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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 21:03

XXI 

Guérison

 

Les averses étaient nombreuses en ces mois printaniers et avaient transformé les routes de terre en sillon de boue, ce qui ralentissait beaucoup le voyage de Sybille vers Vessala. En effet, elle se déplaçait avec une charrette pour pouvoir transporter Fildar. Le meilleur moyen qu’elle avait trouvé pour éviter les questions et passer plus inaperçue avait été d’acheter un cercueil pour le corps inconscient. S’habillant de uniquement de noir depuis son départ de Bonnenbourg, elle passait pour une endeuillée. D’ailleurs dans les villages qu’elle traversait, elle était souvent surnommée la Veuve Noire. Elle ne faisait rien pour le démentir, cela évitait de nombreuses questions. Naturellement, les villageois préféraient se tenir à l’écart d’une femme toute de noir vêtue et transportant, pour tout bagage, un cercueil dans sa charrette. Sybille espérait de tout cœur que Fildar saurait lui pardonner ce déshonneur, encore plus grand que de voyager en charrette pour le chevalier qu’il était.

Le matin était encore jeune et la brume matinale occultait l’horizon mais, enfin, Sybille pouvait voir l’orée du bois. L’avantage de ce type de temps nuageux était que le Soleil était souvent éclipsé et ne donc le voyage en devenait plus aisé. En effet, lorsque l’astre diurne rayonnait, il devenait difficile pour Sybille de supporter la lumière. Depuis quelque temps, son intolérance à la lumière s’était accentuée au point que même avec ce ciel couvert, elle préférait porter son capuchon profondément ramené sur son visage.

En ces temps incertains, les voyageurs se faisaient rares et Sybille n’en avait croisé que très peu de Bonnenbourg au carrefour qui lui avait fait quitter la Grand’ Route, aucun depuis. En même temps seuls les inconscients prenaient cette direction, même en temps normal.

Il ne fallut pas longtemps à Sybille pour atteindre l’orée du Bois et y pénétrer. Elle ne trouva qu’un mot pour décrire l’atmosphère de ces lieux, oppressante. Une fois qu’elle passa la première barrière d’arbres, la nature se tut, le silence se fit. Très vite également, les rayons du Soleil furent cachés par les branches et la lumière ambiante en fut de beaucoup atténuée ce qui était bien plus supportable pour elle.

Sybille n’avait aucune idée de la façon de trouver Vessala. Fildar lui avait dit que ce serait les gens de la cité cachée qui la trouveraient en premier. Elle avait donc juste à suivre le chemin  qui traversait la forêt de long en large et prier pour les hommes de Siougrev ne tuent pas sans sommation.

Bercée par les mouvements de balancier de la charrette et le silence ambiant qui n’était troublé que par le pas lourd des sabots du cheval de trait, les crissements du véhicule et sa propre respiration, Sybille somnolait. Ainsi lorsqu’une voix d’homme lui somma de s’arrêter, elle sursauta.

«  Que faites vous dans ces bois ? demanda la voix.

-       Je dois me rendre à Vessala pour rencontrer votre maître, le Seigneur Siougrev.

-       Le fait que vous connaissiez ces noms montre que vous n’êtes pas là par hasard. Pourtant, je ne peux vous conduire à mon maître sous le seul prétexte que vous connaissez son nom.

-       Je suis là pour ses talents de Guérison. Seul lui a les capacités de m’aidez. Je me rends, sans condition, à votre jugement.

-       Je ne sais pourquoi, mais je suis tenté de vous croire. Je vous conduirais à lui, Dame, mais vous ne verrez le chemin et vous me remettrez toute arme.

-       Comme il vous plaira, bandez-moi les yeux.

-       Très bien, faites attention au moindre geste brusque, je n’hésiterai pas à vous tuer. »

Sybille l’entendit alors approcher. Sur sa gauche un homme s’approcha, encapuchonné d’une cape verte sombre qui lui permettait de se fondre aisément dans la forêt sans être repéré. D’une de ses poches il sorti une bande de tissu qu’il noua autour des tempes de Sybille. Il s’installa ensuite à ses côtés sur le banc de la charrette, lui prit les rênes des mains et les fit claquer. Ils reprirent alors leur progression, sans que Sybille ne puisse voir où ils se rendaient, ce qui était une sensation étrange de se déplacer sans voir sa destination.

L’homme n’avait pas remis le capuchon de Sybille après lui avoir bandé les yeux. Les arbres cachaient tellement le Soleil qu’elle ne sentait pas sa chaleur sur la peau de son visage. Ces derniers temps, elle avait appris à craindre la lumière du jour qui lui irritait la peau et lui donnait des maux de tête. Sous les arbres du Bois Cendré, elle se sentait bien, ainsi elle ne demanda pas à ce que l’inconnu lui remette le capuchon en place.

Alors qu’ils s’enfonçaient plus avant dans le bois, le silence régnait et n’était interrompu que par les quelques crissements de la charrette et le bruit des sabots du cheval de trait.

Le trajet dura une bonne heure, jugea Sybille mais elle ne pouvait en être sure, les yeux bandés. L’homme resta muet tout ce temps et donc elle sursauta lorsqu’elle entendit une voix de femme s’exclamer :

«  Dylan ! Qui est cette femme que tu nous ramènes ?

-       Elle insiste pour rencontrer maître Siougrev.

-       Il médite sous le chêne millénaire, comme à son habitude. Conduit la et laisse cette charrette ici.

-       N’y touchez pas, je vous prie, intervint Sybille, ce que je transporte est important.

-       Un cercueil ? Maître Siougrev ni personne ne peut ressusciter les morts.

-       N’y touchez pas, c’est tout ce que je vous demande.

-       Garde un œil dessus, chérie. » demanda Dylan alors qu’il aidait Sybille à descendre.

Il l’entraîna les mains posées sur ses épaules en lui indiquant les différents obstacles. Le chemin qu’ils empruntaient était tellement compliqué que même si elle avait voulu essayer de se le rappeler, elle n’aurait pu tant la tâche était ardue.

Après un moment, elle sentit sous ses pas qu’ils traversaient une sorte de pont en bois, firent quelques pas où Dylan dû la guider à travers ce qui semblait être des racines, puis ils s’arrêtèrent. Une voix, profonde, devant eux s’exclama alors :

«  Je déteste être dérangé pendant que je médite, tu devrais le savoir, Dylan.

-       Oui, maître. Seulement, j’amène avec moi une femme qui souhaite votre assistance.

-       Retire-lui son bandeau. »

Il s’exécuta. Après s’être rapidement habituée au retour de la lumière, Sybille pu alors observer le maître de Vessala. Il était assis sur une sorte de rocher plat, face au ravin qu’ils avaient traversé par le pont et qui créait une sorte d’île autour de l’immense chêne qui devait bien être millénaire. Il leur tournait le dos et sa tête chauve semblait fixer la profondeur de la forêt qui s’étendait au-delà du gouffre. Dylan, quant à lui s’était placé en retrait, appuyé au tronc de l’arbre et il attendait sans un mot.

«  Laisse-nous, Dylan » ordonna Siougrev.

Sans plus attendre l’homme tourna les talons et s’en alla par le petit pont de bois qui était derrière Sybille. Lui partit, elle n’osa pas prononcer un mot avant Siougrev. Une minute passa, puis deux avant que le maître de Vessala brise le silence :

«  Cela fait bien longtemps que personne ne m’ait dérangé ainsi.

-       Pardonnez ma hardiesse, Seigneur, implora-t-elle en ployant le genou.

-       Non, je ne veux pas de cela, fit-il en se levant. Trop peu de gens ont l’audace de briser ainsi la routine des autres. J’admire cela. »

Il se retourna et tendit la main pour aider Sybille à se relever. Elle put alors détailler son visage. Il semblait avoir une quarantaine d’années avec quelques rides mais sans plus. Pourtant ses yeux, d’un bleu sombre semblaient lire dans son âme et être emplis d’une sagesse comme seul un homme ayant vécu une longue vie pouvait acquérir.

«  Vous avez bien du chemin pour venir me voir. Votre mal, bien qu’inconnu, n’a pas l’air si grand, les soins sont-ils si mauvais hors d’ici ?

-       Ce n’est pas pour moi que je suis venue. Mon ami, que vous connaissez, a, jusque là, survécu à une blessure de Dakhart.

-       Conduisez-moi à lui. Immédiatement. »

Le changement de ton de la voix de Siougrev indiqua à Sybille qu’il ne prenait pas cela à la légère. Même ses yeux reflétaient désormais une froide détermination. Sans attendre, elle lui indiqua l’endroit approximatif et lui emboita le pas. Sur le passage du maître, tous interrompaient leurs activités, intrigués de le voir suivi d’une étrangère.

S’arrêtant devant la charrette, Sybille demanda à ce que le cercueil soit transporté dans une pièce sombre, dont on pouvait clore toutes les ouvertures lumineuses. Siougrev interpella quatre hommes qui se trouvaient là pour les aider. Ils transportèrent le cercueil dans une grande habitation en bois qui était construite autour d’un large tronc. Elle semblait avoir été faite sans jamais heurter l’arbre, épousant ses formes, respectant ses racines. La pièce où ils emmenèrent le cercueil avait été aménagée sous le tronc, avec les racines qui faisaient office de plafond. Sybille était stupéfaite par la beauté de cette réalisation. Devant son air ébahi, Siougrev déclara :

«  Moi aussi, la première fois, j’ai été bluffé par l’architecture des Elfes Noirs.

-       Vous êtes allés chez eux et vous avez survécu ?

-       Autrefois, ils n’étaient pas autant renfermés sur eux-mêmes qu’aujourd’hui. La Conquête et la Fondation de l’Empire par Logarn que les humains louent tant ne fut pas si heureuse pour les autres races. Déposez-le au centre, indiqua Siougrev aux porteurs, et laissez nous. »

Les hommes déposèrent le cercueil à l’endroit indiqué et sortirent. La porte fermée, la pièce était vraiment sombre, éclairée à la lumière de quelques bougies. Le Seigneur de Vessala souleva le couvercle et commença à analyser le corps.

Fildar avait beaucoup maigri depuis qu’il était inconscient. Ses joues s’étaient creusées et étaient devenues très pâles. Il était méconnaissable. Siougrev poussa un long soupir et tendit les mains au dessus du corps inanimé. Ses paumes s’illuminèrent. En réaction la peau de Fildar, très pâle se grisa plus ou moins sur tout son corps sauf au niveau de la tête et une partie de la poitrine, au niveau du cœur, qui restèrent aussi blanches que neige. Quant à son bras droit, là où le Dakhart l’avait entaillé, était aussi noir que les plus profondes ténèbres.

«  Généralement, les maux que je soigne ne se caractérisent que par quelques plaques noires. J’ai peur que ce mal dépasse mes compétences.

-       Vous ne pouvez rien faire ? Il m’avait dit que vous étiez un grand Guérisseur.

-       Fildar Korventen, c’est bien lui, n’est-ce pas ? Lorsque j’ai soigné son Prince, le mal était bien moindre. L’école de Guérison s’est beaucoup affaiblie depuis mon époque, non ?

-       D’après ce que l’on en dit, aucun mage n’est né avec le Don de Guérir depuis des centaines d’années.

-       C’est bien ce que j’avais compris. Je vais voir ce que je peux faire mais avant laissez-moi vous soigner.

-       Ce n’est pas pour moi que je suis venue. Je peux très bien vivre ainsi.

-       Regardez vous-même. »

Siougrev répéta son examen sur Sybille et elle se rendit compte que de nombreuses petites plaques noires parsemaient sa peau, en particulier autour de sa main gauche, là où Fildar dans un dernier sursaut la lui avait entaillée avant de sombrer dans l’inconscience.

«  Vous êtes plus atteinte que je ne le pensais. Je pense pouvoir facilement stopper la progression de cette infection, après l’avoir étudiée.

-       J’aurai préféré que vous vous occupiez de Fildar d’abord.

-       Ce mal m’est inconnu. Il faut que je l’étudie, je ne me risquerai pas à soigner votre ami s’il y a plus de chance que je le tue par ignorance. De plus il a atteint un stade où seul son esprit résiste encore. Il est fort d’avoir résisté jusque là, je pense qu’il est stable pour un moment encore. Je vais l’aider à soulager la douleur, pour le moment. »

Il passa sa paume lumineuse au-dessus du corps, une partie de la lumière émise semblait être absorbée. Quand Siougrev eut fini, Fildar poussait un tout petit gémissement que l’on pouvait prendre pour du soulagement.

«  Voilà, c’est votre tour maintenant, ma Dame, qui avez oublié de vous présenter.

-       Je me nomme Sybille, répondit-elle presqu’en s’excusant, fille du Duc Veassen de Rembrunt.

-       Très bien, Dame de Rembrunt, dormez maintenant. »

Elle voulu protester mais le mage saisi ses tempes de sa main lumineuse et elle sentit une grande sérénité, toutes ses inquiétudes pour Fildar, son voyage et cet endroit semblait s’évaporer comme neige au Soleil. Sa vue se brouillait de plus en plus et la dernière chose qu’elle vit furent les yeux bleus et sombres de Siougrev qui se voulaient rassurants.

 

*

* *

 

Lorsque Sybille rouvrit les yeux, elle se trouvait dans une chambre et dans un lit qui lui étaient inconnus. Tout était fait de bois, même aux murs, aucune trace de pierre. La pièce était éclairée par une grande ouverture et le Soleil brillait haut dans le ciel, il ne devait pas être loin de midi. Voyant cette lumière si forte, Sybille eut le reflexe de se recouvrir brusquement des couvertures. Elle avait été exposée à l’astre du jour ce qui lui irritait toujours la peau.

Il lui fallut un moment avant de réaliser qu’il n’en était rien, la lumière ne l’avait pas brûlée du tout. Peu à peu tout lui revint, Siougrev, sa promesse d’essayer de la guérir, son voyage jusqu’à Vessala et Fildar pour qui elle l’avait entreprit.

Si elle ne sentait plus rien au contact de la lumière du Soleil, c’était que Siougrev avait réussi à la guérir ! Il avait dû guérir Fildar également!

Sans plus attendre, elle voulu sortir aller le voir. Elle sauta du lit et se dirigea vers la porte. Elle allait l’ouvrir mais au dernier moment, arrêta son geste. Elle était nue. Ses yeux firent le tour de la pièce pour voir si ses vêtements y étaient. Fort heureusement, il y en avait là, sur un tabouret à l’autre bout du lit, juste sous la grande fenêtre ronde. Prestement, elle se dirigea vers eux et commença à les enfiler. Ses mains étaient engourdies ce qui rendait la tâche ardue.

Elle avait à peine boutonné la moitié du chemisier blanc que quelqu’un ouvrit la porte sans s’annoncer. Sybille se raidi, elle fit attention à couvrir sa poitrine du tissu blanc et le maintint d’un bras passé en travers avant de se retourner lentement. Le jeune garçon qui se tenait là ne semblait pas avoir plus de dix ou douze ans. Droit comme un piquet, il écarquillait des yeux. Son regard la jugea de haut en bas et lorsqu’il vit ses jambes nues depuis la mi-cuisse jusqu’aux chevilles, il faillit lâcher les draps qu’il tenait, probablement pour changer le lit.

«  Pardonnez moi, ma Dame, je ne voulais pas, commença-t-il.

-       Ce n’est rien, dépose ce linge et va me chercher Siougrev ou quelqu’un de compétent.

-       Tout de suite ! fit-il en tournant les talons.

-       Et, ajouta-t-elle avant qu’il ne disparaisse de la chambre, n’oublie jamais de t’annoncer avant d’entrer dans la chambre d’une femme. Cela te sera utile à l’avenir.

-       Oui, ma Dame, je ferai attention. »

Le jeune garçon sortit, Sybille put finir de se rhabiller. Ces vêtements n’étaient pas les siens, à part les sous-vêtements blancs, ils étaient dans les tons verts, comme tous les forestiers des Bois Cendrés qu’elle avait aperçus avant que Siougrev s’occupe d’elle.

Le vert lui faisait toujours penser à sa mère qui en portait continuellement, car elle restait attachée à sa famille dont le blason était un cygne blanc sur champ vert. A contrario son père portait le plus souvent du bleu et du blanc en référence à son emblème familial, le lys d’azur sur fond immaculé. Les rapports entre ses deux parents avaient toujours été tendus selon ce qu’ils en laissaient voir – consciemment ou non – à Sybille.

Elle avait à peine fini d’enfiler ses bottes noires – au moins celles-ci étaient les siennes ! – que quelqu’un frappa à la porte. Au moins celui-ci savait qu’elle était réveillée, il n’entrerait pas sans qu’elle le lui dise.

«  Entrez, dit-elle en se relevant.

-       Ma Dame, fit l’homme qu’elle reconnut comme étant Dylan, veuillez tout d’abord excuser Tom, mon fils, il n’a pas voulu être impoli.

-       Je ne lui en veux pas, n’aillez crainte. Si c’est vous que le Seigneur Siougrev envoie, pourriez vous me conduire à lui ?

-       Personne n’a vu le Seigneur depuis longtemps. Il s’est enfermé dans la salle du cercueil de votre ami et n’en sort jamais. Il a demandé à ce que des repas lui soient déposés devant la porte à heures fixes et qu’il ne voulait pas être dérangé.

-       Depuis combien de temps suis-je inconsciente ?

-       Votre rétablissement a duré presque six mois. Vous vous êtes réveillée à de nombreuses reprises entre temps mais vous déliriez ou vous ne vous souveniez pas de qui vous étiez.

-       Six mois… fit-elle pensivement. Menez-moi à votre Seigneur Siougrev.

-       Il ne veut voir personne.

-       Si comme vous le dites, cela fait longtemps qu’il s’est enfermé, le fait que je soie de nouveau consciente devrai l’intéresser un minimum.

-       Je veux bien vous emmener devant sa porte. Vous essaierez de lui parler si cela vous amuse de perdre votre temps.

-       Faites donc. »

Il lui demanda alors de le suivre et ils sortirent de la chambre. De là ils descendirent un escalier et traversèrent ce qui semblait être un salon ou ils croisèrent le fils de Dylan. Celui-ci ne put s’empêcher de fixer Sybille dès qu’elle entra dans la pièce et plus particulièrement ses jambes désormais vêtues, ce à quoi elle répondit par un grand sourire et un clin d’œil qui firent rougir le jeune garçon jusqu’aux oreilles. Son père, qui avait suivi l’échange silencieux, fit mine de froncer les sourcils ce qui fit rire Sybille intérieurement.

En y repensant, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu l’occasion de sourire. Elle était comme soulagée d’un poids qui avait pesé sur son humeur sans qu’elle s’en rende compte quand elle voyageait seule. Il ne manquait plus que Fildar aille bien et tout irai pour le mieux.

Elle sortit de ses pensées lorsque Dylan lui indiqua la fameuse porte et la laissa devant sans un mot de plus, elle ne souvenait même plus du chemin qu’ils avaient emprunté pour arriver devant cette porte. Ils étaient sortis de la maison – qui devait être celle de Dylan tout compte fait – et avaient fait quelques pas, mais elle serait incapable de se retrouver l’habitation de départ. Le plus surprenant était qu’elle ne se souvenait même plus avoir senti le Soleil ni même plissé des yeux, pourtant comme elle l’avait estimé à son réveil, il ne devait pas être loin de midi.

Elle soupira un coup et frappa un coup à la porte. Sybille s’attendait à ne pas avoir de réponse et devoir s’annoncer pour que Siougrev lui ouvre, mais il n’en fut rien.

«  Entrez, Sybille. » fit la voix du Seigneur de Vessala.

Très surprise, elle s’exécuta. La pièce était sombre, uniquement éclairée à l’aide d’une dizaine de bougies et Fildar était là, au centre de la pièce reposant sur un matelas. Siougrev lui tournait le dos, penché sur son patient, apparemment très concentré. Sibylle referma doucement la porte et resta derrière le maître des Bois Cendrés, attendant qu’il s’adresse à elle.

Au bout d’un moment, celui-ci poussa un long soupir et se redressa. Il se retourna et elle vit que son visage n’avait plus rien de solennel tel qu’elle l’avait vu avant. Les traits tirés par la fatigue et les yeux cernés au possible, il semblait au bord de l’épuisement. Siougrev leva vers elle un regard triste.

«  J’ai essayé beaucoup de moyens mais son mal est plus tenace que je n’aurai pu l’imaginer même en étant très pessimiste.

-       Comment va-t-il ?

-       Pas mieux en tout cas, peut-être même un peu moins bien. Je suis désolé, mon savoir ne peut pas grand-chose de plus.

-       Vous n’allez pas abandonner ! s’exclama-t-elle alors qu’elle sentait des larmes lui monter aux yeux. N’y a-t-il point un moyen de requérir plus de pouvoir vu qu’il vous en manque ?

-       Personne à ma connaissance n’est capable de soigner un tel mal, même à mon époque j’étais l’un des meilleurs Guérisseurs et aujourd’hui il n’y en a plus un seul. Seul Dieu et ses Archanges pourraient lui venir en aide. Il ne reste qu’à prier et je n’ai jamais été bon pour cela.

-       Quel Archange pourrait aider ? Ils n’interviennent jamais directement.

-       Ils le peuvent si vous faites la demande correctement.

-       Pourriez-vous le faire ?

-       Je connais les incantations pour entrer en contact avec l’un d’entre eux, mais les invoquer à un prix, ils ne se dérangent pas pour rien.

-       Je pense que je suis suffisamment désespérée pour en faire la demande. Lequel des Six pouvez-vous appeler ?

-       Les Ténèbres. Je sais, il n’a pas une réputation de bienfaiteur, ajouta-t-il alors que Sybille laissa libre cours à ses larmes, mais je suis sûr que vous pourrez le convaincre.

-       Faites-le ! Je n’ai rien à perdre.

-       Réfléchissez y bien. Je vous laisse jusqu’à la nuit. Je vais me reposer un peu, ce genre d’incantation est difficile et épuisante. »

Il sortit sans plus de cérémonie, laissa Sybille seule, sanglotant. Elle levait les yeux de temps en temps sur Fildar, inexpressif, il n’avait pas changé tout le temps que Siougrev s’était occupé de lui, toujours aussi pâle, presque cadavérique.

 Venant de Bonnenbourg, il était normal qu’elle fût très pieuse. Depuis sa tendre enfance, son père, le duc de Rembrunt, qui était un proche du clergé de la Cathédrale du Sacre, l’avait initiée à la prière. Pourtant de tous les Archanges, celui des Ténèbres était, pour Sybille, maléfique et elle ne lui adressait presque jamais une prière complète.

Jamais personne n’avait évoqué la possibilité d’appeler un Archange à intervenir directement, le seul fait que cela soit possible dépassait l’entendement. Ils étaient divins, ne se souciant que peu des affaires du monde sauf quand celui-ci était en péril. En invoquer un pour sauver Fildar…C’était inespéré. Encore fallait-il qu’il accepte de l’aider. Il allait exiger un prix, évidemment, et il serait élevé, assurément.

Elle détailla encore une fois le visage de Fildar qui était encore beau malgré la maladie qui le rongeait. Cela en valait la peine. Peu importe le prix qui serait demandé, elle le paierait.

La journée passa plus vite qu’elle ne le crut et elle fut surprise lorsque Siougrev revint, visiblement reposé, prêt à appeler l’Archange.

«  Vous n’avez pas changé d’avis ? demanda-t-il.

-       Non. Faites-le, s’il vous plait.

-       Je n’ai pas pratiqué cela depuis longtemps, avant la fin de la Conquête, en fait. C’est toujours dangereux de déranger un Archange. Reculez-vous. »

Sans un mot, elle obéit et observa Siougrev prononcer des incantations dans une  langue qu’elle n’avait jamais entendue. Jusque là elle n’avait vu que très peu de fois des mages à l’œuvre et jamais ceux qui avaient un Don ne prononçaient d’incantation. Quant à ceux qui n’en avaient pas, leurs formules étaient beaucoup plus courtes. En réalité, le Seigneur de Vessala semblait prier, comme en transe.

Patiemment elle attendit, rien ne se passait. Siougrev psalmodiait de plus en plus vite, faisait de courtes pauses puis recommençait encore et encore.

La sueur commençait à sérieusement perler sur son crâne chauve lorsque, soudain, une sorte de violente brise souffla et éteignit toutes les bougies qui éclairaient la pièce. Elle semblait prendre sa source du mur en face du maître des Bois Cendrés que celui-ci fixait intensément depuis le début.

Il avait arrêté son incantation. Dans le noir le plus total ils attendirent. Une minute passa puis deux avant qu’une voix qui semblait féminine retentit.

«  Depuis plus de deux mille ans, personne n’a jamais osé prendre le temps de prononcer les mots pour me faire venir ainsi. »

Subitement une bougie se ralluma, puis deux, proches du mur du fond. La faible lumière ainsi créée permettait de distinguer la silhouette d’une femme. Entièrement vêtue de noir, avec une longue robe au décolleté provoquant tellement il était plongeant, laissant apparaître bien plus que ne suggérant la forme de sa poitrine. Sa peau était blanche comme la craie et sa longue chevelure, obscure comme une nuit sans lune. Ses lèvres, fines, étaient noires. Ses yeux, entièrement noirs, semblaient vous transpercer de part en part sans que vous ne puissiez leur cacher quelquechose. Tout en elle était soit complètement sombre soit entièrement blanc.

Ses yeux sans pupille se posèrent sur Fildar, puis sur Sybille et enfin revinrent sur Siougrev.

«  Ainsi c’est pour eux que vous m’appelez.

-       Oui, Archange, répondit Siougrev qui semblait troublé par quelque chose mais il n’en dit rien.

-       Je croyais que les Archanges étaient des hommes, intervint Sybille.

-       Vous vous trompiez, nous somme ce que nous sommes. Je suis l’Archange des Ténèbres, Humble Servante de l’Eternel. Je suis la Vierge Noire. Et vous, femme, qui êtes-vous ?

-       Je me nomme Sybille de Rembrunt.

-       Et vous, qui connaissez mon nom ?

-       Je suis Siougrev, fit froidement le Seigneur de Vessala.

-       Et lui, qui est-il ? demanda l’Archange en désignant le malade.

-       Fildar de Korventen, répondit Sybille. Pardonnez mon audace, Archange, je vous demande humblement de l’aider, sans vous il ne survivra pas.

-       Et pourquoi le ferai-je ? Pourquoi irai-je défier le destin qui lui a été attribué ?

-       Je vous donnerai ce que vous désirez.

-       Que puis-je attendre d’une simple humaine sinon la déception ?

-       Je vous offre mes services, à compter de ce jour, ordonnez et j’obéirai. Et je suis sure que Fildar vous offrira les siens en reconnaissance.

-       Vous vendriez le libre arbitre de cet homme pour le sauver.

-       Je n’ai pas dit ça…

-       Très bien, la coupa la Vierge Noire, j’accepte. De quoi souffre-t-il ?

-       Une morsure de Dakhart. C’est la première fois que je vois quelqu’un y survivre plus d’une minute, expliqua Siougrev.

-       Ainsi il a suffisamment de volonté pour s’opposer à ce poison. La plupart du temps leur volonté s’effondre lorsqu’ils comprennent ce qu’ils deviendront s’ils laissent le venin faire sont œuvre. Ils se laissent mourir plutôt que de le combattre. Lui, il l’a combattu, il l’a même vaincu, j’ai l’impression, dit-elle pensivement avec une main sur le front du malade.

-       Il l’a vaincu ? Pourquoi est-il encore si mal alors ? demanda brusquement Sybille.

-       Pour cela, continua la Vierge Noire sans faire attention à la remarque, il a dû sacrifier une partie de son humanité pour mêler une partie du poison à lui. Malheureusement, la partie qu’il a rejeté, la plus mauvaise est tenace et a continué son œuvre. Sa volonté est forte, il tient toujours mais cela ne durera plus longtemps, les forces que vous lui avez insufflées en essayant de le guérir s’amenuisent, Siougrev. Je peux essayer de lui enlever le poison qui le ronge mais je ne pourrai pas lui rendre la part d’humanité qu’il a abandonné volontairement. Pour cela j’aurai besoin de votre aide, Sybille.

-       Que puis-je faire ? Je ne connais rien à la Guérison.

-       Il ne s’agit pas de cela. Son esprit doit être purifié. Il vous connait bien et saura que si vous apparaissez dans son esprit il pourra vous faire confiance.

-       Dans son esprit ?

-       Oui, je vais vous y envoyer. Sachez qu’il est comme assiégé, ses souvenirs les plus noirs se retournent contre lui. Trouvez le et aider le à vaincre ses peurs.

-       Comment saurai-je comment m’y prendre ?

-       Vous trouverez bien un moyen. Si vous échouez vous serez coincée dans cet esprit corrompu et je ne pourrai plus rien pour vous. Nous serons contraints de l’éliminer et vous aussi par la même occasion. Une telle abomination doit mourir.

-       Je suppose que je n’ai pas le choix.

-       Vous avez devinez. Donnez-moi votre main. »

Docilement, Sybille lui tendit la main droite. La Vierge Noire la saisit et avec sa main libre elle toucha le front de Fildar. Inspirant profondément, elle ferma ses yeux noirs. Lorsqu’elle les rouvrit, la jeune femme se sentit défaillir comme si son esprit se faisait absorbé. Peu à peu tout s’assombrit.

 

*

* *

Lorsque Sybille rouvrit les yeux – elle ne se rappelait pas avoir perdu conscience pourtant elle s’était bel et bien évanouie – elle ne reconnut pas l’endroit où elle se trouvait. Si tant est qu’un tel environnement était possible. En effet, elle semblait flotter dans le vide, il n’y avait ni haut ni bas. L’obscurité était complète, jamais Sybille n’avait vu cela. Elle commençait à prendre peur lorsque la voix de la Vierge Noire retentit :

Vous êtes de nouveau consciente, bien. Je vais vous guider.

-       Suis-je dans l’esprit de Fildar ? C’est… vide.

Non, ceci n’est pas son esprit, c’est un passage intermédiaire, obligé pour vous protéger. Si je vous avais envoyé directement dans son esprit, il aurait pu mal réagir et, vous considérant comme intruse et dangereuse, essayer de vous tuer. Préparez-vous, et rappelez vous que son esprit est malade, si quelque chose vous parait impossible dans la réalité, elle est possible ici. Seul le malade décide comment tourne son monde.

-       Je suis prête.

Très bien, bonne chance.

La voix se tut et Sybille eut l’impression d’être propulsée vers une lumière qui venait d’apparaître et qui grandissait à grande vitesse. Lorsqu’elle l’attint, elle arriva sur une grande place pavée. Le sentiment d’avoir un sol palpable sous ses pieds lui fit du bien. Elle ne reconnut pas tout de suite l’endroit, en fait certaines parties de son environnement étaient floues, comme imprécises. Observant autour d’elle, la jeune femme finit par apercevoir une bannière bleue avec un aigle d’or. Elle était à Callaven, mais pourquoi Callaven ?

Vous êtes dans son esprit, seul lui décide, rappela la voix de la Vierge Noire retentissant dans sa tête. Trouvez-le et vous comprendrez pourquoi cet endroit le trouble.

Sybille commença à se déplacer, très vite elle comprit que l’endroit avait ses limites. En effet, si elle se rapprochait trop des parties floues, peu à peu, tout semblait vaporeux et instable. Elle décida qu’il valait mieux ne pas s’y aventurer.

Elle traversa donc la place dans l’autre sens et tout devint peu à peu plus net. De là, elle attint l’un des jardins de la ville qui ne devait pas être loin du Palais Royal. Dans le jardin, deux enfants semblaient jouer dans l’herbe. Où était Fildar ? Elle n’avait vu aucun détail pouvant indiquer sa présence ou la raison pour laquelle c’était cet endroit qui était présent dans son esprit.

Les deux enfants la bousculèrent en passant devant elle en courant. Le plus jeune devait avoir cinq ans et semblait fuir l’ainé qui le poursuivait en riant. Généralement, Sybille aimait bien les enfants mais là elle n’ait pas le temps pour ces enfantillages. Surement que leurs parents n’étaient pas très loin, après tout, les jardiniers n’aiment pas voir des enfants courir dans leurs espaces sans surveillance.

Réalisant soudain qu’elle n’avait vu personne jusqu’ici, elle se concentra sur les deux enfants. Peut être que Fildar était l’un d’eux, après tout elle était dans son esprit et lui seul édictait les règles du possible et de l’impossible.

Intriguée, elle s’approcha des deux garçons. Le plus grand, semblait avoir environ dix ans, avait réussi sans grande difficulté à rattraper le cadet qui s’était écroulé par terre. Ce dernier se tenait le genou, il s’était fait mal mais l’ainé ne semblait pas s’en soucier, continuant à affirmer être le plus fort.

«  Tu ne seras jamais à la hauteur ! Fildar est nul ! clamait-il à tue-tête.

-       J’ai mal ! sanglotait l’autre. S’il te plait, Duncan, aide-moi !

-       Père dit qu’un homme doit pouvoir se relever seul. Je ne t’aiderai pas, petit frère. Tu es faible et tu dois t’endurcir. »

Fildar avait un frère ainé ! Cette nouvelle intrigua Sybille car il s’était toujours présenté comme l’héritier de la famille Korventen. Jamais il n’avait mentionné ce lien familial. Pourtant elle lui avait parlé de ses deux frères. De plus, quelque chose clochait avec cet enfant, il semblait avoir des spasmes qui le rendaient flou et sombre le temps d’un instant.

En s’approchant encore plus, elle vit que le regard de l’ainé – Duncan ? – était complètement rouge sang. Il avait vraiment une tête à faire peur. Quand celui-ci la vit approcher, elle sentit une rage infinie dans son regard. Se tournant vers le petit Fildar il prit une dague qui était à sa ceinture. Pourtant Sybille était sure qu’il n’en portait pas juste avant ! Duncan s’avança pour poignarder son frère, mais elle s’interposa.

Le rouge des yeux de Duncan se fit plus intense mais elle lui rendit son regard en prenant l’enfant de cinq ans dans ses bras. Comme il se faisait de plus en plus menaçant elle donna un violent coup de pied dans le ventre du gamin de dix ans. Celui-ci expira un long râle, puis, subitement, ses yeux redevinrent blancs.

Tout alors changea autour d’elle, Duncan s’estompa peut à peu tout comme son environnement. Seul Fildar resta et il la regarda avec ses yeux d’enfant. Il lui avait dit qu’avant sa transformation ses yeux étaient ambrés pourtant le garçon avait déjà les yeux violets tirant sur le rouge.

Ce qu’elle venait de voir n’était donc pas un souvenir comme elle l’avait cru au premier abord, elle était bel et bien dans l’inconscient de Fildar. Ainsi le poison attaquait ce sanctuaire en essayant de pervertir son esprit.

Elle sentit que le garçon qu’elle tenait dans les bras se faisait plus léger et, le scrutant plus précisément, elle vit qu’il commençait à disparaître.

«  Merci d’être venue, Sybille, le vert te va si bien, fit le garçon de sa voix aigue en faisant  référence à sa tenue. Malheureusement, il est encore là, quelque part. Il ne me laisse jamais tranquille bien longtemps. »

Avant qu’elle ne puisse lui demander toutes les questions qui lui brulaient les lèvres, il disparut et elle se retrouva seule dans le noir et aucun indice pour continuer à aider Fildar.

Comme il vous l’a dit, vous n’avez pas fini, retentit la voix de la Vierge Noire dans sa tête. Faites attention pour la suite, désormais vous ne les surprendrez plus.

Une nouvelle fois, lorsque la voix se tut, une lueur apparut au loin et Sybille se sentit propulsée vers elle. Cette fois ci elle arriva dans une pièce sombre, qui avait de grandes fenêtres mais il faisait nuit et aucune bougie n’était allumée. La pièce était grande et semblait assez luxueuse, comme une salle de banquet d’un manoir d’un noble fortuné. Elle ne reconnaissait pas l’endroit et la bannière qu’elle pouvait à peine distinguer représentait un ours noir sur un fond clair, ce qui ne lui évoquait rien. En tous cas, la pièce était beaucoup plus nette que le jardin précédent, avec de nombreux détails et semblait beaucoup plus réelle qu’imaginée.

Deux personnes semblaient discuter dans la pièce adjacente. Prudente, la jeune femme se rapprocha et colla son oreille contre la porte. La voix bourrue d’un homme grondait :

«  Tout cela, c’est à cause de ce satané Morwind. Depuis qu’il gouverne, pendant que son frère – le Roi ! – passe du bon temps dans un monastère de l’Empire, il prend des décisions à sa guise sans consulter personne. Le Roi a déjà laissé le trône à son frère pendant deux ans lorsque son fils est mort. Combien de temps va durer cette nouvelle régence ?

-       Je le comprends, répondit une femme d’une voix douce, si je te perdais toi et nos deux fils, j’aurai du mal à m’en remettre. Cela fait presque quinze ans qu’il a perdu son fils. Il a besoin de se reposer de temps en temps. De plus, tu sais bien qu’en matière de justice, la parole du Roi – ou du Régent en l’occurrence – est indiscutable,.

-       Et tu le défends en plus ! Il emprisonne notre fils Duncan et toi, tu le défends ! La prison à vie, quel déshonneur ! Jamais il ne pourra prendre ma succession.

-       Ce que Duncan a fait mériterait la mort, selon les lois. Je suis peut être sa mère mais je ne l’ai pas élevé pour cautionner cela.

-       Nous devrions être fiers de lui, peu de nos capitaines auraient eu le cran de poursuivre à travers l’Empire l’escouade qu’avait envoyé Moriannor pour nous espionner.

-       Il a violé la frontière impériale et les a poursuivis jusqu’en dehors de l’Empire. Lorsqu’il les a rattrapés, dans le premier village après la frontière impériale il a ordonné à ses hommes de tuer, de mettre à sac, et de violer les femmes avant de les brûler avec leur village. Personne ne peut cautionner cela !

-       La guerre est rude pour ceux qui n’y sont pas habitués. Dans le Nord, ce genre d’expéditions punitives est monnaie courante et le commandant n’est jamais châtié. Ici, au lieu de couvrir de gloire mon fils, vous l’emprisonnez à vie ! Ma maison est ruinée ! Mon héritier déshonoré. »

Sybille entendit une porte s’ouvrir de l’autre côté de la pièce et un jeune homme – à en juger par sa voix – y entra en disant.

«  Père ! Rappelez-vous que vous n’avez pas qu’un seul fils !

-       Jamais tu ne m’as donné une raison de te considérer comme mon héritier. Il ferait beau voir, d’ailleurs, que tu le deviennes. Ma maison dirigée par un éleveur de chevaux !

-       Fildar est bon, Wilbur, intervint la femme, meilleur que ne le sera jamais Duncan.

-       Duncan était fort, un homme persévérant et audacieux. Toi, Fildar, tu es de mon sang et c’est la seule chose que tu m’as prise. Je pensais que te donner le nom de mon père aurai pu t’inspirer mais apparemment non.

-       Votre préférence à toujours été vers Duncan, fit Fildar, mais il n’est plus là et vous ne pouvez rien faire pour le ramener. Je suis votre héritier désormais que vous le vouliez ou non.

-       Ainsi vous vous liguez contre moi. Serait-ce une conspiration ? Plutôt mourir que de vous laisser mes terres et mon titre. Ce soir, vous allez tous les deux mourir, avec moi. »

Sybille réagit directement. Il était là elle en était sure, il avait pris possession de Wilbur. Sans plus réfléchir, elle ouvrit la porte, se saisissant également d’un candélabre qui était à sa portée.

La pièce n’était pas très grande, un petit salon avec quelques fauteuils. Une cheminée dans laquelle brûlait un feu vif occupait le mur à sa droite. Deux des fauteuils étaient tournés face à la cheminée et semblaient occupés tandis que Fildar, qui semblait avoir quinze ans, ses traits étaient reconnaissables, était debout près de l’un d’eux – celui de sa mère, très certainement.

Alors qu’elle entrait dans la pièce, le père, Wilbur, qui avait un certain air de famille avec son fils malgré sa carrure beaucoup plus forte et son embonpoint naissant, se levait. Lorsqu’il regarda Sybille, elle put voir ses yeux entièrement rouges ce qui confirma ses craintes.

L’homme pris alors une épée qui était apparue dans le feu de la cheminée et commença à menacer Fildar. Sans réfléchir, armée de son candélabre, elle traversa la pièce et essaya de l’assommer. Wilbur secoua la tête, sonné mais contrairement à ce qu’elle voulait ses yeux étaient encore d’un rouge intense. Il se mit en garde, la menaçant de son épée de feu. Promptement, sachant qu’elle n’avait aucune chance armée de son chandelier, elle poussa du pied le fauteuil où il était assis un instant plus tôt. Cela détourna l’attention de Wilbur suffisamment longtemps pour qu’elle s’approche de Fildar et, lui prenant la main, de s’enfuir de la pièce.

Ce dernier la suivit sans résister, comme dans un état second. Puis, alors qu’ils s’éloignaient de la pièce sans se retourner, Sybille entendit un hurlement de rage. Une secousse fit trembler le sol sous ses pas et elle trébucha ainsi que son compagnon.

En se relevant, elle remarqua qu’encore une fois, le couloir dans lequel ils se trouvaient semblait s’évaporer, perdant de plus en plus ses détails. Comprenant qu’encore une fois, Fildar allait disparaître, elle lui  déclara :

«  Je suis sure que nous pouvons y arriver, mais, Fildar, bats-toi ! Je ne pourrai pas le faire seule la prochaine fois. Il m’attendra à coup sûr.

-       Merci d’être encore venue, Sybille, répondit l’adolescent. Plus tu avances, plus ce sera dur, mais je reprends des forces grâce à toi.

-       Quelle sera la prochaine étape ? lui demanda-t-elle.

Fildar garda le silence, les yeux dans le vide et l’air infiniment triste. Il commençait à disparaître lui aussi.

«  Quelle sera la prochaine étape ? répéta-t-elle plus fort.

-       Sa naissance… » lâcha-t-il avant de s’évaporer et de la laisser seule.

Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose, elle allait voir le moment où Fildar a été mordu par un Dakhart, à Karrog. Il lui avait raconté la bataille et, comme pour tous les récits qu’elle avait pu entendre sur la guerre,  elle n’avait vraiment pas envie d’en vivre une. Pour sauver Fildar elle devait l’endurer.

Vous êtes près du but, ne vous découragez pas, fit la voix de la Vierge Noire. Même si vous ne le ressentez pas, vous êtes sous ma protection, c’est pour cela qu’il fuit lorsque vous protégez Fildar. La dernière étape sera plus dure que les précédentes, vous entrez dans son territoire. Trouvez Fildar et aidez-le.

Sybille ne fut pas surprise cette fois-ci lorsqu’une lumière apparu au loin et qu’elle s’en approcha rapidement.  Elle s’attendait au chaos et elle ne fut pas déçue. La première impression qu’elle eut de son nouvel environnement était la multitude de bruits différents qui, se mélangeant, agressaient les oreilles. Des hommes criaient des ordres, d’autres de douleur. Il y avait aussi des hennissements de chevaux, des cris stridents de Dakharts, le bruit des duels, des chocs du métal contre le métal.

Sybille avait déjà assisté à des tournois de chevalerie avec des duels et elle croyait être habituée à ses sons. C’était comme s’il y avait mille tournois en même temps voire plus.

Par reflexe elle se boucha les oreilles, le temps de s’habituer. Elle regarda autour d’elle. La bataille faisait rage dans la place. Les bataillons étaient totalement mélangés entre ceux rouges et or de l’Empire, bleu et or de Callaven – bien que beaucoup moins nombreux – ainsi que les Chevaliers ailés, vert et blanc. Il y avait peu de cavaliers encore sur leurs chevaux, des fantassins combattaient côte-à-côte avec des archers qui s’efforçaient d’abattre les Dakharts qui passaient en rase motte.

Il y avait un cavalier blessé adossé au rempart du fond. Elle regarda le ciel, il y avait des formations de Dakharts qui se battaient les uns contre les autres. Son regard se reposa encore une fois sur la mêlée, mais où pouvait être Fildar ? se demandait-elle. Le cavalier blessé semblait inconscient et inconnu parmi tant d’autres dans son cas mais un détail attira son attention, son bras droit était entaillé par une dent ! C’était lui, elle en était sure !

Alors qu’elle s’approchait du blessé, elle vit un soldat – un officier devina-t-elle à son uniforme – tomber du ciel. Littéralement ! Celui-ci se releva de sa chute comme s’il venait de sauter d’un petit muret et non pas du haut du donjon. Il regarda autour de lui et elle le reconnut. Belenor ! Même s’il semblait exténué par les combats, il était beau à ses yeux comme il l’avait toujours été.

En confiance, elle s’approcha de lui et de Fildar. Le Prince se pencha sur le blessé, examinant la blessure. Une dent de Dakhart était enfoncée dans son bras droit et suintait un liquide noir. Prudemment il l’enleva. C’est alors que Sybille vit une jeune femme assez grande aux cheveux blonds presque blancs s’approcher des deux hommes. Elle était accompagnée d’un adolescent qui ne semblait pas du tout apeuré par la bataille.

Tous les trois lui tournaient le dos et elle ne voyait pas leurs visages mais lorsqu’elle arriva à portée de voix elle les entendit discuter :

«  Il est condamné disait le Prince sombrement.

-       Oui, acquiesça la jeune femme, laissons le mourir. »

Entendant cela, Sybille comprit qu’ils étaient possédés par le poison. Il faisait revivre à Fildar ses pires moments en lui montrant ses plus grandes craintes. N’écoutant que son courage, elle ramassa par terre une lance qui avait appartenu à un cavalier, désormais mort, le bas de son corps séparé du haut. Elle courut vers les trois personnes qui voulaient regarder Fildar mourir sans rien faire.

Lance en avant elle allait transpercer de la pointe acérée le dos de la jeune femme lorsque, brusquement, Belenor se retourna. Les yeux rouges de rage il leva la main. Sans pouvoir se contrôler, elle sentit ses pieds quitter le sol et sa main s’ouvrit pour la lâcher la lance. Puis elle décrivit un arc dans les airs pour finalement percuter le rempart en pierre. Le coup lui coupa le souffle et elle retomba sur le sol près de Fildar, vidée de ses forces.

Elle ne pouvait rien faire face à un mage, elle ne savait à peine manier une arme ! Ne pouvant se remettre debout, elle rampa jusqu’à Fildar qui respirait difficilement, en crachant du sang. La voyant s’approcher de lui, il tourna la tête et lui lança un regard infiniment triste et sa bouche semblait essayer de sourire sans y arriver vraiment.

«  Tu es venue…haleta-t-il.

-       Je suis là, répondit-elle.

-       Je crois que cette fois-ci… Nous ne nous… en sortirons pas si… facilement.

-       Courage Fildar ! Bats-toi ! Souviens-toi qu’ici c’est toi qui décide de ce qui se passe, ce qui est possible ou non.

-       Ma blessure …est bel… et bien réelle.

-       Seulement parce que tu y crois ! Convainc-toi du contraire et elle disparaitra ! Je vais t’aider. »

Utilisant ce qui lui restait de forces pour bouger ses membres, elle retira la dent du bras du blessé. Et essaya tant bien que mal d’éponger le venin.

«  Regardez-la donc, ricana Belenor. Elle croit pouvoir le sauver. Il est condamné, personne ne peut résister !

-       C’est le moment, Fildar, lui dit-elle en ignorant le discours décourageant du Prince. Relève-toi ! Bats-toi ! Il ne peut pas te résister si tu le décides ! Rappelle-toi que tu l’as fait plier une fois en lui prenant sa force. Tu peux l’utiliser contre lui ! »

Encore une fois, elle se sentit décoller du sol. Le Prince la regardait avec une haine infinie.

«  C’est qu’elle est insistante ! Il est en mon pouvoir et il va mourir. Et toi avec lui !

-       Non ! » déclara Fildar en se remettant péniblement debout.

Sybille fut infiniment soulagée de le voir ainsi. Il se saisit de son épée qui gisait à côté de lui et avec une vitesse incroyable et une fluidité de mouvements digne d’un maître d’armes, il décapita l’adolescent. Puis, sans s’arrêter, transperça la jeune femme entre les pièce de métal qui formaient une sorte d’armure. Les deux, qui avaient eux aussi les yeux rouges, s’écroulèrent et le vermeille disparut.

Il mit Belenor en joue. Celui-ci dégaina également son épée. Sybille, qui était toujours suspendue dans les airs, encouragea Fildar du mieux qu’elle put. Un vrai duel de grands escrimeurs s’en suivit. Il ne devait pas être facile pour lui d’affronter le Prince qu’il estimait tant d’après ce qu’elle avait compris.

L’affrontement fut long, les deux adversaires semblaient danser mais aucun des pas ne se ressemblaient. Chacun essuya quelques entailles mais aucune bien n’était bien profonde. Cependant plus le combat durait, plus il lui semblait que Fildar refaisait des forces. Il prenait peu à peu le dessus. Soudain Sybille ne fut plus retenue dans les airs, elle tomba purement et simplement.

Juste à ce moment, Fildar trouva une faille dans la garde de Belenor et cela lui permit de lui couper le bras gauche, celui tenait l’épée, au niveau du coude. Puis, dans le prolongement du mouvement, il lui trancha la tête. Le Prince, décapité, s’écroula et une grande secousse fit trembler la place entière. Les autres combattants s’estompèrent et Fildar s’approcha d’elle.

«  Merci d’être venue, déclara-t-il. Sans toi, je ne peux qu’imaginer ce qu’il se serait passé. »

Sans lui laisser le temps de répondre, il la prit dans ses bras, protecteur. Elle fut soulagée car exténuée, elle ne pouvait plus bouger un muscle après le traitement que Belenor lui avait fait subir. Depuis quand il se faisait passer pour un Mage ? Surement un des délires de l’esprit malade de Fildar.

Peu à peu, tout autour d’elle s’estompa mais au lieu de l’obscurité, c’est un environnement de lumière qui remplaça la forteresse de Karrog. Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, un grand sourire illumina le visage de Fildar.

«  Il est temps pour moi de sortir de ta tête je pense, dit Sybille avec un sourire.

-       Et à moi me réveiller de ce cauchemar, ajouta-t-il. Il n’a que trop duré.

-       Ce ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir.

-       Cette fin ne me parait pas trop mauvaise, mais il manque un petit quelque chose.

-       Quoi donc ?

-       Ça. » affirma Fildar en approchant sa tête de la sienne, comme pour un baiser.

Malheureusement pour eux, Sybille, qui voulait bien répondre à cette invitation par l’affirmative commença à disparaitre et leurs lèvres ne purent que se frôler avant qu’elle ne disparaisse complètement.

 

*

* *

 

Lorsque Sybille rouvrit les yeux, elle était toujours dans la pièce sombre où Siougrev avait tenté de soigner Fildar. Il était là lui aussi et venait également de reprendre conscience. Le maître des lieux était assis dans un coin observant toujours d’un œil curieux la Vierge Noire. Celle-ci lâcha la main de la jeune femme et leur dit :

«  Peu de femmes auraient eu autant de courage et de foi que vous, Sybille de Rembrunt. Vous avez réussi avec brio.

-       Qui êtes-vous ? demanda Fildar.

-       Je suis l’Archange des Ténèbres, lui répondit-elle de but en blanc. Siougrev m’a appelé et c’est grâce à moi que votre amie a pu vous aider dans votre combat intérieur. Seulement tout cela à un prix.

-       Et comme promis nous l’acceptons, affirma Sybille.

-       Puisqu’il le faut, se résigna Fildar partagé entre la reconnaissance pour l’Archange de l’avoir aidé et la méfiance envers le marché que Sybille avait conclu.

-       Ainsi soit-il. A partir de ce jour et jusqu’à vos derniers jours, vous serez marqués comme miens. Je serai votre maître comme un seigneur peut avoir un suzerain, je serai la votre. Vous ne pourrez pas vous opposer à ma volonté. »

La Vierge Noire toucha leurs poitrines à l’emplacement du cœur et Sybille sentit quelque chose – en pouvait dire quoi – s’infiltrer en elle. Lorsque l’Archange retira sa main, la jeune femme regarda l’endroit qu’elle avait touché, un croissant de lune noir y était comme tatoué.

Je peux désormais vous contacter comme ceci, retentit la voix de la Vierge Noire dans sa tête comme lorsqu’elle était dans l’esprit de Fildar. Ainsi personne ne peux entendre ce que je vous dis. Dès maintenant, vous vous référerez à moi en utilisant mon nom de naissance que seuls mes serviteurs connaissent. Viviane.

Sur ce dernier mot, l’Archange disparu sans plus de cérémonie. Siougrev se leva alors et leur déclara :

«  De toute ma longue vie je n’ai jamais vu cela. Vous êtes mort Fildar, votre cœur s’est arrêté, et le votre aussi, Sybille, lorsque l’Archange vous touchait, pour pénétrer votre esprit. Néanmoins, je me dois de vous mettre en garde, ce n’est pas le même Archange que lorsque je l’invoquais avant. Il se passe des choses que je ne comprends pas moi-même. Je ne sais pas dans quoi vous vous êtes embarqués avec cet accord mais je n’avais jamais entendu parler d’êtres divins se liant avec des mortels.

-      Nous ferons attention, assura Fildar. Je ne sais combien de temps nous avons profité de votre hospitalité, Seigneur Siougrev, mais je vous assure que nous n’avons pas l’intention d’en abuser plus longtemps.

-     C’était un plaisir de vous aider. Malheureusement, votre guérison ma coûté beaucoup d’énergie, ainsi, si comme votre Prince, vous êtes pressé par le temps, je crains ne pas pouvoir faire grand-chose.

-       Combien de temps ? demanda Fildar.

-       Presque six mois m’a-t-on dit, répondit Sybille.

-       En effet, et je ne peux pas le rendre plus court, confirma Siougrev. Je suis désolé.

-       Ce n’est pas grave. Cela fait donc presqu’un an que je suis parti de Callaven, réfléchit le Cavalier Noir qui malgré tout méritait toujours ce surnom. Les autres doivent êtres rentrés au pays. J’aimerai le revoir aussi.

-       Nous pouvons y aller, assura Sybille, ensuite il faudra aller à Dunnastell pour le Grand Conseil.

-       Oui, ça me parait bien. Nous partirons donc dès demain, décida Fildar.

-       Comme vous le souhaitez, approuva Siougrev, quant à moi je vais méditer sous le grand chêne.

-       Merci infiniment, le remercia la jeune femme alors qu’il s’éloignait, sans vous rien n’aurait été possible. »

Il lui sourit une dernière fois et sorti de la pièce. Prenant bien soin de ne pas laisser entrer trop de lumière, après tout, Fildar était toujours aussi sensible au Soleil, mais il était guéri et son état n’empirerait plus. Dommage qu’ils ne puissent profiter plus longtemps dans la tranquillité de Vessala, mais Fildar en avait décidé ainsi.

Souriant, elle le regarda. Son visage qui avait été si pâle reprenait quelques couleurs mais il resterait toujours très blanc comparé à la normale. Il la regarda également et lui rendit son sourire. Puis, il approcha son visage du sien, en la regardant toujours dans les yeux, ces yeux violets qui étaient inhabituels. Leurs lèvres se touchèrent une fois puis, oubliant tout ce qui les entourait, ils s’embrassèrent.

 

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  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

Scénario :100%

Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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