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28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 17:40

XXIV

Retour au pays

L

es lumières venant de Sipar étaient nombreuses et les contours de la ville se dessinaient dans la nuit noire. La capitale impériale se repeuplait peu à peu, un régiment de l’armée impériale stationnant dans ses murs et protégeant les ressortissants. De leur camp, les soldats de Callaven pouvaient contempler la cité qui avait perdu beaucoup de sa majesté depuis l’attaque de Drastan.

Cela faisait quelques semaines qu’ils voyageaient depuis Rabougnal pour rentrer au pays, et il en faudrait encore une autre pour arriver à destination. La route n’était pas trop éprouvante après ce qu’ils avaient vécu et enduré. Ils avaient la chance que les différents domaines qu’ils traversaient fussent contrôlés par des seigneurs loyaux à l’Empire et il y était peu probable qu’ils y rencontrent des rebelles. Des bandits encore moins, car si les deux parties hésitent encore à s’affronter ouvertement, ils ne font pas preuve de la même compréhension envers toutes les troupes plus ou moins indépendantes. Sans compter les opportunistes qui profitent des troubles pour s’engager dans les rangs de l’un ou l’autre camp.

Ironiquement donc, la route était plus calme en ces temps de trouble qu’en temps de paix. Le calme avant la tempête diraient certains, si seulement ils pouvaient avoir tort. Malheureusement tous sentaient que le conflit ouvert n’allait pas tarder à éclater.

Bien conscient de tout cela, Soldoban finissait de faire le tour des sentinelles du premier quart avant de rejoindre sa tente. Il voulait s’assurer que tout était en ordre, n’ayant pas l’aura d’autorité qu’inspirait le Prince, le capitaine Aronberg ne souhaitait pas pour autant que le laxisme s’installe.

«  Toujours aussi strict, hein, Soldoban, lui dit Imladas qui l’avait rejoint. Ne t’en fais pas, cette nuit ne sera pas pire que la précédente ni meilleure que celle qui suivra. C’est juste une nuit.

-       Je préfère ne pas relâcher mon attention.

-       Pourquoi postons-nous des sentinelles alors ? Si tu restes toute la nuit éveillé, tu ne seras plus en mesure d’assurer tes fonctions demain.

-       Tu as sûrement raison.

-       Viens plutôt avec nous prês du feu. » fit le grand capitane Sandorn en entourant les épaules de son ami de son bras.

Ainsi prisonnier, Soldoban n’avait pas le choix et il se retrouva autour d’un feu en compagnie d’Imladas et de Tibérion. Peu auraient cru que ces deux jeunes hommes aujourd’hui inséparables étaient en fait issu de deux familles en froid depuis plusieurs générations.

«  J’y pense à l’instant, fit justement remarquer Soldoban, comment allez-vous gérer votre retour dans vos familles qui s’aiment tant l’une et l’autre ?

-       Je pense qu’il n’y aura pas trop de problèmes, répondit Tibérion. Nos pères se détestent plus par principe que par conviction, je suis convaincu que nous pouvons leur faire ouvrir les yeux.

-       Bizarrement, je pense que mon père sera plus difficile à convaincre, intervint Imladas.

-       Pourquoi cela ? demanda Soldoban. Il paraît beaucoup plus accessible que le Marquis de Bregorgne.

-       Oh, sans aucun doute, mais je pense que son ressentiment envers la famille de Bregorgne est plus profond qu’on pourrait le croire. Enfin, c’est mon avis. Dans le pire des cas, je le menacerai d’épouser une des sœurs de Tibérion.

-       Pardon ? s’étrangla ce dernier avec sa bière. Je t’interdis de t’approcher de mes sœurs !

-       Pas d’inquiétude ! le rassura Imladas en étouffant un éclat de rire. Contrairement à vous deux, je ne veux pas me marier dans l’heure. Le célibat est beaucoup plus… vivant.

-       Qui parle de mariage ? protesta Tibérion. Je ne me vois pas encore me marier avec Ællena, même si…

-       Moi, je parle de mariage, le coupa Soldoban.

-       Ah oui ? Grande nouvelle ! Comment comptes-tu aborder le sujet avec ton père ? lui demanda Tibérion. Al’Ivna n’est pas vraiment de haute naissance dirons-nous.

-       Non, avoua-t-il, c’est vrai. Mon père est également "sorti de nulle part" – ce sont ses dires – avant d’épouser ma mère.

-       Tu perpétues la tradition, en somme, ironisa Imladas.

-       Si on veut, oui, continua Soldoban. J’aurai quelques questions à poser à mon père en rentrant.

-       Comme quoi ? lui demanda Tibérion.

-       Par exemple, pourquoi plus le temps passe et plus je ressemble à un elfe alors que mes parents sont humains ?

-       Peut être que tu es un enfant elfe adopté, trouvé dans les bois ! Après tout, le domaine de ta famille (jusqu’à preuve du contraire) borde la frontière de Callaven avec la colonie elfe…

-       Plus sérieusement, le coupa Tibérion, Al’Ivna est-elle au courant ? A-t-elle dit oui ?

-       Non, je ne le lui ai pas encore demandé. Nous n’avons pas encore abordé le sujet mais je suis presque sûr qu’Al’Ivna dira oui.

-       Qu’est-ce que je suis censé accepter ? » demanda l’intéressée qui sorti de l’obscurité.

L’apparition subite de l’elfe prit les trois capitaines au dépourvu car aucun d’eux ne l’avait entendue approcher. Il était connu que les elfes aient le pied leste mais en faire l’expérience lorsque l’on s’y attendait le moins était toujours déroutant.

Si, pour Soldoban, la surprise eut pour effet de réveiller ses reflexes guerriers, en se levant brusquement, la main sur la garde de son épée, les deux autres eurent une réaction toute différente. Tibérion sursauta, tellement qu’il en tomba de la souche sur laquelle il était assis. Quant à Imladas, il eut également un soubresaut mais, à la vue de son vis-à-vis s’affalant sur le sol, il ne put réprimer un éclat de rire qui, avec la bière qu’il avait dans la bouche, se transforma en une projection bruineuse.

L’elfe aussi ne put que s’esclaffer de la petite panique qu’elle avait semée. Néanmoins fidèle au stoïcisme de sa race, elle reprit vite ses esprits.

«  Alors ? Qu’est-ce que tu me caches ? demanda Al’Ivna à son compagnon.

-       Rien du tout, ma chère, se défendit celui-ci.

-       J’en doute fort.

-       Rien d’essentiel, je te l’assure.

-       Bon, eh bien moi, je ne veux pas m’immiscer dans vos problèmes de couple, intervint Imladas. Je vais me coucher.

-       Je te suis. » ajouta Tibérion.

Les deux capitaines s’éloignèrent, laissant le couple seul près du feu de camp. Ils rejoignirent la tente qu’ils partageaient tous les deux. Lorsqu’ils partirent de Callaven, un an auparavant, les capitaines utilisaient trois tentes : Soldoban et Tibérion dans la première, Fildar et Imladas dans la deuxième et le Prince Belenor, seul, dans la dernière. Cette répartition avait été décidée pour éviter de laisser dormir les capitaines Bregorgne et Sandorn qui ne s’aimaient pas beaucoup. Néanmoins, les choses changèrent et, lorsqu’ils sortirent des Bois Cendrés, Tibérion laissa sa place à Al’Ivna et rejoignit Fildar et Imladas. Désormais, avec la disparition du capitaine Korventen ils se retrouvaient seuls à partager la tente mais cela ne les gênait plus le moins du monde.

Ils se couchèrent donc, rapidement, les journées étant longues et les nuits trop courtes pour être gâchées. Néanmoins, Tibérion avait du mal à trouver le sommeil et, au bout d’un moment, il chuchota à son voisin :

«  Tu penses que Soldoban va nous en vouloir de l’avoir abandonné avec Al’Ivna ?

-       Ah ah, s’esclaffa Imladas, peut être que oui. Pourtant si rester seul avec sa future femme l’embarrasse, ça promet pour leur vie de couple.

-       Tu as sûrement raison. Je me demande néanmoins s’il  lui a fait sa demande lorsqu’on est partis.

-       Je ne pense pas, non. Il a beau être renfermé, je pense qu’il fera sa demande de façon très romantique. Il doit prévoir quelque chose de spécial, pour être sûr qu’elle soit tellement sous le charme qu’elle ne puisse refuser.

-       Par contre, je parierai bien qu’il se marie le Jour du Roi. Le Royaume en fête, c’est le moment idéal.

-       Certainement ! Même si c’est très commun de se marier ce jour-là, je pense que notre ami n’y échappera pas. »

Le silence se prolongeant, les deux hommes furent happés par le sommeil. A l’extérieur de la tente, n’entendant plus de discussion, Al’Ivna s’éloigna en faisant bien attention à ne pas se faire remarquer.

Elle avait suivi la discussion des deux capitaines depuis le début. En effet, sa conversation avec son compagnon ne menant à rien, Al’Ivna avait feint la fatigue et Soldoban et elle s’étaient couchés dans leur tente. Son compagnon s’était endormi rapidement mais elle n’avait pas sommeil et décida de sortir prendre l’air en faisant un tour du camp. Heureusement pour elle, Soldoban était profondément assoupi et il ne l’entendit pas sortir. Il avait peut être l’apparence d’un elfe mais il n’en avait pas encore les sens.

Ainsi, elle s’éloigna du camp – éviter les sentinelles était au final très aisé pour une elfe comme elle –, suffisamment pour ne plus être vue ou entendue. Ayant besoin de réfléchir, elle s’assit dans l’herbe, face aux lumières lointaines de la capitale.

L’idée de se marier avec Soldoban était séduisante, elle l’aimait sincèrement. Pourtant, il était beaucoup plus jeune qu’elle. Du haut de ses deux cent cinquante ans – ce qui restait très jeune pour une elfe –, Al’Ivna, aurait dû se trouver un compagnon depuis longtemps mais, à Vessala, les Elfes n’était pas nombreux et, comme elle fut, jusqu’à ce qu’elle suive les hommes de Callaven, une des Gardiennes du Secret – les protecteurs de Vessala – elle n’avait pas beaucoup voyagé en dehors des Bois Cendrés ni côtoyé beaucoup de personnes de sa race.

Elle devait prendre le temps de poser le pour et le contre de cette proposition de mariage. Mis à part l’âge, elle n’avait que peu de réels arguments à opposer. Al’Ivna n’avait jamais connu ses parents et avait élevée par le Seigneur Siougrev à Vessala. Jusqu’à sa rencontre avec le Prince Belenor et ses compagnons, elle n’avait jamais pensé quitter les Bois. Finalement sa vie était avec Soldoban, elle avait tellement appris sur le monde pendant ces quelques mois avec lui. La décision n’appartenait qu’à elle seule et malgré toutes ses certitudes sur l’amour mutuel qu’ils se vouaient, la jeune elfe doutait.

Al’Ivna resta ainsi, assise dans l’herbe, durant cette fraîche nuit de printemps. Elle laissa son regard se perdre dans la contemplation de Sipar et ses lumières qui, bien que la nuit soit bien avancée, se détachaient encore de l’obscurité. Elle saurait dire combien de temps passa alors qu’elle était dans cette position, perdue dans ses pensées. La jeune elfe était si profondément ancrée dans sa torpeur qu’elle ne remarqua pas les froissements de l’herbe alors que quelqu’un s’approchait d’elle.

Ce fut le bruit d’une torche plantée dans le sol qui l’arracha à sa réflexion. Elle rouvrit les yeux, découvrant Soldoban, débout, qui se tenait à côté du flambeau. Il observait calmement l’horizon. Al’Ivna se releva et son compagnon se retourna, la lumière de la torche se réfléchissant dans ses yeux bleus. Ajouté à cela, Son visage était fermé comme s’il allait lui reprocher de s’être éclipsée ce qui lui donnait un air un peu terrifiant.

«  Soldoban, je suis désolée, je peux tout expliquer.

-       C’est parfait, répliqua-t-il en laissant son regard se balader tout autour d’eux.

-       Parfait pour quoi ? De quoi parles-tu ? »

Les yeux de Soldoban se fixèrent dans les siens, il n’y avait aucune trace de colère. Au contraire, il semblait paisible. Le jeune mit alors un genou en terre, Al’Ivna s’alarma :

«  Qu’y a-t-il, Soldoban ? As-tu mal quelque part ?

-       Pas du tout, calme-toi. Je souhaite seulement te poser une question.

-       Pourquoi est-ce que tu… ? Par l’Eternel ! s’exclama-t-elle lorsqu’elle comprit. Soldoban !

-       Laisse moi parler veux-tu ?

-       Oui, excuse-moi.

-       Al’Ivna, veux-tu m’épouser ? demanda-t-il en sortant une bague en argent sertie d’un diamant de sa poche.

-       Oui ! » répondit sans hésiter la jeune elfe en sentant des larmes de bonheur couler sur ses joues.

Un grand sourire s’afficha sur le visage de son désormais fiancé. Il se releva, lui passa la bague à l’annulaire de la main gauche. Puis il la serra dans ses bras.

Finalement, toutes ses interrogations et ses doutes s’étaient dissipés d’eux-mêmes lorsque son compagnon avait plongé son regard dans le sien. Elle n’avait trouvé que l’affirmative pour  répondre à la question tant redoutée.

*

* *

Une semaine plus tard, la centaine d’hommes de Callaven atteint enfin la frontière de l’Empire avec leur pays. Tibérion était heureux de rentrer, pas que le voyage ait été dur, loin de là mais en ces temps troublés pour l’Empire, le Royaume de Callaven lui paraissait être un havre de paix.

Ces derniers jours de voyage étaient passés rapidement et sans encombre, il y avait toujours quelques soldats grognons mais pour l’essentiel, le moral était au beau fixe et puis, Soldoban semblait enfin sourire naturellement, après qu’il ait demandé Al’Ivna en mariage et qui avait accepté.

Le poste frontière n’était plus très loin. Lorsqu’ils étaient sortis du Royaume, celui-ci avait été attaqué, les gardes assassinés sans que les hommes du Prince Belenor puissent définir l’origine de l’attaque. Cette fois-ci, il y avait des douaniers en poste et le drapeau bleu à l’aigle d’or de Callaven flottait haut au-dessus du petit complexe défensif.

Cependant, en s’approchant, ils découvrirent que les gardes-frontière ne portaient pas tous l’uniforme de l’armée de Callaven. La plupart d’entre eux abhorraient un tabard jaune avec un ours noir brodé dessus, l’emblème de la Maison Korventen.

Les trois capitaines firent arrêter la troupe et quittèrent la colonne pour rencontrer l’officier en poste. A la vue de leur bannière aux couleurs royales, l’Aigle d’Or sur champ azur, les visages des gardes s’illuminèrent. Acclamés par ceux-ci, les capitaines demandèrent à voir l’officier en charge.

Il ne fallut pas longtemps avant qu’un homme à la barbe noire hirsute sortit pour les rencontrer. Il portait comme emblème une tour noire sur un champ vert sur son bouclier. Pourtant, l’Ours Noir cousu sur sa cape jaune le désignait également comme un homme du Baron Korventen.

«  Bienvenue, les accueillit-il, je suis le Baron Brivel Rovan, colonel de l’Armée de Callaven et officier en charge de ce poste frontière. Vous devez être l’ambassade de Sipar, menée par le commandant et Prince-Héritier Belenor Acciprides.

-       Seigneur, vous devinez juste, répondit Soldoban. Je suis le Capitaine Soldoban Aronberg et voici les capitaines Tibérion Bregorgne et Imladas Sandorn. Notre mission d’ambassade est accomplie et nous rentrons à Callaven.

-       J’aimerai rencontrer le Prince Belenor avant de vous laisser passer. Est-il resté auprès de vos hommes ?

-       J’ai bien peur, Seigneur, qu’il vous soit impossible de le rencontrer. Le Prince ne voyage plus avec nous, ses responsabilités l’ont appelé ailleurs.

-       Voilà qui est bien dommage. Le capitaine Fildar Korventen est-il resté avec le Prince ? Je ne le vois pas non plus. J’aurai aimé saluer le fils de mon suzerain.

-       Hélas non, confirma Soldoban. Il ne fait plus partie de cette ambassade lui non plus. »

Après quelques secondes de silence, ce dernier reprit :

«  Pardonnez mon audace, Seigneur, mais depuis quand le Baron Wilbur Korventen a-t-il des vassaux ?

-       Je comprends votre trouble. Après votre départ de nombreuses choses ont changées dans le Royaume. L’Archiduc Morwind Acciprides a été exilé, la fonction de Premier Conseiller du Roi a échu tout d’abord au Maréchal Dalger qui, sentant la charge trop lourde pour lui demanda l’appui d’un des Pairs du Royaume. Ce fut le Baron Wilbur Korventen qui obtint l’honneur de servir comme Premier Conseiller avec le Maréchal. Nous parlons maintenant des Grands Conseillers de la Couronne pour les désigner. Puis, Wilbur Korventen fut fait Marquis et Défenseur du Nord par le Roi Ingald. Ainsi, plusieurs Barons, moi inclus, dont les fiefs bordent la frontière avec l’Empire, sommes devenus vassaux de la Maison Korventen.

-       Une fulgurante ascension, commenta Tibérion pour lui-même mais le regard que lui glissa Imladas signifiait qu’il avait entendu.

-       Merci pour ces informations, Seigneur Rovan.

-       Je ne vous retiens pas plus longtemps, capitaines. Vous pouvez passer. Bienvenue au Royaume de Callaven, bienvenue chez vous. »

*

* *

Quelques jours plus tard, la compagnie entrait dans Callaven. La capitale et ses murs de granit gris paraissaient bien ternes en ce début de printemps, par rapport à la ville joyeuse lors de leur départ, l’été dernier. La route pavée n’était plus couverte des bouquets de fleurs qu’avait lancés la foule lors qu’ils partaient pour Sipar. Cette fois-ci, tout le monde vaquait à ses occupations. Ici, un boucher vantait la qualité de sa viande, là une femme balayait la devanture de son commerce. Tout ceci faisait un boucan monstre pour n’y était pas habitué et le fait d’avoir tant voyagé les avaient sevrés de toute cette pagaille, aussi Tibérion avançait en grimaçant et, remarqua-t-il, ses compagnons faisaient de même.

Personne ne semblait se soucier de la colonne de soldats qui remontaient l’avenue royale vers le Palais. Très vite, ils furent à l’entrée de la ville haute, ceinte par un second mur ponctué de corps de garde. Les gardes avaient, eux, été mis au courant de leur venue aussi ils n’entravèrent pas leur progression. Plus propre et moins bruyante, la ville haute était, de loin plus agréable. C’était là que logeaient les nobles ainsi que les riches marchands.

Les bâtisses les plus spacieuses et les plus proches du Palais Royal étaient appartenaient aux familles des Paris du Royaume, à savoir les Aronberg, Bregorgne, Korventen et Sandorn. Les capitaines furent d’ailleurs surpris de voir les bannières de ceux-ci flotter, signifiant que leurs pères étaient présents dans la ville. Ils s’attendaient naturellement à ce que la bannière jaune à l’ours noir des Korventen soit levée, le Grand Conseiller Morwind ne devant pas s’éloigner souvent de la capitale. Ainsi flottaient la licorne blanche sur champ de gueules, au chef d’hermines blanches sur champ d’azur, emblème de la maison Bregorgne, du taureau noir sur un champ tranché au premier de gueules et au second jaune, emblème des Sandorn, ainsi que l’épée et la flèche croisés surplombant un chêne blanc sur un champ parti au premier d’azur et au second vert, l’emblème de la maison Aronberg. Ces bannières étaient inattendues et les capitaines auraient à se confronter à leurs pères respectifs plus tôt que ce qu’ils escomptaient.

L’esplanade du Palais s’étendait devant eux lorsqu’ils furent accueillis par une petite troupe de soldats. A leur tête, le Chevalier Godefroy Delaroche, un grand homme dans la fleur de l’âge avec les cheveux qui commençaient à peine à grisonner, le Commandant de la Garde Royale, dans son armure frappée de l’aigle d’or, leur déclara :

«  Messires, j’espère que vous avez fait bon voyage. Bienvenue à Callaven, Sa Majesté souhaite vous voir. Vos pères étant présents, une session extraordinaire du Conseil Royal va se tenir pour votre retour. Elle doit commencer le plus tôt possible.

-       Si c’est ce que Sa Majesté ordonne, alors nous vous suivons, répondit Soldoban en mettant pied à terre.

-       Parfait. » conclut le Chevalier en tournant les talons, les invitant à lui emboîter le pas.

Il les conduisit jusqu’à la Salle du Conseil, la même qui avait vu la décision de leur ambassade, avant leur départ. Leurs pères étaient déjà présents assis autour de la table. Le Roi Ingald présidait l’assemblée, à l’autre bout de l’entrée. Comme toujours depuis qu’il avait été nommé Maréchal de Callaven, Dalger se tenait à la gauche du Roi. A sa droite, en lieu et place de l’Archiduc Morwind, son frère, se tenait le Marquis Wilbur Korventen. Ensuite venaient leurs pères, les Comtes Cuthbert Aronberg, Théodrim Sandorn et Kaurad Bregorgne.

«  Fils de Callaven, commença le Roi une fois qu’ils furent tous entrés dans la salle, bienvenue chez vous. Je vous en prie, installez-vous. » 

A ces paroles cérémonielles, les trois capitaines s’inclinèrent très bas devant leur souverain avant de regagner leurs places. Cette fois-ci, ils n’occupaient pas la droite de leurs pères respectifs mais étaient assis face à eux. Ils n’étaient pas convoqués au Conseil en tant que fils de Pairs, aujourd’hui, ils étaient capitaines de l’Armée Royale.

«  Je pense que vous avez de nombreuses choses à nous apprendre, intervint le Marquis Wilbur, des événements tragiques ont eu lieu pendant les mois où vous étiez à l’étranger. Nous avons, bien sûr, été prévenus de la chute de Sipar et des rebellions des Blancs, l’Empire est manifestement en déclin mais nous imaginons que vous avez un point de vue différent du nôtre, ayant vécu ces tragédies de l’intérieur.

-       L’Empire est fort, fit Tibérion. Leur souverain est mort, leur capitale est tombée, de nombreux nobles essaient d’en profiter pour se rebeller, certes, mais s’il y a une chose que nous avons pu apprendre en côtoyant les loyalistes, c’est leur abnégation et leur courage. Karrog était réputée imprenable et les Dakharts invincibles, nous l’avons prise avec un minimum de pertes, Rabougnal était, du temps de l’Empereur, une des provinces les plus enclines à chercher l’autonomie, nous l’avons fait se ranger du côté du Surintendant de Sipar. Nous sommes repassés par la capitale en revenant ici, loin d’être abandonnée, les gens y reviennent, y vivent. Moriannor et Drastan n’ont pas gagné, ils ont réveillé un lion et il est furieux.

-       Merci pour ces précisions, capitaine Bregorgne, dit Dalger de sa voix lente et chevrotante. Plus important encore, vous êtes partis cinq et vous revoilà trois. Où sont le Prince Belenor et Fildar Korventen ? Leur perte serait fâcheuse.

-       Ne vous inquiétez pas, les rassura Imladas, l’héritier du Trône se portait à merveille lorsqu’il nous a quittés.

-       Pourquoi vous a-t-il abandonné ? s’inquiéta néanmoins Ingald.

-       Ce n’était pas la première fois, commença à expliquer Imladas.

-       Comment ose-t-il ? le coupa le Marquis Wilbur. Je vous l’avais dit, ce prince-moine ne sera jamais capable de gouverner, il abandonne sa charge dès qu’il en a l’occasion, mon fils aurait été un choix plus avisé.

-       Il n’empêche qu’il manque à l’appel lui aussi, remarqua froidement le Comte Kaurad. Le capitaine Sandorn n’avait pas terminé. Continuez, je vous prie.

-       Merci, messire. Je disais donc que ce n’était pas la première fois. Après la bataille de Karrog, le Prince est parti en ambassade pour l’Union des Etats Septentrionaux, pour le compte de l’Empire. Il nous a rejoints, quelques mois plus tard à Rabougnal, juste avant de nous quitter à nouveau, pour l’Académie.

-       Mon héritier va devenir Mage ? s’étonna le Roi. Quelle curieuse nouvelle.

-       Il a manifesté un Don d’après l’Archimage Kerneli qui l’accompagnait. Il est parti étudier.

-       Un Roi-mage, pour un prince-moine, c’est une belle ascension. Il en concurrencerait presque notre Défenseur du Nord, ironisa le Comte Théodrim Sandorn.

-       Toujours aussi drôle, Messire Sandorn, répondit l’intéressé avec un regard noir. Je ne vous permet pas.

-       Et vous, vous ne vous permettez que trop, lança le vieux Maréchal. Je vous rappelle que vous n’êtes que Conseiller du Roi, et en aucun cas supérieur aux autres nobles ici présents.

-       Paix, Conseillers, paix, intervint le Roi. Personne ne conteste vos compétences Wilbur. Vous pouvez être fier de votre ascension, depuis que je vous ai rencontré, chevalier errant du Nord. De votre côté, Pairs du Royaume, veuillez excuser la rudesse de messire Korventen. Revenons-en à ce qui nous réunis ici aujourd’hui. Le Prince n’a-t-il rien laissé pour moi ou pour le Conseil ?

-       Justement, intervint enfin Soldoban, voici la missive qu’il m’a confiée.

-       Merci, dit simplement le Roi en la prenant. Nous avons beaucoup parlé de mon neveu et héritier, mais qu’en est-il de Fildar Korventen ? Est-il avec le Prince ?

-       Non, il a été blessé lors de la bataille de Karrog, expliqua le Capitaine Aronberg. Par un Dakhart. Il a néanmoins survécu au poison réputé mortel. Nous voulions lui procurer les meilleurs soins et le Prince l’a envoyé escorté des Capitaines Bregorgne et Sandorn en quête d’un guérisseur car il souffrait de symptômes étranges. Il avait développé une intolérance à la lumière du Soleil et un goût prononcé pour la viande saignante.

-       Et ? le pressa le Marquis Wilbur.

-       Il nous a échappé, avoua Tibérion. Il a montré une bravoure et un courage hors du commun en mettant hors d’état de nuire tout un groupe de Blancs dans une auberge. Ensuite, il s’est envolé, nous l’avons bien rattrapé mais il semblait changé, comme possédé. Il nous a laissé le choix : le laisser partir ou le combattre. Ne pouvant nous résoudre à nous battre contre un compatriote et un ami nous le laissâmes partir. Où est-il en ce moment même ? Nul ne le sait.

-       Mon fils… se lamenta Wilbur. Mon héritier…Disparu ?

-       J’en ai bien peur messire, confirma Imladas.

-       C’est une tragédie pour ma Maison. Mon fils ainé est dans vos geôles, Sire, et mon second et héritier, disparu. De grâce, Votre Majesté, rendez-moi mon fils. Libérez Duncan. Cela fait cinq ans déjà.

-       Et c’est bien peu pour ce qu’il a fait, intervint Dalger. Il a failli déclencher une guerre avec Drastan à lui tout seul. La nouvelle de sa libération ne fera qu’attiser la colère du Seigneur de l’Est.

-       Pour préserver le Royaume quelques semaines, que dis-je, quelques jours supplémentaires, vous serez prêts à sacrifier ma Maison ? Sire, de grâce !

-       De quoi parle-t-il ? demanda Soldoban.

-       Nous avons reçu plusieurs rapports d’éclaireurs, lui répondit son père. Le Pont du Sud de l’Eriol n’est plus défendu et il y a fort à parier que Drastan se prépare à nous attaquer. La guerre est à nos portes.

-       Et ne nous les gardons pas assez ! fit Wilbur. Renforçons les frontières.

-       Encore ? s’indigna Kaurad. Nous avons déjà beaucoup diminué les patrouilles intérieures et bientôt il faudra choisir : nos villes ou nos routes. En renforçant encore l’armée aux frontières, il nous sera obligé de dégarnir les garnisons de nos villes.

-       Qu’attendons-nous ? répliqua Wilbur. Si nous arrêtons Drastan à nos frontières, il n’est nul besoin de défendre nos villes.

-       Le Marquis Korventen marque un point, admit Dalger, de plus le Seigneur de l’Est ne peut pas faire de mouvement d’armée sans être assez vite repéré par nos éclaireurs. Si l’armée défend les frontières de manière efficace, nous aurons non seulement le temps de la rassembler là où Drastan frappera mais en plus, nous pourrons lever le ban et l’envoyer en renfort à temps.

-       Personne n’y voit d’objection ? demanda le Roi et attendit une minute avant de continuer. Alors c’est décidé, la garnison des villes sera réduite et envoyée aux frontières du Royaume. Bien sûr, cela concerne uniquement l’Armée Royale, le ban n’est pas convoqué et les seigneurs n’ont nul besoin d’envoyer leurs hommes d’armes s’ils n’en voient pas l’utilité.

-       Sire, la question de mon fils est restée en suspens.

-       Comme l’avait remarqué Maréchal Dalger, répondit le souverain, la nouvelle de sa libération pourrait mettre le feu aux poudres, aussi il sera placé sous surveillance. Duncan Korventen ne pourra pas sortir de l’enceinte de la ville haute de Callaven et sera tout le temps placé sous escorte, par vos propres hommes Marquis.

-       Votre Majesté est trop bonne, le remercia Wilbur.

-       La séance est levée, déclara Ingald. A nos trois capitaines de retour au pays, bon retour dans vos fiefs familiaux. Vous avez bien mérité une permission. »

Ingald devait être, comme le souhaitait le protocole, le dernier à partir, étant situé le plus loin de la porte. Ce fut le Maréchal Dalger qui sorti en premier de la salle, les nouveaux ordres à donner à l’Armée Royale impliquait qu’il devait se mettre au travail sans plus attendre. Il fut suivit par le Marquis Wilbur qui dû aller voir son fils Duncan pour lui annoncer la nouvelle de sa libération conditionnelle.

Ensuite les autres Pairs suivis de leurs fils respectifs sortirent de la salle. Chacun avait beaucoup à raconter, car les trois capitaines qui étaient revenus avaient bien changé par rapport à ceux qui avaient quitté le Royaume.

Comme à son habitude, Imladas ne tarda pas à faire part à son père Théodrim des différentes situations cocasses qu’ils avaient vécu et, comme le Comte Sandorn avait le rire facile, tous entendaient ses éclats dans les couloirs du Palais Royal.

Tibérion sentait bien que son père Kaurad grinçait des dents à chaque fois qu’il entendait son rival rire. Lui expliquer comment il en était venu à apprécier ce compagnon d’aventure qu’était Imladas n’allait pas être chose aisée. Il fallait aussi qu’il lui avoue qu’il n’avait nullement l’intention de se marier avec les jeunes filles que son père entendait certainement lui présenter mais qu’il souhaitait épouser une jeune femme de Rabougnal. Aussi pour le moment, Tibérion préféra garder le silence et attendre de revenir à Montmer, le fief familial pour commencer à expliquer tout ceci à son père, en douceur.

Cuthbert Aronberg, se montra très vite curieux des aventures de son fils, et celui-ci avait également quelques questions à lui poser et surtout sa fiancée à lui présenter. Il n’avait pas le choix de reporter cette rencontre, Al’Ivna attendant à la porte du Palais. Bizarrement l’annonce qu’il avait rencontré quelqu’un ne surprit pas le Comte Aronberg, cela lui arracha au contraire un sourire. Une fois face à face, Al’Ivna sembla lui plaire car, tout sourire, Cuthbert la traita comme une princesse selon les coutumes elfes.

Il a dû les apprendre au contact des colons elfes vu la proximité de notre Comté avec la frontière, supposa Soldoban.

Ils partirent le soir même pour Alhorée, la demeure des Aronberg depuis des générations, aux bords de la grande forêt qui marque la frontière avec la colonie elfe.

Ainsi il ne resta que le Roi dans la salle du conseil. Seul avec la missive que lui avait écrite son neveu et héritier. Lorsqu’il avait su que l’ambassade rentrait sans le Prince, il fut extrêmement déçu. Il voulait revoir son héritier, sa seule famille depuis qu’il avait dû exiler Morwind, son frère cadet. Plus que jamais depuis la mort de sa femme et de son fils, Ingald se sentait désespérément seul. Il se souvenait encore de ses discussions avec l’Empereur Mogueras sur la solitude du pouvoir. A l’époque, il avait mis ces divagations sur le fait que le souverain de l’Empire venait d’apprendre sa stérilité, mais aujourd’hui celles-ci se révélaient pleines de sens.

Peut être qu’au final l’Archiduc Morwind avait raison, son état ne lui permettait pas de gouverner correctement, peut être qu’il valait mieux qu’il abdique en faveur de Belenor, plus jeune, plus vigoureux. Ses yeux se posèrent alors sur la missive, elle contenait sûrement des informations que le Prince n’avait pas confiées à ses capitaines et qu’il ne voulait pas ébruiter. Ingald défit alors le cachet de cire représentant un faucon et il se mit à lire.

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  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

Scénario :100%

Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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