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11 mai 2017 4 11 /05 /mai /2017 00:31
XXVI
La Nuit du Prince


Callaven, dans la soirée du Jour du Roi

                                                                                              

Les dernières lueurs du Soleil faisaient encore rougeoyer le ciel alors que trois personnes apparurent dans un champ récemment moissonné à quelques pas seulement des premiers faubourgs de la capitale du Royaume de Callaven.
Sortant du portail qui – de l’autre côté – s’ouvrait sur le bureau de l’Archimage Kerneli à l’Académie, le Prince Belenor courait, l’épée au clair, vers la ville. Il était suivi de l’Archimage et de sa femme, Jeanne qui était à l’origine du portail. Ils étaient bien obligés de suivre le rythme soutenu du Prince qui, depuis son retour de la bibliothèque, un peu plus tôt dans la journée,ne tenait plus en place.
Belenor s’empressait d’autant plus qu’il pouvait voir que des incendies s’étaient déclarés dans la ville. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : il avait raison et son oncle le Roi était en danger. La ville était en ce moment même attaquée par Drastan.
Malgré toutes ses certitudes, il fut surpris de se retrouver devant les portes de la ville closes. Il rengaina son épée et s’adressa aux gardes qui devaient être en poste sur les murs :
« Ouvrez-moi les portes ! » cria-t-il.
Il y eut un moment de silence puis une tête se pencha entre deux créneaux.
« Les portes de la ville sont closes pour la nuit, Monsieur. Personne n’entre, personne ne sort.
Ordre du Marquis Korventen.
- Je suis Belenor Acciprides, Prince Héritier du Royaume et je vous ordonne d’ouvrir cette porte.
- Je ne peux pas prendre la décision seul, d’autant plus que je ne peux confirmer votre identité.
- Allez en parler à votre supérieur !
- Oui, Monseigneur. »
Le garde disparut derrière les murs et ils durent encore attendre un moment avant qu’une
nouvelle tête se présente sur les créneaux.
« Vous affirmer être le Prince Belenor, fit le nouveau venu.
- Major Phil Histey ! Quel plaisir de vous revoir, répondit l’intéressé qui avait reconnu le soldat.
Allez ouvrez moi ces portes !
- Ouvrez les portes, hurla le garde à l’intention de ses collègues en contrebas. Vous savez, ajouta-til pour le Prince, vous êtes un peu en retard pour la cérémonie.
- Quelle cérémonie ?
- Le mariage bien sûr ! Celui de Soldoban Aronberg et de sa fiancée Al’Ivna. Je pensais que vous étiez au courant.
- Malheureusement, non. Dites-moi, que s’est-il passé ? Pourquoi y a-t-il le feu ?
- Je n’en ai aucune idée. Il y a eu deux explosions dans la ville haute, mais aucune information ni aucun ordre ne nous est parvenu. En revanche j’ai cru comprendre que le reste de la garde de la ville est sur les nerfs. Ils trouveront les coupables, ça ne fait aucun doute.
- Qu’en est-il du Palais Royal ?
- Je n’en sais rien, a priori le feu ne s’est pas déclaré là-bas donc le Roi et la Cour devraient être en sécurité.
- Permettez-moi d’en douter.
- Faites comme bon vous semblera, votre Altesse. En revanche, ajouta-t-il en désignant l’épée du Prince, mes ordres sont de sceller toutes les armes qui entrent dans la ville, par mesure de
sécurité. C’est le Jour du Roi après tout.
- Croyez-moi, Major Histey, ne vous ennuyez pas avec cela. J’ai l’intuition que j’aurai besoin de
mon arme cette nuit et la sceller ne ferait que me ralentir. Continuez votre surveillance, Major.
Considérez que personne ne doit entrer ni sortir de la ville jusqu’à nouvel ordre.
- Pour changer, grommela le soldat avant de se tourner vers ses subalternes, fermez les portes ! »
Les rues de Callaven étaient assez animées en cette nuit particulière et les récents incendies qui s’étaient déclarés dans la ville haute ne semblaient pas avoir douché l’enthousiasme des fêtards.
Belenor, Kerneli et Jeanne progressaient rapidement au rythme imposé par le Prince le long de l’une des artères principales de la ville en direction du Palais Royal. Celle-ci était très passagère et de nombreux fêtards se retournèrent sur leur passage.
Ils étaient à mi-chemin des murailles de la Cité Haute lorsqu’une nouvelle explosion retentit non
loin d’eux. Sans concerter quiconque, le Prince se dirigea vers l’origine de l’attentat.
Les portes entre les deux parties de la ville avaient dû être fermées après les premières explosions, ainsi personne ne pouvait passer de l’une à l’autre sans être contrôlé par la garde. Cette nouvelle explosion devait être le fruit d’un autre groupe que celui qui sévissait dans les beaux quartiers. Portant, Belenor ne pouvait le croire, la coïncidence était trop grosse.
Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, une patrouille de gardes en uniforme bleu et or était déjà sur place. Immédiatement, le Prince demanda à voir le chef du groupe. L’un des subalternes conduisit les conduisit alors jusqu’à un homme assez grands dont les longs cheveux auburn dépassait de son casque au niveau de la nuque.
« Major Claus Rhésys ! s’exclama le Prince qui le reconnu immédiatement. Quel plaisir de vous
revoir !
- Un plaisir partagé, Monseigneur, répondit-il en souriant. Comment allez-vous depuis lors ? Avez-vous
eu des nouvelles de votre amie ? »
Il voulait parler de Dématris, étant l’un des rares à connaître la nature réelle de la relation qu’il avait entretenu avec sa cousine germaine pour avoir voyagé avec eux dans les Etats Septentrionaux.
Trop de personnes étaient au courant selon le Prince, car il y avait, en plus du Major, Phil Histey qui les avait également accompagnés, son grand-père, Junos el’Korgas, Andreï de Moganris, l’Archimage Kerneli ainsi que sa femme, Jeanne, très probablement.
« Aucune nouvelle, j’en ai peur, répondit finalement le Prince. Elle va bien, je suppose…
Assurément mieux que les habitants de cette bâtisse, ajouta-t-il en désignant la maison en flammes qui devait avoir été une boutique quelconque. Que pouvez-vous me dire dessus ?
- Peu de choses, Mon Seigneur, c’est, enfin c’était, la boutique d’un certain Guy Salin dit "Guy
l’Archer". Il fabriquait et vendait des flèches d’une très bonne qualité, très apprécié des petites
gens.
- Pas d’activité illicite connue ?
- Aucune. Une rumeur dit qu’il aurait fait de la contrebande lorsqu’il était jeune avant qu’il ne s’installe ici, il y a près de vingt ou trente ans. Il vient de l’Union, dans le Nord, à ce qu’il paraît. Sinon, non, ce n’est pas un hors la loi.
- Le passé d’un homme ne regarde que lui, intervint l’Archimage. Qui, alors, voudrait incendier sa boutique ?
- L’enquête le déterminera, Mes Seigneurs.
- Y-a-t-il eu des victimes ? intervint Jeanne.
- Non, aucune que nous ayons découverte jusque-là. La boutique était fermée pour la semaine, Guy l’Archer étant en déplacement.
- Heureuse coïncidence, remarqua le Prince soupçonneux.
- Réjouis-toi plutôt que des vies aient été épargnées, Belenor, rétorqua Kerneli d’un ton professoral. Nous ne nous sommes pas essoufflés à traverser la ville au pas de course pour cela, mais pour aller voir ton oncle, le Roi. »
Mêlant le geste à la parole, il invita son élève à se détourner de l’incendie pour qu’ils continuent leur progression vers la Cité Haute. A contrecoeur et malgré les questions restées sans réponses, Belenor se laissa entraîner par le mage.
« Vous voulez vous rendre au Palais ? demanda le major Rhésys. Bon courage alors ! Les portes sont closes depuis le coucher du Soleil, comme de coutume pendant le discours du Roi.
- Nous sommes bien au courant des coutumes de Callaven, Major, répliqua l’Archimage, et la garde ne s’opposera pas à l’entrée du Prince. »
Belenor sentait qu’un élément lui échappait. Il était parfaitement possible que les attaques n’aient aucun lien entre elles pourtant il n’en croyait rien.
Pourtant les portes étaient closes et aucun groupe n’aurait pu les passer dans un sens ou dans l’autre. En réfléchissant, le regard du Prince s’attarda sur l’écoulement d’un caniveau qui se déversait dans un égout. Il avait déjà envisagé l’idée que les incendiaires se déplacent sous terre mais cela ne résolvait pas le problème du passage sous le rempart intérieur.
En effet, les deux murs qui séparaient la ville de l’extérieur pour l’un et les quartiers des nobles
des autres pour le second, étaient certes percés en certains points précis pour laisser le passage à l’écoulement des eaux mais ceux-ci étaient défendus par de solides grilles qui empêchaient le passage des hommes. Les faire tomber était peut être possible, mais cela produirait sans aucun doute suffisamment de bruit pour être perçu de l’extérieur.
« Une diversion, comprit le Prince.
- Pardon ? demanda Jeanne et Belenor se rendit compte qu’il avait pensé à voix haute.
- Et si toutes ces attaques n’avaient pour seul but de détourner notre attention ?
- Nous détourner de quoi ? s’impatienta l’Archimage.
- Les égouts, expliqua-t-il, ils veulent faire tomber les grilles et ouvrir un passage jusqu’au Palais. Major, où se trouve l’accès aux souterrains le plus proche ?
- Hum… A vrai dire, vraiment pas loin. A l’angle de rue, là-bas. » fit Klaus Rhésys en désignant la direction de la main.
Une fois devant l’entrée des souterrains, la grille entrouverte avec la serrure forcée montrait clairement qu’ils avaient été utilisés récemment.
« Tu n’imagines tout de même pas que l’on va te suivre dans les égouts, s’indigna Kerneli. Tu n’es même pas sûr de ton raisonnement !
- Rien ne vous oblige à me suivre, répliqua Belenor. Gardez cette entrée de très près, ajouta-t-il à l’intention du Major, faites passer le message : des groupes violents, peut être armés et responsables des troubles de ce soir circulent par les souterrains, aussi soyez vigilants. »
Après avoir recueilli l’acquiescement du soldat, le Prince ouvrit la porte en grand et s’engouffra dans l’escalier qui descendait.
« Il n’a même pas pris de torche. » soupira l’Archimage en en empruntant une à l’un des subalternes de Klaus Rhésys. Puis, suivit de sa femme, ils commencèrent la descente vers les niveaux inférieurs dont l’odeur le répugnait déjà. Le Major attendit de voir la lueur de la torche s’estomper jusqu’à presque disparaître avant de disperser ses hommes suivant les ordres que le Prince lui avait donné.
Au fur et à mesure qu’ils descendaient, les odeurs se firent de plus en plus fortes et désagréables.
N’y prêtant pas trop d’attention, le Prince continua à mener leur progression à bon rythme. L’escalier déboucha sur un des nombreux petits canaux qui se jetaient dans une des artères principales qui sortaient ensuite de la ville. Une fois parvenus à l’égout central, Belenor entreprit de le remonter, vers le rempart intérieur.
Tout au long de cette marche soutenue, les indices qui auraient pu confirmer la thèse soutenue par le jeune homme étaient au mieux très discrets, au pire, inexistants. Ce qui renforçait l’humeur massacrante de l’Archimage d’habitude si calme.
Pourtant, lorsqu’ils se trouvèrent sous les remparts, force était de constater que le Prince avait bel et bien raison. Les solides grilles conçues pour empêcher quiconque de traverser avaient été délogées et gisaient en travers du canal.
« Tu avais vu juste, Belenor, reconnu Kerneli.
- Et maintenant, que fait-on ? s’enquit Jeanne.
- Nous allons sauver mon oncle qui est en grand danger. »
Comme pour appuyer son propos, une nouvelle explosion retentit apparemment située en plein milieu de la Cité Haute, ce qui fit trembler les parois du souterrain. Un léger nuage de poussière venant de l’amont se propagea vers eux rendant l’atmosphère encore plus désagréable. En utilisant une infime parcelle de ses pouvoirs, Kerneli dissipa ce voile et ils reprirent leur progression de plus belle.
Le canal principal semblait infini avec, régulièrement, de petites voies d’eau qui s’y raccordaient par les côtés. Il y avait également quelques petits couloirs qui menaient à des accès à la surface. Il fallait qu’ils continuent à suivre le grand tunnel car celui-ci les mènera directement au Palais Royal qui était le carrefour des canaux principaux et le centre de tout le réseau souterrain.
Ils n’étaient plus très loin du Palais lorsque Belenor remarqua quelque chose d’étrange du coin
de l’oeil. En effet, la lumière de la torche semblait s’être propagée plus aisément dans le petit couloir qu’ils venaient de dépasser. Inquiet, il s’arrêta net et revint sur ses pas, surprenant ses deux compagnons. En apparence le couloir n’avait rien d’anormal mais la torche portait plus loin qu’elle ne le devrait, ce qui donnait une curieuse impression, comme si les ténèbres se concentraient en un endroit précis, au fond du couloir. Puis, soudainement, tout redevint normal, ce qui, en soi, paraissait encore plus étrange.
Intrigué, le Prince s’aventura de quelques pas dans le corridor suspect. Entendant un bruit ressemblant à si méprendre à un râle, il s’arrêta net. Scrutant les ténèbres qui s’étendaient devant lui.
Il alla pour demander à Kerneli de lui passer la torche et ne dû sa survie qu’à son réflexe de
baisser la tête au bon moment. En effet, une lame, apparue depuis le fond du couloir passa juste au-dessus de sa tête. D’un mouvement très fluide, le Prince dégaina son épée pour parer le coup suivant. L’attaquant étant toujours tapi dans l’ombre, Belenor recula d’un pas pour le forcer à se dévoiler. Dans le même temps, l’Archimage s’était approché, la torche toujours en main, dans une posture qui laisser penser à l’oeil aguerri qu’il tenait son pouvoir prêt à frapper. Ils attendaient le prochain coup pour le piéger mais celui-ci tardait à venir à la place une voix d’homme s’exclama :
« Prince Belenor ? Est-ce bien vous ?
- Montrez-vous. » ordonna en réponse l’intéressé.
L’homme s’avança, la garde baissée en signe d’apaisement. Il était vêtu intégralement de noir de la cape aux bottes. Il rejeta le capuchon qui lui couvrait la tête pour découvrir son visage. Belenor ne le reconnu pas de suite, il avait les yeux pourpres, couleur des plus inhabituelles pour un humain et la peau extrêmement pâle. Ses traits étaient fins, sans aucune imperfection.
« Fildar ! le reconnu enfin le Prince. Cela faisait si longtemps. Je te présente l’Archimage Kerneli Aniem et sa femme, Jeanne, une Voyageuse.
- Je crains que nous n’ayons pas le temps pour des retrouvailles en bonne et due forme, mon ami. Je répondrai à toutes les questions, si nous survivons aux terribles événements de cette nuit. J’imagine que vous en savez aussi long que moi vu que vous vous promenez également dans les égouts.
- Seulement ce que le Prince veut bien partager avec nous, fit Jeanne ironiquement.
- Trêve de bavardages, arbitra Kerneli. Hâtons-nous d’atteindre le Palais ! »
Malgré les questions sans réponse qui demeuraient dans la tête du Prince, il ouvrit la marche, remontant les souterrains jusqu’au centre de la ville et le Palais Royal. Comme Fildar le disait, ils auraient tout le temps de se raconter leurs aventures après avoir empêché le piège de se refermer sur le Roi, s’ils y survivaient.

                                                                                              

La dernière attaque contre la résidence des Korventen avait définitivement douché l’enthousiasme de tous les invités du mariage. Désormais rentrés dans le Palais, la plupart restaient en petits groupes à discuter à voix basse. L’ambiance n’avait rien à voir avec le début, fort joyeux, de la journée.
De plus de nombreux gardes étaient présents, visiblement sur les nerfs guettant tout mouvement suspect. Tibérion s’attrista de ne reconnaître aucun d’eux, ceux qu’il connaissait étant partis maintenir l’ordre à l’extérieur du Palais.
Le jeune homme se désolait pour le couple à qui cette journée était dédiée. Le souvenir de leur mariage serait forcément amer. Il y avait pourtant eu de nombreuses occasions de se réjouir. La cérémonie avait été somptueuse et les engagements qu’Al’Ivna et Soldoban s’étaient échangés avaient ému toute l’assemblée par leur sincérité.
Puis il y avait eu le repas et les réjouissances de l’après-midi. Là encore, ce fut d’un oeil amusé qu’il avait pu observer le couple nouvellement uni porter un toast vibrant à l’aventure qu’ils avaient vécu ensemble, tout en louant avec un peu d’exagération les qualités de leurs compagnons qu’ils soient présents ou non.
L’absence du Prince Belenor les affectait tous mais il était censé être en sécurité à l’Académie et ce n’était rien comparé à la peine qu’ils ressentaient face à la disparition sans nouvelles de Fildar.
De nombreuses familles s’étaient d’ailleurs approchées de la table des Korventen pour leur assurer qu’ils partageaient leur peine.
Le père de Tibérion, le Comte Kaurad, qui n’avait jamais beaucoup apprécié cette famille – il
n’appréciait pas grand monde de toute façon – avait même été présenter ses salutations au couple Korventen. Il était resté discuter un long moment avec la Marquise par la suite, une fois que ses obligations aient attiré son mari ailleurs. Celle-ci n’était pas très mondaine et ses apparitions publiques étaient particulièrement rares mais sa grâce naturelle et l’apparente qualité de sa conversation lui avaient assuré une certaine popularité parmi la noblesse.
Tout au long de la journée, Tibérion avait également pu observer le fils ainé de la famille, Duncan, fraichement blanchi de sa peine d’emprisonnement. Etant de quelques années plus jeune, il n’avait pas beaucoup eu l’occasion de le connaître mais sa soeur, Catherine, avait fait partie de son entourage avant, et elle lui en avait dressé le portrait d’un homme fort, sûr de ses convictions, ambitieux, arrogant à l’extrême – ce qui lui avait valu l’hostilité des familles nobles plus anciennes – mais également sympathique et affable s’il on le connaissait bien. Malheureusement, l’homme qui était sorti de prison était bien loin de cette description, il n’arborait plus une confiance en lui et une condescendance déplacées mais faisait plutôt profil bas, regardant la foule s’égaillant devant lui d’un oeil froid et distant comme si la vie avait perdu de sa saveur.
Très peu de personnes étaient venues lui parler et Duncan n’avait pas fait beaucoup d’efforts pour se déplacer vers ses anciens camarades non plus. Tibérion avait cru au départ que c’était volontaire mais il avait pu voir le père et le fils s’échanger des regards froids, indiquant que le Marquis limitait peut être les libertés de son héritier. Duncan était d’ailleurs toujours entouré par deux hommes d’armes portant les couleurs de sa famille – l’ours noir sur champ jaune.
Contrairement à l’usage, ils portaient leurs armes, alors que seuls les gardes du Palais étaient
autorisés à en porter à l’intérieur de la résidence royale. De plus, les deux hommes paraissaient suffisamment forts pour que personne ne veuille les importuner – et donc importuner Duncan.
Tibérion n’avait pas fait que regarder les Korventen, il avait passé la plus grande partie de son temps avec sa propre famille. Sa petite soeur, Argenia, avait été très intimidée au début de la journée, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas assisté à un grand événement tel que celui-ci.
La jeune enfant qui gambadait joyeusement entre les tables des différentes familles avec d’autres camarades du même âge avait bien grandi depuis. La jeune fille était ravissante dans sa robe bleue avec de la dentelle blanche et de légers crevés rouges. C’était non sans humour qu’elle avait choisi cette tenue avec la complicité de sa grande soeur Catherine qui portait l’exact inverse, à savoir une robe de la même coupe mais rouge à crevés bleus. Elles réussissaient à avoir leurs moments de complicité, des fois.
Afin de compléter le tableau, Tibérion portait en majorité la dernière couleur des armes familiales, le blanc. Ainsi il portait une longue veste immaculée doublée de bleu à l’intérieur ainsi qu’un gilet rouge par-dessous.
Cela avait fait sourire Elfrad, l’ancien intendant de Morwind Acciprides, qui logeait chez les Bregorgne depuis que Tibérion et ses soeurs l’avaient accueilli alors qu’il quittait le service du père de Belenor. Il avait d’ailleurs complètement disparu depuis le début de la journée. Le vieil homme était entré à leur suite dans la Cathédrale pour la cérémonie mais personne ne semblait l’avoir vu depuis. Il n’avait cessé de répéter à tous de rester vigilants malgré le faste et la gaité de la journée, ce en quoi les récents incendies lui donnaient raison et pouvaient confirmer les pires rumeurs qui circulaient.
De loin, Tibérion vit son ami, Imladas Sandorn et son frère Vladimir, tous deux impeccables dans leurs costumes aux couleurs familiales rouge, jaune et noir. Il n’avait pas encore eu l’occasion de discuter avec eux, son attention ayant été monopolisée à surveiller sa petite soeur Argenia qui se tenait encore à ses côtés, de moins en moins rassurée.
Il décida d’aller leur parler, après tout, Elfrad les avait mis en garde tout en leur demandant de garder le secret sur pas mal de choses mais Tibérion faisait confiance à son compagnon et voulait avoir son avis sur la situation.
« Quelle magnifique jeune fille se tient à tes côtés, mon ami, s’exclama Imladas en les voyant
s’approcher. Tu as décidemment le don de bien t’entourer.
- Qu’est-ce qu’il veut dire par là ? lui chuchota Argenia à l’oreille.
- Rien de bien important, répondit-il sur le même ton n’ayant pas l’envie de s’embarquer dans l’explication de sa relation avec Ællena qu’il n’avait pas révélé à sa famille. Je t’expliquerai plus tard.
- Et voilà, fit Imladas en s’adressant à son frère, encore des messes basses. Vous, Bregorgne, n’avez vraiment aucun savoir vivre.
- Et les Sandorn toujours autant le sens de la discrétion, répliqua rapidement Tibérion en essayant de baisser d’un ton ne voulant pas que des oreilles indiscrètes se mêlent à la conversation. Voici ma soeur, Argenia. Argenia, je te présente Imladas Sandorn, fils ainé du Comte Théodrim Sandorn, ainsi que son petit frère, Vladimir.
- Enchantée, fit la jeune fille avec son plus beau sourire.
- Quelle magnifique fleur vous avez réussi à faire pousser, sur votre piton rocheux ouvert à tous les vents ! plaisanta Imladas. Dommage que nous nous rencontrions dans des circonstances aussi difficiles, ma chère, d’ailleurs à ce propos, Tibérion j’ai quelques informations qui devraient t’intéresser.
- Moi aussi, bien que celles-ci ne soient plus d’une grande importance, j’en ai peur. Nous avons recueilli l’ancien majordome de l’Archiduc Morwind Acciprides ces derniers mois et il nous a fait part de nouvelles inquiétantes : apparemment l’exil du frère du Roi, bien que justifié, ferait partie d’un complot visant à affaiblir et isoler le Roi. Malheureusement les évènements d’aujourd’hui vont dans ce sens.
- Apparemment les rumeurs vont dans ce sens également. Nous avons reçu la visite de quelqu’un qui nous est très cher, que ces menaces diffuses ont fait revenir. Oui, notre compagnon d’armes Fildar est de retour en ville. Il m’a fait promettre de garder le secret, mais j’ai comme l’impression que nous allons le revoir d’ici peu de temps. »
Tibérion ressenti un profond soulagement. Tous ces mois d’attente, de doute, pendant lesquels il avait repassé les derniers moments passés avec Fildar avant de le laisser partir alors qu’il était visiblement à moitié fou, venant de tuer cinq hors-la-loi dans une auberge.
« Est-il… ? commença Tibérion mais il ne put finir sa phrase.
- Il parait beaucoup plus sain d’esprit que la dernière fois que nous l’avions vu.
- Nous devrions l’annoncer à tous.
- Non, il a été catégorique sur ce point, il ne veut pas que l’on sache son retour, du moins pas
officiellement, il a peur que son frère retourne derrière les barreaux.
- Annonçons-le tout de même à Soldoban et Al’Ivna, cela égaillera un peu leur soirée. »
Imladas hocha la tête et ils partirent trouver les jeunes mariés.
Ils étaient assis à une table en grande conversation avec un homme en armure à la cape verte et blanche. Tibérion ne mit pas longtemps avant de le reconnaître : il s’agissait du Grand-Maître de l’Ordre des Chevaliers Ailés, Istram Vonwulf. Il l’avait déjà aperçu au cours du banquet mais sans mettre de nom sur le visage du chevalier. Pensant qu’il était un simple représentant de son Ordre de passage à Callaven.
En revanche, la présence du Grand-Maître en personne le laissait perplexe. Il était censé être au Grand Conseil de l’Empire qui se tenait à Dunnastell, pas ici.
« Je me réjouis pour vous, déclarait l’homme en armure, un mariage est toujours un bel événement. Même si le monde s’effondrait tout autour de nous, voir de jeunes gens s’unir et se prouver leur amour est un réconfort et redonne espoir.
- Le monde est effectivement en train de changer, remarqua Soldoban d’humeur maussade.
- Je sais que c’est difficile, mais ne laissez pas les événements d’aujourd’hui vous atteindre. Regardez autour de vous, tous ces gens, ils sont terrifiés tout autant que vous. Montrez l’exemple, soyez forts. Ah ! Je vois que votre petite bande est presqu’au complet, remarqua Istram en voyant les quatre nouveaux arrivants. Il ne manque plus que le Prince en personne.
- Et Fildar Korventen. » ajouta Al’Ivna.
La mariée conservait toute sa grâce dans sa robe blanche aux dentelles très travaillées. De tous les avis, l’elfe aux longs cheveux blonds était magnifique. Elle devait savoir qu’elle attirait beaucoup les regards, ainsi elle s’efforçait à continuer à sourire et à paraître heureuse. Comme le disait Istram, si le jeune couple ne le faisait pas, qui le ferait ?
« Permettez-moi de vous contredire, fit le Chevalier à la surprise générale. Votre ami est à Callaven, aujourd’hui. Je l’ai vu ce matin en arrivant. Il a beaucoup changé depuis qu’il a quitté
Karrog.
- Vous plaisantez, j’espère, dit Soldoban. Il ne serait pas venu se présenter officiellement alors que tout le monde s’inquiète pour lui ?
- Il a ses raisons… commença Imladas.
- Et vous étiez au courant ? s’emporta le marié.
- Allons, il n’est réapparu que très récemment et il avait l’air persuadé que quelque chose de grave allait se passer aujourd’hui, expliqua Tibérion. Moi-même je viens tout juste d’en être informé.
- Qu’allons-nous faire, alors ? s’enquit Al’Ivna.
- Préparez-vous à vous battre. » dit fermement Istram alors qu’il regardait l’autre bout de la pièce où un groupe d’hommes venait d’entrer.
Ils étaient assez nombreux, environ une vingtaine et portaient tous de longs manteaux sombres aux capuchons relevés. Tous paraissaient assez grands par rapport au reste des nobles présents dans la pièce, à l’exception des gardes royaux, mais ceux-ci étaient spécialement choisis pour leurs aptitudes physiques et la plupart dépassaient aisément le mètre quatre-vingt.
L’individu de tête semblait plus grand que tous les autres, d’une taille avoisinant les deux mètres et à la silhouette très élancée. Le chef, probablement. Il se déplaçait d’un pas assez gracieux et précis que Tibérion avait déjà vu chez les meilleurs bretteurs du Royaume.
Tout le groupe était entouré de gardes royaux qui l’escortaient. Etaient-ce les fauteurs de troubles ? Godefroy Delaroche, le Commandant de la Garde, s’approcha d’eux, apparemment surpris de cette visite inattendue. Jusque-là, il se tenait auprès du Roi, place à partir de laquelle de nombreux messagers allaient et venaient pour l’informer et qu’il puisse transmettre ses ordres concernant la traque des incendiaires. Qu’il ne soit pas prévenu de l’arrivée du groupe n’était pas bon signe.
« Que faites-vous ici ? demanda le Commandant, la main posée sur le pommeau de son épée, les gardes royaux étant les seuls autorisés à porter des armes à l’intérieur du Palais.
- Je suis venu m’entretenir avec votre Roi, répondit le grand homme avec un accent le désignant clairement comme étranger au Royaume.
- Sa Majesté ne donne pas d’audience aujourd’hui. Gardes, pourquoi avez-vous laissé ces hommes pénétrer dans le Palais ?
- Parce que ce sont mes hommes. » répliqua l’étranger.
Si cette phrase troubla le Commandant, il n’eut pas le temps de le montrer. En effet, d’un geste
parfaitement fluide et extrêmement rapide, son vis-à-vis lui asséna un grand coup de poing en pleine figure, sans que personne ne puisse réagir.
L’attaque brisa le nez du malheureux qui tomba à la renverse, inconscient et le visage complètement ensanglanté. De nombreux invités eurent un mouvement de recul, la vue du  sang fit suffoquer plus d’une dame et certains hommes également.
D’autres montrèrent leurs réflexes de soldats en se levant et cherchant leur arme qu’ils portaient généralement sur eux. Sauf qu’elles n’y étaient pas, les seules armes présentes dans la pièce étaient portées par les gardes royaux et ceux-ci n’esquissèrent pas un mouvement.
L’inconnu leva les bras en l’air en signe d’apaisement pour calmer la foule avant de déclarer :
« Allons, calmons-nous, comme je l’ai dit, je ne souhaite qu’une chose, avoir un entretien privé avec le Roi. Manifestement, je vais être contraint de prendre tout cette salle en otage pour que ma requête soit examinée. »
Accompagnant ses paroles, les gardes royaux, visiblement tous acquis à sa cause se placèrent de façon à bloquer toutes les issues possibles.
« Mais quelle sorte d’homme êtes-vous donc pour prétendre commander à un Roi ? tonna la voix du Marquis Wilbur qui se tenait aux côtés de son suzerain.
- Intéressante question, répondit calmement le grand homme en relevant son capuchon, le fait est que je ne suis pas un homme. Je suis Nikolaï Reihm, Roi des Lycans. »
Les lycans, ces humanoïdes étaient très redoutés, de nombreux contes et légendes les faisaient paraître brutaux, violents et cruels, ce qui leur valait l’antipathie de la plupart des peuples. Victimes de nombreuses guerres punitives et de querelles internes, leur population avait beaucoup diminué depuis la création de l’Empire. Autrefois maîtres d’un vaste territoire, celui-ci avait peu à peu été colonisé par les peuples humains, obligeant les lycans à se faire plus discrets.
Nombre d’entre eux étaient devenus mercenaires, vendant leurs services d’excellents soldats ou assassins au plus offrant. Malgré tout, le fait que l’un d’entre eux se présente comme Roi était une nouveauté.
Le monarque en question était de haute stature, plus que tous ses congénères, il portait les cheveux longs, gris et avait les traits durs, ceux d’un homme qui a passé sa vie sur un champ de bataille. Le plus impressionnant était ses yeux, à l’iris doré, couleur impossible pour un être humain. Il y avait aussi ses oreilles, pointues, recouvertes d’un poil ras et, telles celles d’un loup, situées sur le haut de son crâne. D’autres signes trahissaient sa nature de lycan comme ses sourcils particulièrement fournis ou son teint pâle tirant vers le gris.
Les récits voulaient que les lycans soient capables de se transformer en loup géant. Tibérion n’y avait jamais cru mais en voyant leur Roi et l’impression de puissance qu’il dégageait, il commençait à comprendre d’où venaient ces légendes. L’expression de Nikolaï Reihm semblait calme et mesurée mais dans ses yeux paraissait danser une rage meurtrière contenue.
« Cela faisait bien longtemps, Nikolaï, déclara le Roi Ingald à la surprise générale. Tu as donc réussi ton pari, mon vieil ami. Tu as rassemblé et uni les tiens.
- Oui, je suis désolé d’en arriver à prendre en otage toute cette assemblée mais les circonstances m’y ont obligé. Pourrions-nous discuter en privé ?
- Bien sûr, de toute manière, nous n’avons pas le choix.
- Non, en effet. »
Le Roi de Callaven se leva alors et, accompagné par son homologue lycan, il sortit de la grande salle de réception pour rejoindre une salle attenante vide. Lorsque le Marquis Korventen s’approcha de la même porte en qualité de Grand Conseiller, un regard noir de la part du grand lycan, alors qu’il fermait les panneaux de bois derrière lui, l’obligea à rester dans la salle.
Il fut ensuite doucement repoussé par deux des lycans encore encapuchonnés qui se postèrent de part et d’autre des panneaux en bois. Aucune sortie n’était plus possible, ce que le chef lycan avait promis se réalisait, tous les invités présents étaient maintenant ses otages.
La situation était critique, personne n’était armé et les gardes royaux présents étaient à la solde du Roi Nikolaï. Néanmoins, les lycans n’avaient pas l’air de vouloir du mal et surveillaient
calmement l’assemblée. Parmi les invités, de nombreuses personnes étaient arrivées au même
constat que Tibérion, il ne fallait pas tenter de leur résister tant qu’ils étaient désarmés. La seule solution était d’attendre et d’espérer. Après tout, le Roi des lycans n’avait pas menacé Ingald et peut être qu’il n’attenterait pas à sa vie.
Résigné, le jeune homme s’assit à la table des mariés, encore plus désolé qu’avant pour eux de la tournure de leur journée de mariage. Au final, tous restaient très dignes, il n’était pas difficile pour un noble de feindre de voir que la situation était désespérée et peu à peu les discussions reprirent, bien moins fortes et plus tristes, certes mais elles reprirent tout de même.
Soudain, Al’Ivna, toujours aussi élégante dans sa somptueuse robe de mariée, se leva de leur
table et s’approcha de l’endroit où gisait toujours le Commandant Geoffroy Delaroche, inconscient.
Personne n’avait eu jusque là l’audace d’aller le voir, trop impressionnés par les regards dissuasifs des lycans, mais cela n’était pas suffisant pour faire reculer l’elfe.
Elle avança malgré tout et les lycans ne firent finalement rien pour l’en empêcher. Elle s’agenouilla auprès du soldat tombé et se rendit compte que le coup qu’avait asséné le Roi Nikolaï était beaucoup plus violent qu’ils l’avaient cru. En plus de son nez fracassé, ses deux yeux ainsi qu’un point à la racine du nez avaient été transpercés. Comme par des tiges ou de longues griffes.
Le Commandant ne gisait pas inconscient, il était mort sur le coup, les yeux crevés et le crâne
perforé. Ce fut le premier mort de la nuit.

                                                                                              

Deux gardes royaux étaient postés devant la grande porte à deux battants de la salle de réception.
D’après les couloirs vides qu’ils avaient arpentés depuis leur sortie des souterrains, tout le monde présent dans le Palais devait être rassemblé dans cette salle.
Belenor, Fildar, Kerneli et Jeanne n’avaient croisé que deux personnes depuis qu’ils étaient de
retour à la surface. Face à la défiance du premier, Fildar l’avait assommé d’un coup de coude dans la tête puis ils l’avaient bâillonné et enfermé dans une petite pièce inoccupée. Quant au second, malgré son uniforme royal, ils n’avaient même pas pris la peine de lui poser de questions avant de lui faire perdre connaissance.
Dissimulé avec les autres derrière l’angle d’un mur, Belenor hésitait à agir contre les deux gardes qui leur barrait maintenant la route, donner l’alerte pouvait signifier la mort de beaucoup d’otages retenus dans la salle. De la même façon, attendre ainsi ne servait à rien et faisait le jeu des attaquants.
S’apprêtant à agir, le Prince mobilisait toute son attention pour atteindre son Don malgré le Sceau en forme de collier qu’il portait. Depuis que les mages lui avaient imposé cette restriction, il avait conscience de son pouvoir comme distant mais à la fois très proche et impossible à atteindre sans une intense concentration.
Un coup de Fildar à son épaule le ramena durement à la réalité. Deux personnes approchaient de leur position de l’autre côté du couloir, si c’étaient des gardes, l’effet de surprise allait tomber à l’eau. D’un hochement de tête, Fildar leur fit comprendre qu’il s’occupait surprendre les nouveaux venus et essayer de les mettre hors d’état de nuire. Les autres restèrent en arrière, du moins pour les premières secondes.
Fildar s’approcha de l’angle du mur opposé à celui donnant sur la porte de la salle de réception. Lorsqu’il passa la tête pour un premier examen de ses opposants, il ne put empêcher un sursaut d’incrédulité. Tout désir de combattre l’abandonna et il rejoignit les deux nouveaux venus promptement.
Il s’agissait du vieil intendant des Acciprides, Elfrad, avec une jeune fille vêtue de noir comme une cambrioleuse dans les bras. Si Belenor, n’eut aucun mal à reconnaître le vieil homme, il n’en fut pas moins très surpris de le trouver là. Il avait toujours imaginé qu’il serait parti en exil avec son père l’Archiduc Morwind. En revanche, la jeune femme avait un visage familier mais impossible de mettre un nom dessus, vu l’attention que lui portait Fildar ce devait être une personne qu’il connaissait peut être quelqu’un de sa Maison.
« Sybille ! s’exclama Fildar un peu plus fort qu’un chuchotement. Comment va-t-elle ? » Continuat-il à l’attention d’Elfrad beaucoup plus doucement pour ne pas alerter les gardes.
A l’évocation du prénom de la jeune blessée, Belenor se souvint. Sybille de Rembrunt. Il ne l’avait pas vue depuis des années mais lorsqu’ils étaient plus jeunes, c’était l’une de ses seules amies. Son père et le Duc du Rembrunt passaient alors beaucoup de temps ensemble car l’Archiduc Morwind gérait beaucoup les affaires du Royaume à la place de son frère après la mort de la Reine.
« Nous pouvons parler tranquillement, fit Kerneli à voix haute, je nous ai entouré d’une barrière
contre les oreilles indiscrètes.
- Merci, Archimage, fit Elfrad. Monseigneur Belenor, quelle joie de vous revoir, je n’ai jamais douté de votre retour en ce jour si important. Dame Sybille de Rembrunt s’est fait attaquer par l’un des lycans déguisé en garde du Palais. N’ayez pas d’inquiétude, je lui ai prodigué des soins d’urgence et sa vie n’est pas en danger.
- Des lycans ? Cela explique certaines choses, nota le Prince.
- Vous ne l’aviez pas remarqué ? s’étonna le vieil intendant.
- Nous n’avons pas vraiment eu le temps de nous poser plus de questions et les personnes que nous avons neutralisées n’ont pas eu le temps de nous montrer leurs griffes.
- J’imagine que c’est mieux ainsi. En tous les cas, comme vous l’avez remarqué, ils ont pris le contrôle de la salle de bal avec tous les convives à l’intérieur ainsi que Sa Majesté votre oncle.
- Savez-vous combien ils sont ?
- Je n’ai pas le chiffre exact mais je pense qu’ils ne sont pas assez nombreux pour tenir tout le Palais. Il y a bien quelques patrouilles, bien visibles pour faire bonne figure mais l’essentiel de leurs effectifs se trouve dans la salle. A mon humble avis, ils ne sont pas plus d’une trentaine.
- Trente lycans ? intervint Fildar. Ce sont des combattants redoutables, et solitaires normalement, en réunir tant en un seul endroit tient de l’exploit.
- Peu importe ce qui les a unis, assura Belenor, la vie de nos parents et amis est en jeu. Je pense qu’il y a un traitre dans cette salle mais nous devons d’abord sauver le plus de monde.
- Que pouvons nous contre tant d’opposants ? se désespéra Kerneli. Nous sommes trop peu nombreux même avec mon Don et le tien, Belenor.
- Beaucoup des nobles présents dans cette salle sont également de bons combattants, ils se défendront même sans armes.
- Il y aura des pertes, Belenor, c’est inévitable.
- Vous savez, Archimage, peut être sont-ils en train de massacrer tout le monde dans cette pièce, nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Alors oui, il y a un risque c’est pourquoi il faudra être extrêmement rapides et éliminer leur chef. Vous êtes prêts ?
- Attends, Belenor, nous ne pouvons pas abandonner Sybille ainsi, fit remarquer Fildar.
- Il a raison, je vais rester auprès d’elle, proposa Jeanne. Je suis Voyageuse pas guerrière, je ne vous serai pas d’une grande aide là-bas.
- C’est entendu, accepta Belenor. Elfrad, vous n’êtes pas obligé de venir non plus, vous êtes intendant pas un soldat.
- Pardonnez-moi Monseigneur Belenor, mais j’ai fait le serment à votre père de veiller sur vous et je ne compte pas le décevoir.
- Faites comme bon vous semblera. »
Alors que le mur d’isolation sonore dressé par l’Archimage s’abaissait, tout le groupe fut surpris par le bruit sourd et soudain du tonnerre. Celui-ci fut précédé de très peu par une intense lumière que filtrèrent les hautes fenêtres du couloir dans lequel ils se trouvaient.
Un orage s’était déclenché, assez violent, jugea Belenor en se fiant au bruit des gouttes s’écrasant sur les vitres. Ce temps n’était pas rare à cette époque de l’année, la fin de l’été, où le climat changeait progressivement et était parfois sujet à quelques heurts de la sorte.
Leur surprise passée, le groupe s’apprêta à bouger. Elfrad déposa délicatement Sybille, encore inconsciente sur l’une des banquettes qui se trouvaient là, le long du mur et Jeanne prit place à ses côtés. Ensuite, le vieil homme rejoignit les trois autres qui avaient déjà commencé à avancer vers la porte de la grande salle, toujours surveillée de part et d’autre par les deux gardes.
Belenor était intensément concentré, voulant agir vite, sans que les lycans puissent donner l’alerte. Tenant le maximum de son Don qu’il pouvait à travers le Sceau, il s’apprêta à frapper. Peu à peu, il senti le pouvoir le remplir et avec, sa vision se resserra de plus en plus. C’était l’un des grands défauts de se forcer à passer outre les limites imposées par le Sceau, il était obligé d’amplifier sa colère qu’il avait pris soin d’attiser depuis qu’ils étaient entrés dans les souterrains.
L’utilisation de ses sentiments, en particulier la colère, était une pratique bannie par les instructeurs de l’Académie, menant soi-disant les Mages à la folie.
Si cela était vrai, le seul effet que ressentait Belenor était le rétrécissement de son champ de vision, les côtés de celui-ci se brouillaient au fur et à mesure, les contours des formes se faisaient plus flous, un peu à la manière d’un cavalier lancé au galop qui voyait très bien en face de lui mais perdait peu à peu conscience de sa vision périphérique.
Fort heureusement, cet effet ne durait que le temps que Belenor utilisait son pouvoir et tout revenait à la normale dès qu’il le laissait aller ; et le sentiment de toute puissance disparaissait également.
Lorsqu’ils passèrent l’angle du mur qui allait les rendre visibles pour les deux gardes de la porte, Belenor commença à utiliser son pouvoir et le temps sembla ralentir autour de lui. En regardant à sa gauche, il put voir qu’il dépassait aisément l’Archimage Kerneli dont la course ralentie donnait un effet comique à son long manteau de mage dont les pans semblaient vivants. De même le vieil intendant, qui avait dégainé une dague qu’il cachait vraisemblablement jusque-là cachée sous ses vêtements, était très ralenti et lâché par le Prince.
Esquissant un sourire demi-sourire, Belenor saisi la garde de son épée qui pesait à sa droite et la dégaina. Il voulait neutraliser lui-même le plus possible d’opposants en commençant par les deux qui gardaient l’entrée de la Grande Salle. Ainsi, s’il était le seul à prendre des risques, il assurait aux autres une certaine sécurité. Il savait qu’il ne pouvait pas tout contrôler et que le temps qu’il pouvait tenir en puisant dans son pouvoir était limité mais il comptait faire le maximum.
Il jeta un coup d’oeil à sa droite pour s’assurer que son épée coulissait bien dans son fourreau et fut surpris de ne pas voir Fildar derrière lui alors qu’il continuait à utiliser son Don pour accélérer ses mouvements.
En effet, Cavalier Noir avait déjà dépassé le Prince et, telle une silhouette sombre et floue, il avait déjà atteint les deux lycans qui n’avaient pas encore pris conscience de la présence des quatre intrus. Belenor ne put comprendre le mouvement que fit ensuite Fildar tellement il fut rapide, mais la seconde d’après, les deux gardes étaient à terre, probablement morts et le jeune homme repris une vitesse normale ce qui lui rendit sa forme humaine et dissipa l’ombre et le flou qui l’entouraient.
Le Prince laissa aller son pouvoir et le temps repris son cours. Kerneli et Elfrad s’arrêtèrent, surpris de voir leurs vis-à-vis à terre et les deux jeunes hommes devant.
« Sont-ils… ? commença l’Archimage.
- Morts ? Non, seulement inconscients, bien que blessés, répondit Fildar.
- Pourquoi une telle clémence ? Ils n’auraient pas hésité, remarqua Elfrad.
- Justement, je pense qu’ils auraient évité de tuer. Ne trouvez-vous pas étrange que les attaques se soient passées dans des bâtiments vides alors que la ville reçoit tant de visiteurs aujourd’hui ?
- Peu importe, coupa Belenor. Je vais ouvrir la porte. Tenez-vous prêts et sauvons les otages le plus vite possible. »
Les autres acquiescèrent et se préparèrent à entrer alors que le Prince essayait de canaliser le plus de pouvoir possible malgré le Sceau. Ce dernier devint de plus en plus froid contre sa poitrine alors que son esprit était intensément concentré.
Il saisit les poignées des deux battants de la porte, blanche avec des motifs dorés sculptés sur le bois et ouvrit en grand sur la salle de réception.

                                                                                              

Un silence pesant était tombé sur l’assemblée après que le Roi Ingald et son homologue lycan aient quitté la salle. Les lycans restants surveillaient étroitement chaque porte. Certains regardaient également les convives d’un oeil dur et froid pour dissuader toute tentative désespérée.
Feignant l’ennui, Duncan Korventen semblait contempler l’extérieur et les jardins plongés dans les ténèbres nocturnes à travers les grandes portes vitrées en face de là où il était attablé. En réalité, Duncan restait attentif à tout mouvement suspect qui pouvait déclencher une confrontation. Il ne faisait aucun doute que celle-ci allait éclater tôt ou tard, de nombreuses personnes étaient des nobles d’épée, rompus au combat, qui attendaient juste le bon moment pour reprendre le contrôle de la situation.
Ce fut alors qu’une vive lumière blanche illumina un instant la salle et fut suivie quasi-instantanément d’un énorme grondement. Ne s’y attendant pas, Duncan sursauta sur son siège. L’un des hommes d’armes de son père qui était assis derrière lui ricana. Ils étaient deux et le suivaient en permanence, ce qui avait le don d’insupporter le jeune homme.
« Sa Seigneurie est particulièrement tendue, dirait-on. » chuchota le ricaneur à son collègue.
Duncan se retourna et lui lança un regard noir qui eut pour effet d’effacer le sourire sur son visage. Ne souhaitant pas retenir leurs noms, il les avait surnommés Droit et Sinistre, car si l’un ne réfléchissait pas avant de parler, et allait droit au but, comme à l’instant, l’autre ne montrait jamais aucune émotion et limitait ses dires au strict minimum, à peine souriait-il aux meilleures plaisanteries de Droit, à qui il arrivait de trouver de bons mots.
Petit à petit, le bruit des gouttes de pluie s’écrasant contre les carreaux des vitres emplit la salle.Ce qui put couvrir les chuchotements de quelques tablées qui avaient repris discrètement leurs discussions.
Peu après le début de l’orage, la porte derrière laquelle s’étaient enfermés les deux rois s’entrouvrit et le monarque lycan donna un ordre à la sentinelle qui se tenait là. Ce dernier quitta son poste et se dirigea vers la table royale où il s’arrêta devant le Maréchal Dalger. Le vieux militaire se leva alors et entra dans la salle où l’on avait requis sa présence. La porte se referma et le lycan reprit sa place.
Duncan avait du mal à comprendre ce qu’il se passait. Le Maréchal avait suivi l’ordre sans broncher alors que son meilleur élément, le Commandant Delaroche, gisait encore devant sa tablée.
Le départ du Maréchal laissait virtuellement son père, le Marquis Wilbur Korventen, seul en charge de la salle en tant que Grand Conseiller Royal. Celui-ci était en grande discussion avec son bras droit, le Baron Brivel Rovan, l’ancien bon ami de Duncan. Ils chuchotaient et leurs paroles échappaient à ses oreilles bien qu’ils ne soient pas assis très loin de lui. Leur conversation était d’autant plus couverte que les convives avaient recommencé à parler librement, commentant la sortie du Maréchal, ce qui emplissait la grande salle d’un léger bruit de fond.
Un éclair illumina la pièce d’une intense lumière blanche et le tonnerre suivit juste après, indiquant la proximité de l’impact. Au même moment la grande porte s’ouvrit, ce qui fit taire tout le monde. Quatre hommes s’élancèrent dans l’allée centrale qui séparait les tables. Il ne fallut pas longtemps à Duncan pour reconnaître l’homme de tête, le Prince Belenor, qui, en plus de porter ses couleurs, l’azur et l’argent, avait un air de famille avec son oncle le Roi.
Tout comme lui, de nombreux convives reconnurent le Prince et ce dernier ralentit, se dirigeant vers la table du Roi où étaient tous les Pairs du Royaume mais aussi les lycans arrivés avec leur chef Nikolaï et qui semblaient être aussi ses principaux lieutenants.
Outre le Prince, les identités des trois autres n’étaient pas évidentes. Il y avait un vieil homme, un autre avec un bâton de Mage et le dernier, tout de noir vêtu, ne laissait pas son visage apparaitre sous le capuchon de son manteau.
Belenor avança, la main sur le pommeau de son épée, s’adressa aux lycans d’une voix forte et claire :
« Où est Sa Majesté, le Roi ? »
Il n’y avait plus rien dans le Prince d’aujourd’hui de l’adolescent timide et amoureux des livres qu’avait connu Duncan avant sa captivité. Il se tenait droit et sa voix sûre se voulait autoritaire. Le passage à l’âge adulte en avait fait un homme bien bâti et son éducation, un futur dirigeant.
Ce fut le lycan le plus grand et le plus massif qui lui répondit :
« Votre Roi rencontre le nôtre pendant que nous tenons compagnie aux nobles de sa Cour. Qui êtes-vous pour vous présenter ici armé ? »
La voix du lycan était profonde, rauque et portait si bien que Duncan en eu un frisson doublé d’un mauvais pressentiment.
« Je suis Belenor, fils de Morwind de la Maison Acciprides et Prince-Héritier du Royaume de Callaven. Je vous demande de bien vouloir déposer les armes en attendant la fin de l’entrevue royale. »
Son vis-à-vis partit d’un rire qui glaçait le sang et qui n’augurait rien de bon.
« Vous êtes quatre, en large infériorité numérique, rien ne vous permet de m’ordonner quoi que ce fut. Saisissez-vous d’eux.
- Non ! Rappelle-toi les ordres de Nikolaï, intervint une voix qui s’avéra être celle d’une femme lycan se tenant aux côtés du premier.
- Je me fiche bien de ses ordres, je suis le Vice-Roi ! Saisissez-vous d’eux ! Et toi, Iohanna, si cela t’indispose, prends-toi une chaise et observe. »
Une dizaine de lycans s’approchèrent des quatre intrus, les encerclant. Le Prince Belenor, saisit la garde de son épée et, alors que le Vice-Roi lycan avait un sourire mauvais, il dégaina. Au lieu de déposer son arme, il mit son adversaire en joue.
« Vous auriez dû vous en tenir à vos ordres. » dit-il simplement avant de se précipiter sur le lycan.

                                                                                              

Sûr de lui, Belenor avançait l’épée dressée. Le Sceau qu’il portait l’empêchait de faire appel à tout son pouvoir, ce qui lui aurait permis de se rendre infiniment plus rapide que son adversaire et de le mettre hors de combat prestement. Eliminer ainsi le Vice-Roi accélérerait la reddition des lycans. Faute de mieux, il put puiser un mince filet de puissance qu’il utilisa pour rendre son attaque plus percutante.
Cela ne se passa pas comme il l’exceptait.
Le lycan le regardait avancer avec un rictus mauvais, il attendit l’ultime moment avant de dévier l’arme du Prince en sortant ses longues griffes d’un geste à la rapidité surhumaine. Belenor n’eut pas le temps de se rendre compte que son attaque avait échouée et de se remettre en garde que le Vice-Roi enchaîna avec un coup de pied qui atteignit le jeune homme en plein torse.
Propulsé vers l’arrière, Belenor chuta à terre, glissant sur une flaque de sang qu’il remarqua tout juste. Il reconnut le corps du Capitaine de la Garde Royale étendu au milieu de la mare écarlate. Le Prince ne put s’interroger plus longtemps sur la présence de ce corps que déjà son adversaire lui sautait dessus, les griffes en avant.
Par réflexe, Belenor voulu contrer l’attaque en puisant dans son pouvoir pour créer un bouclier d’air et stopper l’avancée du lycan. Le mince filet de magie qu’il pouvait canaliser n’était pas suffisant et cela l’enragea d’autant plus contre le Sceau qu’il l’entravait. En dernier recours, il essaya de parer le coup avec son épée. La scène se déroulait comme au ralentit, le Vice-Roi se rapprochant inexorablement de lui, encore à terre.
Alors qu’il avait abandonné tout espoir d’esquiver l’attaque, Belenor vit Fildar surgir sur sa gauche et, d’un élan surprenant, percuta et déstabilisa le lycan, utilisant son propre poids pour le faire basculer. Ils furent projetés sur l’une des tables, ce qui surprit grandement les convives qui y était assis et ils s’écartèrent. Prolongeant son mouvement, Fildar atterri avec agilité sur ses deux pieds de l’autre côté de la table, dos aux grandes fenêtres qui donnaient sur les jardins royaux.
Son attaque lui avait fait tomber sa capuche sous laquelle il se dissimulait encore. Son visage apparaissant au grand jour, de nombreuses personnes le reconnurent et les chuchotements fleurirent. Le Marquis de Korventen en particulier se leva, regardant son fils jusque-là porté disparu, bouche bée.
Rapidement, Fildar se remit en garde, s’attendant à ce que le lycan le prenne pour cible. Il fit bien car le Vice-Roi se remit sur ses pieds et s’ébroua. Une fois ses esprits retrouvés, il fixa le jeune homme d’un oeil vengeur et lui fonça dessus.
Fildar avait anticipé l’attaque et plutôt que d’essayer de parer le coup, il saisit un bras de son adversaire, se mit en déséquilibre jusqu’à toucher le sol de son autre main, puis posa un pied contre le torse du lycan et, utilisant la force de celui-ci, il le fit passer par-dessus sa tête, l’envoyant à travers la fenêtre qui se brisa, dans les jardins.
Il suivit ensuite le Vice-Roi à l’extérieur, disparaissant de la vue des convives. Le reste des lycans, d’abord surpris par la tournure des événements se réorganisèrent très vite. Belenor, toujours au sol, Kerneli et Elfrad furent encerclés et sommés de se rendre.
Le Prince se sentait impuissant avec le Sceau qui le coupait de son Don. Il se releva doucement pour que ses opposants ne prennent pas cela pour une agression et chuchota à l’Archimage :
« Il faut que vous m’enleviez ce Sceau, sinon nous sommes condamnés.
- Retiens ta fougue, Prince Belenor, nous ne sommes pas en danger de mort et ton Sceau doit rester en place. De plus il faut l’aval de quatre Archimages du Conseil pour te l’enlever en avance. Dans la majorité des cas, cela n’arrive pas, l’apprenti atteint la maturité nécessaire et le Sceau ne sert plus.
"Il y a donc un moyen de le retirer seul" pensa Belenor.
- Retenez-les un moment si possible, Kerneli.
- Qu’as-tu l’intention de faire ? » s’inquiéta l’Archimage.
Il n’obtint pas de réponse, le Prince avait croisé les bras et regardait fixement devant lui.
Belenor ferma les yeux et se concentra sur le Sceau qui l’empêchait d’avoir accès à son pouvoir. Tel un mur infranchissable mais très légèrement poreux qui le séparait d’un océan de possibles mais n’en laissait filtrer que quelques gouttes.
Le Prince essaya d’en puiser le maximum et de forcer sur les "parois", mais en vain. Même amplifié par la colère, le peu de pouvoir qu’il canalisait était insignifiant. Pire, il sentait qu’il avait accès à moins de perles de magie, comme si le Sceau se défiait de lui et se renforçait s’il luttait. Il refit alors les exercices de préparation à la canalisation qui lui avaient été enseignés à l’Académie. Il fallait faire le vide de toutes ses émotions. Belenor se représenta un immense trou dans lequel il jeta toutes ses peurs, sa colère, son angoisse. Ainsi comblé, le gouffre s’illumina d’une intense lumière qui emplit toute la vision du Prince.
Les gouttes de pouvoir réapparurent en nombre, perlant des "murs" qui l’entouraient, mais ce n’était pas suffisant. Les parois s’étaient ramollies par endroits et il tenta de les briser mais cela ne fit que réabsorber le peu d’énergie qu’il avait acquis.
Ne se laissant pas décourager, il répéta l’opération avec encore plus de pouvoir sous son contrôle. Il frappa une partie particulièrement molle à l’aide de son pouvoir en forme de pointe afin de traverser la paroi. En vain. Le Sceau se réappropria le pouvoir lancé à son encontre.
Après un troisième nouvel échec, désespéré et virtuellement à genoux, Belenor cessa d’essayer et se prit à regarder les gouttes de pouvoir fuiter peu à peu vers lui et la lumière produite par le brasier de ses émotions.
Passif, il contempla le mince pouvoir s’assembler, les parois, s’amollir et la lumière s’intensifier à mesure qu’il alimentait le gouffre de son désespoir afin de ne pas y succomber totalement. Pour la première fois, il réunit assez de pouvoir pour qu’il puisse l’utiliser pour sauver son oncle, du moins le pensait-il. Malheureusement, le Sceau était toujours là, à le narguer. Les parois étaient désormais totalement élastiques sauf en trois points qui étaient restés denses et durs. En en effleurant un à l’aide de son pouvoir, les parois vibrèrent fortement. D’instinct, Belenor s’arma alors de toute la magie à sa disposition et il frappa les trois points du plus fort qu’il put. Il ressentit un immense tremblement et le pouvoir s’écoulait plus facilement à travers les parois qui n’avaient rien absorbé de celui utilisé cette fois-ci. Belenor frappa une autre fois et le ruissèlement se fit plus ample vers lui.
S’armant de toute sa volonté, il attaqua une troisième fois et les parois s’écroulèrent, laissant le flux de puissance s’écouler librement vers lui. Se sentant enfin complet il se laissa envahir par le sentiment de toute-puissance. Contrairement aux autres fois où il avait canalisé plus que de raison, il ne se laissa pas subjugué par ses émotions, le brasier qu’il en avait fait le protégeait.
Il avait vaincu le Sceau, mieux, il l’avait dompté car si le pouvoir devenait incontrôlable il pouvait lâcher les trois points durs et les parois se reformaient, tarissant le dangereux flux.
Le Prince ouvrit enfin les yeux. La situation avait changé, le bouclier d’air que Kerneli avait dressé les protégeait encore mais faiblissait, fissuré par les coups répétés des lycans.

                                                                                              

En passant de l’autre côté de la fenêtre, Fildar ne s’attendait pas à ce que la pluie soit d’une telle intensité. Il ne s’agissait pas d’une de ces chaudes averses d’été mais d’un violent orage qui trempait jusqu’aux os.
A la lueur d’un éclair qui illumina tout autour de lui, Fildar vit qu’il était sur une des vastes terrasses en demi-cercle qui ouvraient sur les jardins. Son adversaire lycan s’était déjà relevé et Fildar dégaina prestement son épée tout en s’armant d’une dague dans la main gauche.
Sans prévenir et d’un bond prodigieux, le lycan se jeta sur lui, ses longues griffes sorties. Le jeune homme réussit à ne pas être trop surpris par cette attaque et croisa ses lames pour contenir le coup. Le choc violent du lycan qui s’abattait de tout son poids sur lui faillit déséquilibra Fildar mais il tint bon et repoussa son adversaire.
Le lycan se remit en position face à lui et réattaqua. Cette fois-ci, le jeune homme voulu esquiver mais, ralenti par sa cape détrempée, son opposant put lui infliger une entaille au bras gauche. Fildar sentit le sang chaud couler sur sa peau, rendant la poignée de sa dague poisseuse et sa prise imprécise.
« Tu es courageux, humain, mais tu n’as aucune chance. » assura le lycan.
Il se tenait à deux pas de Fildar, en garde et paré à frapper une troisième fois.
« Permettez-moi d’en douter, réplique le jeune homme en dégrafant sa cape qui tomba sur le sol et libéra ses mouvements.
- La nuit a toujours été notre élément, continua son adversaire, alors que vous, humains, êtes
diminués sans lumière. »
Le jeune homme remarqua alors que son adversaire se plaçait exprès dans un coin sombre, là où aucune lumière n’était présente, afin qu’il le perde de vue. Fildar avait donc un avantage, le lycan ne pouvait connaître l’étrange affinité qu’il avait développée suite à la guérison de l’Archange Viviane. Il voyait dans les ombres sans difficulté et, tout comme il l’avait senti dans les souterrains avant de croiser Belenor, après sa lourde chute, être entouré de ténèbres l’empêchait de se blesser gravement. Comme s’il absorbait une partie des ombres, il ne ressentait alors presque plus la douleur. D’ailleurs, la blessure à son bras s’était déjà refermée.
Pour autant, il ne savait pas quel était le vrai niveau de son adversaire et tant que ce dernier sous-estimait les capacités de Fildar, il avait une chance de le surprendre et de le battre.
Il se tint le bras gauche, comme s’il essayait de soulager la douleur et le lycan en profita pour l’attaquer, pensant le surprendre en surgissant sur son flanc exposé. D’un geste souple et rapide, Fildar lança sa dague vers l’adversaire et se mit en garde face à lui tenant son épée à deux mains.
Le lycan fut surprit mais évita tout de même le projectile sans difficulté et frappa Fildar rapidement avec chacune de ses mains fermées en poings d’où dépassaient les longues griffes qui étaient tant redoutées par les enfants récalcitrants à aller au lit et à qui les parents leur promettaient la visite d’un terrible lycan qui les punirait.
Fildar para les deux coups et put même porter une attaque qui entailla largement l’avant-bras
droit de son opposant.
Tout s’enchaîna ensuite très vite, les attaques pleuvaient, mettant l’endurance du jeune homme à rude épreuve mais il tint néanmoins bon. Son agressif adversaire n’avait pas l’air de se fatiguer et parait avec une déconcertante facilité les quelques coups que Fildar réussit à placer.
Plusieurs fois, il crut voir une ouverture dans la garde du lycan mais ce dernier se replaçait trop vite pour pouvoir l’exploiter.
Puis, les ouvertures se firent de plus en plus grandes, à mesure que la passe d’arme s’éternisait, la colère et l’empressement ne devaient pas aider vu la rage avec laquelle l’ennemi portait les coups. Lorsqu’il jugea le moment venu, Fildar feinta et porta un coup à la jambe gauche du lycan, là où l’ouverture dans la garde était béante.
Sa lame fut déviée et il reçut un coup dans le ventre, les griffes ennemies traversèrent ses vêtements et ses protections de cuir, déchirèrent sa peau et s’enfoncèrent profondément dans sa chair. Le lycan retira ses griffes de la blessure et d’un mouvement circulaire, y logea un puissant coup de pied.
Le jeune homme ne put encaisser le coup et perdit totalement l’équilibre, il voltigea dans les airs puis retomba quelques pas plus loin dans un des parterres de fleurs des jardins royaux.
Un piège. Il était tombé dans le piège du lycan et il s’était fait avoir. Il n’avait pas bien jugé son adversaire, celui-ci n’avait jamais été en proie à la colère et à l’empressement.
« Impressionnant, pour un humain, entendit-il. Je ne pensais pas avoir un si bon combattant face à moi, je t’ai sous-estimé. »
La voix s’approchait, lentement. Il ne se pressait pas outre mesure car il était convaincu d’avoir gagné. Fildar se concentra, comme il l’avait fait pour soigner ses membres blessés dans le souterrain. S’enveloppant de ténèbres, il sentit la douleur diminuer un peu mais la blessure était trop profonde pour être totalement guérie rapidement.
Découragé, il soupira et regarda le ciel, noir de nuages et la pluie, toujours battante qui inonda son visage. Un éclair zébra la nuit et éclaira un peu le ciel. Fildar y vit comme l’ombre d’un volatile, qui devait être bien téméraire pour voler par ce temps.
La révélation qui suivit le fit se sentir idiot. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Aucun oiseau ne sortait pendant un orage et il ne s’agissait pas d’un oiseau. C’était bien plus gros, comme un Dakhart. Son Dakhart.
Il sentait sa présence dans un coin de sa tête, il avait fini par tellement s’y habituer qu’il n’y faisait plus attention mais il était bien là et il avait senti la détresse de son nouveau maître. Un nouvel éclair illumina la scène, le lycan se tenait à côté de Fildar qui gisait à terre.
« Tu as perdu, humain. » fit-il, catégorique.
Il leva un bras, haut dans le ciel, le poing fermé et les griffes sorties pour lui donner le coup de
grâce.
Le Dakhart n’eut pas le temps de le saisit avec ses crocs mais les griffes de ses pattes inférieures se saisirent de son bras qui émit un craquement sinistre. Le lycan hurla et fut emporté plus loin par le monstre volant qui allait le dévorer.
Fildar lui intima mentalement l’ordre de ne pas le faire mais de le garder prisonnier et se remit péniblement debout, tenant sa plaie au ventre, encore sanguinolente avec sa main gauche. De l’autre, il récupéra son épée qui était tombée non loin et entreprit de marcher, en s’appuyant un peu dessus, vers le Dakhart.
Quand il fut suffisamment près, il ordonna au monstre volant de se retirer, constatant que son adversaire n’était plus du tout en état de se battre. Le bras droit complétement déchiqueté par les griffes du Dakhart, le gauche, plié dans un angle impossible, cassé lors de l’atterrissage.
« Le Dakhart ne vous a pas mordu, lui annonça le jeune homme, vous n’êtes pas empoisonné et vous survivrez.
- Tu n’as pas l’intention de me tuer ? s’étonna le lycan.
- Notre duel est terminé, je ne suis pas un bourreau.
- A quoi bon me laisser en vie ? Je ne suis plus rien maintenant. Un lycan qui ne peut pas se battre est un lycan mort.
- Ça ne sera pas de mon fait.
- Pitié, humain, tue-moi. »
Le regard désespéré du vaincu convainquit Fildar. Puisque c’était sa volonté, ainsi soit-il. Après tout, c’était à cause de lui que les choses avaient dégénéré dans la salle de bal.
Le jeune homme posa la pointe lame de son épée contre le cou du lycan qui reposait sur le dos. Il prit une grande inspiration et, avec la force qui lui restait, il leva son arme bien haut.
Alors qu’il allait abaisser ses bras, un éclair déchira le ciel et s’abattit sur le toit du Palais où il fut réfléchi puis transmis vers Fildar. Le rai de lumière frappa l’épée du jeune homme, l’arrachant de sa poigne et la faisant voler au loin.
Ebloui un bon moment, il finit par retrouver la vue et découvrit qu’en direction de la réflexion de l’éclair, une silhouette lumineuse sauta du toit, se réceptionna dans les jardins sans heurts malgré la hauteur de l’édifice et s’approcha de lui et du lycan vaincu.
Le jeune homme se savait incapable de combattre encore, pourtant il se saisit de deux dagues qu’il portait à la ceinture et tint en joue le nouveau venu d’une main et la lycan de l’autre.
« Laissez-le, ordonna la silhouette lumineuse avec une voix clairement féminine. Laissez-le et je ne vous ferai aucun mal, humain. »
Fildar laissa tomber ses armes. Une fois les dagues à terre, l’aura de lumière qui entourait la femme se dissipa. Le jeune homme put alors découvrir un visage qui semblait très jeune avec de curieux yeux jaunes. Les oreilles triangulaires sur le haut du crâne l’identifiaient clairement comme une lycan. Elle portait un ample manteau noir et long dont la capuche était rabattue. Ouvert, ce dernier laissait apparaître une tenue assez masculine, chemise à jabot et pantalon, d’un blanc immaculé.
« Cornelia, appela le lycan à terre, tu aurais dû le laisser faire.
- Non, répondit-elle catégoriquement. Je vais vous ramener chez nous, Père.
- Et l’orage ? Tu as une mission ici, un ordre royal.
- La tempête a eu lieu, j’ai rempli ma mission. Maintenant je dois vous aider à survivre. »
Cornelia aida son père à se mettre debout et le supporta en passant un de ses bras sous ses épaules. Fildar les regarda s’éloigner dans les profondeurs du jardin royal jusqu’à ce qu’il les perde de vue. Il s’accorda un moment pour souffler un peu et reprendre ses esprits, puis il reporta son attention sur le Palais Royal et la salle de réception qui semblait beaucoup plus calme.

                                                                                              

La situation dans la grande salle s’était tendue. Entre le Prince qui se tenait au milieu de la pièce comme en transe et le Vice-Roi qui avait ordonné que les intrus soient neutralisés avant de se faire éjecter de la pièce par un des compagnons de Belenor qui s’avérait être Fildar.
Depuis les lycans s’étaient fait menaçant et, lorsque le Mage qui accompagnait le Prince leva une sorte de bouclier pour les protéger, leurs opposants s’énervèrent complétement et retournèrent leur frustration sur la foule qu’ils tenaient en otage, punissant très rudement toute action déplacée de la part des convives.
Lorsque la mariée, à la robe blanche tâchée de sang pour avoir été au chevet du capitaine des gardes, tué par le Roi Nikolaï, chuchota quelque chose à son mari et voisin de table, elle fut violemment réprimée d’une gifle administrée par un des lycans.
L’un des convives se leva alors pour protester. Duncan, qui observait la scène depuis sa table, ne le connaissait pas. Vêtu de vert et de blanc, la broderie sur sa veste représentant un Dakhart désignait son porteur comme un Chevalier Ailé. Plusieurs lycans se rapprochèrent de lui pour le remettre à sa place mais il se révéla être incroyablement vif malgré ses cheveux grisonnants.
Le Chevalier évita les coups qu’ils essayaient de lui porter et en rendit certains tant et si bien que l’un de ses agresseurs se retrouva à terre.
A partir de là, tout dégénéra.
De nombreux nobles, malgré qu’ils soient désarmés, se mirent à attaquer les lycans qui se retrouvèrent en infériorité numérique et tirèrent leurs armes au clair ou sortirent les griffes. Certains, cependant, rassemblés autour d’Iohanna, qui s’était opposée au Vice-Roi et ses ordres violents, ne prirent pas parti et se mirent à l’écart.
Toujours assis à sa place, encadré par ses deux gardiens, Duncan ne pouvait qu’observer l’affrontement.
Les lycans, moins nombreux mais armés avaient un net avantage et les blessés dans l’autre camp étaient nombreux. Duncan pressentait que tout cela allait mal se terminer pour les gens de Callaven.
Du coin de l’oeil, il vit son père quitter sa place et entrer dans la salle où était retenu le Roi. Curieusement, il ne fut pas stoppé par les lycans qui gardaient la porte. Personne parmi les témoins n’eut l’air de s’en inquiéter et les autres étaient trop occupés à se battre. Dunan voulait réagir, aller voir ce qu’il se passait ou même aider ses anciens amis à protéger leur famille, mais dès qu’il esquissait un mouvement, la poigne ferme de l’un de ses gardes se posait sur son épaule, le défendant de faire quoique ce soit.
Il restait donc inactif, spectateur impuissant, horrifié par ce qu’il voyait. Les lycans avaient le dessus, indéniablement, et les traits crispés du Mage indiquaient que la protection entourant le Prince allait bientôt disparaître et tout finirait alors.
Soudain, l’air vibra et Duncan ressenti une sorte d’onde de choc le traverser. Il comprit très vite d’où cela provenait et son regard se porta sur Belenor.
Le Prince avait ouvert les yeux et son visage affichait une expression calme, froide et déterminée que Duncan ne lui connaissait pas. Il n’était pas le seul à avoir remarqué le changement du Prince car de nombreuses têtes s’étaient tournées vers lui, même parmi les combattants.
Alors que le Mage qui l’accompagnait s’était presque effondré, épuisé par l’effort fourni,
Belenor leva un bras et toutes les portes vitrées qui donnaient sur l’extérieur s’ouvrirent en grand.
Par l’une d’elles, Duncan aperçut son frère Fildar qui, exténué, essayait péniblement de revenir à l’intérieur. S’il avait gagné son combat contre le Vice-Roi lycan, il avait dû souffrir.
Suite à l’ouverture de tous les accès, le vent s’engouffra violemment dans la pièce. Il semblait entourer Belenor qui le contrôlait. A mesure que les bourrasques se firent plus violentes, Duncan put observer une sorte de sphère d’air qui cernait le Prince qui lévitait légèrement dans les airs.
Les lycans les plus proches, qui jusque-là s’étaient efforcés de faire tomber la protection érigée par le Mage, se précipitèrent sur le Prince. Ce n’était clairement pas une bonne idée, mais ces fiers guerriers ne pouvaient s’empêcher de se mesurer à un nouveau défi.
Belenor les vit, et avec un calme absolu dans le regard, s’en désintéressa alors que les assaillants furent comme soufflés, arrêtés dans leur course et renvoyés vers les quatre coins de la pièce.
Face à cette démonstration de puissance, les autres lycans baissèrent leurs armes et rétractèrent leurs griffes, abandonnant le combat. Tous les yeux de la salle étaient tournés vers lui avec admiration ou crainte.
Alors que le calme revenait doucement et que le Prince avait remis pieds à terre, il tourna brusquement la tête vers la pièce où le Roi s’était retiré, comme s’il avait senti quelque chose se passer.
L’intuition était juste car, soudainement, la porte s’ouvrit et le Marquis Wilbur sortit précipitamment.
« Le Roi ! s’écria-t-il. Il … »
Sa voix s’éteignit mais tous avaient compris et toute la foule se précipita vers la porte pour regarder l’intérieur de la pièce. Les nobles s’écartèrent néanmoins lorsque le Prince s’approcha, le laissant aller au chevet du Roi.
Belenor entra et ferma la porte derrière lui, disparaissant aux yeux de tous. L’atmosphère dans la salle était très tendue, les nobles s’inquiétant pour leur Roi et les lycans, vaincus n’osaient plus rien faire et s’étaient rassemblés dans un autre coin de la Grande Salle.
De sa place, toujours encadré de ses gardiens, Duncan observait la scène tout en s’inquiétant sincèrement pour le Roi, la seule personne qui lui avait rendu régulièrement visite lorsqu’il était enfermé.
Le Marquis Wilbur Korventen s’extirpa discrètement du rassemblement des nobles et se dirigea vers la table où était assis son fils. Le Baron Brivel Rovan remarqua le mouvement et lui emboita le pas. Une fois devant Duncan et ses gardes, le Marquis s’arrêta et fit signe aux deux soldats de le suivre.
Lorsque Duncan esquissa un geste pour se lever également, son père lui jeta un regard noir.
« Non, tu restes ici. Toi, ajouta-t-il en s’adressant à l’homme d’armes à sa droite, garde le.
- Oui, Seigneur.
- Mais, Père… Pourquoi ?
Le Marquis ne daigna pas répondre et se contenta de lui tourner le dos et se dirigea vers la sortie de la Grande Salle. Duncan, résigné s’affala sur son siège. Il ne savait pas comment interpréter le comportement de son père. Peut-être s’agissait-il d’un ordre royal ? Il y avait de nombreuses choses qu’il ne comprenait pas, ou plus, depuis qu’il avait été libéré de sa cellule.
En parcourant la salle des yeux, il put voir que plusieurs invités avaient été blessés, ou pire, et avaient leurs proches à leur chevet. Parmi les visages connus, il remarqua que la famille Bregorgne était autour du patriarche, le Comte Kaurad qui semblait mal en point. Son regard se porta ensuite vers son frère, Fildar qui s’appuyait péniblement au mur, seul.
Lorsque leurs yeux se croisèrent, le cadet sortit une dague qu’il gardait dissimulée dans sa manche et, avec ses dernières forces, la lança vers son aîné.
Il crut pendant un instant à une attaque, la vengeance du petit frère pour toutes les années de tyrannie qu’il lui avait fait subir. La lame se planta dans le bois de la table, juste entre les mains de Duncan. Surpris, il lança un regard incrédule à Fildar qui lui répondit d’un hochement de tête puis ferma les yeux, épuisé.
Duncan compris alors son intention. Il saisit rapidement la dague et, d’un seul geste, assena un coup au garde derrière lui avec le pommeau. Il y mit tout sa force ce qui déstabilisai le soldat, suffisamment pour que le jeune Korventen puisse donner un second coup qui finit de l’assommer.
Ne se souciant plus du regard des autres qui auraient entendu son gardien s’effondrer à terre, le jeune homme prit l’épée de l’évanoui et se dirigea vers la porte que son père avait emprunté sans que personne ne l’en empêcha.
Parmi ceux qui s’étaient aperçus de son exaction, sa mère toucha le bras de sa voisine, Estelle Rovan, et lui intima de le suivre alors qu’elle se levait pour aller au chevet de son second fils.
« Va, je te rejoindrai. » fit la Marquise.
Ainsi la jeune femme suivit Duncan sans qu’il ne s’en aperçoive.

 

                                                                                              

En se retournant après avoir fermé la porte sur la foule de nobles s’inquiétant pour l’état du Roi, Belenor prit conscience de la gravité de la situation. La pièce, habituellement utilisée comme cabinet d’audience, était composée d’un coin salon avec quelques fauteuils autour d’une cheminée, le Roi lycan était adossé à celle-ci, les bras croisés, comme s’il se contenait, le regard porté vers l’autre partie de la pièce. Cette dernière, composée d’un bureau joliment décoré où le Roi avait coutume de lire et signer les différents documents qui nécessitaient son approbation.
Ingald était là, assis dans son fauteuil, le Maréchal Dalger à son chevet. Contrairement à son habitude n’avait pas levé la tête à l’entrée du Prince et pour cause, Belenor vit avec horreur la garde d’un poignard dépasser de la poitrine de son oncle.
Il se précipita vers lui, espérant ne pas arriver trop tard, croyant pouvoir faire quelque chose pour l’aider. Le Maréchal l’arrêta d’une main sur l’épaule et le regarda, l’air contrit.
Le Roi Ingald Acciprides était mort.
Lorsque le Prince comprit, il s’arrêta, son coeur manqua un battement. Tout s’effondrait.
L’homme qu’il admirait depuis très jeune, celui qu’il était destiné à remplacer, était parti, assassiné.
Il se maudissait d’avoir trop tardé avant de pouvoir l’atteindre, s’il avait perdu moins de temps, les choses auraient pu être différentes. Soudain il vit une sorte de lumière bleue entourer le corps du défunt et une voix puissante résonna à l’intérieur de son crâne :
« Je prends cette âme, Prince Belenor, la dette est payée. »
Il reconnut le ton arrogant et condescendant de l’Oracle qui lui avait montré des avenirs possibles lors de son passage à Redenn. L’aura bleue qui entourait le souverain se changea en un flux qui fut comme aspiré derrière Belenor qui en se retournant cru apercevoir une silhouette disparaître de la pièce.
A l’oeil interrogateur u lycan toujours adossé à la cheminée, le Prince comprit qu’il avait été le seul témoin de l’intervention de l’Oracle.
Après un long moment de silence, il demanda enfin au vieux militaire :
« Maréchal, comment en est-on arrivé là ? »
Ce fut le Roi lycan qui répondit :
« L’action du Marquis Wilbur est impardonnable, néanmoins, le Roi Ingald l’avait prévue et nous a révélé, au Maréchal Dalger et à moi-même, de nombreuses choses qu’il souhaitait vous confier, votre réunion étant rendue impossible par son assassinat, selon Ingald, inévitable.
- Expliquez-vous. » commanda le Prince.

                                                                                              

Duncan courait dans les couloirs à la poursuite de son père. Fort heureusement, il avait une petite idée de sa destination. En arrivant à la grande porte du Palais, il put voir trois personnes entrer dans les écuries, à l’autre bout de la cour. Il s’y précipita.
Au moment d’entrer dans le bâtiment, il croisa un palefrenier qui sortait précipitamment. S’il avait vu Duncan en passant, le garçon n’en fit rien et continua sa route sans se retourner.
D’un coup d’oeil dans l’embrasure de la porte, il put apercevoir son père en train de discuter avec le Baron Brivel Rovan pendant que le soldat qui les accompagnait sellait le cheval du Marquis.
Duncan prit une longue inspiration et raffermit sa prise sur la poignée de son épée puis s’élança, l’arme en avant.
Sa course bruyante fut vite repérée par les trois hommes présents dans les écuries.
« Duncan ! » s’écria, surprit, Wilbur Korventen alors que le Baron s’interposait entre lui et son fils.
Face à son ancien ami, Duncan n’infléchit pas sa course, il voulait le bousculer, le mettre à l’écart, son véritable objectif étant son père. Lorsqu’il arriva à sa hauteur, Brivel Rovan le mit en garde. D’un geste fluide, et parce qu’il ne voulait pas perdre de temps avec un affrontement loyal, Duncan écarta l’arme de Brivel avec sa lame et, d’un revers, donna un violent coup de pommeau sur la tempe de son adversaire. Sonné, ce dernier tituba et, poussé par Duncan, tomba dans la paille.
Désormais face à son père, il ne lui laissa pas l’occasion de s’enfuir ou de sortir une arme quelconque. Ce n’était pas un duel. Il le saisit par un repli du costume d’apparat qu’il portait et lui plaça la lame de son épée sous la gorge.
Ce fut presque avec un plaisir malsain qu’il vit la terreur s’installer dans les yeux de son père.
L’homme qu’il avait admiré et cru aveuglément jusqu’à ce ses conseils se retournent contre lui, alors jeune officier, et causent son emprisonnement.
La fameuse attaque du village au-delà de la frontière avec Drastan avait été décidée en poursuite et représailles d’espions ennemis qui s’étaient infiltrés à la Cour. Ce fut Wilbur qui avait encouragé les hommes de Duncan avant leur départ de sorte qu’ils se déchaînent et se montrent impitoyables contre la population locale. Une tradition du Nord, ce genre d’expéditions punitives. A l’époque convaincu par l’idée de son père, Duncan pensait monter en grade à son retour. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu’à la place de gagner des chevrons sur son uniforme d’officier, il fut jugé en cour martiale et n’échappa à la peine capitale qu’à cause du titre de sa famille. De plus, son père ne se montra pas au procès et ne fit rien pour le défendre.
Après cette condamnation à perpétuité, il ne reçut que peu de visites de sa famille au début de sa peine puis plus aucune après quelques mois. Pendant les cinq longues années qui suivirent, les seules visites qu’il recevait furent celles du Roi. Le souverain avait passé de longs moments, régulièrement, avec le prisonnier, lui apprenant la patience, la tempérance, lui qui avait été si fougueux pendant son enfance, dur voire cruel avec son frère cadet.
Le voilà alors devant celui qui l’avait élevé puis abandonné et qui venait d’assassiner Ingald, la seule personne à lui avoir montré de la considération au cours de ses années d’emprisonnement. S’il avait été là, le Roi aurait appelé Duncan à la clémence mais il n’était plus et devait être vengé.
« Tu en meurt d’envie, n’est-ce pas Duncan ? lui dit son père qui avait repris un peu d’aplomb.
- Pourquoi, Père ? Pourquoi l’avoir assassiné ? le pressa le fils en raffermissant sa prise sur son arme.
- Il n’était pas digne d’un Roi. Il n’a jamais voulu m’aider à reprendre mon titre et le projet de
mon père.
- Quel projet ?
- La Couronne du Nord ! s’étrangla Wilbur. Ni toi ni ton frère n’êtes décidemment dignes de moi.
- Vous vous êtes aveuglé au point de ne plus voir le peu de bon que vous avez fait dans ce monde.
- Auras-tu le cran ?
- Vos méfaits sont terminés. »
Duncan n’eut qu’à exercer une légère pression sur la lame pour que le sang commence à couler de la gorge de son père. D’un geste, il fit passer son épée sur le cou de Wilbur. Cela lui trancha la carotide et le mince filet de sang se transforma en torrent.
Avec les forces qui lui restaient, le Marquis s’agrippa à son fils et le regarda plein d’incompréhension et de colère. Jusqu’au dernier moment, il n’avait cru Duncan capable de parricide, il croyait pouvoir s’enfuir. Il s’était trompé.
Lorsque la lumière s’éteignit dans le regard de son géniteur, Duncan l’écarta et se retourna. Brivel s’était remis debout et l’observait incrédule.
« Comment as-tu pu ? l’invectiva le Baron en se mettant en garde. Tu ne mérites pas mieux !
- Hors de mon chemin, traitre, ou tu subiras le même sort. » lança le tueur froidement.
Pour toute réponse, son ancien ami ne bougea pas. Duncan n’avait pas envie de l’affronter mais il ne lui lassait pas le choix. Il se mit en garde et se prépara à charger. S’il pouvait l’assommer, et pour de bon cette fois, il n’aurait pas à le blesser gravement, voire à le tuer.
Le combat s’engagea, Duncan pris rapidement conscience que son adversaire s’était bien remis de son coup précédent et n’allait pas tomber dans le même piège, solidement fixé sur ses appuis.
"Tant pis" regretta Duncan.
Il comprenait bien que la stratégie de Brivel était de l’empêcher d’atteindre la porte en faisant barrage de son corps et de ses coups. Pour autant, il n’était pas vraiment à l’offensive, défendant, gagnant du temps. Il attendait probablement une ouverture dans la garde de Duncan ou, à défaut, qu’il s’épuise.
La fatigue était bien le plus grand péril qui menaçait le jeune parricide, car, mal entraîné et rouillé par ses années de détention, il ne faisait pas le poids face à un officier de métier de l’Armée Royale.
Commençant à sentir ses muscles chauffer et à devenir douloureux, Duncan pris peu à peu conscience du peu de chances qu’il avait de gagner sans une erreur de son adversaire et l’inquiétude laissa peu à peu place au désespoir ce qui fit monter sa rage.
D’un coup d’oeil haineux vers son adversaire, il croisa alors son regard mauvais qui s’était attardé derrière lui. Instinctivement, Duncan ressentit l’urgence d’un risque et fit un bond de côté. Il entendit une corde claquer puis Brivel pousser un cri étouffé.
Il vit son adversaire pâlir alors que l’empenne d’un carreau d’arbalète saillait de son torse et que le sang commençait à rougir les vêtements autour de la blessure.
Duncan lança un regard en arrière et vit le soldat qui, plus tôt, sellait le cheval de son père avec une arbalète à la main. C’était celle du Marquis, celle qu’il avait l’habitude d’utiliser à la chasse et qui se trouvait en permanence attachée à sa selle.
Prenant conscience de la terrible erreur qu’il venait de commettre, le soldat jeta l’arme du crime à la face de Duncan et détala, sortant en trombe des écuries.
De son côté, le jeune Korventen, vainqueur par défaut, attrapa l’arme au vol et se tourna vers son adversaire qui s’était agenouillé, son visage ayant perdu toute couleur, les mains touchant en tremblant la blessure et le carreau qui dépassait de sa poitrine.
Brivel leva vers lui un regard terrorisé auquel Duncan avait du mal à être insensible, même en
sachant que le carreau lui était destiné. Le Baron blessé essaya de dire quelque chose mais il ne réussit qu’à cracher du sang qui se perdit dans sa barba noire à reflets roux.
Duncan s’agenouilla à ses côtés et allongea son ancien camarade pour atténuer la douleur. A moins qu’un guérisseur ou un médecin apparaisse dans peu de temps, Brivel allait mourir, il était condamné et il commençait à le réaliser.
« Pardonne-moi, Duncan » arriva-t-il à murmurer entre deux quintes de toux ensanglantée.
Se raidissant à ces mots, Duncan imagina la scène inversée. Lui à terre, transpercé et mourant et Brivel debout et victorieux. Jamais alors il n’aurait eu un mot de réconfort de la part de son adversaire. Pourquoi en aurait-il pour lui ? S’interrogea Duncan.
Sur ce, il lui refusa toute compassion et se releva. Devant l’incrédulité de son ancien ami, il asséna froidement :
« Mon pardon, tout comme mon amitié, tu l’as perdu il y a des années, Colonel Rovan. »
L’utilisation du grade militaire était une preuve de plus de toute la rancoeur que Duncan avait en lui et soulignait la gravite de la trahison du Baron. La carrière martiale brillante à laquelle l’aîné des Korventen avait été promis, l’affection de son père et sa reconnaissance, tout lui avait été spolié et Brivel en avait allègrement profité en se substituant à lui.
En entendant les paroles cruelles de Duncan, le blessé voulu répondre, argumenter ou se justifier mais il s’étranglait avec son propre sang. Il commença à tousser et cracha de plus en plus mais cela ne fit qu’accélérer son agonie. Dans un dernier râle, Brivel put articuler un mot, un nom :
« Estelle… »
Ainsi s’éteignit le Baron Brivel Rovan, Colonel dans l’Armée Royale de Callaven à l’âge de vingt-six ans. Duncan soupira longuement alors que la vie quittait le corps de son camarade puis dit à moitié pour lui-même :
« Même elle, tu ne la méritais pas. »
Il se dirigea ensuite vers le cheval sellé de son père, il ne lui restait plus qu’une chose à faire, quitter la ville et être libre.
Alors qu’il était en train de détacher le cheval pour le guider en dehors des écuries, une voix féminine retendit dans le bâtiment :
« Par l’Eternel ! Que s’est-il passé ici ? »
S’attendant à des ennuis, Duncan dégaina son épée et attrapa l’arbalète qu’il avait rattaché à la selle du cheval – ce qui était inutile vu qu’elle était déchargée. Ainsi armé, il sortit de la stalle et se retrouva nez à nez avec sa mère et Estelle Rovan.
« Duncan !? » s’écrièrent-elles à l’unisson mi-surprises, mi-terrorisées.
Il devait avoir l’air bien menaçant pour elles, ses habits étaient couverts de sang et son épée, essuyée rapidement, avait encore la lame en partie rougie.
Il baissa rapidement ses armes mais ne dit mot.
« Qu’est-il arrivé ? demanda sa mère les larmes aux yeux devant les cadavres de son mari et du Baron.
- Le Régicide et son complice sont morts, répondit-il laconiquement.
- Tu les as tués ? demanda Estelle effondrée.
- Tu te rends comptes que tu es désormais un double meurtrier et un parricide, ajouta sa mère alors que Duncan gardait le silence.
- C’était des traitres.
- Tu seras quand même jugé ! Tu vas retourner en prison ou pire être exécuté ! s’écria la Marquise, s’emportant devant le trop plein de calme de son aîné.
- Non, je pars.
- Et où iras-tu ? Sans aucun bien ni soutien ?
- Là où père aurait dû aller depuis longtemps, au Nord.
- Tu ne connais rien du Nord ! protesta sa mère.
- J’apprendrais, fit-il en guidant son cheval vers la sortie.
- Je viens avec toi, dit alors Estelle à la surprise générale.
- C’est insensé, lui répondit Duncan, incrédule.
- Je ne veux plus rester ici, expliqua-t-elle en regardant son mari décédé. Si je reste, je vais devoir porter le deuil de Brivel puis élever son enfant sous la stricte tutelle de sa famille. Je serai captive de son souvenir pour le reste de ma vie. Je n’ai pas choisi ce mariage, Duncan, il m’a été imposé par mes parents et les siens. Pour une fois dans mon existence, je veux faire un choix, laisse-moi te choisir Duncan, même si cela te parait insensé, même si c’est insensé. Laisse-moi te soutenir.
- Le voyage sera périlleux, trop pour une femme enceinte, argumenta Duncan.
- Je sais que je peux y arriver, affirma la jeune femme.
- Non, Estelle, c’est trop dangereux. Nous n’aurions rien à part ce que nous avons sur le dos et je ne souhaite pas attendre avant de partir.
- Il y a une solution, intervint la Marquise en se rangeant du côté d’Estelle. Faites étape chez nous, dans les Marches, au manoir, je vous aiderai en vous donnant ce que je peux.
- Vous me pardonnez, mère ?
- Non, fit-elle avec un regard vers le corps de son mari défunt, mais tu es mon fils et je ne peux
pas te condamner non plus.
- C’est décidé, je viens avec toi, déclara Estelle qui avait commencé à selle un cheval. Pas d’inquiétude, ajouta-elle en réponse au regard incrédule de Duncan qui pensait qu’elle volait la
monture, c’est celui de Brivel, donc un peu le mien.
- Partez, leur ordonna la Marquise, je vous rejoindrais dans quelques temps lorsque les évènements de ce soir se seront calmés.
- Qu’allez-vous dire pour le Marquis ? lui demanda Estelle.
- La vérité. Mon fils s’est parjuré pour rendre justice au Roi défunt puis s’est enfui.
- Merci, mère.
- Vivez. » conclut-elle.
Quelques minutes plus tard, deux cavaliers sortirent des écuries et traversèrent la ville encore endormie alors que les premières lueurs du jour commençaient à poindre. Alors que son fils disparaissait à sa vue, la Marquise Korventen laissa libre cours aux larmes qu’elle retenait depuis un moment. Cela faisait bien longtemps que son mari ne s’était plus intéressé à elle et les années avaient depuis dissipé les sentiments qu’elle avait eus pour lui. Elle ne pleurait pas sa disparition mais elle était soulagée de voir son aîné autrefois condamné, auquel son mari lui avait interdit de rendre visite, se libérer de toute entrave pour enfin vivre tel qu’il aurait dû.

                                                                                              

Le Roi Nikolaï Reihm invita le Prince à s’asseoir arguant que son explication risquait d’être assez longue et peut être assez difficile à accepter.
« Sachez, Prince Belenor, que ce que nous allons vous révéler, le Maréchal Dalger et moi-même, a été consigné par le Roi dans ses mémoires.
- Il a écrit ses mémoires ! s’exclama le jeune homme, incrédule.
- Pour faire une version courte, disons qu’il savait très exactement comment allait être sa fin. Ce qui lui a permis de s’organiser, si vous voulez.
- Il voyait l’avenir ? C’est impossible.
- Non, pas l’avenir, seulement sa fin.
- Mais comment ?
- De la même façon que vous pouvez présenter des aptitudes exceptionnelles.
- Un Don ?
- Précisément. Tout le monde dans votre famille a un Don, plus ou moins prononcé. Ingald voyait sa fin, vous maîtrisez une forme plus conventionnelle de magie, les éléments.
- C’est plus compliqué que ça. Mon père aurait un Don lui aussi ?
- Evidemment. Assez utile en plus.
- Il ne m’en a jamais parlé.
- Vous n’avez pas remarqué ? Avez-vous déjà réussi à lui mentir ?
- J’ai appris assez vite que j’étais un très mauvais menteur, donc non je n’ai jamais réussi, avoua Belenor.
- En vérité, il est impossible de lui mentir, il sait parfaitement déceler le mensonge de la vérité. Utile pour gouverner, n’est-ce pas ?
- Comment pouvez-vous en savoir autant sur ma famille alors que je ne vous connais pas ?
- Ingald est un ami d’enfance. J’étais présent lorsqu’il a découvert son Don.
- Quand était-ce ?
- A la mort de son fils, le Prince Kaliops. C’était à Dollovan.
- Je sais tout cela, on m’a raconté cette histoire de chute de cheval mortelle.
- Evidemment. En revanche, vous ne savez pas que j’étais avec Ingald, lorsque, pendant la veillée mortuaire, il fit un malaise alors que sa fin se révéla à lui. Il ne comprit pas tout de suite ce que sa vision impliquait. Par contre, il y avait vu ainsi Wilbur qu’il avait rencontré quelques mois plus tôt. Je ne connaissais pas alors celui qu’il présentait comme un chevalier dévoué et
volontaire. Ingald venait de se voir se faire tuer par un de ses meilleurs hommes en qui il pensait avoir confiance.
» Cette révélation conjuguée à la mort de son fils n’explique que mieux la quête spirituelle qu’il
commença à suivre et qui le mena jusqu’à la prêtrise, mais ça vous le savez autant que moi.
- Oui, mais je ne comprends pas. Cette vision était datée ? Comment Ingald pouvait-il savoir, plus de vingt ans à l’avance, que cela se produirait aujourd’hui ?
- Il ne le sut pas tout de suite. Il m’a avoué que sa vision revenait tous les matins, peu avant qu’il ne se réveille et chaque fois plus précise. Donc oui, pour répondre à votre question, cela fait des années qu’il sait que sa mort devait avoir lieu ce soir.
- C’est n’importe quoi ! Vous dites qu’il savait, qu’il connaissait les témoins et le coupable et qu’il n’a rien fait pour les empêcher ? je dois ajouter que votre rôle est très étrange, vous vous infiltrez dans le Palais, y placez des hommes en remplaçant la garde Royale. Vous avez facilité l’assassinat en somme. Malgré votre beau discours ou l’amitié qui vous lierait à Ingald vous êtes aussi coupable que Wilbur.
- Votre trouble se comprend, Prince Belenor, intervint Dalger. Ce fut aussi ma réaction lorsque j’entendis le plan du Roi pour la première fois. En tant que serviteur fidèle de votre grand-père, j’étais très réticent à l’idée de participer à l’assassinat de son fils. Votre père ne l’a d’ailleurs jamais accepté.
- Mon père était au courant ? s’étonna Belenor.
- Oui, et il refusa le destin de son frère. C’est lui qui convainquit le Roi Ingald de prendre le temps de réfléchir pendant que lui assurait l’exercice du pouvoir. Ce fut ainsi que l’Archiduc Morwind régna de facto sur le Royaume pendant qu’Ingald se retira dans un monastère près de Sipar où il apprit la prêtrise. Puis, lorsque le Roi revint, il était toujours aussi convaincu de son destin et Morwind ne voulait toujours pas l’accepter. Ils décidèrent alors de l’exil de Morwind et de son renoncement à la succession. C’est ainsi qu’il y a six ans, vous êtes devenu Prince-Héritier, Belenor.
- Père ne m’avait pas présenté les choses ainsi. Il m’avait fait part de plusieurs désaccords avec le Roi et son projet de coup d’Etat qui lui valut l’exil alors que j’étais déjà parti en ambassade. Etait-ce donc là mon rôle, ne pas être présent ?
- C’était l’idée, oui, affirma le vieux maréchal. Vous deviez partir avec les autres héritiers des Pairs du Royaume avec qui vous gouverneriez par la suite. Pendant ce temps-ci, le pouvoir donné à Wilbur a facilité la découverte des traitres à la Couronne.
- C’est pour cela que j’ai tué le Capitaine de la Garde Royale d’ailleurs, commenta le lycan.
- J’aimerai avoir plus de précisions sur votre rôle, Roi Nikolaï, car vous étiez certes au courant du destin du Roi mais en quoi votre présence a joué dans cette vaste préparation ?
- Comme je vous l’ai dit plus tôt, la vision d’Ingald s’est précisée avec le temps. Il m’écrivit un jour qu’il m’avait vu assistant à sa mort. A partir de là, ma présence fut évidente et, dans les lettres qui suivirent, il me fit part de sa volonté de profiter de sa fin pour débusquer les traitres qui pourraient affaiblir le règne de son successeur. Nous décidâmes alors que je devais rencontrer Wilbur et lui proposer mon aide.
» De plus, cela me permis également de finaliser l’union de mon peuple à travers ce projet car Wilbur nous promis des terres choses que les lycans n’avaient plus eu depuis l’avènement de l’Empire. Cette promesse acheva de convaincre la tribu du Vice-Roi. C’est d’ailleurs le Vice-Roi lui-même qui se prit d’amitié pour votre Wilbur et ils mirent en place le déroulement de cette journée depuis les explosions dans la ville à la prise d’otages du Roi et de sa Cour. C’est ainsi que je compris qu’une partie de la Garde Royale et son Capitaine en particulier étaient volontaires pour le Coup d’Etat. D’où ma décision de l’exécuter car j’ai également eu vent de projets de rébellion contre moi.
» En effet, le Vice-Roi ne souhaitait plus partager le pouvoir avec moi et voulait profiter du chaos suivant la mort d’Ingald pour m’évincer avec le soutien de Wilbur et de ses fidèles.
» Vous voyez, Prince Belenor, mon rôle était de vous aider à identifier et à diminuer le nombre des traitres à votre Royaume. De plus, j’en ai profité pour dératiser le mien, ce qui n’aurait pu que plaire à votre oncle, j’en suis convaincu.
- Reste un dernier problème, l’identification des traitres est faite, en revanche leur élimination, ce n’est pas encore le cas.
- Hier j’ai eu mon dernier entretien avec le Roi, révéla Dalger. Il me confia que ses heures passées avec le prisonnier Duncan Korventen allaient porter leurs fruits. Il avait l’intime conviction que le traitre serait châtié par son propre fils. Wilbur a fait l’erreur de dénigrer totalement son aîné après son emprisonnement et le Roi, a contrario, fut un visiteur fidèle tout ce temps.
- Duncan commettrait un parricide ?
- Le Roi en était presque sûr.
- Cela reste un meurtre, Dalger, un crime. Seule la justice peut disposer des traitres. Cela vaut
aussi pour vous, Roi Nikolaï.
- Et qu’allez-vous faire, me tuer ?
- Je devrais vous enfermer, répondit Belenor sur un ton cassant. En même temps je ne peux pas me mettre à dos tous les lycans.
- Vous allez devoir apprendre que le métier de Roi est de trancher des cas impossibles, fit
remarquer Dalger.
- Je le sais bien. »
Le Prince Belenor se leva et alla s’appuyer d’une main sur le montant d’une porte fenêtrée et regarda, pensif, un moment à l’extérieur, la lumière du jour commençant à illuminer la vue des jardins.
« Est-ce tout ce que je devais savoir sur la mort du Roi ? demanda-t-il toujours le dos tourné.
- Dans les grandes lignes, vous savez tout.
- Alors très bien, je dois aller annoncer la nouvelle. »
Sur ces mots, il s’arracha à la vision du Soleil qui commençait à percer le ciel de ses premiers rayons, en se retournant il eut un dernier regard pour le défunt, son oncle, le Roi Ingald, mort assis poignardé à son bureau. Finalement son visage avait presque l’air serein, ce qui, après les explications de Dalger et du Roi Nikolaï paraissait compréhensible. Tout le monde n’a pas l’occasion de préparer autant sa propre mort.
Arrivé devant la porte à double battant qui menait à la grande salle, il saisit les deux poignées et ouvrit en grand. Dans la salle de réception, il y avait peu de bruits, beaucoup étaient sous le choc des événements de la nuit. Lorsque le Prince apparu dans l’ouverture, tous les visages se tournèrent vers lui et les plus éloignés se rapprochèrent rapidement.
Conscient que les mots qu’il allait prononcer allaient créer beaucoup d’émoi et conclure cette longue nuit ainsi que sa vie de jeune Prince insouciant, il prit une longue inspiration, ferma les yeux, attendant quelques secondes. Puis Belenor déclara à l’Assemblée :
« Le Roi est mort. »

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  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

Scénario :100%

Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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