce éclairée par quelques bougies, sans fenêtres et vide. Il n’y avait là qu’une porte et quelques meubles de rangement ainsi qu’une armoire qui avait été déplacée pour permettre l’accès à l’escalier.

Il sortit de la pièce et se retrouva dans ce qui semblait être le hall d’entrée. Une grande pièce, avec un escalier à deux cages, il y avait aussi de grandes fenêtres qui laissaient entrevoir l’aube naissante. Il devait se dépêcher, il ne supportait toujours très mal la lumière directe du Soleil. Il y avait des gens, aussi. Trois hommes vêtus de blanc et armés d’une épée gisaient inconscients – ou morts – en plein milieu de la pièce et une femme brune à genoux auprès deux qui lui tournait le dos.

Il fit un pas en avant qui résonna dans la pièce sans qu’il en ait l’intention et la femme se retourna face à lui.

«  Ludciné, s’exclama-t-il en reconnaissant le visage de la jeune femme.

-       Fildar, je t’attendais » fit-elle en s’approchant de lui.

Il lui ouvrit les bras et elle le gifla. Affaibli comme il l’était, cette gifle était presque douloureuse.

«  Ca, c’est pour avoir eu un plan aussi stupide et dangereux.

-       Il a marché, j’ai les renseignements que je voulais.

-       Certes, mais tu t’es regardé, tu as bien failli mourir et tu es blessé !

-       Mais pas mort, ces hommes ne pouvaient rien contre moi.

-       J’étais morte d’inquiétude ! Et puis, la partie du plan où je suis censée flirter avec ces trois lourdauds en attendant ton signal, je ne l’ai pas appréciée non plus.

-       Je ne t’ai jamais demandé de flirter avec eux, il fallait juste les occuper.

-       Avec le regard qu’ils m’ont lancé lorsqu’je suis rentrée ici, je doute qu’autre chose les aurait occupés.

-       Excuse-moi alors, j’aurais dû le prévoir. N’y a-t-il pas d’autres gardes ici ?

-       Ou alors ils sont occupés. J’espère que ton raffut ne les a pas alertés.

-       Espérons. allons, partons.

-       Attends, Fildar ! Prends quelque chose pour te couvrir  le jour s’est levé.

-       Pourtant la lumière des fenêtres…

-       C’est trompeur, des arbres cachent le ciel vu de la fenêtre. Moi non plus je ne comprends pas l’intérêt de faire une ouverture par laquelle ne passe aucune lumière. » ajouta-t-elle alors qu’il fronçait les sourcils.

Il prit un manteau blanc que portait l’un des hommes à terre, s’encapuchonna la tête, mit des gants de cuir et fit bien attention à ce qu’aucune partie de son corps ne soit exposée.  De plus, cet accoutrement pourrait le faire passer pour un Blanc si aucun garde ne lui se posait de question. Ludciné lui prit le bras et ils sortirent.

Le manoir du seigneur qui l’avait capturé se trouvait à l’écart du bourg où ils avaient séjourné. Un peu en hauteur, à l’orée d’un bosquet qui paraissait bien terne en ce début de printemps. Le chemin jusqu’au centre du village n’était pas long mais le jour avait bel et bien commencé et Ludciné était obligée de guider son compagnon en lui tenant fermement le bras.

Une fois arrivés à l’auberge, Fildar ne s’attarda pas plus longtemps dans la salle commune, il se débarrassa du manteau blanc et gravit rapidement les escaliers jusqu’à la chambre qu’il partageait avec Ludciné. Il trouva la chambre dans le même état qu’il l’avait quittée deux jours plus tôt, mis à part les deux fenêtres – une de chaque côté du lit – qui étaient ouvertes et rideaux tirés. Il fut surpris et n’eut pas le temps de se protéger les yeux. Immédiatement, il les sentit bruler comme si on les avait jetés dans le feu d’une forge. Sans pouvoir se retenir, il hurla. Ludciné accouru rapidement, le poussa  hors du champ lumineux et ferma précipitamment les rideaux.

Ses yeux continuaient à le brûler, il les toucha des mains, un liquide en suintaitµ. Des larmes, sûrement. Que dirait Ludciné si elle le voyait pleurer ? Tant bien que mal, il essaya de se cacher d’elle en se retournant sur lui-même.

«  Laisse-moi voir, Fildar, ordonna-t-elle. C’est peut-être grave.

-       Non, gémit-il. Je vais bien. Il me faut juste un peu de repos.

-       Arrêtes d’essayer de le cacher, tu souffres, tu as hurlé. Je ne t’avais jamais entendu crier de douleur. Ecarte tes mains et… »

Le reste de sa phrase ne sortit pas de sa bouche. Elle avait réussi à bouger ses mains et il sentit son regard sur lui.

«  Je sais, lui fit Fildar, je pleure, mon image d’homme vaillant et fort doit en prendre un coup.

-       Non, Fildar, tu ne pleures pas…, fit-elle faiblement. Tu saignes. Tes yeux sont en sang, je… je n’ai jamais rien vu de tel.

-       C’est grave ?

-       Je ne sais pas. Je pense que ça ira. »

Il sentit une goute lui tomber sur la main que Ludciné tenait.

«  Tu pleures ? Je ne crois pas que ma blessure soit belle à voir.

-       Il te faut des soins, nous sommes proches de Bonnenbourg, je pense qu’on pourra t’y soigner. »

Fildar sentit comme une remontée de rage, une colère profonde se déversant en lui, et une présence. Une sensation qu’il n’avait plus ressentie depuis longtemps. Elle cherchait à prendre le dessus. Avec effort il la repoussa. Il savait ce qui arriverait s’il laissait la présence prendre le dessus, c’était la voix qui lui ordonnait de tuer tout ce qu’il voyait. Une bête sanguinaire et sans scrupules qui vit pour tuer.

«  Ve…Vessala, réussi-t-il à articuler. Je dois aller à Vessala.

-       Où donc ?

-       Dans les Bois Cendrés, il y a un ermite… Siougrev… Il saura.

-       Il est médecin ?

-       Pas exactement… mais il s’y connait.

-       Si tu le dis. On peut se fier à lui ?

-       Belenor s’y fie, alors moi aussi. »

Il regretta d’avoir dit ces mots, juste après les avoir prononcés. Pendant les mois qu’ils avaient passés ensemble, Fildar avait toujours été très évasif à propos de son identité. Il n’avait jamais parlé du Prince.

«  Belenor ? Le Prince Belenor Acciprides de Callaven ? Tu connais un Prince Royal !

-       Oui, désolé de te l’avoir caché. C’est un ami à moi. J’étais sous ses ordres en tant que Capitaine de Callaven, représentant la Maison de Korventen jusqu’à ce… que l’on soit séparés. Je suis déjà allé à Vessala.

-       Monseigneur Fildar de Korventen, vous recélez bien des secrets, fit-elle en riant. Très bien alors je t’accompagnerais à Vessala. Tu ne peux pas voyager ainsi, seul.

-       Mais, et ton père ? Il t’attend à Bonnenbourg, tu dois lui livrer les informations que tu as trouvé dans les papiers d’Irmuler et celles que l’on vient d’obtenir.

-       Nous sommes proches de Bonnenbourg, certes, mais tu as besoin de soins et tu ne peux définitivement pas voyager seul dans cet état.

-       Nous allons donc d’abord voir ton père. Ensuite, je me débrouillerai pour aller aux Bois Cendrés.

-       Tu pourras tenir jusque là ?

-       Je pense que oui… Il faudra bien.

-       En es-tu sûr ?

-       Oui, mentit-il. »

Il sentit que la présence se faisait de plus en plus forte, plus pesante, voulant lui prendre possession de son propre corps. Il ne pouvait pas la retenir continuellement. Il se sentait faiblir. Il ne fallait pas qu’il laisse l’ « autre » prendre le contrôle. Fildar comprit que s’il abandonnait lui-même le contrôle de son corps, il pourrait alors la contenir dans un recoin de son esprit. En revanche, il serait alors complètement inconscient de son environnement.

Il ne voyait que cette solution, par contre, il devait placer tout sa confiance en Ludciné pour qu’elle prenne les bonnes décisions. Jusque là, elle avait parfaitement fait la complice lorsqu’il s’agissait d’affaiblir les Blancs, mais de là à lui confier sa vie… C’était la seule solution. Il devait lui expliquer ce qu’il se passait – le strict nécessaire – pour qu’elle sache quoi faire. Il devait faire vite sinon il allait perdre le contrôle.

«  Ludciné, je doit t’expliquer certaines choses et je n’ai pas beaucoup de temps.

-       Décidément, la journée vient à peine de commencer et j’en apprends plus sur toi qu’en plusieurs mois de voyage, dit-elle ironiquement.

-       Je suis sérieux ! Je suis malade. Depuis quelques mois déjà. J’ai été mordu par un Dakhart.

-       Et tu es toujours en vie ? On dit pourtant qu’une goutte de son venin est mortelle !

-       Je ne suis pas réellement tiré d’affaire. De plus le Dakhart m’a juste éraflé, mais là n’est pas la question. C’est en tout cas la cause de ma condition aspect physique et de ma soif de sang. Il y a une présence en moi qui cherche à prendre le contrôle et je sais que c’est un esprit criminel et sans scrupules. Je l’avais vaincue avant de te rencontrer, je croyais en avoir terminé mais à la faveur de ma faiblesse d’aujourd’hui, elle est revenue et elle essaie désormais de m’arracher le contrôle.

-       Je ne suis pas sure de bien tout comprendre.

-       Je te réexpliquerais tout en temps voulu, répliqua Fildar qui sentait qu’il commençait à avoir du mal à respirer. Voilà ce que tu dois savoir : je ne suis pas assez fort pour la retenir sauf si j’abandonne moi aussi le contrôle de mon corps.

-       Mais, tu risques de mourir !

-       Peut être, je ne sais pas, je ne suis même pas sûr d’avoir assez de forces. Ce qui est sûr c’est que pour toi je serais inconscient. Jusqu’à ce que j’arrive à Vessala, je suis obligé de confier ma vie à quelqu’un. Pourras-tu le faire ?

-       J’espère bien. Heureusement que le route n’est plus très dangereuse jusqu’à Bonnenbourg. Je le ferais.

-       Merci, au revoir… »

Il était temps. Encore un peu et il perdait le contrôle. Fildar s’obligea à abandonner son corps pour concentrer toute son énergie vers son esprit, et le long combat qu’il devait mener. Pendant ce moment de latence, il sentit que la présence « fonçait » à travers la « brèche ». Heureusement, il réagi assez rapidement, empêchant ainsi l’esprit sanguinaire de s’installer confortablement aux commandes. En fait, la présence avait eut le contrôle un très court laps de temps.

Puis, plus rien. Fildar et son adversaire étaient de force équivalentes, la présence se fit plus distante, moins pressante, comme pour lui faire croire qu’elle avait totalement disparue, mais il n’était pas dupe, cela ne marcherait pas, pas cette fois. Il n’avait plus qu’à attendre d’être soigné, n’ayant pour compagnon que ses propres pensées, tout en restant suffisamment lucide pour pouvoir repousser l’Autre, au cas où.

 

*

* *

 

Ludciné était affolée, elle ne savait plus quoi faire. Une douzaine de tâches se bousculaient dans sa tête. Se préparer à revoir son père. Trouver un moyen de voyager avec Fildar inconscients sans être trop remarqués. Veiller à se qu’il ne dépérisse pas. Au moins, Fildar s’était calmé. Elle avait eu peur lorsque, juste après qu’il ait perdu conscience, il se releva subitement. Ses yeux encore blessés et ensanglantés étaient presque exorbités et il avait mauvaise mine, plus pâle que d’habitude – c’est-à-dire presque cadavérique. Il avait découvert les dents, comme voulant la mordre mais à peine  avait-il effleuré sa main qu’il reperdit conscience. Une de ses canines avait néanmoins fait saigner sa paume mais la blessure était très superficielle. Elle ne lui ferait plus mal dans une petite heure.

Ludciné devait se dépêcher, il y avait tant à faire. Pour le voyage, le plus sûr était d’acheter une charrette de paysan et d’y transporter Fildar, suffisamment couvert pour que personne ne pose de questions et pour que lui ne subisse pas les effets du Soleil. L’aubergiste était assez honnête et détestait suffisamment les Blancs pour qu’elle puisse lui demander de l’aider aux préparatifs du départ.

Finalement, avec Fildar, elle n’était jamais au bout de ses surprises. Il l’a "délivrée" d’Irmuler de Fendsbourg sans quoi elle serait son amante contrainte et forcée. De plus, il  n’était – selon lui – pas complètement humain. Enfin, il connaissait le Prince Belenor Acciprides de Callaven, un de ses amis d’enfance, dont l’Oncle, le Roi Ingald était un ami de son père le Duc Veassen de Rembrunt. Quelle joie aurait-elle à le revoir !

 

*

* *

 

Le Soleil se levait à peine, créant de longues ombres sur l’immense cité d’Halden, avec ses hautes murailles qu’aucune armée n’avait réussi à franchir. La neige couvrait la plupart des toits alors que l’hiver aurait dû toucher à sa fin. Si loin dans le Nord, il neigeait six mois sur douze et l’air restait frais le reste du temps. Belenor pensa qu’il ne pourrait pas vivre dans de telles conditions.

Il était accoudé à a balustrade d’une terrasse du Mont, lieu qu’il avait choisi pour réfléchir et se répéter le discours qu’il prononcerait devant le Congrès quelques heures plus tard. Il avait de solides arguments mais le Président Junos affirmait que certains Comtes Electeurs s’étaient déjà affirmés en faveur de Moriannor. Il excellait dans la corruption des gens. Cette pratique, bien que détestable, avait toujours fait partie de la politique et ce quel que soit le pays. Selon certaines rumeurs les Elfes y étaient moins sensibles. Lorsqu’il serait Roi de Callaven, il veillerait scrupuleusement à éradiquer la corruption des Nobles.

« J’ai toujours adoré regarder le lever de Soleil de cet endroit », fit une voix féminine dans son dos.

Surpris, il se retourna. Une femme qui faisait une bonne main de moins que lui se tenait près de la porte du balcon. Elle avait de longs cheveux châtains et des yeux noisette. Elle était assez jolie bien qu’ayant au moins dix ans de plus que lui. Elle portait un long manteau gris d’hiver qui couvrait sa robe dans les tons blancs et gris. Cette femme ne semblait pas avoir froid tandis que lui, couvert de la tunique la plus chaude qu’il avait pu trouver ainsi que de son manteau de fourrure, frissonnait.

« Qui êtes-vous ? demanda-il alors qu’elle s’avançait vers le balcon.

-       Mon nom est Jeanne Aneim, je suis une Voyageuse. Vous devez être le fameux Prince Belenor de Callaven. Mon mari m’a beaucoup parlé de vous.

-       En effet, je le suis. Qui est votre mari ?

-       Oh, il ne vous a pas parlé de moi ? » questionna-t-elle et devant son air interdit elle continua : « Je suis la femme de Kerneli Aneim, l’Archimage.

-       Je vois…

-       Cette vue est magnifique, non ? Rien de mieux pour commencer une journée que de la préparer en admirant la beauté de cette cité aux premières lueurs du jour.

-       Oui, c’est pour cela que je suis ici. Vous avez dit que vous êtes une Voyageuse, de quoi s’agit-il exactement ?

-       C’est très simple, je peux me transporter d’un endroit à un autre quasi-instantanément.

-       Vous êtes une sorte de Mage en fait.

-       Oui, même si mon Don ne me donne pas accès à ce titre, je ne suis qu’une Voyageuse.

-       Une des meilleures, qui plus est, dit Kerneli qui venait d’arriver sur le balcon lui aussi. Belenor, ma femme vous aidera à revenir dans l’Empire une fois vos affaires avec le Congrès terminées.

-       Vous pouvez transporter des gens avec vous ? demanda le Prince.

-       Oui, malheureusement je ne peux Voyager qu’avec un petit groupe de personnes. De plus, dans le cas du votre avec vos deux soldats et les chevaux, je ne pourrais plus Voyager du tout pendant une semaine. C’est ainsi que mon Don fonctionne, je n’y peux rien.

-       Merci infiniment d’accepter de nous ramener dans l’Empire mes compagnons et moi.

-       C’est tout naturel, vous êtes l’élève de mon mari et puis je vais revoir ma ville natale, Rabougnal ! C’est bien votre destination, non ?

-       Tout à fait, maintenant, si vous me le permettez, je dois rentrer au Palais Présidentiel, me préparer. A ce soir donc. Voyageuse Aneim. Archimage Kerneli.

-       Prince Belenor. » saluèrent-ils tous deux en retour.

 

Les rues étaient presque désertes alors que Belenor traversait Halden vers le Palais Présidentiel. La plupart des artisans n’avaient pas ouvert leurs boutiques, le vent, glacial, venant du Nord, charriait une forte odeur de poissons. En effet, les seuls bruits venaient du port où les bateaux de pêche déchargeaient leurs prises qui seraient vendues dans la journée.

Arrivé au Palais, les gardes le laissèrent passer, ils le connaissaient. Après avoir salué les deux soldats de Callaven qui partageaient une chambre adjacente aux appartements que son grand-père avait mis à sa disposition, il entra dans sa chambre et s’assit sur le lit qui avait été fait alors qu’il était sortit. Le Congrès était toujours dans ses pensées. Plus il y réfléchissait, plus il lui semblait impossible que la majorité des Comtes Electeur se rangent à sa proposition d’intervenir en faveur de l’Empire.

Il restât ainsi, perdu dans ses pensées, le reste de la matinée. A midi, un bruit venu de la porte le sortit de sa réflexion. Belenor avait demandé à ce qu’on lui monte son déjeuner, déclinant ainsi l’invitation de Junos, préférant ne pas se distraire. En fait, il n’avait même pas faim.

«  Déposez les plats sur la table, je vous prie. » ordonna-t-il alors qu’il entrait lui-même dans le petit salon qui faisait office de salle à manger grande à la grande table.

Il s’arrêta net. A la place de serviteurs en livrée du Palais qu’il s’attendait à voir se tenait Dématris. Elle déposa le grand plat qu’elle tenait sur la table, avant de se retourner vers lui. Sa magnifique chevelure presque blanche brossée avec soin descendait harmonieusement jusqu’au creux de ses reins. Comme toujours très belle, avec ses nouveaux vêtements donnés par son grand-père, elle avait le port d’une reine. Belenor avait jusque là réussi à ne plus penser à elle depuis qu’il connaissait les liens qui les unissaient. En fait, il l’évitait par peur de ne pouvoir se séparer d’elle. Néanmoins, il voyait maintenant que sa grossesse devenait visible et son cœur se serrait encore plus car l’enfant qu’elle portait était illégitime et son existence devait rester secrète. Il s’en rendait compte maintenant mais Dématris était en quelque sorte prisonnière du Palais.

«  J’ai pensé que tu aurais besoin d’un peu de compagnie avait de te confronter au Congrès, annonça-t-elle avec un sourire.

-       Merci, à force de réfléchir sur ce satané discours, je finis par m’embrouiller et perdre confiance en moi.

-       Ce n’est pas ton discours devant les Comtes Electeurs qui m’inquiète le plus, tu seras certainement très convaincant. En fait, si je suis venue te voir, c’est à propos de ton départ. Vois-tu, Junos est très gentil avec moi mais comme ma grossesse doit rester secrète, je suis un peu prisonnière de cet endroit et quand tu partiras ce seras encore pire.

C’est exactement ce que je voulais éviter ! se dit-il

-       Je sais qu’il est très difficile pour toi d’accepter de rester ici, tu voudrais découvrir le monde mais ce que nous avons fait est proscrit par tous, non seulement nous ne sommes pas mariés mais en plus nous sommes du même sang ! Si le monde l’apprenait, Junos serait contraint d’abdiquer, son nom déshonoré. De mon côté, je pourrais être contraint de renoncer à mes titres.

-       Alors je dois m’effacer pour que vous puissiez continuer vos manœuvres politiques ! s’écria-t-elle, furieuse.

-       Non, ne le prends pas comme cela, tenta-t-il pour la calmer. Toi aussi ; tu fais partie de cette famille et tu dois garder ton honneur, c’est ce qui nous différencie des roturiers : l’honneur.

-       Je me fiche de la noblesse, je n’ai jamais eu le sentiment d’être noble ou de grande famille ! J’ai vécu des années dans une société sans classe. Je vivre, voyager et voir le monde ! Pas rester cloîtrée dans de magnifiques appartements ! Cet enfant apparaît comme un boulet qui me tire en arrière et m’empêche de m’épanouir. Pourtant ce bébé est tout ce qui me reste de toi et ce serait un crime de l’abandonner.

-       Ecoute, mon cœur saigne également de te laisser ici pendant que je dois retourner dans l’Empire. Sache que dès que je le pourrai, je viendrai te voir, mais la situation actuelle est très tendue. Quand tout se sera calmé je reviendrai.

-       J’espère bien, mais ce Palais… Belenor, je n’y arriverai pas.

-       Tu es la femme la plus brave que j’ai jamais rencontré, tu surmonteras cette épreuve comme toutes les autres. Je suis sur qu’Halden regorge de lieux et de choses à découvrir. Tu pourras également aller au Mont des Mages, l’Archimage Heneg sera très heureux de t’accueillir et peut-être y découvrira-tu des livres sur ton Don.

-       Cela ne me plait toujours pas, mais j’essaierai. Tu avais l’intention de partir ce soir, est-ce toujours le cas ?

-       Juste après le Congrès. Je serai à Rabougnal ce soir. » Devant son air surpris, il s’expliqua : « J’ai rencontré la femme de l’Archimage Kerneli, elle s’appelle Jeanne et peut voyager d’un endroit à un autre en un battement de cœur.

-       Tu n’avais même pas l’intention de passer me dire au-revoir si je n’étais pas venue ce midi ? s’écria-t-elle en le giflant violemment.

-       J’avais l’intention de te laisser un mot… J’avais peur de ne pas pouvoir partir si je te revoyais, ajouta-t-il rapidement en esquivant une deuxième gifle. Puisque tu es là, reste manger avec moi, il y en aura assez pour deux et se sera notre dernier repas seuls tous les deux avant longtemps.

-       Avec grand plaisir. » s’exclama-t-elle.

 

*

* *

 

La salle du Congrès était immense. Hémicirculaire avec des alcôves aux couleurs des différents Etats dans sa partie arrondie où chaque Comte Electeur prenait place avec ses conseillers dans celui qui leur avait attribué. Le Président prenait place en face de l’Assemblée, sur un véritable trône duquel il voyait tout et était vu de tous.

Après une pompeuse ouverture où chaque Comte était annoncé et prenaient place les uns après les autres, les divers sujets initialement prévus furent traités et cela pris beaucoup plus de temps que Belenor l’avait escompté. En effet, il avait assisté à de nombreuses sessions du Conseil Royal où le Roi présidait l’Assemblée et avait le dernier mot, il prenait les décisions seul et personne ne pouvait réellement s’y opposer à moins que le Conseil déclare unanimement que le monarque était "inapte" et pouvait alors défier son autorité. Cela, à la connaissance du Prince, ne s’était jamais produit à Callaven. Le Président des Etats Septentrionaux n’avait pas le pouvoir de prendre une décision et il devait attendre qu’une majorité des Comtes soit d’un avis et alors il pouvait l’attester. Cela prenait énormément de temps.

Belenor devait attendre le moment où il serait appelé dans une antichambre adjacente car les sessions du Congrès n’étaient pas ouvertes au public et encore moins aux étrangers. Après près de trois heures d’attente, un homme en livrée rouge et jaune, couleur des el’Korgas, vint enfin chercher le Prince pour qu’il puisse intervenir sur invitation du Président. Il le suivit sans rien demander, jusqu’au pupitre où il allait s’exprimer. Il avait le Président dans son dos et faisait face aux Comtes Electeurs. Chacun d’entre eux avait, comme lui, revêtu leurs habits d’apparat. Belenor portait un effet une élégante tunique bleue brodée d’argent ainsi qu’un baudrier jaune or en écharpe d’où pendait son épée.

Junos, vêtu d’un magnifique costume rouge et jaune le tout allégrement brodé d’or se leva et l’annonça :

«  Veuillez à présent accueillir Son Altesse Royale le Prince Belenor Acciprides, héritier du trône de Callaven, que j’invite à délivrer devant le Congrès des Etats Septentrionaux le message qu’il nous apporte.

-       Merci Sire, fit Belenor en s’inclinant légèrement avant de se retourner vers l’assemblée. Mes Seigneurs les Comtes Electeurs, l’ambassade que je conduis a été mandatée par le Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris. Vous n’êtes pas sans savoir que la capitale impériale, Sipar, a été assiégée puis prise et que le Très Saint Empereur Mogueras y a perdu la vie. Ce crime a été perpétré par des mercenaires orques au service du Seigneur Moriannor de Drastan.

»  Le Surintendant a décidé de ne pas laisser ce crime impuni. Malheureusement, l’Empire ne peut pas se lancer dans une guerre contre Drastan seul. C’est pourquoi il se tourne vers ses alliés. Aujourd’hui déjà le Royaume de Callaven, dont je suis le représentant, ainsi que l’Ordre des Chevaliers Ailés se sont engagés aux côtés de l’Empire. L’Union des Etats Septentrionaux et l’Empire ont depuis toujours eu des liens d’amitié, il est l’heure pour vous de les honorer, car Moriannor, non content d’avoir fait tuer le Très Saint Empereur Mogueras, revendique le Trône Impérial. Pourtant ce Trône a un héritier légitime, le fils adoptif de l’Empereur qui vit toujours avec l’Impératrice Dunvainwen.

 » Venez en aide à l’Empire, qui est en proie au chaos. Une guerre civile est imminente, de nombreux partisans du Seigneur de Drastan sèment la terreur dans tout le territoire impérial et l’Armée Impériale n’est plus assez puissante pour pouvoir calmer ces tensions. »

Son discours terminé, Belenor observa les Comtes en attendant leur réaction. C’est alors qu’un Comte Electeur se leva, signe qu’il allait prendre la parole. Il s’agissait d’un nain, vêtu d’un tabard blanc et doré, il semblait évident qu’il prenait le parti de Moriannor. S’il s’attendait à ce que Belenor soit surpris de voir un Comte Electeur nain, il allait être déçu.

En effet, il avait appris que l’Union des Etats Septentrionaux regroupait en son sein des territoires de certains Duchés Nains. La politique naine était étrange et il semblait que certains Ducs dont les territoires étaient adjacents à l’Union ont décidé de la rejoindre et ainsi de devenir Comte Electeur. Il s’agissait en réalité de Duchés qui n’étaient pas assez influents pour que leur Duc devienne Roi des Nains – le Royaume des Nains étant une monarchie élective – donc en devenant un Etat de l’Union ils pouvaient exercer un peu plus de pouvoir. Le Roi des Nains acceptait cela pour éviter une sécession définitive qui lui nuirait beaucoup plus qu’un peu d’ingérence de l’Union dans la gestion de ces Duchés.

Junos lui avait parlé de ce Comte Electeur nain qui s’apprêtait à lui répondre. Il s’agissait du Duc Grimm d’Hansballet. Ami de Moriannor depuis longtemps, il voulait surtout que son Duché devienne un Etat complètement indépendant, son influence parmi ses pairs nains étant insignifiante à cause de la réputation houleuse de sa famille et décroissait avec temps vu qu’il s’intéressait plus aux affaires de l’Union qu’à celles du Royaume des Nains.

«  La parole est au Comte Grimm d’Hansballet, déclara Junos.

-       Merci, Sire. Dire que je ne porte pas l’Empire dans mon cœur serait un euphémisme, commença le nain. En effet, au-delà du système politique très autoritaire en général mené par les différents dirigeants de Sipar depuis la création de l’Empire, le règne de l’Empereur Mogueras en particulier s’est illustré par la propagation affolante de la corruption des instances dirigeantes. Si vous avez de l’argent et que vous savez quelles pattes graisser, vous n’aurez aucun problème dans l’Empire quelque soient vos actions. Pire encore, en cherchant plus loin vous pouvez obtenir des informations cruciales civiles et militaires…

-       C’est complètement faux ! intervint Belenor.

-       Je sais que le processus de débat est complètement absent dans votre Royaume, répliqua le Comte d’Hansballet d’un air mauvais, mais je ne vous ai pas interrompu lorsque vous débitiez des inepties alors vous me laisserez continuer car il faut que cette assemblée sache la vérité.

 » Bien. Je ne saurais me réjouir d’une mort aussi tragique que la fin de l’Empereur mais cela ouvre la possibilité au changement. Je sais que mes propos peuvent vous choquer mais le Seigneur Moriannor incarne ce changement. Si nous devions nous engager je pense que se serait aux côtés du Seigneur de Drastan. Pourtant, nous ne pouvons cautionner l’attaque sauvage de Sipar mais le fait est qu’Ascadon de Moganris, l’actuel Surintendant de Sipar, ne pense qu’à venger la mort de son Empereur, celui là même qui est responsable de son irrésistible ascension jusqu’à aujourd’hui. C’est une affaire que les deux dirigeants se doivent de régler eux-mêmes, pas en impliquant les ressources de tout l’Empire. Pourtant le Surintendant y semble déterminé. Ce que le jeune Prince de Callaven ne vous a pas dit est que le ralliement des Chevaliers Ailés a eu un coup et les effectifs Ordre sont aujourd’hui moitié moins nombreux qu’il y a un an. Quant au Royaume de Callaven, sauf votre respect Prince Belenor, il est décadent depuis la perte de Dollovan vingt ans plus tôt face aux armées du Seigneur Moriannor et nous savons tous que le Roi Ingald allait s’inféoder à l’Empire sous peu. Ainsi qu’il se soit rangé du côté de l’Empire n’est pas surprenant, leur alliance étant très étroite.

»  Notre alliance avec l’Empire, en revanche, est d’une nature différente. Je ne souhaite pas me lancer dans un cours d’histoire, je vais donc simplement vous remémorer quelques faits. Lorsque l’Aigle Noir, fonda l’Empire, il reçu l’aide de nombreux pays entourant l’Empire d’alors, parmi certains d’entre eux, il y avait les Royaumes de Firmnorg et du Gormanac qui sont aujourd’hui les Etats les plus étendu de l’Union. L’Empereur Logarn s’est toujours assuré par la suite des amitiés de ces Royaumes car ils lui assuraient une frontière calme au Nord. C’est là la seule raison d’être de notre alliance, s’assurer que ni l’un, ni l’autre ne s’envahiront. Les successeurs de Logarn n’ont d’ailleurs jamais fait appel aux forces du Nord, encore moins depuis que l’Union est fondée…

-       Ce que vous essayez donc de dire est que l’Union ne doit pas intervenir ni pour un parti ni pour un autre, intervint Belenor qui ne tenait plus en place et qui voyait d’un œil mauvais les autres Comtes se laisser convaincre par ce nain à la longue barbe noire.

-       Vous m’ôtez les mots de la bouche mon cher. » répondit le Comte d’Hansballet en le fusillant du regard.

Encore un peu et le nain aurait convaincu les Comtes les plus crédules de se rallier à Moriannor. Ascadon avait prévenu Belenor que l’Union serait difficile à convaincre mais là, mieux valait qu’il s’assure de leur neutralité.

Alors que Grimm d’Hansballet se rasseyait en regardant toujours Belenor d’un air sombre, le Présidant Junos se leva.

«  Si quelqu’un a encore quelque chose à ajouter à la déclaration du Prince de Callaven, déclara-t-il, qu’il parle maintenant. » Après une pause, il continua : « Nous allons donc continuer à débattre en privé, Prince Belenor, veillez vous retirer. »

Il s’exécuta, accompagné d’un des hommes de Junos qui le reconduisirent vers l’antichambre où il avait attendu. Bien sûr il était libre de partir dès maintenant, mais il ne s’en irait pas sans la réponse de l’Union à sa requête, il devait donc attendre la fin du débat, qui, il l’espérait profondément, ne durerait pas trop longtemps, la journée étant déjà bien avancée.

 

*

* *

 

Pendant que Belenor assistait au Congrès, Dématris se rendit au Mont des Mages. Ce monument édifié magiquement avait un certain charme même si elle concevait que son allure improbable pouvait en rebuter plus d’un. L’homme au crâne dégarni qui l’accueillit fut particulièrement aimable et lui indiqua la bibliothèque.

Dans cet immense lieu de savoir, Dématris ne savait pas par où commencer. Il y avait quelques personnes qui semblaient étudier à des tables de lecture. La plupart étaient assez jeunes et elle se permit de déranger un jeune homme dont les cheveux châtains avaient été tonsurés.

«  Excusez-moi, sauriez-vous s’il existe des livres qui traitent de guérison.

-       Bien sûr, lui répondit-il d’un air très contrarié, mais voyez-vous, ici, c’est un lieu d’étude pour les futurs Mages alors si vous cherchez des livres sur la guérison allez plutôt voir un apothicaire ou un médecin. Et laissez les gens utiles étudier.

-       Vous ne m’avez bien compris, répliqua Dématris qui n’aimait pas beaucoup l’air arrogant du jeune homme, je voulais dire des livres qui traitent de guérison par magie.

-       Vous plaisantez, il n’existe pas de gens qui guérissent par magie !

-       C’est pour cela que vous devez étudier, Philigan ! fit un homme à la longue barbe brune.

-       Oui, Archimage Heneg, dit le jeune tonsuré piteusement.

-       Ma chère, reprit l’Archimage, veuillez me suivre, je suis sûr que nous allons trouver ce que vous cherchez, laissez ces jeunes étudiants arrogants apprendre l’humilité. »

Elle suivit donc l’homme à travers les rayons de la bibliothèque. Ils en traversèrent tellement qu’elle n’aurait jamais pu s’y retrouver toute seule. Rapidement, celui-ci trouva un coin où les livres traitaient effectivement de la guérison par le Don. Il en prit quelque uns et l’entraîna vers une petite table d’étude libre, prêt d’une fenêtre qui plus est.

«  Je pense que vous serez confortablement installée, ici, lui dit-il.

-       Merci, Archimage Heneg.

-       Ce n’est rien, votre cousin le Prince Belenor m’avait prévenu que vous viendrez sûrement ici pour vous renseignez sur votre Don. Un Don si rare… C’est mon devoir en tant qu’Archimage de m’assurer que vous apprenez à vous en servir. Si vous avez besoin de quoique ce soit appelez-moi, je vous aiderais volontiers ou vous enverrai quelqu’un si je suis indisponible.

-       Merci encore. Une chose me trouble, le jeune homme de tout à l’heure a semblé ignorer l’existence de Dons tels que le mien.

-       Philigan a encore beaucoup de choses à apprendre mais je préfère ne pas vous cacher que votre Don est particulièrement rare, voire quasiment disparu. Vous êtes la première femme que je rencontre à avoir ce Don. Bien sûr il y a toujours ces histoires sur des Guérisseurs à droite et à gauche mais ils avaient appris à se servir de la magie pour soigner. Aucun d’eux ne pouvait le faire de façon innée comme vous. Pas même les fameuses Guérisseuses de Rabougnal. Votre Don est unique. Prenez en soin.

-       Je ne sais que dire, Archimage.

-       Ne dites rien, alors et commencez à étudier. » conclut-il en se détournant.

Dématris se mit donc à lire les livres volumineux posés devant elle. Cet exercice était fatiguant pour elle qui avait appris à lire auprès de Belenor. En effet, ayant passé près de seize années dans les souterrains et les ténèbres, elle ne savait plus lire et le Prince dû le lui réapprendre. Ce fut long et difficile mais elle était attentive et rapidement fut capable de lire par elle-même, par contre, elle ne lisait toujours pas très vite.

Le présent livre était très ancien et la langue utilisée différait de la langue commune par certaines tournures ce qui rendait la compréhension particulièrement ardue. L’auteur y décrivait, assez pompeusement, l’utilisation de son Don basée sur la compréhension préalable de la blessure mais surtout une profonde connaissance du corps humain. Finalement, peut être que Philigan n’avait pas tort, elle devait s’informer auprès d’un médecin. Décidément, la journée n’était pas bonne, Belenor partait, la laissant seule dans le Nord et son Don nécessitait beaucoup de travail pour être correctement maîtrisé.

«  C’est notre lot à tous. » fit une voix derrière elle.

Elle sursauta et comprit qu’elle avait pensé à voix haute. Elle se retourna et vit une femme à la longue chevelure châtain et des yeux couleur noisette. C’était une belle dame avec une jolie robe qui alliait des tons blancs et gris. Elle semblait avoir quelque dix ans de plus que Dématris et son regard pétillait toujours de jeunesse mais aussi d’une certaine sagesse.

Devant son air interdit, la femme s’assit en face d’elle et continua :

«  Vous devez être une el’Korgas, avec votre chevelure d’argent et vos yeux gris.

-       En effet. Cela est-il si caractéristique ?

-       Oui, c’est de famille en quelque sorte, le fils du Président Junos el’Korgas était blond aux yeux d’argent. Junos lui-même l’était et tous ces ancêtres parait-il. La fille, par contre, était d’un blond beaucoup plus doré et aux yeux verts.

-       Je suis Dématris el’Korgas, la petite-fille de Junos. Et vous, qui êtes vous ?

-       Excusez-moi, je me nomme Jeanne Aneim.

-       Vous êtes une Voyageuse, n’est-ce pas ?

-       Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

-       C’est mon comp… mon cousin, le Prince Belenor qui m’a annoncé qu’il partirait avec vous ce soir.

-       Ah, le Prince Belenor. Un charmant jeune homme n’est-ce pas ?

-       Oui…, soupira Dématris.

-       Excusez mon franc parler, mais je suis sure qu’il y a des centaines d’hommes qui vous feront tourner la tête et qui, eux, ne sont pas de votre famille.

-       Vous êtes toute pardonnée et vous avez sûrement raison.

-       Dites-moi, vous savez que je suis une Voyageuse mais vous, quel est votre Don ?

-       Je suis capable de guérir par mon Don. Enfin,

une fois que je saurais l’utiliser, jusque là je ne contrôle rien, il se manifeste par intuition.

-       C’est merveilleux, je côtoie des Mages depuis toute petite et je n’ai jamais vu ni entendu parler de Guérisseur en vie.

-       C’est ce que l’on m’a dit. Ce n’est pas étonnant, cela demande énormément de travail.

-       Vous savez, pour devenir Voyageuse, il m’a fallu près de quinze années d’études. Vous ne pouvez imaginer ma joie lorsque, à vingt-six ans j’ai enfin pu devenir Voyageuse.

-       Quinze ans ? Mais c’est extrêmement lent.

-       J’étais une élève peu attentive et je l’ai payé cher, mes camarades ont étés bien plus rapides que moi. En revanche, normalement, les Mages prennent des élèves assez jeunes, au début de leur adolescence. Vous êtes déjà adulte, c’est étonnant pour quelqu’un d’une famille aussi renommée que la votre que vous n’ayez été identifiée avant. Quoique je ne savais pas que Junos avait des descendants encore vivants – à part le Prince Belenor mais c’est un Acciprides.

-       J’ai vécu dans les ténèbres d’en dessous juste avant que – d’après Belenor – mon père meure à Dollovan.

-       Je vois. Néanmoins, ne vous inquiétez outre mesure, avec beaucoup de travail, vous pourrez devenir Guérisseuse très rapidement.

-       Merci, Voyageuse Aneim.

-       S’il vous plait, appelez-moi Jeanne. »

Elles continuèrent à bavarder, à voix basse à cause des étudiants qui, même s’ils étaient très peu, leur jetaient des regards noirs dès qu’ils entendaient un bout de leur conversation. Le temps passa sans que ni l’une ni l’autre ne remarquent la course déclinante de l’astre du jour. Ce fut Andreï qui, l’air soucieux, les interrompit.

«  Voyageuse Aneim, l’Archimage Kerneli m’envoie vous chercher, il semble que l’heure du départ soit arrivée.

-       Très bien, Andreï, je viens, répondit Jeanne.

-       Je vous suis moi aussi, déclara Dématris.

-       Faites comme bon vous semblera. » répliqua Andreï qui semblait ne pas s’intéresser à elle. Ses leçons avec Kerneli avaient dû l’épuiser, il était aimable en temps normal.

Elles emboitèrent le pas de l’adolescent de quinze ans qui les emmena dans un petit jardin adjacent au Mont et où les attendaient déjà Kerneli, Belenor ainsi que les soldats Phil Histey et Klaus Résys. Dématris lança un regard noir au Prince qui déjà prêt à partir n’était pas venu la voir avant. Il s’approcha d’elle et l’éloigna des autres pour qu’ils n’entendent pas à leurs adieux.

«  Je sais ce que tu penses, commença-t-il. J’ai toujours eu l’intention de te voir avant de partir mais Kerneli m’a appris que sa femme était avec toi et je savais que tu la suivrais lorsqu’il enverrait Andreï. J’ai donc juste fait mes adieux à Junos et je t’ai attendu ici.

-       Que puis-je répondre à cela ? Tu trouves toujours les mots pour faire fondre ma colère.

-       Arrête, ne dis plus rien, ne rends pas les choses plus douloureuses qu’elles ne le sont déjà. J’ai là un cadeau, fit-il en lui remettant un petit objet lourd dans sa main, un petit souvenir de moi, pour notre enfant. »

Elle ouvrit les doigts et admira la chevalière d’or que Belenor chérissait tant, avec son faucon parfaitement dessiné.

«  Tu ne peux pas me donner ça, c’est ton insigne, tu es le Faucon d’Argent pas notre enfant.

-       J’en ai le droit, rassure-toi, je suis toujours le Faucon d’Argent, je trouverai bien une autre chevalière pour sceller mes lettres. Celle-ci qui m’a été donnée par mon oncle lorsque j’ai choisi le Faucon, je te la donne librement, tu la présenteras à notre enfant si jamais je n’ai pas l’occasion de le voir.

-       Tu as promis que tu viendras me voir dès que tu pourras !

-       Je le sais bien, mais il y a toujours un risque à la guerre, et…

-       Ne dis pas cela, tu survivras et tu reviendras !

-       Je l’espère bien. L’avenir s’annonce bien sombre pour l’Empire.

-       Qu’ont-ils décidé au Congrès, s’enquit-elle soucieuse.

-       Ils garderont leur neutralité. Je n’ai pas réussi à les convaincre de suivre Ascadon.

-       Ils auraient aussi bien pu se rallier à Moriannor et tu l’as évité.

-       Merci, Dématris, ta bonne humeur va me manquer.

-       Tu vas me manquer en entier, grand imbécile, lui répliqua-t-elle.

Avant qu’il ne puisse répliquer, elle passa ses bras autour de son cou et déposa un baiser sur ses lèvres. Baiser qu’il lui rendit et après un long moment de tendresse, le dernier avec lui pensa tristement Dématris, ils revinrent vers le reste du groupe. Là, tous les autres eurent un petit geste à l’attention de Dématris. Kerneli lui sourit affectueusement, les deux soldats se contentèrent d’un hochement de tête amical, Andreï s’approcha et elle l’embrassa sur la joue, Jeanne enfin l’enlaça et lui promit qu’elle serait une merveilleuse guérisseuse. Elle sentit alors les larmes monter mais se refusa à les laisser couler.

Elle les regarda ensuite se rassembler en cercle autour de Jeanne, tenant les chevaux par la bride. La Voyageuse prit une grande inspiration et une sorte d’ouverture se créa dans l’air lui-même, au-delà s’étendait un grand champ et au loin une ville fortifiée. Rabougnal, très certainement.

Ils passèrent le portail les uns après les autres, déterminés. Aucun ne montra ouvertement qu’il appréhendait la traversée, même si les jambes d’Andreï semblaient trembler et les deux soldats avançaient d’un pas mal assuré. Le dernier à traverser l’ouverture, Belenor la regarda avec des yeux infiniment triste, faisant écho à son propre désespoir.

Puis, le portail disparu, tout simplement. Il cessa d’exister.

Dématris laissa enfin libre cours à sa tristesse et ses larmes coulèrent à flot le long de ses joues alors qu’elle serrait la chevalière de son Prince, de son amour interdit, contre son cœur.

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  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

Scénario :100%

Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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