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25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 00:49

Callaven, la nuit précédant le Jour du Roi

 

Le ciel était dégagé de tout nuage, ce qui permettait à l’observateur nocturne de distinguer de nombreuses étoiles. L’été touchait à sa fin et les nuits commençaient à se rafraichir. La ville était assez vivante cette soirée car beaucoup étaient déjà arrivés pour la fête du lendemain.

Deux cavaliers arrivèrent à la porte nord de la ville, ils furent arrêtés par les gardes, qui leur apposèrent des scellés sur leurs armes comme il était de coutume lors des jours festifs pour éviter qu’il y ait trop de grabuge et de bagarres mortelles. Les voyageurs étaient nombreux ces jours ci et les deux cavaliers purent entrer dans la ville.

Ils s’arrêtèrent à une grande auberge proche des murs de la cité haute. L’établissement, ironiquement nommé Le Presque-Noble, avait sa salle commune bondée de monde. Un barde régalait l’assistance de ses chants et quelques couples dansaient dans une partie de la salle. Les deux nouveaux venus s’approchèrent du comptoir où ils furent accueillis par le patron, Samuel Debava, un homme dégarni, au visage rond, pas très grand et assez gros.

«  Que me ferai-je le plaisir de vous servir, mes seigneurs ?

-       Nous cherchons un endroit ou passer la nuit, annonça le premier des deux cavaliers.

-       Vous souhaitez deux chambres, c’est cela ? Je suis désolé, mes seigneurs, j’ai bien peur d’afficher complet.

-       Nous nous contenterions d’un lit, corrigea le second cavalier d’une voix clairement féminine.

-       Pardonnez ma méprise, gente dame, mais comme je vous le disais je n’ai plus de place. A moins que vous réussissiez à convaincre l’un des clients de vous cédez sa chambre.

-       Nous verrons, fit l’homme. Avez-vous une table de libre ? Pas trop exposée si possible.

-       Bien sûr, il y a de la place dans la salle supérieure, là-bas, répondit Samuel en désignant les cinq marches qui menaient à une seconde salle.

-       Merci, aubergiste, dit la femme. Viens, allons nous asseoir. » ajouta-t-elle pour son compagnon.

Les deux voyageurs s’éloignèrent du comptoir et allèrent prendre place à l’endroit indiqué. En s’asseyant ils retirèrent leurs grandes capes sombres et la femme découvrit son visage. C’est alors qu’une voix forte s’éleva en leur direction :

«  Sybille ? Sybille de Rembrunt, quelle joie de vous voir ici ! »

L’intéressée sursauta d’être reconnue aussi rapidement. Elle dirigea son regard vers l’homme qui l’avait appelée et qui s’approchait de leur table. Il était jeune, assez grand, les épaules larges, ses cheveux bruns bouclés étaient assez courts et une barbe du même tenant lui mangeait une bonne partie des joues. Un autre jeune homme semblait le suivre, beaucoup moins bâti en force, il partageait tout de même de nombreux traits de visage avec le premier venu ce qui laissait penser qu’ils devaient avoir un lien familial.

Sybille reconnu le premier au bout d’un temps, car cela faisait quelques années déjà qu’elle n’était pas venue à Callaven. De plus, la dernière fois qu’elle l’avait vu, il ne portait pas la barbe et n’avait pas cette musculature impressionnante.

«  Imladas Sandorn, fit-elle après avoir mis un nom sur son visage, je suis ravie de vous voir également.

-       Cela fait bien longtemps que nous ne nous étions vus. Permettez-moi de vous présenter mon frère cadet, Vladimir.

-       Je me souviens, oui, cela fait assez longtemps et vous n’étiez qu’un jeune garçon, alors.

-       Vous êtes toujours aussi belle, la flatta Vladimir.

-       Si jeune et déjà charmeur, commenta-t-elle en retour.

-       Il est à la bonne école, répliqua l’ainé. Je ne pensais pas vous voir ici, aujourd’hui, alors que votre père est – dit-on – avec le Surintendant de Sipar à Dunnastell. Néanmoins je suis très heureux de vous revoir, pour le Jour du Roi qui plus est.

-       Et moi donc, j’ai toujours beaucoup apprécié cette fête même si mon père ne nous y emmenait pas chaque année mes frères et moi. Après tout, je ne suis pas du Royaume.

-       En effet, mais ça n’a jamais gêné personne de voir des étrangers le Jour du Roi. Qu’a votre ami ? demanda Imladas. Pourquoi garde-t-il son visage couvert et sa bouche close ?

-       J’ai mes raisons, répondit l’intéressé d’une voix qu’Imladas aurait reconnu entre mille.

-       Fildar ! s’écria-t-il.

-       Silence, par pitié, l’implora le Cavalier Noir, je ne veux pas être annoncé.

-       Tout le monde te croît perdu, mon ami. Il faut t’annoncer et fêter ton retour.

-       Non.

-       Pourquoi cela ?

-       J’ai disparu Imladas. Assez longtemps pour que père demande la libération de mon frère Duncan. Si je réapparais aujourd’hui, que lui arrivera-t-il ?

-       Je ne pense pas que le Roi irait jusqu’à l’emprisonner de nouveau.

-       Peut être que non, mais qui sait ? De plus mon père a toujours préféré Duncan, laissons le croire à ma mort qui lui sert si bien.

-       Si ce n’est pas pour revoir ta famille alors pourquoi es-tu revenu ?

-       Il paraît que deux de mes amis vont se marier, il serait très discourtois de ma part de ne pas y assister.

-       Ainsi vous êtes venus, tous les deux, juste pour assister à une cérémonie, sans vous annoncer ni essayer de revoir vos vieux camarades. Je suis désolé, Fildar, mais je peine à le croire.

-       Très bien, admit celui-ci après un long soupir. Nous avons entendus de nombreuses rumeurs durant notre voyage et tout porte à croire qu’il se prépare quelque chose, ici. Je ne voulais pas donner l’alerte inutilement et gâcher la fête, d’autant plus que je ne suis sûr de rien.

-       Quel genre de rumeurs ?

-       De toutes sortes, certaines parlent de voyageurs inhabituels, vêtus de noir et ne dévoilant jamais leur visage.

-       Ça me rappelle quelqu’un, bizarrement, commenta Sybille.

-       Puisque cela à l’air de vraiment vous tenir à cœur. » céda Fildar en enlevant son capuchon.

Imladas découvrit alors que le visage de son ami avait bien changé, les joues creusées, les traits amincis mais surtout la couleur de ses yeux avait changé. En effet, les yeux bruns de Fildar s’étaient peu à peu teintés de pourpre pour finalement devenir complètement violets, couleur des plus inhabituelles. Il y avait aussi les canines, plus longues qui lui donnaient un air de prédateur. Imladas avait assisté au début de la transformation de son ami mais elle avait beaucoup avancé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus, même si la lueur malsaine qui avait habité les yeux de Fildar semblait avoir totalement disparue. Il semblait bien plus sain d’esprit qu’auparavant, lorsqu’ils s’étaient quittés, plusieurs mois auparavant, dans les chutes de neige du Nord de l’Empire.

Il remarqua alors que Sybille avait, elle aussi, un peu changé comme si elle partageait la transformation de Fildar mais dans une bien moindre mesure, ses yeux avait quelques reflets violacés et, bien qu’elle le cachait bien, son sourire révélait des canines un peu plus pointues que la moyenne.

«  Ne t’inquiètes pas outre mesure de mon apparence, assura Fildar, le poison qui me rongeait a disparu.

-       Si tu le dis. J’ai tout de même rarement vu des yeux de cette couleur.

-       J’ai dû accepter certains changements pour m’en sortir. Cette transformation physique n’est rien comparée à ce que j’ai dû subir.

-       Que veux-tu dire ?

-       Je te souhaite de ne jamais connaître tous les tourments par lesquels je suis passé, avoir son esprit peu à peu rongé par une présence étrangère qui corrompt jusqu’à tes souvenirs et tes émotions pour faire de toi son hôte docile.

-       Comment as-tu survécu ?

-       Nous sommes allés à Vessala, comme prévu.

-       Les pouvoirs de guérison de Siougrev ne sont donc pas usurpés.

-       C’est vrai, admit Fildar qui ne voulait pas parler de l’Archange qui leur était apparu et qui l’avait sauvé.

-       Il se fait tard, avec Vladimir, nous allons rentrer. Avez-vous une chambre ?

-       Malheureusement non, l’auberge est pleine, comme beaucoup dans la ville.

-       Venez dormir chez nous, nous avons quelques chambres qui sont inoccupées. Ne t’inquiètes pas, ajouta-t-il en voyant l’air peu convaincu de son vis-à-vis, mon père saura garder le secret de ton identité.

-       Je te fais confiance, Imladas, allons-y. »

 

Le lendemain matin, Fildar se leva un peu avant l’aube. La fin de la soirée s’était passée sans encombre, le Comte Théodrim les ayant acceptés, Sybille et lui sans poser beaucoup de questions. Il leur avait promis d’ouvrir l’œil à tout événement louche qui pourrait se passer pendant la journée et de se tenir prêt à réagir. Fildar ne lui avait pas révélé de quoi il s’agissait, pas plus qu’il n’en avait dit à Imladas et son frère.

Les rumeurs qui circulaient concernaient beaucoup le domaine Korventen, beaucoup faisant état d’individus peu recommandables qui fréquentaient les lieux en plus grand nombre et plus souvent qu’à l’accoutumée. Fildar savait depuis longtemps que son père avait versé dans beaucoup d’activités plus ou moins légales lors de sa jeunesse et qu’il entretenait encore un réseau de connaissances parmi les malfrats de tous horizons.

Malgré tout, le Marquis Wilbur avait toujours été juste à défaut d’être bon lorsqu’il gérait son domaine et Fildar avait du mal à croire à tous les bruits qu’il avait pu entendre ici ou là. Tout trouverait une réponse ce jour.

Il n’attendit pas longtemps avant que Sybille le retrouva dans le hall de la résidence Sandorn. Son absence avait dû la réveiller, comme souvent car il avait pris l’habitude de se lever tôt alors que le Soleil n’était pas encore visible. Sans beaucoup plus de bruit, ils sortirent.

Fildar avait prévenu Imladas qu’il ne fallait pas compter sur lui et Sybille pour rester à leurs côtés tout au long de la journée. Le Cavalier Noir ne voulait pas se mêler trop aux nobles, préférant se fondre dans la foule pour mieux observer les individus suspects.

Alors qu’ils descendaient une rue en direction des murs intérieurs, le jeune homme ressenti une présence qu’il n’avait pas côtoyé depuis longtemps. Celle-ci le mit très mal à l’aise. De plus la présence semblait grandir, se rapprochant extrêmement rapidement.

Fildar s’arrêta, scrutant la rue en contrebas car cela semblait en venir mais il ne distingua rien. Son malaise grandit encore et la vieille douleur à son bras se réveilla, alors il comprit et leva la tête. Juste au moment où la douleur se fit la plus intense, il vit une grande ombre se diriger vers le Palais Royal. La nuit ne le trompa pas, il s’agissait d’un Dakhart et de son cavalier.

Poussé par la curiosité, Fildar prit la main de Sybille et ils se dirigèrent vers le nouveau venu. Bien évidemment, les architectes qui avaient construit le Palais avaient pensé à aménager une esplanade pour ce genre de visites. Peu utilisée car les Chevaliers Ailés sortaient très peu souvent de leur enclave, la petite place était tout de même bien entretenue.

Elle se trouvait derrière le Palais, dans les jardins privés. Ainsi si, comme le souhaitait Fildar, ils devaient y aller, ils auraient à s’introduire dans l’enceinte royale. L’autre solution serait de se présenter aux gardes mais alors toute la ville serait au courant de son retour.

Fort heureusement, il connaissait un moyen de s’introduire dans les jardins sans être vu. En effet, les murs de ceux-ci étaient très hauts sauf en un endroit où une ruelle remontait suffisamment pour que le passage soit plus aisé.

Ils se dirigèrent donc vers la petite ruelle et enjambèrent le muret sans trop de difficultés. Ils prirent bien attention à ne pas faire de bruit en tombant ni endommager les parterres de fleurs. Fort heureusement l’attention des gardes étant dirigée vers l’étrange nouvel arrivant, ils ne furent pas repérés. De là ils purent circuler dans les jardins sans être vus et atteindre l’esplanade réservée aux Dakharts. Ils progressaient à l’abri des regards et en arrivant en vue de l’esplanade, Fildar eut un s’arrêta net.

Le Dakhart le regardait fixement comme s’il voyait à travers le buisson derrière lequel Sybille et lui se tenaient. Le monstre, haut de quatre mètres, s’appuyait sur ses immenses ailes nervurées qui déployées devaient bien atteindre les dix mètres d’envergure. Le Chevalier qui le montait était visiblement en grande discussion avec un officier de la garde. Bien qu’il ait passé quelque temps à Karrog en convalescence, Fildar ne put reconnaître celui-ci qui lui apparaissait de dos et portait encore son heaume. C’était néanmoins bien un Chevalier, sa cape verte brodée d’un Dakhart blanc – les armes de l’Ordre – en attestait.

Le jeune homme ne fit plus un mouvement, pétrifié par le regard du Dakhart. Soudain, le Chevalier se retourna brusquement et regarda dans sa direction. Il renvoya poliment les gardes qui s’éloignèrent tandis que lui s’approchait des deux jeunes gens.

«  J’ai rarement vu ma monture réagir si fortement à une présence humaine, fit l’homme en armure, à part pour certains de mes confrères. »

Fildar avait déjà entendu cette voix, mais il était si difficile de l’identifier, des Chevaliers Ailés, il en avait côtoyé beaucoup. Alors qu’il s’approchait, l’homme retira son heaume laissant apparaître un visage dur, aux traits comme taillés dans la roche. Il avait de longs cheveux argentés et son regard bleu-vert glacial semblait avoir ciblé Fildar qui le reconnut, bien qu’il sembla beaucoup plus jeune qu’auparavant. En effet, les stigmates de son supplice avaient disparus, il s’agissait du Grand-Maître Istram Vonwulf en personne.

«  Je sais que vous êtes là, qui que vous soyez, continua le Chevalier, montrez-vous ou je n’hésiterai pas à utiliser la force. »

Le Cavalier Noir fils un pas en dehors de sa cachette à la grande surprise de sa compagne. Celle-ci fut d’autant plus étonnée que Fildar avança tête nue, lui qui tenait tant à ne pas être reconnu.

«  Fildar Korventen ! s’exclama Istram. Vous avez bien changé, mais je suis heureux de voir que le poison ne vous a pas tué.

-       Et pourtant, Grand-Maître, répondit Fildar, ma terreur en voyant votre créature est insondable.

-       Sa vue glace le sang de bien des braves, mais dans votre cas je comprends d’autant plus. Pourquoi en êtes-vous si troublé ? Vous êtes passé par un grand traumatisme après tout.

-       Ma guérison ne fut pas aisé, j’ai été plus terrifié que jamais durant le processus et je me suis juré de terrasser toutes mes peurs par la suite.

-       Que voulez-vous faire ?

-       Laissez-moi l’approcher.

-       Allez-y, accorda Istram après un temps de réflexion, il est aussi troublé que vous. Votre sang porte l’odeur de leur espèce et pourtant vous n’en faite pas partie. »

Prenant son courage à deux mains Fildar fit un pas, puis un autre, toujours sous le regard rubis du monstre ailé. Toujours cachée, Sybille retint son souffle car elle avait entendu parler de ce dont ces créatures étaient capables.

Le jeune homme ne se démonta pas et continua d’avancer, puis, lorsqu’il ne fut plus qu’à un pas du Dakhart, il tendit la main attendant une réponse de son vis-à-vis. La monture ne bougea pas pendant un long moment puis, elle arqua le cou pour loger sa tête en dessous de la main de Fildar en signe clair de soumission.

Surpris, il n’osa plus faire un seul geste, alors Istram intervint en chuchotant :

«  Il vous accepte, maintenant vous devez monter sur son dos pour sceller le pacte.

-       Mais je ne sais pas du tout comment faire.

-       Laissez-vous guider, le baptême de l’air entre un Chevalier et son Dakhart est quelque chose d’unique et vous devez lui faire confiance autant qu’il doit le faire. C’est un échange, une symbiose qu’aucun cours ni aucun mot ne saurait transcrire. Allez-y, si vous refusez, le Dakhart risque de vous tuer. En réalité, tout au long du premier vol, le Dakhart va chercher à vous tuer car par essence il ne veut pas de maître, vous devez faire preuve de volonté et vous imposer. »

Peu rassuré, Fildar longea le long cou de la créature tout en le touchant toujours de sa main et atteignit la selle. Réduisant les hurlements de sa terreur interne à un faible écho lointain, Fildar enfourcha le monstre et prit les rênes. Sans attendre, le Dakhart décolla d’une puissante poussée qui faillit désarçonner le Cavalier Noir qui s’accrocha tant bien que mal.

Lorsque la créature disparu de son champ de vision, Istram se tourna vers le buisson où se cachait Sybille et déclara :

«  Vous pouvez sortir de votre cachette vous aussi, ma demoiselle. »

Surprise, cette dernière sursauta sortit brusquement de sa cachette.

«  Comment ? commença-t-elle.

-       Vous n’avez pas l’air très familière avec les pouvoirs d’un Chevalier Ailé, lorsque j’ai vu mon Dakhart se tourner vers ce buisson, j’ai tout de suite senti qu’il y avait non pas une, comme votre compagnon a bien tenté de me faire croire, mais deux personnes qui se cachaient. De là, déterminer que vous êtes une jeune femme ne fut pas difficile.

-       Et Fildar ? N’est-ce pas dangereux ?

-       Extrêmement risqué. Ne vous inquiétez pas, non seulement, je suis étroitement lié à ma monture et je ressens tout ce qui se passe là haut en ce moment même mais, de plus, je n’ai jamais vu un Dakhart baisser la tête si rapidement devant un humain, d’autant plus que celui-ci est le mâle dominant, le plus indépendant de tous.

-       Vous n’êtes pas un peu fou ? s’écria la jeune femme. Après tout ce qu’il a enduré, vous l’envoyez à une mort presque certaine.

-       Justement, c’est dans ce "presque" que réside toute la force de Fildar, dominer ce Dakhart en particulier si rapidement, aucun Chevalier Ailé  ne pourrait le revendiquer. Et pourtant je peux vous assurer que votre ami a une volonté de fer que mon Dakhart n’arrive pas à plier malgré tous ses efforts.

-       Que faites-vous ici ? C’est rare de voir un Chevalier Ailé dans le Royaume, vous sortez généralement très peu de votre enclave de Karrog.

-       C’est exact mais les choses changent, n’est-ce pas ? Je suis porteur d’un message du Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris pour le Roi de Callaven, Ingald Acciprides.

-       Mais qui êtes-vous donc ? J’ai entendu Fildar vous appeler Grand-Maître, pourtant j’avais cru entendre que le Grand-Maître actuel, Istram Vonwulf, était un autonomiste, jamais il accepterait de faire le messager pour le compte de l’Empire.

-       N’ai-je pas dit que les choses peuvent changer ? Je suis le Grand-Maître de l’Ordre des Chevaliers Ailés, je suis Istram Vonwulf. J’ai certes été un fervent défenseur de l’indépendance de l’Ordre par rapport à l’Empire mais je préfère aider l’Empire à faire face que regarder sa chute sans rien faire. Mais vous qui êtes-vous ?  Je vous entends parler depuis tout à l’heure et votre accent me fait dire que vous n’êtes pas de Callaven.

-       Non, en effet, je suis une Impériale, de Bonnenbourg. Mon nom est Sybille de Rembrunt.

-       La fille du Duc ! Quelle surprise, j’ai quitté votre père pas plus tard que hier soir avant de m’envoler de Dunnastell pour Callaven.

-       Comment va-t-il ? La dernière fois que je l’ai vu il était encore à Bonnenbourg avec le Surintendant.

-       Ils sont débordés, le Conseil ne peut s’ouvrir officiellement tant qu’un observateur de Callaven soit présent.

-       Pourquoi cela ?

-       Car Drastan a demandé à ce qu’ils aient droit à un observateur et cela leur a été accordé sous condition qu’il y ait également un représentant du Royaume. Néanmoins quasiment tous les nobles d’Empire sont déjà rassemblés et les tractations ont commencées.

-       Je commence à comprendre.

-       J’espère que le choix d’un représentant ne prendra pas trop de temps car Moriannor a quelques amis à Dunnastell et chaque jour il gagne de nouveaux partisans. Si j’en crois le Surintendant il préférerait que ce soit… »

Le visage du Grand-Maître perdit toutes ses couleurs. Conjugué à son arrêt en plein milieu de sa dernière phrase, Sybille s'inquiéta:

«  Qu'y a-t-il, Monseigneur?

-       C'est impossible, il a brisé mon lien...

-       Que voulez-vous dire?

-       Mon Dakhart, Fildar l'a dompté... C'est incroyable.

-       N'était-ce pas ce que vous vouliez?

-       Non. Le vol devait lui apprendre à résister à la volonté de la créature, et de réussir à s'en faire un peu obéir. Cela nécessite des années d'entraînement pour un Chevalier avant de pouvoir atteindre ce stade mais j'ai senti en Fildar des compétences... étranges et je voulais les voir à l'œuvre. Tout ceci est stupéfiant! Jamais personne n'a pu briser un lien qui existait entre un Chevalier et son Dakhart.

-        Vous dites que...

-       Oui, il ne m'appartient plus, votre compagnon a désormais une monture. Si seulement il était Chevalier, ce serait un atout sans pareil pour l'Ordre et la compréhension de la Voie de l'Air. Regardez, il revient. »

L’ombre qui pointait à l’horizon grandit de plus en plus pour révéler Fildar sur le dos du Dakhart, ses mouvements semblaient bien plus assurés qu’au décollage et ils se posèrent sans encombre. Sybille ne savait pas trop quoi penser, à la place du Grand-Maître, elle aurait été furieuse de voir son animal volé par un autre, pourtant Istram semblait prendre cela avec philosophie.

«  Je tiens à te féliciter Fildar, lui dit le Chevalier alors qu’il mettait pied à terre, jamais dans tout l’histoire de l’Ordre un Dakhart dominant fut dompté si rapidement d’autant plus qu’il y avait déjà un lien d’établi.

-       Vous devez me pardonnez, Monseigneur, je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Vous avez l’air bizarre, vous allez bien ?

-       ....C'est fini. Je me sens... Bizarre... Je ne suis pas fâché mais... plutôt heureux. Heureux d'être le témoin de la naissance d'un nouveau Maître des Dakharts! 

-       Pardon ?  

-       Si vous étiez un Chevalier Ailé, vous pourriez prétendre au titre de Grand-Maître, mon titre, malheureusement, je ne sens pas d’affinité à l’Air en vous.

-       Non, en effet. L’Air n’est pas mon élément.

-       Car vous connaissez le vôtre ? Généralement, en dehors de notre Ordre, seul les mages et les prêtres ont une affiliation plus forte avec l’un des sept éléments. Quel est le vôtre ?

-       Celui qui m’a sauvé, répondit seulement Fildar en dévoilant le croissant de lune noir à l’emplacement de son cœur.

-       La Ténèbre, compris Istram avec un mouvement de recul. Vous êtes décidemment un homme plein de surprises, Fildar Korventen. »

Ce dernier lui répondit par un sourire énigmatique et détourna son regard vers le Dakhart qu’il venait d’apprivoiser.

Le silence fut soudain brisé par le bruit de pas sortant du Palais et s’approchant d’eux. Istram se retourna et vit quelques dignitaires en habits d’apparat. L’homme de tête était d’âge mûr avec les cheveux gris et un certain embonpoint.

«  Grand-Maître Istram Vonwulf, déclara-t-il, nous n’avons jamais eu l’occasion de nous rencontrer. Je m’appelle Wilbur Korventen, Marquis et Grand Conseiller de la Couronne.

-       En parlant de Korventen. » s’exclama Istram en se retournant.

Il pensait voir Fildar et Sybille aux côtés du Dakhart mais il n’y avait plus que la monture, les deux jeunes gens avaient disparus.

«  Un problème Grand-Maître ? s’inquiéta Wilbur.

-       Non, du tout. Veuillez m’excuser, le voyage a dû me fatiguer plus que je ne l’aurai cru.

-       Comme je vous comprends. Veuillez excuser mon retard à vous rencontrer mais en ce jour de nombreuses affaires méritent mon attention. »

Istram prit alors conscience qu’il avait dû discuter pendant au moins vingt minutes avec les deux intrus avant que le Marquis ne le reçoive. Comme il le disait, le Jour du Roi est toujours très difficile à organiser et l’emploi du temps des personnes de son importance devait être chargé. Néanmoins Istram avait un mandat impérial, signé du Surintendant de Sipar en personne, qu’il avait présenté à son arrivée.

«  Rien de grave, j’espère, commenta Istram.

-       Non, ne vous inquiétez pas, tout est prêt. Dites moi, le papier que l’on m’a présenté est des plus obscurs sur les raisons de votre présence ici.

-       Je suis ici pour demander au Roi de nommer un représentant pour le Grand Conseil de Dunnastell qui ne saurait attendre plus longtemps pour s’ouvrir.

-       Je ne puis vous assurer d’une entrevue avec lui aujourd’hui, mais sachez que tout sera fait pour qu’une décision soit prise dans les plus brefs délais.

-       Il s’agît tout de même d’une question des plus urgentes.

-       Nous n’en doutons pas. Le Roi reste néanmoins particulièrement occupé aujourd’hui.

-       Alors j’attendrai, peut être pourrai-je l’approcher plus tard dans la journée.

-       Faites comme bon vous semble tant que vous n’entravez pas le bon déroulement des événements. La Garde Royale est particulièrement tendue lorsque le Roi doit apparaître en public.

-       En aucun cas, je n’oserai troubler les événements. » conclut Istram alors que le Marquis Korventen s’en allait déjà.

 

Fildar et Sybille avaient observé la scène du haut du muret qui leur avait permis de pénétrer dans les jardins. Le jeune homme avait pu revoir son père de loin et une part de lui-même avait voulu courir vers lui, dire qu’il était bien en vie et qu’il ne fallait plus s’inquiéter pour son sort, mais la raison lui dictait d’attendre que le jour passe, trop de rumeurs circulaient à son propos.

Avant de s’éloigner du Palais, Fildar jeta un dernier coup d’œil au Dakhart qui attendait dans le jardin. Celui-ci dû sentir son regard car il tourna la tête dans sa direction. Le lien qu’ils partageaient tout deux était fort bien que très jeune et le Cavalier Noir ne savait pas trop comment y réagir. Il avait vaincu sa peur, cela au moins devait compter.

Il donna l’ordre silencieux à la créature de rester tranquille pour le moment, celle-ci comprit immédiatement et se mit à regarder ailleurs. Prenant la main de Sybille, il l’emmena chercher un point d’observation pour la cérémonie de mariage, car, malgré tout, il voulait y assister.

 

Le mariage devait être célébré dans la Cathédrale Royale, magnifique édifice à l’architecture aérienne et surabondante de détails complexes. Comme souvent dans les églises du Royaume, la grande nef était bordée de trois chapelles de chaque côté, chacune dédiée à l’un des Archanges et faisant face à l’Elément opposé. Ainsi le Feu et l’Eau se faisaient face, puis l’Air et la Terre et enfin la Lumière et la Ténèbre. Le chœur de la Cathédrale, comme toujours était dédié à l’Eternel et de là officiait le maître de cérémonie.

A jour particulier, office exceptionnel et c’était donc le Roi en personne qui devait mener la célébration. En général, bien que faisant partie des ordres, Ingald laissait la conduite de l’office à l’Archevêque du Royaume.

Depuis l’alcôve consacrée à l’Archange des Ténèbres, Fildar et Sybille avaient vue sur l’autel central où se déroulerait la cérémonie. Plongée dans le noir, comme l’élément auquel il était consacré, la petite chapelle avait le double avantage de les protéger des regards indiscrets et de leur offrir des places de choix que personne ne leur réclamera. En effet, les places de l’assemblée ayant été attribuées, il leur était impossible d’avoir une chaise dans la grande nef centrale sans être immédiatement repérés. De plus, à part pour les dévotions particulières, les chapelles restaient inutilisées pendants les grands offices comme celui de ce jour.

Peu à peu tous les invités s’installaient à leurs places et Fildar put revoir des visages qu’il n’avait plus vus depuis longtemps.

Parmi les premiers à arriver, le Maréchal Dalger, appuyé sur sa canne, avec sa courte barbe blanche parfaitement taillée et son crâne dégarni. Il était accompagné de son fils et de sa famille mais Fildar ne se souvenait plus de leurs noms.

Il put aussi voir l’arrivée du Comte Théodrim Sandorn, son air de colosse toujours aussi impressionnant, suivit de sa femme et de ses deux fils Imladas et Vladimir. Fildar se sentait un peu coupable de ne pas aller vers eux alors qu’ils les avaient – lui et Sybille – accueillis la nuit précédente. Malgré le caractère solennel du lieu, comme à son habitude, Imladas ne pouvait s’empêcher d’essayer de faire sourire son entourage et le jeune Vladimir avait beaucoup de mal à se retenir de rire.

Un peu plus tard, alors que l’assemblée grossissait de plus en plus, Fildar identifia près de la chapelle consacrée à l’Air, le Comte Kaurad Bregorgne et sa famille, l’air toujours aussi austère. Ses enfants étaient tous là, à commencer par l’ainée Catherine que Fildar avait toujours trouvée très belle – il avait cru en tomber amoureux, avant – mais son côté très prude l’avait toujours empêché d’aller vers elle. Pas très loin venait Argenia, la petite sœur. Il ne l’avait pas revu depuis quelques années et Fildar fut surpris, en effet, l’enfant qu’il connaissait était maintenant une très jolie jeune fille dont la beauté saurait encore croître. Entres ses deux sœurs, Tibérion avait fière allure, d’autant plus que toute la famille portait les couleurs familiales : le bleu, le rouge et le blanc. Il semblait en grande conversation avec sa petite sœur alors que la grande leur lançait un regard réprobateur. Cela fit sourire Fildar, elle n’avait pas changé, fière et protectrice envers sa famille.

Peu après, il put voir arriver d’autres visages connus, les anciens amis de son frère avec en tête le Baron Brivel Rovan, le plus vieux du groupe, ainsi que sa femme Estelle – ancienne fiancée de Duncan – qui apparemment était enceinte. Fildar se rappelait encore du mariage où il avait dû subir tous les regards des invités, son père ayant préféré rompre purement et simplement l’arrangement entre lui et la famille Decros plutôt que, comme la coutume le suggérait, proposer son fils cadet pour honorer la promesse de mariage.

Cela restait un douloureux souvenir pour le jeune homme car pour la famille d’Estelle, marier leur fille avec un Korventen était beaucoup plus prestigieux que l’union avec un Rovan. En effet, son père, Wilbur, étant alors simple baron mais aussi Pair du Royaume et donc siégeait au Conseil Royal, situation bien plus enviable à celle des Rovan, vieille famille d’une baronnie frontalière de l’Empire dont les revenus économiques diminuaient de génération en génération et les membres se consacraient souvent à une carrière militaire dans l’Armée Royale. Jusque là les officiers que la famille avait produits n’étaient pas brillants.

Heureusement, Brivel Rovan était bien meilleur et s’était illustré à plusieurs reprises comme un bon commandant, son grade actuel de Colonel à seulement vingt-sept ans laissait promettre de belles choses pour l’avenir de sa carrière.

Fildar espérait que la jeune femme à la magnifique chevelure rousse était heureuse avec cet homme brillant et bon d’après ce qu’il avait pu voir lorsque Brivel et Duncan passait du temps ensemble étant enfants.

Ce fut au tour des Korventen d’arriver ensuite et, à la vue de sa famille, le Cavalier Noir se renfrogna, se ramassant un peu sur lui-même pour être sûr de ne pas être vu et encore moins reconnu. Son père, le Marquis Wilbur, avançait d’un pas assuré vers les places qui leur avaient été attribuées, il répondait courtoisement aux salutations qu’il recevait de part et d’autre.

A son bras, sa femme, la mère de Fildar se faisait plus discrète. Elle avait toujours été ainsi, se montrant peu, préférant s’occuper de ses fils ou, à défaut, des affaires du domaine familial alors que son mari était à la Cour. Excellente gestionnaire, elle avait permis à Wilbur de jouir d’une très bonne réputation surtout pour la qualité du haras et des chevaux qu’ils élevaient et vendaient, principalement pour l’Armée Royale. C’était aussi une femme aimante et Fildar n’a jamais eu à se plaindre de l’éducation que lui avait pourvue sa mère.

Enfin, en retrait de ses parents venait Duncan, son frère ainé. Ses cinq années d’emprisonnement n’avaient pas été tendres avec lui, lorsque Fildar se souvenait d’un grand capitaine, fier – voire arrogant – dans son uniforme militaire, bâti en force avec de larges épaules et un tour de cou de taureau – tout le portrait du père plus jeune –, maintenant, Duncan avait beaucoup perdu de son allure. Si son visage avait encore beaucoup de traits en commun avec celui de son père, notamment les mêmes yeux couleur noisette et – à ce qui se dit – les mêmes cheveux châtains que Wilbur pendant sa jeunesse, la comparaison s’arrêtait là. En effet, c’est le visage émacié et le corps très amaigri que Duncan apparaissait. S’il avançait toujours le dos droit, le regard fier et conquérant avait disparu, il avait à la place les yeux tristes d’un homme qui regarde les gens et le monde avec distance. Cette image ému Fildar, pour qui son frère avait toujours été le modèle à suivre, celui à qui tout réussissait.

Néanmoins, il connaissait son frère, celui-ci allait se relever de ses années perdues et il allait redevenir celui qu’il était auparavant. Gare à ceux qui entraveraient la route de Duncan reprenant sa place.

Enfin, la famille du marié faisaient leur entrée, le Comte Cuthbert en tête, ses longs cheveux blonds attachés sur sa nuque et il portait les couleurs familiales, le bleu, le vert et le blanc. Il semblait toujours aussi jeune, le temps n’ayant apparemment que peu d’effet sur lui. Normalement il devrait accompagner la mère de la mariée jusqu’à sa place, faisant son entrer juste après le marié au bras de sa propre mère. Comme Al’Ivna n’avait pas de famille – de sa connaissance tout du moins – le protocole avait été un peu réarrangé

Lorsque tous se furent installés, la musique commença à retentir. Le marié faisait son entrée, Soldoban, dans son magnifique costume aux couleurs des Aronberg menait sa mère, la Comtesse Elise, jusqu’au premier rang où elle avait sa place puis il monta les quelques marches jusqu’à l’autel encore vide.

L’orchestre joua avec encore plus d’entrain pour l’entrée de la mariée qui avançait au bras du Roi Ingald lui-même. Al’Ivna, déjà charmante naturellement, était magnifique dans sa longue robe blanche à la coupe complexe mais qui la mettait très en valeur. Ses cheveux blonds n’étaient de très légèrement tenus derrière ses oreilles pointues d’elfe pour dégager le visage et le front. Elle avançait, souriante, comme la plus heureuse des femmes. Assurément, ce devait être le plus beau jour de son existence.

Le Roi, quant à lui, portait ses habits de parade aux couleurs des Acciprides, bleu et or et son manteau arborait un grand aigle d’or, symbole familial et emblème du Royaume.  Comme souvent pour les grandes occasions, il portait la couronne royale qui symbolisait sa charge. L’objet, pièce d’or magnifiquement travaillé, lui ceignait le front et sept branches du même métal partaient de cet anneau et se rejoignaient légèrement au-dessus du sommet de son crâne.

Arrivés à l’autel, le Roi mena la mariée face à Soldoban puis se plaça au centre. Deux clercs se placèrent de part et d’autre du monarque, ils lui retirèrent son manteau royal et l’aidèrent à enfiler son habit de prêtrise. Celui-ci avait la même coupe que le manteau qu’il venait de quitter. A la place de l’emblème familial, en revanche, figurait celui de l’Ordre des Clercs. Il s’agissait d’une étoile pourpre à six branches, inscrite dans un cercle. Chacune des six parties ainsi formées avait sa propre couleur, symbolisant chacun des Archanges. Dans le sens horaire, le Feu, rouge, s’enchaînait avec l’Air, blanc, puis la Lumière, jaune, suivie de l’Eau, bleue, ainsi que la Terre, verte, et enfin la Ténèbre, noire.

Une fois habillé, le Roi leva la main et, immédiatement, l’orchestre se tut. Enfin la cérémonie commençait.

«  Comme il est bon de tous vous revoir ainsi réunis en ce jour, festif à plus d’un titre, commença Ingald. Nous sommes ici pour unir deux âmes devant l’Eternel et ses serviteurs. Rendons-leur grâce car il est toujours merveilleux de voir comment deux jeunes gens se trouvent et décident de partager la vie de l’autre…

-       Notre Roi a toujours eu un don pour enjoliver ses paroles, vous ne trouvez pas ? demanda tout bas l’homme assis à côté de Fildar.

-       Oui, vous avez raison. » répondit-il machinalement avant de sursauter.

Depuis quand était-il là ? Ni Fildar, ni Sybille ne l’avaient remarqué avant qu’il parle. L’homme était très mince et assez grand, mesurant juste un peu moins que le Cavalier Noir. Dégarni sur le haut du crâne, il avait les cheveux gris qui allaient de paire avec la fine moustache elle aussi grise. Son visage arborait quelques rides légères, il paraissait avoir entre cinquante et soixante ans. Ses vêtements, tels ceux de Fildar étaient noirs et ne portaient la marque d’aucune maison.

«  Vous savez, certains trouvent qu’avoir la tête couverte dans un lieu de culte est une insulte et un blasphème. On pourrait de plus soupçonner que vous préparez un mauvais coup. Vous feriez mieux de vous découvrir et votre amie également.

-       Je ne souhaite pas être reconnu, monsieur, d’ailleurs je ne vous connais pas et je n’ai pas à me justifier devant vous.

-       Ceci est un peu rude de votre part, Fildar Korventen, je vous connais, moi, depuis assez longtemps.

-       Comment !?

-       Je suis au courant bien des choses. Par contre, je ne savais pas que vous connaissiez si bien Sybille de Rembrunt.

-       Vous semblez vraiment très bien renseigné, peut-être trop pour votre sécurité, fit Fildar en se préparant à attaquer silencieusement.

-       Je doute que vous ayez changé au point d’être capable de frapper un vieil homme dans une Cathédrale, pendant un office qui plus est.

-       Qui êtes-vous et que nous voulez-vous ?

-       Je me nomme Elfrad, cela ne vous dit peut-être rien, mais j’étais jusqu’à il y a peu, l’intendant de l’Archiduché Acciprides, au service du Prince Morwind. Lorsqu’il fut exilé, je le suivis jusqu’à ce qu’il m’ordonne de retourner sur le continent pour conseiller son fils.

-       Je crains que le Prince Belenor ne soit pas ici.

-       Il viendra, j’en suis sûr.

-       Pourquoi venir vers moi alors, si ce n’est pas pour retrouver le Prince ?

-       Si ce que j’ai entendu sur vous est vrai, je pense que nous allons pouvoir coopérer. J’ai besoin de vous, car tout indique que la fête ne va pas durer.

-       Comment le savez- vous ?

-       Les rumeurs ont parfois un fond de vérité et c’est une partie de mes attributions d’établir leur véracité. Vous avez entendu les rumeurs parlant de grands hommes habillés de noir et furetant un peu partout, je me trompe ?

-       Oui, mais j’ai entendu tant de choses, la rumeur dont vous parlez est contredite par au moins six autres.

-       Pourtant celle-ci est vraie, des hommes mal intentionnés se sont introduits dans le Royaume et dans la ville. Malheureusement, je ne sais que peu de choses et leur plan précis reste un mystère.

-       Ils agiront à la nuit tombée, je pense.

-       Pourquoi cette certitude ? Tout le monde n’agit pas sous le couvert de l’obscurité comme vous. Bref, restez vigilants tous les deux. J’ai également prévenu vos amis mais je pense que, contrairement à vous, la joie de l’instant va les distraire un peu plus.

-       J’aurai aimé en profiter moi aussi, mais les circonstances imposent le contraire.

-       Il en faut pour se sacrifier pour les autres, si nous réussissons beaucoup de gens seront vivants demain au lieu d’être morts, grâce à vous. Ce sera votre seule récompense car ils ne vous connaîtront pas, mais cela en vaudra quand même le centuple de votre sacrifice. »

La voix d’Elfrad se faisait de plus en plus distante jusqu’à être moins qu’un murmure et disparaître. Lorsque Fildar s’en rendit compte, l’ancien intendant avait disparu. Des applaudissements retentirent alors dans toute la Cathédrale en écho aux derniers mots du Roi :

«  Je vous déclare donc unis par les liens du mariage ! »

Puis plus bas à l’intention de Soldoban :

«  Vous pouvez embrasser la mariée. »

Fildar et Sybille se joignirent au tonnerre d’applaudissements qui clôturaient la cérémonie alors que les jeunes mariés, heureux, se serraient l’un à l’autre.

Rapidement la Cathédrale se vida, Soldoban et Al’Ivna fermant la procession de sortie. Sur le parvis, couvert de roses, ils eurent encore le droit à une acclamation et comme il était de coutume, la mariée jeta son bouquet aux jeunes célibataires. Ce fut le timide Vladimir Sandorn qui l’attrapa ce qui lui valu quelques railleries de la part de son frère Imladas.

Puis tous les convives se dirigèrent vers le Palais Royal où avait lieu le banquet et le bal de mariage. Ceci permit à Fildar et Sybille de s’échapper de cette foule pour s’enfoncer dans le reste de la ville où la fête battait également son plein.

Beaucoup de gens utilisaient les petites places de la ville pour des concerts improvisés quand elles n’étaient pas transformées en grandes pistes de danse. Il y avait un monde impressionnant de personnes dans les rues et Fildar comprenait mieux pourquoi ils n’avaient pas pu être logés dans une auberge la veille au soir car, bien qu’il ait déjà participé aux festivités du Jour du Roi, il était jusque là toujours resté dans la ville haute.

Conformément aux conseils d’Elfrad, il restait attentif et essayait de repérer les personnes suspectes. Cependant ces derniers restaient apparemment discrets car de longues heures s’étirèrent sans que ni Fildar ni Sybille n’en repèrent un.

Au bout d’un moment, alors qu’ils étaient attablés au balcon d’un café qui s’étendait sur plusieurs étages et qui leur permettait de profiter d’une belle vue sur la Place Guillmarc’h Premier, l’une des plus vastes places de la ville basse, célèbre pour son marché, Sybille désespéra :

«  Nous ne savons même pas leur but, ni encore moins leur cible. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

-       Suffit de brûler la botte.

-       On ne va pas brûler la ville pour les faire sortir de leur trou !

-       Bien sûr que non. Dis moi, tu ne trouves pas que de plus en plus de gens quittent la place, fit Fildar en changeant de sujet, il est encore tôt pourtant.

-       N’y-a-t-il pas une allocution du Roi dans pas très longtemps ?

-       Le Roi ! s’exclama Fildar.

-       Quoi le Roi ? s’inquiéta Sybille.

-       C’est leur cible, le moment où il sera le plus exposé. A la vue de tous.

-       Le plus exposé ? J’en doute, toute la Garde Royale, au grand complet, quadrillera la place où aura lieu l’apparition publique. Ingald sera inatteignable.

-       Imagine seulement qu’ils soient suffisamment nombreux pour submerger la Garde.

-       C’est pour cela que les armes sont scellées en ce jour, répondit Sybille du tac-au-tac en désignant les liens qui entouraient l’arme de son vis-à-vis.

-       Ça m’inquiète quand même. Il faut que nous trouvions un bon point d’observation et discret.

-       Pourquoi pas les toits ? Si nous restons couchés, nous sommes difficilement repérables, surtout que la nuit va commencer à tomber.

-       Allons-y. »

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  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

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Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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