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11 mai 2017 4 11 /05 /mai /2017 00:31
XXVI
La Nuit du Prince


Callaven, dans la soirée du Jour du Roi

                                                                                              

Les dernières lueurs du Soleil faisaient encore rougeoyer le ciel alors que trois personnes apparurent dans un champ récemment moissonné à quelques pas seulement des premiers faubourgs de la capitale du Royaume de Callaven.
Sortant du portail qui – de l’autre côté – s’ouvrait sur le bureau de l’Archimage Kerneli à l’Académie, le Prince Belenor courait, l’épée au clair, vers la ville. Il était suivi de l’Archimage et de sa femme, Jeanne qui était à l’origine du portail. Ils étaient bien obligés de suivre le rythme soutenu du Prince qui, depuis son retour de la bibliothèque, un peu plus tôt dans la journée,ne tenait plus en place.
Belenor s’empressait d’autant plus qu’il pouvait voir que des incendies s’étaient déclarés dans la ville. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : il avait raison et son oncle le Roi était en danger. La ville était en ce moment même attaquée par Drastan.
Malgré toutes ses certitudes, il fut surpris de se retrouver devant les portes de la ville closes. Il rengaina son épée et s’adressa aux gardes qui devaient être en poste sur les murs :
« Ouvrez-moi les portes ! » cria-t-il.
Il y eut un moment de silence puis une tête se pencha entre deux créneaux.
« Les portes de la ville sont closes pour la nuit, Monsieur. Personne n’entre, personne ne sort.
Ordre du Marquis Korventen.
- Je suis Belenor Acciprides, Prince Héritier du Royaume et je vous ordonne d’ouvrir cette porte.
- Je ne peux pas prendre la décision seul, d’autant plus que je ne peux confirmer votre identité.
- Allez en parler à votre supérieur !
- Oui, Monseigneur. »
Le garde disparut derrière les murs et ils durent encore attendre un moment avant qu’une
nouvelle tête se présente sur les créneaux.
« Vous affirmer être le Prince Belenor, fit le nouveau venu.
- Major Phil Histey ! Quel plaisir de vous revoir, répondit l’intéressé qui avait reconnu le soldat.
Allez ouvrez moi ces portes !
- Ouvrez les portes, hurla le garde à l’intention de ses collègues en contrebas. Vous savez, ajouta-til pour le Prince, vous êtes un peu en retard pour la cérémonie.
- Quelle cérémonie ?
- Le mariage bien sûr ! Celui de Soldoban Aronberg et de sa fiancée Al’Ivna. Je pensais que vous étiez au courant.
- Malheureusement, non. Dites-moi, que s’est-il passé ? Pourquoi y a-t-il le feu ?
- Je n’en ai aucune idée. Il y a eu deux explosions dans la ville haute, mais aucune information ni aucun ordre ne nous est parvenu. En revanche j’ai cru comprendre que le reste de la garde de la ville est sur les nerfs. Ils trouveront les coupables, ça ne fait aucun doute.
- Qu’en est-il du Palais Royal ?
- Je n’en sais rien, a priori le feu ne s’est pas déclaré là-bas donc le Roi et la Cour devraient être en sécurité.
- Permettez-moi d’en douter.
- Faites comme bon vous semblera, votre Altesse. En revanche, ajouta-t-il en désignant l’épée du Prince, mes ordres sont de sceller toutes les armes qui entrent dans la ville, par mesure de
sécurité. C’est le Jour du Roi après tout.
- Croyez-moi, Major Histey, ne vous ennuyez pas avec cela. J’ai l’intuition que j’aurai besoin de
mon arme cette nuit et la sceller ne ferait que me ralentir. Continuez votre surveillance, Major.
Considérez que personne ne doit entrer ni sortir de la ville jusqu’à nouvel ordre.
- Pour changer, grommela le soldat avant de se tourner vers ses subalternes, fermez les portes ! »
Les rues de Callaven étaient assez animées en cette nuit particulière et les récents incendies qui s’étaient déclarés dans la ville haute ne semblaient pas avoir douché l’enthousiasme des fêtards.
Belenor, Kerneli et Jeanne progressaient rapidement au rythme imposé par le Prince le long de l’une des artères principales de la ville en direction du Palais Royal. Celle-ci était très passagère et de nombreux fêtards se retournèrent sur leur passage.
Ils étaient à mi-chemin des murailles de la Cité Haute lorsqu’une nouvelle explosion retentit non
loin d’eux. Sans concerter quiconque, le Prince se dirigea vers l’origine de l’attentat.
Les portes entre les deux parties de la ville avaient dû être fermées après les premières explosions, ainsi personne ne pouvait passer de l’une à l’autre sans être contrôlé par la garde. Cette nouvelle explosion devait être le fruit d’un autre groupe que celui qui sévissait dans les beaux quartiers. Portant, Belenor ne pouvait le croire, la coïncidence était trop grosse.
Lorsqu’ils arrivèrent sur les lieux, une patrouille de gardes en uniforme bleu et or était déjà sur place. Immédiatement, le Prince demanda à voir le chef du groupe. L’un des subalternes conduisit les conduisit alors jusqu’à un homme assez grands dont les longs cheveux auburn dépassait de son casque au niveau de la nuque.
« Major Claus Rhésys ! s’exclama le Prince qui le reconnu immédiatement. Quel plaisir de vous
revoir !
- Un plaisir partagé, Monseigneur, répondit-il en souriant. Comment allez-vous depuis lors ? Avez-vous
eu des nouvelles de votre amie ? »
Il voulait parler de Dématris, étant l’un des rares à connaître la nature réelle de la relation qu’il avait entretenu avec sa cousine germaine pour avoir voyagé avec eux dans les Etats Septentrionaux.
Trop de personnes étaient au courant selon le Prince, car il y avait, en plus du Major, Phil Histey qui les avait également accompagnés, son grand-père, Junos el’Korgas, Andreï de Moganris, l’Archimage Kerneli ainsi que sa femme, Jeanne, très probablement.
« Aucune nouvelle, j’en ai peur, répondit finalement le Prince. Elle va bien, je suppose…
Assurément mieux que les habitants de cette bâtisse, ajouta-t-il en désignant la maison en flammes qui devait avoir été une boutique quelconque. Que pouvez-vous me dire dessus ?
- Peu de choses, Mon Seigneur, c’est, enfin c’était, la boutique d’un certain Guy Salin dit "Guy
l’Archer". Il fabriquait et vendait des flèches d’une très bonne qualité, très apprécié des petites
gens.
- Pas d’activité illicite connue ?
- Aucune. Une rumeur dit qu’il aurait fait de la contrebande lorsqu’il était jeune avant qu’il ne s’installe ici, il y a près de vingt ou trente ans. Il vient de l’Union, dans le Nord, à ce qu’il paraît. Sinon, non, ce n’est pas un hors la loi.
- Le passé d’un homme ne regarde que lui, intervint l’Archimage. Qui, alors, voudrait incendier sa boutique ?
- L’enquête le déterminera, Mes Seigneurs.
- Y-a-t-il eu des victimes ? intervint Jeanne.
- Non, aucune que nous ayons découverte jusque-là. La boutique était fermée pour la semaine, Guy l’Archer étant en déplacement.
- Heureuse coïncidence, remarqua le Prince soupçonneux.
- Réjouis-toi plutôt que des vies aient été épargnées, Belenor, rétorqua Kerneli d’un ton professoral. Nous ne nous sommes pas essoufflés à traverser la ville au pas de course pour cela, mais pour aller voir ton oncle, le Roi. »
Mêlant le geste à la parole, il invita son élève à se détourner de l’incendie pour qu’ils continuent leur progression vers la Cité Haute. A contrecoeur et malgré les questions restées sans réponses, Belenor se laissa entraîner par le mage.
« Vous voulez vous rendre au Palais ? demanda le major Rhésys. Bon courage alors ! Les portes sont closes depuis le coucher du Soleil, comme de coutume pendant le discours du Roi.
- Nous sommes bien au courant des coutumes de Callaven, Major, répliqua l’Archimage, et la garde ne s’opposera pas à l’entrée du Prince. »
Belenor sentait qu’un élément lui échappait. Il était parfaitement possible que les attaques n’aient aucun lien entre elles pourtant il n’en croyait rien.
Pourtant les portes étaient closes et aucun groupe n’aurait pu les passer dans un sens ou dans l’autre. En réfléchissant, le regard du Prince s’attarda sur l’écoulement d’un caniveau qui se déversait dans un égout. Il avait déjà envisagé l’idée que les incendiaires se déplacent sous terre mais cela ne résolvait pas le problème du passage sous le rempart intérieur.
En effet, les deux murs qui séparaient la ville de l’extérieur pour l’un et les quartiers des nobles
des autres pour le second, étaient certes percés en certains points précis pour laisser le passage à l’écoulement des eaux mais ceux-ci étaient défendus par de solides grilles qui empêchaient le passage des hommes. Les faire tomber était peut être possible, mais cela produirait sans aucun doute suffisamment de bruit pour être perçu de l’extérieur.
« Une diversion, comprit le Prince.
- Pardon ? demanda Jeanne et Belenor se rendit compte qu’il avait pensé à voix haute.
- Et si toutes ces attaques n’avaient pour seul but de détourner notre attention ?
- Nous détourner de quoi ? s’impatienta l’Archimage.
- Les égouts, expliqua-t-il, ils veulent faire tomber les grilles et ouvrir un passage jusqu’au Palais. Major, où se trouve l’accès aux souterrains le plus proche ?
- Hum… A vrai dire, vraiment pas loin. A l’angle de rue, là-bas. » fit Klaus Rhésys en désignant la direction de la main.
Une fois devant l’entrée des souterrains, la grille entrouverte avec la serrure forcée montrait clairement qu’ils avaient été utilisés récemment.
« Tu n’imagines tout de même pas que l’on va te suivre dans les égouts, s’indigna Kerneli. Tu n’es même pas sûr de ton raisonnement !
- Rien ne vous oblige à me suivre, répliqua Belenor. Gardez cette entrée de très près, ajouta-t-il à l’intention du Major, faites passer le message : des groupes violents, peut être armés et responsables des troubles de ce soir circulent par les souterrains, aussi soyez vigilants. »
Après avoir recueilli l’acquiescement du soldat, le Prince ouvrit la porte en grand et s’engouffra dans l’escalier qui descendait.
« Il n’a même pas pris de torche. » soupira l’Archimage en en empruntant une à l’un des subalternes de Klaus Rhésys. Puis, suivit de sa femme, ils commencèrent la descente vers les niveaux inférieurs dont l’odeur le répugnait déjà. Le Major attendit de voir la lueur de la torche s’estomper jusqu’à presque disparaître avant de disperser ses hommes suivant les ordres que le Prince lui avait donné.
Au fur et à mesure qu’ils descendaient, les odeurs se firent de plus en plus fortes et désagréables.
N’y prêtant pas trop d’attention, le Prince continua à mener leur progression à bon rythme. L’escalier déboucha sur un des nombreux petits canaux qui se jetaient dans une des artères principales qui sortaient ensuite de la ville. Une fois parvenus à l’égout central, Belenor entreprit de le remonter, vers le rempart intérieur.
Tout au long de cette marche soutenue, les indices qui auraient pu confirmer la thèse soutenue par le jeune homme étaient au mieux très discrets, au pire, inexistants. Ce qui renforçait l’humeur massacrante de l’Archimage d’habitude si calme.
Pourtant, lorsqu’ils se trouvèrent sous les remparts, force était de constater que le Prince avait bel et bien raison. Les solides grilles conçues pour empêcher quiconque de traverser avaient été délogées et gisaient en travers du canal.
« Tu avais vu juste, Belenor, reconnu Kerneli.
- Et maintenant, que fait-on ? s’enquit Jeanne.
- Nous allons sauver mon oncle qui est en grand danger. »
Comme pour appuyer son propos, une nouvelle explosion retentit apparemment située en plein milieu de la Cité Haute, ce qui fit trembler les parois du souterrain. Un léger nuage de poussière venant de l’amont se propagea vers eux rendant l’atmosphère encore plus désagréable. En utilisant une infime parcelle de ses pouvoirs, Kerneli dissipa ce voile et ils reprirent leur progression de plus belle.
Le canal principal semblait infini avec, régulièrement, de petites voies d’eau qui s’y raccordaient par les côtés. Il y avait également quelques petits couloirs qui menaient à des accès à la surface. Il fallait qu’ils continuent à suivre le grand tunnel car celui-ci les mènera directement au Palais Royal qui était le carrefour des canaux principaux et le centre de tout le réseau souterrain.
Ils n’étaient plus très loin du Palais lorsque Belenor remarqua quelque chose d’étrange du coin
de l’oeil. En effet, la lumière de la torche semblait s’être propagée plus aisément dans le petit couloir qu’ils venaient de dépasser. Inquiet, il s’arrêta net et revint sur ses pas, surprenant ses deux compagnons. En apparence le couloir n’avait rien d’anormal mais la torche portait plus loin qu’elle ne le devrait, ce qui donnait une curieuse impression, comme si les ténèbres se concentraient en un endroit précis, au fond du couloir. Puis, soudainement, tout redevint normal, ce qui, en soi, paraissait encore plus étrange.
Intrigué, le Prince s’aventura de quelques pas dans le corridor suspect. Entendant un bruit ressemblant à si méprendre à un râle, il s’arrêta net. Scrutant les ténèbres qui s’étendaient devant lui.
Il alla pour demander à Kerneli de lui passer la torche et ne dû sa survie qu’à son réflexe de
baisser la tête au bon moment. En effet, une lame, apparue depuis le fond du couloir passa juste au-dessus de sa tête. D’un mouvement très fluide, le Prince dégaina son épée pour parer le coup suivant. L’attaquant étant toujours tapi dans l’ombre, Belenor recula d’un pas pour le forcer à se dévoiler. Dans le même temps, l’Archimage s’était approché, la torche toujours en main, dans une posture qui laisser penser à l’oeil aguerri qu’il tenait son pouvoir prêt à frapper. Ils attendaient le prochain coup pour le piéger mais celui-ci tardait à venir à la place une voix d’homme s’exclama :
« Prince Belenor ? Est-ce bien vous ?
- Montrez-vous. » ordonna en réponse l’intéressé.
L’homme s’avança, la garde baissée en signe d’apaisement. Il était vêtu intégralement de noir de la cape aux bottes. Il rejeta le capuchon qui lui couvrait la tête pour découvrir son visage. Belenor ne le reconnu pas de suite, il avait les yeux pourpres, couleur des plus inhabituelles pour un humain et la peau extrêmement pâle. Ses traits étaient fins, sans aucune imperfection.
« Fildar ! le reconnu enfin le Prince. Cela faisait si longtemps. Je te présente l’Archimage Kerneli Aniem et sa femme, Jeanne, une Voyageuse.
- Je crains que nous n’ayons pas le temps pour des retrouvailles en bonne et due forme, mon ami. Je répondrai à toutes les questions, si nous survivons aux terribles événements de cette nuit. J’imagine que vous en savez aussi long que moi vu que vous vous promenez également dans les égouts.
- Seulement ce que le Prince veut bien partager avec nous, fit Jeanne ironiquement.
- Trêve de bavardages, arbitra Kerneli. Hâtons-nous d’atteindre le Palais ! »
Malgré les questions sans réponse qui demeuraient dans la tête du Prince, il ouvrit la marche, remontant les souterrains jusqu’au centre de la ville et le Palais Royal. Comme Fildar le disait, ils auraient tout le temps de se raconter leurs aventures après avoir empêché le piège de se refermer sur le Roi, s’ils y survivaient.

                                                                                              

La dernière attaque contre la résidence des Korventen avait définitivement douché l’enthousiasme de tous les invités du mariage. Désormais rentrés dans le Palais, la plupart restaient en petits groupes à discuter à voix basse. L’ambiance n’avait rien à voir avec le début, fort joyeux, de la journée.
De plus de nombreux gardes étaient présents, visiblement sur les nerfs guettant tout mouvement suspect. Tibérion s’attrista de ne reconnaître aucun d’eux, ceux qu’il connaissait étant partis maintenir l’ordre à l’extérieur du Palais.
Le jeune homme se désolait pour le couple à qui cette journée était dédiée. Le souvenir de leur mariage serait forcément amer. Il y avait pourtant eu de nombreuses occasions de se réjouir. La cérémonie avait été somptueuse et les engagements qu’Al’Ivna et Soldoban s’étaient échangés avaient ému toute l’assemblée par leur sincérité.
Puis il y avait eu le repas et les réjouissances de l’après-midi. Là encore, ce fut d’un oeil amusé qu’il avait pu observer le couple nouvellement uni porter un toast vibrant à l’aventure qu’ils avaient vécu ensemble, tout en louant avec un peu d’exagération les qualités de leurs compagnons qu’ils soient présents ou non.
L’absence du Prince Belenor les affectait tous mais il était censé être en sécurité à l’Académie et ce n’était rien comparé à la peine qu’ils ressentaient face à la disparition sans nouvelles de Fildar.
De nombreuses familles s’étaient d’ailleurs approchées de la table des Korventen pour leur assurer qu’ils partageaient leur peine.
Le père de Tibérion, le Comte Kaurad, qui n’avait jamais beaucoup apprécié cette famille – il
n’appréciait pas grand monde de toute façon – avait même été présenter ses salutations au couple Korventen. Il était resté discuter un long moment avec la Marquise par la suite, une fois que ses obligations aient attiré son mari ailleurs. Celle-ci n’était pas très mondaine et ses apparitions publiques étaient particulièrement rares mais sa grâce naturelle et l’apparente qualité de sa conversation lui avaient assuré une certaine popularité parmi la noblesse.
Tout au long de la journée, Tibérion avait également pu observer le fils ainé de la famille, Duncan, fraichement blanchi de sa peine d’emprisonnement. Etant de quelques années plus jeune, il n’avait pas beaucoup eu l’occasion de le connaître mais sa soeur, Catherine, avait fait partie de son entourage avant, et elle lui en avait dressé le portrait d’un homme fort, sûr de ses convictions, ambitieux, arrogant à l’extrême – ce qui lui avait valu l’hostilité des familles nobles plus anciennes – mais également sympathique et affable s’il on le connaissait bien. Malheureusement, l’homme qui était sorti de prison était bien loin de cette description, il n’arborait plus une confiance en lui et une condescendance déplacées mais faisait plutôt profil bas, regardant la foule s’égaillant devant lui d’un oeil froid et distant comme si la vie avait perdu de sa saveur.
Très peu de personnes étaient venues lui parler et Duncan n’avait pas fait beaucoup d’efforts pour se déplacer vers ses anciens camarades non plus. Tibérion avait cru au départ que c’était volontaire mais il avait pu voir le père et le fils s’échanger des regards froids, indiquant que le Marquis limitait peut être les libertés de son héritier. Duncan était d’ailleurs toujours entouré par deux hommes d’armes portant les couleurs de sa famille – l’ours noir sur champ jaune.
Contrairement à l’usage, ils portaient leurs armes, alors que seuls les gardes du Palais étaient
autorisés à en porter à l’intérieur de la résidence royale. De plus, les deux hommes paraissaient suffisamment forts pour que personne ne veuille les importuner – et donc importuner Duncan.
Tibérion n’avait pas fait que regarder les Korventen, il avait passé la plus grande partie de son temps avec sa propre famille. Sa petite soeur, Argenia, avait été très intimidée au début de la journée, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas assisté à un grand événement tel que celui-ci.
La jeune enfant qui gambadait joyeusement entre les tables des différentes familles avec d’autres camarades du même âge avait bien grandi depuis. La jeune fille était ravissante dans sa robe bleue avec de la dentelle blanche et de légers crevés rouges. C’était non sans humour qu’elle avait choisi cette tenue avec la complicité de sa grande soeur Catherine qui portait l’exact inverse, à savoir une robe de la même coupe mais rouge à crevés bleus. Elles réussissaient à avoir leurs moments de complicité, des fois.
Afin de compléter le tableau, Tibérion portait en majorité la dernière couleur des armes familiales, le blanc. Ainsi il portait une longue veste immaculée doublée de bleu à l’intérieur ainsi qu’un gilet rouge par-dessous.
Cela avait fait sourire Elfrad, l’ancien intendant de Morwind Acciprides, qui logeait chez les Bregorgne depuis que Tibérion et ses soeurs l’avaient accueilli alors qu’il quittait le service du père de Belenor. Il avait d’ailleurs complètement disparu depuis le début de la journée. Le vieil homme était entré à leur suite dans la Cathédrale pour la cérémonie mais personne ne semblait l’avoir vu depuis. Il n’avait cessé de répéter à tous de rester vigilants malgré le faste et la gaité de la journée, ce en quoi les récents incendies lui donnaient raison et pouvaient confirmer les pires rumeurs qui circulaient.
De loin, Tibérion vit son ami, Imladas Sandorn et son frère Vladimir, tous deux impeccables dans leurs costumes aux couleurs familiales rouge, jaune et noir. Il n’avait pas encore eu l’occasion de discuter avec eux, son attention ayant été monopolisée à surveiller sa petite soeur Argenia qui se tenait encore à ses côtés, de moins en moins rassurée.
Il décida d’aller leur parler, après tout, Elfrad les avait mis en garde tout en leur demandant de garder le secret sur pas mal de choses mais Tibérion faisait confiance à son compagnon et voulait avoir son avis sur la situation.
« Quelle magnifique jeune fille se tient à tes côtés, mon ami, s’exclama Imladas en les voyant
s’approcher. Tu as décidemment le don de bien t’entourer.
- Qu’est-ce qu’il veut dire par là ? lui chuchota Argenia à l’oreille.
- Rien de bien important, répondit-il sur le même ton n’ayant pas l’envie de s’embarquer dans l’explication de sa relation avec Ællena qu’il n’avait pas révélé à sa famille. Je t’expliquerai plus tard.
- Et voilà, fit Imladas en s’adressant à son frère, encore des messes basses. Vous, Bregorgne, n’avez vraiment aucun savoir vivre.
- Et les Sandorn toujours autant le sens de la discrétion, répliqua rapidement Tibérion en essayant de baisser d’un ton ne voulant pas que des oreilles indiscrètes se mêlent à la conversation. Voici ma soeur, Argenia. Argenia, je te présente Imladas Sandorn, fils ainé du Comte Théodrim Sandorn, ainsi que son petit frère, Vladimir.
- Enchantée, fit la jeune fille avec son plus beau sourire.
- Quelle magnifique fleur vous avez réussi à faire pousser, sur votre piton rocheux ouvert à tous les vents ! plaisanta Imladas. Dommage que nous nous rencontrions dans des circonstances aussi difficiles, ma chère, d’ailleurs à ce propos, Tibérion j’ai quelques informations qui devraient t’intéresser.
- Moi aussi, bien que celles-ci ne soient plus d’une grande importance, j’en ai peur. Nous avons recueilli l’ancien majordome de l’Archiduc Morwind Acciprides ces derniers mois et il nous a fait part de nouvelles inquiétantes : apparemment l’exil du frère du Roi, bien que justifié, ferait partie d’un complot visant à affaiblir et isoler le Roi. Malheureusement les évènements d’aujourd’hui vont dans ce sens.
- Apparemment les rumeurs vont dans ce sens également. Nous avons reçu la visite de quelqu’un qui nous est très cher, que ces menaces diffuses ont fait revenir. Oui, notre compagnon d’armes Fildar est de retour en ville. Il m’a fait promettre de garder le secret, mais j’ai comme l’impression que nous allons le revoir d’ici peu de temps. »
Tibérion ressenti un profond soulagement. Tous ces mois d’attente, de doute, pendant lesquels il avait repassé les derniers moments passés avec Fildar avant de le laisser partir alors qu’il était visiblement à moitié fou, venant de tuer cinq hors-la-loi dans une auberge.
« Est-il… ? commença Tibérion mais il ne put finir sa phrase.
- Il parait beaucoup plus sain d’esprit que la dernière fois que nous l’avions vu.
- Nous devrions l’annoncer à tous.
- Non, il a été catégorique sur ce point, il ne veut pas que l’on sache son retour, du moins pas
officiellement, il a peur que son frère retourne derrière les barreaux.
- Annonçons-le tout de même à Soldoban et Al’Ivna, cela égaillera un peu leur soirée. »
Imladas hocha la tête et ils partirent trouver les jeunes mariés.
Ils étaient assis à une table en grande conversation avec un homme en armure à la cape verte et blanche. Tibérion ne mit pas longtemps avant de le reconnaître : il s’agissait du Grand-Maître de l’Ordre des Chevaliers Ailés, Istram Vonwulf. Il l’avait déjà aperçu au cours du banquet mais sans mettre de nom sur le visage du chevalier. Pensant qu’il était un simple représentant de son Ordre de passage à Callaven.
En revanche, la présence du Grand-Maître en personne le laissait perplexe. Il était censé être au Grand Conseil de l’Empire qui se tenait à Dunnastell, pas ici.
« Je me réjouis pour vous, déclarait l’homme en armure, un mariage est toujours un bel événement. Même si le monde s’effondrait tout autour de nous, voir de jeunes gens s’unir et se prouver leur amour est un réconfort et redonne espoir.
- Le monde est effectivement en train de changer, remarqua Soldoban d’humeur maussade.
- Je sais que c’est difficile, mais ne laissez pas les événements d’aujourd’hui vous atteindre. Regardez autour de vous, tous ces gens, ils sont terrifiés tout autant que vous. Montrez l’exemple, soyez forts. Ah ! Je vois que votre petite bande est presqu’au complet, remarqua Istram en voyant les quatre nouveaux arrivants. Il ne manque plus que le Prince en personne.
- Et Fildar Korventen. » ajouta Al’Ivna.
La mariée conservait toute sa grâce dans sa robe blanche aux dentelles très travaillées. De tous les avis, l’elfe aux longs cheveux blonds était magnifique. Elle devait savoir qu’elle attirait beaucoup les regards, ainsi elle s’efforçait à continuer à sourire et à paraître heureuse. Comme le disait Istram, si le jeune couple ne le faisait pas, qui le ferait ?
« Permettez-moi de vous contredire, fit le Chevalier à la surprise générale. Votre ami est à Callaven, aujourd’hui. Je l’ai vu ce matin en arrivant. Il a beaucoup changé depuis qu’il a quitté
Karrog.
- Vous plaisantez, j’espère, dit Soldoban. Il ne serait pas venu se présenter officiellement alors que tout le monde s’inquiète pour lui ?
- Il a ses raisons… commença Imladas.
- Et vous étiez au courant ? s’emporta le marié.
- Allons, il n’est réapparu que très récemment et il avait l’air persuadé que quelque chose de grave allait se passer aujourd’hui, expliqua Tibérion. Moi-même je viens tout juste d’en être informé.
- Qu’allons-nous faire, alors ? s’enquit Al’Ivna.
- Préparez-vous à vous battre. » dit fermement Istram alors qu’il regardait l’autre bout de la pièce où un groupe d’hommes venait d’entrer.
Ils étaient assez nombreux, environ une vingtaine et portaient tous de longs manteaux sombres aux capuchons relevés. Tous paraissaient assez grands par rapport au reste des nobles présents dans la pièce, à l’exception des gardes royaux, mais ceux-ci étaient spécialement choisis pour leurs aptitudes physiques et la plupart dépassaient aisément le mètre quatre-vingt.
L’individu de tête semblait plus grand que tous les autres, d’une taille avoisinant les deux mètres et à la silhouette très élancée. Le chef, probablement. Il se déplaçait d’un pas assez gracieux et précis que Tibérion avait déjà vu chez les meilleurs bretteurs du Royaume.
Tout le groupe était entouré de gardes royaux qui l’escortaient. Etaient-ce les fauteurs de troubles ? Godefroy Delaroche, le Commandant de la Garde, s’approcha d’eux, apparemment surpris de cette visite inattendue. Jusque-là, il se tenait auprès du Roi, place à partir de laquelle de nombreux messagers allaient et venaient pour l’informer et qu’il puisse transmettre ses ordres concernant la traque des incendiaires. Qu’il ne soit pas prévenu de l’arrivée du groupe n’était pas bon signe.
« Que faites-vous ici ? demanda le Commandant, la main posée sur le pommeau de son épée, les gardes royaux étant les seuls autorisés à porter des armes à l’intérieur du Palais.
- Je suis venu m’entretenir avec votre Roi, répondit le grand homme avec un accent le désignant clairement comme étranger au Royaume.
- Sa Majesté ne donne pas d’audience aujourd’hui. Gardes, pourquoi avez-vous laissé ces hommes pénétrer dans le Palais ?
- Parce que ce sont mes hommes. » répliqua l’étranger.
Si cette phrase troubla le Commandant, il n’eut pas le temps de le montrer. En effet, d’un geste
parfaitement fluide et extrêmement rapide, son vis-à-vis lui asséna un grand coup de poing en pleine figure, sans que personne ne puisse réagir.
L’attaque brisa le nez du malheureux qui tomba à la renverse, inconscient et le visage complètement ensanglanté. De nombreux invités eurent un mouvement de recul, la vue du  sang fit suffoquer plus d’une dame et certains hommes également.
D’autres montrèrent leurs réflexes de soldats en se levant et cherchant leur arme qu’ils portaient généralement sur eux. Sauf qu’elles n’y étaient pas, les seules armes présentes dans la pièce étaient portées par les gardes royaux et ceux-ci n’esquissèrent pas un mouvement.
L’inconnu leva les bras en l’air en signe d’apaisement pour calmer la foule avant de déclarer :
« Allons, calmons-nous, comme je l’ai dit, je ne souhaite qu’une chose, avoir un entretien privé avec le Roi. Manifestement, je vais être contraint de prendre tout cette salle en otage pour que ma requête soit examinée. »
Accompagnant ses paroles, les gardes royaux, visiblement tous acquis à sa cause se placèrent de façon à bloquer toutes les issues possibles.
« Mais quelle sorte d’homme êtes-vous donc pour prétendre commander à un Roi ? tonna la voix du Marquis Wilbur qui se tenait aux côtés de son suzerain.
- Intéressante question, répondit calmement le grand homme en relevant son capuchon, le fait est que je ne suis pas un homme. Je suis Nikolaï Reihm, Roi des Lycans. »
Les lycans, ces humanoïdes étaient très redoutés, de nombreux contes et légendes les faisaient paraître brutaux, violents et cruels, ce qui leur valait l’antipathie de la plupart des peuples. Victimes de nombreuses guerres punitives et de querelles internes, leur population avait beaucoup diminué depuis la création de l’Empire. Autrefois maîtres d’un vaste territoire, celui-ci avait peu à peu été colonisé par les peuples humains, obligeant les lycans à se faire plus discrets.
Nombre d’entre eux étaient devenus mercenaires, vendant leurs services d’excellents soldats ou assassins au plus offrant. Malgré tout, le fait que l’un d’entre eux se présente comme Roi était une nouveauté.
Le monarque en question était de haute stature, plus que tous ses congénères, il portait les cheveux longs, gris et avait les traits durs, ceux d’un homme qui a passé sa vie sur un champ de bataille. Le plus impressionnant était ses yeux, à l’iris doré, couleur impossible pour un être humain. Il y avait aussi ses oreilles, pointues, recouvertes d’un poil ras et, telles celles d’un loup, situées sur le haut de son crâne. D’autres signes trahissaient sa nature de lycan comme ses sourcils particulièrement fournis ou son teint pâle tirant vers le gris.
Les récits voulaient que les lycans soient capables de se transformer en loup géant. Tibérion n’y avait jamais cru mais en voyant leur Roi et l’impression de puissance qu’il dégageait, il commençait à comprendre d’où venaient ces légendes. L’expression de Nikolaï Reihm semblait calme et mesurée mais dans ses yeux paraissait danser une rage meurtrière contenue.
« Cela faisait bien longtemps, Nikolaï, déclara le Roi Ingald à la surprise générale. Tu as donc réussi ton pari, mon vieil ami. Tu as rassemblé et uni les tiens.
- Oui, je suis désolé d’en arriver à prendre en otage toute cette assemblée mais les circonstances m’y ont obligé. Pourrions-nous discuter en privé ?
- Bien sûr, de toute manière, nous n’avons pas le choix.
- Non, en effet. »
Le Roi de Callaven se leva alors et, accompagné par son homologue lycan, il sortit de la grande salle de réception pour rejoindre une salle attenante vide. Lorsque le Marquis Korventen s’approcha de la même porte en qualité de Grand Conseiller, un regard noir de la part du grand lycan, alors qu’il fermait les panneaux de bois derrière lui, l’obligea à rester dans la salle.
Il fut ensuite doucement repoussé par deux des lycans encore encapuchonnés qui se postèrent de part et d’autre des panneaux en bois. Aucune sortie n’était plus possible, ce que le chef lycan avait promis se réalisait, tous les invités présents étaient maintenant ses otages.
La situation était critique, personne n’était armé et les gardes royaux présents étaient à la solde du Roi Nikolaï. Néanmoins, les lycans n’avaient pas l’air de vouloir du mal et surveillaient
calmement l’assemblée. Parmi les invités, de nombreuses personnes étaient arrivées au même
constat que Tibérion, il ne fallait pas tenter de leur résister tant qu’ils étaient désarmés. La seule solution était d’attendre et d’espérer. Après tout, le Roi des lycans n’avait pas menacé Ingald et peut être qu’il n’attenterait pas à sa vie.
Résigné, le jeune homme s’assit à la table des mariés, encore plus désolé qu’avant pour eux de la tournure de leur journée de mariage. Au final, tous restaient très dignes, il n’était pas difficile pour un noble de feindre de voir que la situation était désespérée et peu à peu les discussions reprirent, bien moins fortes et plus tristes, certes mais elles reprirent tout de même.
Soudain, Al’Ivna, toujours aussi élégante dans sa somptueuse robe de mariée, se leva de leur
table et s’approcha de l’endroit où gisait toujours le Commandant Geoffroy Delaroche, inconscient.
Personne n’avait eu jusque là l’audace d’aller le voir, trop impressionnés par les regards dissuasifs des lycans, mais cela n’était pas suffisant pour faire reculer l’elfe.
Elle avança malgré tout et les lycans ne firent finalement rien pour l’en empêcher. Elle s’agenouilla auprès du soldat tombé et se rendit compte que le coup qu’avait asséné le Roi Nikolaï était beaucoup plus violent qu’ils l’avaient cru. En plus de son nez fracassé, ses deux yeux ainsi qu’un point à la racine du nez avaient été transpercés. Comme par des tiges ou de longues griffes.
Le Commandant ne gisait pas inconscient, il était mort sur le coup, les yeux crevés et le crâne
perforé. Ce fut le premier mort de la nuit.

                                                                                              

Deux gardes royaux étaient postés devant la grande porte à deux battants de la salle de réception.
D’après les couloirs vides qu’ils avaient arpentés depuis leur sortie des souterrains, tout le monde présent dans le Palais devait être rassemblé dans cette salle.
Belenor, Fildar, Kerneli et Jeanne n’avaient croisé que deux personnes depuis qu’ils étaient de
retour à la surface. Face à la défiance du premier, Fildar l’avait assommé d’un coup de coude dans la tête puis ils l’avaient bâillonné et enfermé dans une petite pièce inoccupée. Quant au second, malgré son uniforme royal, ils n’avaient même pas pris la peine de lui poser de questions avant de lui faire perdre connaissance.
Dissimulé avec les autres derrière l’angle d’un mur, Belenor hésitait à agir contre les deux gardes qui leur barrait maintenant la route, donner l’alerte pouvait signifier la mort de beaucoup d’otages retenus dans la salle. De la même façon, attendre ainsi ne servait à rien et faisait le jeu des attaquants.
S’apprêtant à agir, le Prince mobilisait toute son attention pour atteindre son Don malgré le Sceau en forme de collier qu’il portait. Depuis que les mages lui avaient imposé cette restriction, il avait conscience de son pouvoir comme distant mais à la fois très proche et impossible à atteindre sans une intense concentration.
Un coup de Fildar à son épaule le ramena durement à la réalité. Deux personnes approchaient de leur position de l’autre côté du couloir, si c’étaient des gardes, l’effet de surprise allait tomber à l’eau. D’un hochement de tête, Fildar leur fit comprendre qu’il s’occupait surprendre les nouveaux venus et essayer de les mettre hors d’état de nuire. Les autres restèrent en arrière, du moins pour les premières secondes.
Fildar s’approcha de l’angle du mur opposé à celui donnant sur la porte de la salle de réception. Lorsqu’il passa la tête pour un premier examen de ses opposants, il ne put empêcher un sursaut d’incrédulité. Tout désir de combattre l’abandonna et il rejoignit les deux nouveaux venus promptement.
Il s’agissait du vieil intendant des Acciprides, Elfrad, avec une jeune fille vêtue de noir comme une cambrioleuse dans les bras. Si Belenor, n’eut aucun mal à reconnaître le vieil homme, il n’en fut pas moins très surpris de le trouver là. Il avait toujours imaginé qu’il serait parti en exil avec son père l’Archiduc Morwind. En revanche, la jeune femme avait un visage familier mais impossible de mettre un nom dessus, vu l’attention que lui portait Fildar ce devait être une personne qu’il connaissait peut être quelqu’un de sa Maison.
« Sybille ! s’exclama Fildar un peu plus fort qu’un chuchotement. Comment va-t-elle ? » Continuat-il à l’attention d’Elfrad beaucoup plus doucement pour ne pas alerter les gardes.
A l’évocation du prénom de la jeune blessée, Belenor se souvint. Sybille de Rembrunt. Il ne l’avait pas vue depuis des années mais lorsqu’ils étaient plus jeunes, c’était l’une de ses seules amies. Son père et le Duc du Rembrunt passaient alors beaucoup de temps ensemble car l’Archiduc Morwind gérait beaucoup les affaires du Royaume à la place de son frère après la mort de la Reine.
« Nous pouvons parler tranquillement, fit Kerneli à voix haute, je nous ai entouré d’une barrière
contre les oreilles indiscrètes.
- Merci, Archimage, fit Elfrad. Monseigneur Belenor, quelle joie de vous revoir, je n’ai jamais douté de votre retour en ce jour si important. Dame Sybille de Rembrunt s’est fait attaquer par l’un des lycans déguisé en garde du Palais. N’ayez pas d’inquiétude, je lui ai prodigué des soins d’urgence et sa vie n’est pas en danger.
- Des lycans ? Cela explique certaines choses, nota le Prince.
- Vous ne l’aviez pas remarqué ? s’étonna le vieil intendant.
- Nous n’avons pas vraiment eu le temps de nous poser plus de questions et les personnes que nous avons neutralisées n’ont pas eu le temps de nous montrer leurs griffes.
- J’imagine que c’est mieux ainsi. En tous les cas, comme vous l’avez remarqué, ils ont pris le contrôle de la salle de bal avec tous les convives à l’intérieur ainsi que Sa Majesté votre oncle.
- Savez-vous combien ils sont ?
- Je n’ai pas le chiffre exact mais je pense qu’ils ne sont pas assez nombreux pour tenir tout le Palais. Il y a bien quelques patrouilles, bien visibles pour faire bonne figure mais l’essentiel de leurs effectifs se trouve dans la salle. A mon humble avis, ils ne sont pas plus d’une trentaine.
- Trente lycans ? intervint Fildar. Ce sont des combattants redoutables, et solitaires normalement, en réunir tant en un seul endroit tient de l’exploit.
- Peu importe ce qui les a unis, assura Belenor, la vie de nos parents et amis est en jeu. Je pense qu’il y a un traitre dans cette salle mais nous devons d’abord sauver le plus de monde.
- Que pouvons nous contre tant d’opposants ? se désespéra Kerneli. Nous sommes trop peu nombreux même avec mon Don et le tien, Belenor.
- Beaucoup des nobles présents dans cette salle sont également de bons combattants, ils se défendront même sans armes.
- Il y aura des pertes, Belenor, c’est inévitable.
- Vous savez, Archimage, peut être sont-ils en train de massacrer tout le monde dans cette pièce, nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Alors oui, il y a un risque c’est pourquoi il faudra être extrêmement rapides et éliminer leur chef. Vous êtes prêts ?
- Attends, Belenor, nous ne pouvons pas abandonner Sybille ainsi, fit remarquer Fildar.
- Il a raison, je vais rester auprès d’elle, proposa Jeanne. Je suis Voyageuse pas guerrière, je ne vous serai pas d’une grande aide là-bas.
- C’est entendu, accepta Belenor. Elfrad, vous n’êtes pas obligé de venir non plus, vous êtes intendant pas un soldat.
- Pardonnez-moi Monseigneur Belenor, mais j’ai fait le serment à votre père de veiller sur vous et je ne compte pas le décevoir.
- Faites comme bon vous semblera. »
Alors que le mur d’isolation sonore dressé par l’Archimage s’abaissait, tout le groupe fut surpris par le bruit sourd et soudain du tonnerre. Celui-ci fut précédé de très peu par une intense lumière que filtrèrent les hautes fenêtres du couloir dans lequel ils se trouvaient.
Un orage s’était déclenché, assez violent, jugea Belenor en se fiant au bruit des gouttes s’écrasant sur les vitres. Ce temps n’était pas rare à cette époque de l’année, la fin de l’été, où le climat changeait progressivement et était parfois sujet à quelques heurts de la sorte.
Leur surprise passée, le groupe s’apprêta à bouger. Elfrad déposa délicatement Sybille, encore inconsciente sur l’une des banquettes qui se trouvaient là, le long du mur et Jeanne prit place à ses côtés. Ensuite, le vieil homme rejoignit les trois autres qui avaient déjà commencé à avancer vers la porte de la grande salle, toujours surveillée de part et d’autre par les deux gardes.
Belenor était intensément concentré, voulant agir vite, sans que les lycans puissent donner l’alerte. Tenant le maximum de son Don qu’il pouvait à travers le Sceau, il s’apprêta à frapper. Peu à peu, il senti le pouvoir le remplir et avec, sa vision se resserra de plus en plus. C’était l’un des grands défauts de se forcer à passer outre les limites imposées par le Sceau, il était obligé d’amplifier sa colère qu’il avait pris soin d’attiser depuis qu’ils étaient entrés dans les souterrains.
L’utilisation de ses sentiments, en particulier la colère, était une pratique bannie par les instructeurs de l’Académie, menant soi-disant les Mages à la folie.
Si cela était vrai, le seul effet que ressentait Belenor était le rétrécissement de son champ de vision, les côtés de celui-ci se brouillaient au fur et à mesure, les contours des formes se faisaient plus flous, un peu à la manière d’un cavalier lancé au galop qui voyait très bien en face de lui mais perdait peu à peu conscience de sa vision périphérique.
Fort heureusement, cet effet ne durait que le temps que Belenor utilisait son pouvoir et tout revenait à la normale dès qu’il le laissait aller ; et le sentiment de toute puissance disparaissait également.
Lorsqu’ils passèrent l’angle du mur qui allait les rendre visibles pour les deux gardes de la porte, Belenor commença à utiliser son pouvoir et le temps sembla ralentir autour de lui. En regardant à sa gauche, il put voir qu’il dépassait aisément l’Archimage Kerneli dont la course ralentie donnait un effet comique à son long manteau de mage dont les pans semblaient vivants. De même le vieil intendant, qui avait dégainé une dague qu’il cachait vraisemblablement jusque-là cachée sous ses vêtements, était très ralenti et lâché par le Prince.
Esquissant un sourire demi-sourire, Belenor saisi la garde de son épée qui pesait à sa droite et la dégaina. Il voulait neutraliser lui-même le plus possible d’opposants en commençant par les deux qui gardaient l’entrée de la Grande Salle. Ainsi, s’il était le seul à prendre des risques, il assurait aux autres une certaine sécurité. Il savait qu’il ne pouvait pas tout contrôler et que le temps qu’il pouvait tenir en puisant dans son pouvoir était limité mais il comptait faire le maximum.
Il jeta un coup d’oeil à sa droite pour s’assurer que son épée coulissait bien dans son fourreau et fut surpris de ne pas voir Fildar derrière lui alors qu’il continuait à utiliser son Don pour accélérer ses mouvements.
En effet, Cavalier Noir avait déjà dépassé le Prince et, telle une silhouette sombre et floue, il avait déjà atteint les deux lycans qui n’avaient pas encore pris conscience de la présence des quatre intrus. Belenor ne put comprendre le mouvement que fit ensuite Fildar tellement il fut rapide, mais la seconde d’après, les deux gardes étaient à terre, probablement morts et le jeune homme repris une vitesse normale ce qui lui rendit sa forme humaine et dissipa l’ombre et le flou qui l’entouraient.
Le Prince laissa aller son pouvoir et le temps repris son cours. Kerneli et Elfrad s’arrêtèrent, surpris de voir leurs vis-à-vis à terre et les deux jeunes hommes devant.
« Sont-ils… ? commença l’Archimage.
- Morts ? Non, seulement inconscients, bien que blessés, répondit Fildar.
- Pourquoi une telle clémence ? Ils n’auraient pas hésité, remarqua Elfrad.
- Justement, je pense qu’ils auraient évité de tuer. Ne trouvez-vous pas étrange que les attaques se soient passées dans des bâtiments vides alors que la ville reçoit tant de visiteurs aujourd’hui ?
- Peu importe, coupa Belenor. Je vais ouvrir la porte. Tenez-vous prêts et sauvons les otages le plus vite possible. »
Les autres acquiescèrent et se préparèrent à entrer alors que le Prince essayait de canaliser le plus de pouvoir possible malgré le Sceau. Ce dernier devint de plus en plus froid contre sa poitrine alors que son esprit était intensément concentré.
Il saisit les poignées des deux battants de la porte, blanche avec des motifs dorés sculptés sur le bois et ouvrit en grand sur la salle de réception.

                                                                                              

Un silence pesant était tombé sur l’assemblée après que le Roi Ingald et son homologue lycan aient quitté la salle. Les lycans restants surveillaient étroitement chaque porte. Certains regardaient également les convives d’un oeil dur et froid pour dissuader toute tentative désespérée.
Feignant l’ennui, Duncan Korventen semblait contempler l’extérieur et les jardins plongés dans les ténèbres nocturnes à travers les grandes portes vitrées en face de là où il était attablé. En réalité, Duncan restait attentif à tout mouvement suspect qui pouvait déclencher une confrontation. Il ne faisait aucun doute que celle-ci allait éclater tôt ou tard, de nombreuses personnes étaient des nobles d’épée, rompus au combat, qui attendaient juste le bon moment pour reprendre le contrôle de la situation.
Ce fut alors qu’une vive lumière blanche illumina un instant la salle et fut suivie quasi-instantanément d’un énorme grondement. Ne s’y attendant pas, Duncan sursauta sur son siège. L’un des hommes d’armes de son père qui était assis derrière lui ricana. Ils étaient deux et le suivaient en permanence, ce qui avait le don d’insupporter le jeune homme.
« Sa Seigneurie est particulièrement tendue, dirait-on. » chuchota le ricaneur à son collègue.
Duncan se retourna et lui lança un regard noir qui eut pour effet d’effacer le sourire sur son visage. Ne souhaitant pas retenir leurs noms, il les avait surnommés Droit et Sinistre, car si l’un ne réfléchissait pas avant de parler, et allait droit au but, comme à l’instant, l’autre ne montrait jamais aucune émotion et limitait ses dires au strict minimum, à peine souriait-il aux meilleures plaisanteries de Droit, à qui il arrivait de trouver de bons mots.
Petit à petit, le bruit des gouttes de pluie s’écrasant contre les carreaux des vitres emplit la salle.Ce qui put couvrir les chuchotements de quelques tablées qui avaient repris discrètement leurs discussions.
Peu après le début de l’orage, la porte derrière laquelle s’étaient enfermés les deux rois s’entrouvrit et le monarque lycan donna un ordre à la sentinelle qui se tenait là. Ce dernier quitta son poste et se dirigea vers la table royale où il s’arrêta devant le Maréchal Dalger. Le vieux militaire se leva alors et entra dans la salle où l’on avait requis sa présence. La porte se referma et le lycan reprit sa place.
Duncan avait du mal à comprendre ce qu’il se passait. Le Maréchal avait suivi l’ordre sans broncher alors que son meilleur élément, le Commandant Delaroche, gisait encore devant sa tablée.
Le départ du Maréchal laissait virtuellement son père, le Marquis Wilbur Korventen, seul en charge de la salle en tant que Grand Conseiller Royal. Celui-ci était en grande discussion avec son bras droit, le Baron Brivel Rovan, l’ancien bon ami de Duncan. Ils chuchotaient et leurs paroles échappaient à ses oreilles bien qu’ils ne soient pas assis très loin de lui. Leur conversation était d’autant plus couverte que les convives avaient recommencé à parler librement, commentant la sortie du Maréchal, ce qui emplissait la grande salle d’un léger bruit de fond.
Un éclair illumina la pièce d’une intense lumière blanche et le tonnerre suivit juste après, indiquant la proximité de l’impact. Au même moment la grande porte s’ouvrit, ce qui fit taire tout le monde. Quatre hommes s’élancèrent dans l’allée centrale qui séparait les tables. Il ne fallut pas longtemps à Duncan pour reconnaître l’homme de tête, le Prince Belenor, qui, en plus de porter ses couleurs, l’azur et l’argent, avait un air de famille avec son oncle le Roi.
Tout comme lui, de nombreux convives reconnurent le Prince et ce dernier ralentit, se dirigeant vers la table du Roi où étaient tous les Pairs du Royaume mais aussi les lycans arrivés avec leur chef Nikolaï et qui semblaient être aussi ses principaux lieutenants.
Outre le Prince, les identités des trois autres n’étaient pas évidentes. Il y avait un vieil homme, un autre avec un bâton de Mage et le dernier, tout de noir vêtu, ne laissait pas son visage apparaitre sous le capuchon de son manteau.
Belenor avança, la main sur le pommeau de son épée, s’adressa aux lycans d’une voix forte et claire :
« Où est Sa Majesté, le Roi ? »
Il n’y avait plus rien dans le Prince d’aujourd’hui de l’adolescent timide et amoureux des livres qu’avait connu Duncan avant sa captivité. Il se tenait droit et sa voix sûre se voulait autoritaire. Le passage à l’âge adulte en avait fait un homme bien bâti et son éducation, un futur dirigeant.
Ce fut le lycan le plus grand et le plus massif qui lui répondit :
« Votre Roi rencontre le nôtre pendant que nous tenons compagnie aux nobles de sa Cour. Qui êtes-vous pour vous présenter ici armé ? »
La voix du lycan était profonde, rauque et portait si bien que Duncan en eu un frisson doublé d’un mauvais pressentiment.
« Je suis Belenor, fils de Morwind de la Maison Acciprides et Prince-Héritier du Royaume de Callaven. Je vous demande de bien vouloir déposer les armes en attendant la fin de l’entrevue royale. »
Son vis-à-vis partit d’un rire qui glaçait le sang et qui n’augurait rien de bon.
« Vous êtes quatre, en large infériorité numérique, rien ne vous permet de m’ordonner quoi que ce fut. Saisissez-vous d’eux.
- Non ! Rappelle-toi les ordres de Nikolaï, intervint une voix qui s’avéra être celle d’une femme lycan se tenant aux côtés du premier.
- Je me fiche bien de ses ordres, je suis le Vice-Roi ! Saisissez-vous d’eux ! Et toi, Iohanna, si cela t’indispose, prends-toi une chaise et observe. »
Une dizaine de lycans s’approchèrent des quatre intrus, les encerclant. Le Prince Belenor, saisit la garde de son épée et, alors que le Vice-Roi lycan avait un sourire mauvais, il dégaina. Au lieu de déposer son arme, il mit son adversaire en joue.
« Vous auriez dû vous en tenir à vos ordres. » dit-il simplement avant de se précipiter sur le lycan.

                                                                                              

Sûr de lui, Belenor avançait l’épée dressée. Le Sceau qu’il portait l’empêchait de faire appel à tout son pouvoir, ce qui lui aurait permis de se rendre infiniment plus rapide que son adversaire et de le mettre hors de combat prestement. Eliminer ainsi le Vice-Roi accélérerait la reddition des lycans. Faute de mieux, il put puiser un mince filet de puissance qu’il utilisa pour rendre son attaque plus percutante.
Cela ne se passa pas comme il l’exceptait.
Le lycan le regardait avancer avec un rictus mauvais, il attendit l’ultime moment avant de dévier l’arme du Prince en sortant ses longues griffes d’un geste à la rapidité surhumaine. Belenor n’eut pas le temps de se rendre compte que son attaque avait échouée et de se remettre en garde que le Vice-Roi enchaîna avec un coup de pied qui atteignit le jeune homme en plein torse.
Propulsé vers l’arrière, Belenor chuta à terre, glissant sur une flaque de sang qu’il remarqua tout juste. Il reconnut le corps du Capitaine de la Garde Royale étendu au milieu de la mare écarlate. Le Prince ne put s’interroger plus longtemps sur la présence de ce corps que déjà son adversaire lui sautait dessus, les griffes en avant.
Par réflexe, Belenor voulu contrer l’attaque en puisant dans son pouvoir pour créer un bouclier d’air et stopper l’avancée du lycan. Le mince filet de magie qu’il pouvait canaliser n’était pas suffisant et cela l’enragea d’autant plus contre le Sceau qu’il l’entravait. En dernier recours, il essaya de parer le coup avec son épée. La scène se déroulait comme au ralentit, le Vice-Roi se rapprochant inexorablement de lui, encore à terre.
Alors qu’il avait abandonné tout espoir d’esquiver l’attaque, Belenor vit Fildar surgir sur sa gauche et, d’un élan surprenant, percuta et déstabilisa le lycan, utilisant son propre poids pour le faire basculer. Ils furent projetés sur l’une des tables, ce qui surprit grandement les convives qui y était assis et ils s’écartèrent. Prolongeant son mouvement, Fildar atterri avec agilité sur ses deux pieds de l’autre côté de la table, dos aux grandes fenêtres qui donnaient sur les jardins royaux.
Son attaque lui avait fait tomber sa capuche sous laquelle il se dissimulait encore. Son visage apparaissant au grand jour, de nombreuses personnes le reconnurent et les chuchotements fleurirent. Le Marquis de Korventen en particulier se leva, regardant son fils jusque-là porté disparu, bouche bée.
Rapidement, Fildar se remit en garde, s’attendant à ce que le lycan le prenne pour cible. Il fit bien car le Vice-Roi se remit sur ses pieds et s’ébroua. Une fois ses esprits retrouvés, il fixa le jeune homme d’un oeil vengeur et lui fonça dessus.
Fildar avait anticipé l’attaque et plutôt que d’essayer de parer le coup, il saisit un bras de son adversaire, se mit en déséquilibre jusqu’à toucher le sol de son autre main, puis posa un pied contre le torse du lycan et, utilisant la force de celui-ci, il le fit passer par-dessus sa tête, l’envoyant à travers la fenêtre qui se brisa, dans les jardins.
Il suivit ensuite le Vice-Roi à l’extérieur, disparaissant de la vue des convives. Le reste des lycans, d’abord surpris par la tournure des événements se réorganisèrent très vite. Belenor, toujours au sol, Kerneli et Elfrad furent encerclés et sommés de se rendre.
Le Prince se sentait impuissant avec le Sceau qui le coupait de son Don. Il se releva doucement pour que ses opposants ne prennent pas cela pour une agression et chuchota à l’Archimage :
« Il faut que vous m’enleviez ce Sceau, sinon nous sommes condamnés.
- Retiens ta fougue, Prince Belenor, nous ne sommes pas en danger de mort et ton Sceau doit rester en place. De plus il faut l’aval de quatre Archimages du Conseil pour te l’enlever en avance. Dans la majorité des cas, cela n’arrive pas, l’apprenti atteint la maturité nécessaire et le Sceau ne sert plus.
"Il y a donc un moyen de le retirer seul" pensa Belenor.
- Retenez-les un moment si possible, Kerneli.
- Qu’as-tu l’intention de faire ? » s’inquiéta l’Archimage.
Il n’obtint pas de réponse, le Prince avait croisé les bras et regardait fixement devant lui.
Belenor ferma les yeux et se concentra sur le Sceau qui l’empêchait d’avoir accès à son pouvoir. Tel un mur infranchissable mais très légèrement poreux qui le séparait d’un océan de possibles mais n’en laissait filtrer que quelques gouttes.
Le Prince essaya d’en puiser le maximum et de forcer sur les "parois", mais en vain. Même amplifié par la colère, le peu de pouvoir qu’il canalisait était insignifiant. Pire, il sentait qu’il avait accès à moins de perles de magie, comme si le Sceau se défiait de lui et se renforçait s’il luttait. Il refit alors les exercices de préparation à la canalisation qui lui avaient été enseignés à l’Académie. Il fallait faire le vide de toutes ses émotions. Belenor se représenta un immense trou dans lequel il jeta toutes ses peurs, sa colère, son angoisse. Ainsi comblé, le gouffre s’illumina d’une intense lumière qui emplit toute la vision du Prince.
Les gouttes de pouvoir réapparurent en nombre, perlant des "murs" qui l’entouraient, mais ce n’était pas suffisant. Les parois s’étaient ramollies par endroits et il tenta de les briser mais cela ne fit que réabsorber le peu d’énergie qu’il avait acquis.
Ne se laissant pas décourager, il répéta l’opération avec encore plus de pouvoir sous son contrôle. Il frappa une partie particulièrement molle à l’aide de son pouvoir en forme de pointe afin de traverser la paroi. En vain. Le Sceau se réappropria le pouvoir lancé à son encontre.
Après un troisième nouvel échec, désespéré et virtuellement à genoux, Belenor cessa d’essayer et se prit à regarder les gouttes de pouvoir fuiter peu à peu vers lui et la lumière produite par le brasier de ses émotions.
Passif, il contempla le mince pouvoir s’assembler, les parois, s’amollir et la lumière s’intensifier à mesure qu’il alimentait le gouffre de son désespoir afin de ne pas y succomber totalement. Pour la première fois, il réunit assez de pouvoir pour qu’il puisse l’utiliser pour sauver son oncle, du moins le pensait-il. Malheureusement, le Sceau était toujours là, à le narguer. Les parois étaient désormais totalement élastiques sauf en trois points qui étaient restés denses et durs. En en effleurant un à l’aide de son pouvoir, les parois vibrèrent fortement. D’instinct, Belenor s’arma alors de toute la magie à sa disposition et il frappa les trois points du plus fort qu’il put. Il ressentit un immense tremblement et le pouvoir s’écoulait plus facilement à travers les parois qui n’avaient rien absorbé de celui utilisé cette fois-ci. Belenor frappa une autre fois et le ruissèlement se fit plus ample vers lui.
S’armant de toute sa volonté, il attaqua une troisième fois et les parois s’écroulèrent, laissant le flux de puissance s’écouler librement vers lui. Se sentant enfin complet il se laissa envahir par le sentiment de toute-puissance. Contrairement aux autres fois où il avait canalisé plus que de raison, il ne se laissa pas subjugué par ses émotions, le brasier qu’il en avait fait le protégeait.
Il avait vaincu le Sceau, mieux, il l’avait dompté car si le pouvoir devenait incontrôlable il pouvait lâcher les trois points durs et les parois se reformaient, tarissant le dangereux flux.
Le Prince ouvrit enfin les yeux. La situation avait changé, le bouclier d’air que Kerneli avait dressé les protégeait encore mais faiblissait, fissuré par les coups répétés des lycans.

                                                                                              

En passant de l’autre côté de la fenêtre, Fildar ne s’attendait pas à ce que la pluie soit d’une telle intensité. Il ne s’agissait pas d’une de ces chaudes averses d’été mais d’un violent orage qui trempait jusqu’aux os.
A la lueur d’un éclair qui illumina tout autour de lui, Fildar vit qu’il était sur une des vastes terrasses en demi-cercle qui ouvraient sur les jardins. Son adversaire lycan s’était déjà relevé et Fildar dégaina prestement son épée tout en s’armant d’une dague dans la main gauche.
Sans prévenir et d’un bond prodigieux, le lycan se jeta sur lui, ses longues griffes sorties. Le jeune homme réussit à ne pas être trop surpris par cette attaque et croisa ses lames pour contenir le coup. Le choc violent du lycan qui s’abattait de tout son poids sur lui faillit déséquilibra Fildar mais il tint bon et repoussa son adversaire.
Le lycan se remit en position face à lui et réattaqua. Cette fois-ci, le jeune homme voulu esquiver mais, ralenti par sa cape détrempée, son opposant put lui infliger une entaille au bras gauche. Fildar sentit le sang chaud couler sur sa peau, rendant la poignée de sa dague poisseuse et sa prise imprécise.
« Tu es courageux, humain, mais tu n’as aucune chance. » assura le lycan.
Il se tenait à deux pas de Fildar, en garde et paré à frapper une troisième fois.
« Permettez-moi d’en douter, réplique le jeune homme en dégrafant sa cape qui tomba sur le sol et libéra ses mouvements.
- La nuit a toujours été notre élément, continua son adversaire, alors que vous, humains, êtes
diminués sans lumière. »
Le jeune homme remarqua alors que son adversaire se plaçait exprès dans un coin sombre, là où aucune lumière n’était présente, afin qu’il le perde de vue. Fildar avait donc un avantage, le lycan ne pouvait connaître l’étrange affinité qu’il avait développée suite à la guérison de l’Archange Viviane. Il voyait dans les ombres sans difficulté et, tout comme il l’avait senti dans les souterrains avant de croiser Belenor, après sa lourde chute, être entouré de ténèbres l’empêchait de se blesser gravement. Comme s’il absorbait une partie des ombres, il ne ressentait alors presque plus la douleur. D’ailleurs, la blessure à son bras s’était déjà refermée.
Pour autant, il ne savait pas quel était le vrai niveau de son adversaire et tant que ce dernier sous-estimait les capacités de Fildar, il avait une chance de le surprendre et de le battre.
Il se tint le bras gauche, comme s’il essayait de soulager la douleur et le lycan en profita pour l’attaquer, pensant le surprendre en surgissant sur son flanc exposé. D’un geste souple et rapide, Fildar lança sa dague vers l’adversaire et se mit en garde face à lui tenant son épée à deux mains.
Le lycan fut surprit mais évita tout de même le projectile sans difficulté et frappa Fildar rapidement avec chacune de ses mains fermées en poings d’où dépassaient les longues griffes qui étaient tant redoutées par les enfants récalcitrants à aller au lit et à qui les parents leur promettaient la visite d’un terrible lycan qui les punirait.
Fildar para les deux coups et put même porter une attaque qui entailla largement l’avant-bras
droit de son opposant.
Tout s’enchaîna ensuite très vite, les attaques pleuvaient, mettant l’endurance du jeune homme à rude épreuve mais il tint néanmoins bon. Son agressif adversaire n’avait pas l’air de se fatiguer et parait avec une déconcertante facilité les quelques coups que Fildar réussit à placer.
Plusieurs fois, il crut voir une ouverture dans la garde du lycan mais ce dernier se replaçait trop vite pour pouvoir l’exploiter.
Puis, les ouvertures se firent de plus en plus grandes, à mesure que la passe d’arme s’éternisait, la colère et l’empressement ne devaient pas aider vu la rage avec laquelle l’ennemi portait les coups. Lorsqu’il jugea le moment venu, Fildar feinta et porta un coup à la jambe gauche du lycan, là où l’ouverture dans la garde était béante.
Sa lame fut déviée et il reçut un coup dans le ventre, les griffes ennemies traversèrent ses vêtements et ses protections de cuir, déchirèrent sa peau et s’enfoncèrent profondément dans sa chair. Le lycan retira ses griffes de la blessure et d’un mouvement circulaire, y logea un puissant coup de pied.
Le jeune homme ne put encaisser le coup et perdit totalement l’équilibre, il voltigea dans les airs puis retomba quelques pas plus loin dans un des parterres de fleurs des jardins royaux.
Un piège. Il était tombé dans le piège du lycan et il s’était fait avoir. Il n’avait pas bien jugé son adversaire, celui-ci n’avait jamais été en proie à la colère et à l’empressement.
« Impressionnant, pour un humain, entendit-il. Je ne pensais pas avoir un si bon combattant face à moi, je t’ai sous-estimé. »
La voix s’approchait, lentement. Il ne se pressait pas outre mesure car il était convaincu d’avoir gagné. Fildar se concentra, comme il l’avait fait pour soigner ses membres blessés dans le souterrain. S’enveloppant de ténèbres, il sentit la douleur diminuer un peu mais la blessure était trop profonde pour être totalement guérie rapidement.
Découragé, il soupira et regarda le ciel, noir de nuages et la pluie, toujours battante qui inonda son visage. Un éclair zébra la nuit et éclaira un peu le ciel. Fildar y vit comme l’ombre d’un volatile, qui devait être bien téméraire pour voler par ce temps.
La révélation qui suivit le fit se sentir idiot. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Aucun oiseau ne sortait pendant un orage et il ne s’agissait pas d’un oiseau. C’était bien plus gros, comme un Dakhart. Son Dakhart.
Il sentait sa présence dans un coin de sa tête, il avait fini par tellement s’y habituer qu’il n’y faisait plus attention mais il était bien là et il avait senti la détresse de son nouveau maître. Un nouvel éclair illumina la scène, le lycan se tenait à côté de Fildar qui gisait à terre.
« Tu as perdu, humain. » fit-il, catégorique.
Il leva un bras, haut dans le ciel, le poing fermé et les griffes sorties pour lui donner le coup de
grâce.
Le Dakhart n’eut pas le temps de le saisit avec ses crocs mais les griffes de ses pattes inférieures se saisirent de son bras qui émit un craquement sinistre. Le lycan hurla et fut emporté plus loin par le monstre volant qui allait le dévorer.
Fildar lui intima mentalement l’ordre de ne pas le faire mais de le garder prisonnier et se remit péniblement debout, tenant sa plaie au ventre, encore sanguinolente avec sa main gauche. De l’autre, il récupéra son épée qui était tombée non loin et entreprit de marcher, en s’appuyant un peu dessus, vers le Dakhart.
Quand il fut suffisamment près, il ordonna au monstre volant de se retirer, constatant que son adversaire n’était plus du tout en état de se battre. Le bras droit complétement déchiqueté par les griffes du Dakhart, le gauche, plié dans un angle impossible, cassé lors de l’atterrissage.
« Le Dakhart ne vous a pas mordu, lui annonça le jeune homme, vous n’êtes pas empoisonné et vous survivrez.
- Tu n’as pas l’intention de me tuer ? s’étonna le lycan.
- Notre duel est terminé, je ne suis pas un bourreau.
- A quoi bon me laisser en vie ? Je ne suis plus rien maintenant. Un lycan qui ne peut pas se battre est un lycan mort.
- Ça ne sera pas de mon fait.
- Pitié, humain, tue-moi. »
Le regard désespéré du vaincu convainquit Fildar. Puisque c’était sa volonté, ainsi soit-il. Après tout, c’était à cause de lui que les choses avaient dégénéré dans la salle de bal.
Le jeune homme posa la pointe lame de son épée contre le cou du lycan qui reposait sur le dos. Il prit une grande inspiration et, avec la force qui lui restait, il leva son arme bien haut.
Alors qu’il allait abaisser ses bras, un éclair déchira le ciel et s’abattit sur le toit du Palais où il fut réfléchi puis transmis vers Fildar. Le rai de lumière frappa l’épée du jeune homme, l’arrachant de sa poigne et la faisant voler au loin.
Ebloui un bon moment, il finit par retrouver la vue et découvrit qu’en direction de la réflexion de l’éclair, une silhouette lumineuse sauta du toit, se réceptionna dans les jardins sans heurts malgré la hauteur de l’édifice et s’approcha de lui et du lycan vaincu.
Le jeune homme se savait incapable de combattre encore, pourtant il se saisit de deux dagues qu’il portait à la ceinture et tint en joue le nouveau venu d’une main et la lycan de l’autre.
« Laissez-le, ordonna la silhouette lumineuse avec une voix clairement féminine. Laissez-le et je ne vous ferai aucun mal, humain. »
Fildar laissa tomber ses armes. Une fois les dagues à terre, l’aura de lumière qui entourait la femme se dissipa. Le jeune homme put alors découvrir un visage qui semblait très jeune avec de curieux yeux jaunes. Les oreilles triangulaires sur le haut du crâne l’identifiaient clairement comme une lycan. Elle portait un ample manteau noir et long dont la capuche était rabattue. Ouvert, ce dernier laissait apparaître une tenue assez masculine, chemise à jabot et pantalon, d’un blanc immaculé.
« Cornelia, appela le lycan à terre, tu aurais dû le laisser faire.
- Non, répondit-elle catégoriquement. Je vais vous ramener chez nous, Père.
- Et l’orage ? Tu as une mission ici, un ordre royal.
- La tempête a eu lieu, j’ai rempli ma mission. Maintenant je dois vous aider à survivre. »
Cornelia aida son père à se mettre debout et le supporta en passant un de ses bras sous ses épaules. Fildar les regarda s’éloigner dans les profondeurs du jardin royal jusqu’à ce qu’il les perde de vue. Il s’accorda un moment pour souffler un peu et reprendre ses esprits, puis il reporta son attention sur le Palais Royal et la salle de réception qui semblait beaucoup plus calme.

                                                                                              

La situation dans la grande salle s’était tendue. Entre le Prince qui se tenait au milieu de la pièce comme en transe et le Vice-Roi qui avait ordonné que les intrus soient neutralisés avant de se faire éjecter de la pièce par un des compagnons de Belenor qui s’avérait être Fildar.
Depuis les lycans s’étaient fait menaçant et, lorsque le Mage qui accompagnait le Prince leva une sorte de bouclier pour les protéger, leurs opposants s’énervèrent complétement et retournèrent leur frustration sur la foule qu’ils tenaient en otage, punissant très rudement toute action déplacée de la part des convives.
Lorsque la mariée, à la robe blanche tâchée de sang pour avoir été au chevet du capitaine des gardes, tué par le Roi Nikolaï, chuchota quelque chose à son mari et voisin de table, elle fut violemment réprimée d’une gifle administrée par un des lycans.
L’un des convives se leva alors pour protester. Duncan, qui observait la scène depuis sa table, ne le connaissait pas. Vêtu de vert et de blanc, la broderie sur sa veste représentant un Dakhart désignait son porteur comme un Chevalier Ailé. Plusieurs lycans se rapprochèrent de lui pour le remettre à sa place mais il se révéla être incroyablement vif malgré ses cheveux grisonnants.
Le Chevalier évita les coups qu’ils essayaient de lui porter et en rendit certains tant et si bien que l’un de ses agresseurs se retrouva à terre.
A partir de là, tout dégénéra.
De nombreux nobles, malgré qu’ils soient désarmés, se mirent à attaquer les lycans qui se retrouvèrent en infériorité numérique et tirèrent leurs armes au clair ou sortirent les griffes. Certains, cependant, rassemblés autour d’Iohanna, qui s’était opposée au Vice-Roi et ses ordres violents, ne prirent pas parti et se mirent à l’écart.
Toujours assis à sa place, encadré par ses deux gardiens, Duncan ne pouvait qu’observer l’affrontement.
Les lycans, moins nombreux mais armés avaient un net avantage et les blessés dans l’autre camp étaient nombreux. Duncan pressentait que tout cela allait mal se terminer pour les gens de Callaven.
Du coin de l’oeil, il vit son père quitter sa place et entrer dans la salle où était retenu le Roi. Curieusement, il ne fut pas stoppé par les lycans qui gardaient la porte. Personne parmi les témoins n’eut l’air de s’en inquiéter et les autres étaient trop occupés à se battre. Dunan voulait réagir, aller voir ce qu’il se passait ou même aider ses anciens amis à protéger leur famille, mais dès qu’il esquissait un mouvement, la poigne ferme de l’un de ses gardes se posait sur son épaule, le défendant de faire quoique ce soit.
Il restait donc inactif, spectateur impuissant, horrifié par ce qu’il voyait. Les lycans avaient le dessus, indéniablement, et les traits crispés du Mage indiquaient que la protection entourant le Prince allait bientôt disparaître et tout finirait alors.
Soudain, l’air vibra et Duncan ressenti une sorte d’onde de choc le traverser. Il comprit très vite d’où cela provenait et son regard se porta sur Belenor.
Le Prince avait ouvert les yeux et son visage affichait une expression calme, froide et déterminée que Duncan ne lui connaissait pas. Il n’était pas le seul à avoir remarqué le changement du Prince car de nombreuses têtes s’étaient tournées vers lui, même parmi les combattants.
Alors que le Mage qui l’accompagnait s’était presque effondré, épuisé par l’effort fourni,
Belenor leva un bras et toutes les portes vitrées qui donnaient sur l’extérieur s’ouvrirent en grand.
Par l’une d’elles, Duncan aperçut son frère Fildar qui, exténué, essayait péniblement de revenir à l’intérieur. S’il avait gagné son combat contre le Vice-Roi lycan, il avait dû souffrir.
Suite à l’ouverture de tous les accès, le vent s’engouffra violemment dans la pièce. Il semblait entourer Belenor qui le contrôlait. A mesure que les bourrasques se firent plus violentes, Duncan put observer une sorte de sphère d’air qui cernait le Prince qui lévitait légèrement dans les airs.
Les lycans les plus proches, qui jusque-là s’étaient efforcés de faire tomber la protection érigée par le Mage, se précipitèrent sur le Prince. Ce n’était clairement pas une bonne idée, mais ces fiers guerriers ne pouvaient s’empêcher de se mesurer à un nouveau défi.
Belenor les vit, et avec un calme absolu dans le regard, s’en désintéressa alors que les assaillants furent comme soufflés, arrêtés dans leur course et renvoyés vers les quatre coins de la pièce.
Face à cette démonstration de puissance, les autres lycans baissèrent leurs armes et rétractèrent leurs griffes, abandonnant le combat. Tous les yeux de la salle étaient tournés vers lui avec admiration ou crainte.
Alors que le calme revenait doucement et que le Prince avait remis pieds à terre, il tourna brusquement la tête vers la pièce où le Roi s’était retiré, comme s’il avait senti quelque chose se passer.
L’intuition était juste car, soudainement, la porte s’ouvrit et le Marquis Wilbur sortit précipitamment.
« Le Roi ! s’écria-t-il. Il … »
Sa voix s’éteignit mais tous avaient compris et toute la foule se précipita vers la porte pour regarder l’intérieur de la pièce. Les nobles s’écartèrent néanmoins lorsque le Prince s’approcha, le laissant aller au chevet du Roi.
Belenor entra et ferma la porte derrière lui, disparaissant aux yeux de tous. L’atmosphère dans la salle était très tendue, les nobles s’inquiétant pour leur Roi et les lycans, vaincus n’osaient plus rien faire et s’étaient rassemblés dans un autre coin de la Grande Salle.
De sa place, toujours encadré de ses gardiens, Duncan observait la scène tout en s’inquiétant sincèrement pour le Roi, la seule personne qui lui avait rendu régulièrement visite lorsqu’il était enfermé.
Le Marquis Wilbur Korventen s’extirpa discrètement du rassemblement des nobles et se dirigea vers la table où était assis son fils. Le Baron Brivel Rovan remarqua le mouvement et lui emboita le pas. Une fois devant Duncan et ses gardes, le Marquis s’arrêta et fit signe aux deux soldats de le suivre.
Lorsque Duncan esquissa un geste pour se lever également, son père lui jeta un regard noir.
« Non, tu restes ici. Toi, ajouta-t-il en s’adressant à l’homme d’armes à sa droite, garde le.
- Oui, Seigneur.
- Mais, Père… Pourquoi ?
Le Marquis ne daigna pas répondre et se contenta de lui tourner le dos et se dirigea vers la sortie de la Grande Salle. Duncan, résigné s’affala sur son siège. Il ne savait pas comment interpréter le comportement de son père. Peut-être s’agissait-il d’un ordre royal ? Il y avait de nombreuses choses qu’il ne comprenait pas, ou plus, depuis qu’il avait été libéré de sa cellule.
En parcourant la salle des yeux, il put voir que plusieurs invités avaient été blessés, ou pire, et avaient leurs proches à leur chevet. Parmi les visages connus, il remarqua que la famille Bregorgne était autour du patriarche, le Comte Kaurad qui semblait mal en point. Son regard se porta ensuite vers son frère, Fildar qui s’appuyait péniblement au mur, seul.
Lorsque leurs yeux se croisèrent, le cadet sortit une dague qu’il gardait dissimulée dans sa manche et, avec ses dernières forces, la lança vers son aîné.
Il crut pendant un instant à une attaque, la vengeance du petit frère pour toutes les années de tyrannie qu’il lui avait fait subir. La lame se planta dans le bois de la table, juste entre les mains de Duncan. Surpris, il lança un regard incrédule à Fildar qui lui répondit d’un hochement de tête puis ferma les yeux, épuisé.
Duncan compris alors son intention. Il saisit rapidement la dague et, d’un seul geste, assena un coup au garde derrière lui avec le pommeau. Il y mit tout sa force ce qui déstabilisai le soldat, suffisamment pour que le jeune Korventen puisse donner un second coup qui finit de l’assommer.
Ne se souciant plus du regard des autres qui auraient entendu son gardien s’effondrer à terre, le jeune homme prit l’épée de l’évanoui et se dirigea vers la porte que son père avait emprunté sans que personne ne l’en empêcha.
Parmi ceux qui s’étaient aperçus de son exaction, sa mère toucha le bras de sa voisine, Estelle Rovan, et lui intima de le suivre alors qu’elle se levait pour aller au chevet de son second fils.
« Va, je te rejoindrai. » fit la Marquise.
Ainsi la jeune femme suivit Duncan sans qu’il ne s’en aperçoive.

 

                                                                                              

En se retournant après avoir fermé la porte sur la foule de nobles s’inquiétant pour l’état du Roi, Belenor prit conscience de la gravité de la situation. La pièce, habituellement utilisée comme cabinet d’audience, était composée d’un coin salon avec quelques fauteuils autour d’une cheminée, le Roi lycan était adossé à celle-ci, les bras croisés, comme s’il se contenait, le regard porté vers l’autre partie de la pièce. Cette dernière, composée d’un bureau joliment décoré où le Roi avait coutume de lire et signer les différents documents qui nécessitaient son approbation.
Ingald était là, assis dans son fauteuil, le Maréchal Dalger à son chevet. Contrairement à son habitude n’avait pas levé la tête à l’entrée du Prince et pour cause, Belenor vit avec horreur la garde d’un poignard dépasser de la poitrine de son oncle.
Il se précipita vers lui, espérant ne pas arriver trop tard, croyant pouvoir faire quelque chose pour l’aider. Le Maréchal l’arrêta d’une main sur l’épaule et le regarda, l’air contrit.
Le Roi Ingald Acciprides était mort.
Lorsque le Prince comprit, il s’arrêta, son coeur manqua un battement. Tout s’effondrait.
L’homme qu’il admirait depuis très jeune, celui qu’il était destiné à remplacer, était parti, assassiné.
Il se maudissait d’avoir trop tardé avant de pouvoir l’atteindre, s’il avait perdu moins de temps, les choses auraient pu être différentes. Soudain il vit une sorte de lumière bleue entourer le corps du défunt et une voix puissante résonna à l’intérieur de son crâne :
« Je prends cette âme, Prince Belenor, la dette est payée. »
Il reconnut le ton arrogant et condescendant de l’Oracle qui lui avait montré des avenirs possibles lors de son passage à Redenn. L’aura bleue qui entourait le souverain se changea en un flux qui fut comme aspiré derrière Belenor qui en se retournant cru apercevoir une silhouette disparaître de la pièce.
A l’oeil interrogateur u lycan toujours adossé à la cheminée, le Prince comprit qu’il avait été le seul témoin de l’intervention de l’Oracle.
Après un long moment de silence, il demanda enfin au vieux militaire :
« Maréchal, comment en est-on arrivé là ? »
Ce fut le Roi lycan qui répondit :
« L’action du Marquis Wilbur est impardonnable, néanmoins, le Roi Ingald l’avait prévue et nous a révélé, au Maréchal Dalger et à moi-même, de nombreuses choses qu’il souhaitait vous confier, votre réunion étant rendue impossible par son assassinat, selon Ingald, inévitable.
- Expliquez-vous. » commanda le Prince.

                                                                                              

Duncan courait dans les couloirs à la poursuite de son père. Fort heureusement, il avait une petite idée de sa destination. En arrivant à la grande porte du Palais, il put voir trois personnes entrer dans les écuries, à l’autre bout de la cour. Il s’y précipita.
Au moment d’entrer dans le bâtiment, il croisa un palefrenier qui sortait précipitamment. S’il avait vu Duncan en passant, le garçon n’en fit rien et continua sa route sans se retourner.
D’un coup d’oeil dans l’embrasure de la porte, il put apercevoir son père en train de discuter avec le Baron Brivel Rovan pendant que le soldat qui les accompagnait sellait le cheval du Marquis.
Duncan prit une longue inspiration et raffermit sa prise sur la poignée de son épée puis s’élança, l’arme en avant.
Sa course bruyante fut vite repérée par les trois hommes présents dans les écuries.
« Duncan ! » s’écria, surprit, Wilbur Korventen alors que le Baron s’interposait entre lui et son fils.
Face à son ancien ami, Duncan n’infléchit pas sa course, il voulait le bousculer, le mettre à l’écart, son véritable objectif étant son père. Lorsqu’il arriva à sa hauteur, Brivel Rovan le mit en garde. D’un geste fluide, et parce qu’il ne voulait pas perdre de temps avec un affrontement loyal, Duncan écarta l’arme de Brivel avec sa lame et, d’un revers, donna un violent coup de pommeau sur la tempe de son adversaire. Sonné, ce dernier tituba et, poussé par Duncan, tomba dans la paille.
Désormais face à son père, il ne lui laissa pas l’occasion de s’enfuir ou de sortir une arme quelconque. Ce n’était pas un duel. Il le saisit par un repli du costume d’apparat qu’il portait et lui plaça la lame de son épée sous la gorge.
Ce fut presque avec un plaisir malsain qu’il vit la terreur s’installer dans les yeux de son père.
L’homme qu’il avait admiré et cru aveuglément jusqu’à ce ses conseils se retournent contre lui, alors jeune officier, et causent son emprisonnement.
La fameuse attaque du village au-delà de la frontière avec Drastan avait été décidée en poursuite et représailles d’espions ennemis qui s’étaient infiltrés à la Cour. Ce fut Wilbur qui avait encouragé les hommes de Duncan avant leur départ de sorte qu’ils se déchaînent et se montrent impitoyables contre la population locale. Une tradition du Nord, ce genre d’expéditions punitives. A l’époque convaincu par l’idée de son père, Duncan pensait monter en grade à son retour. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu’à la place de gagner des chevrons sur son uniforme d’officier, il fut jugé en cour martiale et n’échappa à la peine capitale qu’à cause du titre de sa famille. De plus, son père ne se montra pas au procès et ne fit rien pour le défendre.
Après cette condamnation à perpétuité, il ne reçut que peu de visites de sa famille au début de sa peine puis plus aucune après quelques mois. Pendant les cinq longues années qui suivirent, les seules visites qu’il recevait furent celles du Roi. Le souverain avait passé de longs moments, régulièrement, avec le prisonnier, lui apprenant la patience, la tempérance, lui qui avait été si fougueux pendant son enfance, dur voire cruel avec son frère cadet.
Le voilà alors devant celui qui l’avait élevé puis abandonné et qui venait d’assassiner Ingald, la seule personne à lui avoir montré de la considération au cours de ses années d’emprisonnement. S’il avait été là, le Roi aurait appelé Duncan à la clémence mais il n’était plus et devait être vengé.
« Tu en meurt d’envie, n’est-ce pas Duncan ? lui dit son père qui avait repris un peu d’aplomb.
- Pourquoi, Père ? Pourquoi l’avoir assassiné ? le pressa le fils en raffermissant sa prise sur son arme.
- Il n’était pas digne d’un Roi. Il n’a jamais voulu m’aider à reprendre mon titre et le projet de
mon père.
- Quel projet ?
- La Couronne du Nord ! s’étrangla Wilbur. Ni toi ni ton frère n’êtes décidemment dignes de moi.
- Vous vous êtes aveuglé au point de ne plus voir le peu de bon que vous avez fait dans ce monde.
- Auras-tu le cran ?
- Vos méfaits sont terminés. »
Duncan n’eut qu’à exercer une légère pression sur la lame pour que le sang commence à couler de la gorge de son père. D’un geste, il fit passer son épée sur le cou de Wilbur. Cela lui trancha la carotide et le mince filet de sang se transforma en torrent.
Avec les forces qui lui restaient, le Marquis s’agrippa à son fils et le regarda plein d’incompréhension et de colère. Jusqu’au dernier moment, il n’avait cru Duncan capable de parricide, il croyait pouvoir s’enfuir. Il s’était trompé.
Lorsque la lumière s’éteignit dans le regard de son géniteur, Duncan l’écarta et se retourna. Brivel s’était remis debout et l’observait incrédule.
« Comment as-tu pu ? l’invectiva le Baron en se mettant en garde. Tu ne mérites pas mieux !
- Hors de mon chemin, traitre, ou tu subiras le même sort. » lança le tueur froidement.
Pour toute réponse, son ancien ami ne bougea pas. Duncan n’avait pas envie de l’affronter mais il ne lui lassait pas le choix. Il se mit en garde et se prépara à charger. S’il pouvait l’assommer, et pour de bon cette fois, il n’aurait pas à le blesser gravement, voire à le tuer.
Le combat s’engagea, Duncan pris rapidement conscience que son adversaire s’était bien remis de son coup précédent et n’allait pas tomber dans le même piège, solidement fixé sur ses appuis.
"Tant pis" regretta Duncan.
Il comprenait bien que la stratégie de Brivel était de l’empêcher d’atteindre la porte en faisant barrage de son corps et de ses coups. Pour autant, il n’était pas vraiment à l’offensive, défendant, gagnant du temps. Il attendait probablement une ouverture dans la garde de Duncan ou, à défaut, qu’il s’épuise.
La fatigue était bien le plus grand péril qui menaçait le jeune parricide, car, mal entraîné et rouillé par ses années de détention, il ne faisait pas le poids face à un officier de métier de l’Armée Royale.
Commençant à sentir ses muscles chauffer et à devenir douloureux, Duncan pris peu à peu conscience du peu de chances qu’il avait de gagner sans une erreur de son adversaire et l’inquiétude laissa peu à peu place au désespoir ce qui fit monter sa rage.
D’un coup d’oeil haineux vers son adversaire, il croisa alors son regard mauvais qui s’était attardé derrière lui. Instinctivement, Duncan ressentit l’urgence d’un risque et fit un bond de côté. Il entendit une corde claquer puis Brivel pousser un cri étouffé.
Il vit son adversaire pâlir alors que l’empenne d’un carreau d’arbalète saillait de son torse et que le sang commençait à rougir les vêtements autour de la blessure.
Duncan lança un regard en arrière et vit le soldat qui, plus tôt, sellait le cheval de son père avec une arbalète à la main. C’était celle du Marquis, celle qu’il avait l’habitude d’utiliser à la chasse et qui se trouvait en permanence attachée à sa selle.
Prenant conscience de la terrible erreur qu’il venait de commettre, le soldat jeta l’arme du crime à la face de Duncan et détala, sortant en trombe des écuries.
De son côté, le jeune Korventen, vainqueur par défaut, attrapa l’arme au vol et se tourna vers son adversaire qui s’était agenouillé, son visage ayant perdu toute couleur, les mains touchant en tremblant la blessure et le carreau qui dépassait de sa poitrine.
Brivel leva vers lui un regard terrorisé auquel Duncan avait du mal à être insensible, même en
sachant que le carreau lui était destiné. Le Baron blessé essaya de dire quelque chose mais il ne réussit qu’à cracher du sang qui se perdit dans sa barba noire à reflets roux.
Duncan s’agenouilla à ses côtés et allongea son ancien camarade pour atténuer la douleur. A moins qu’un guérisseur ou un médecin apparaisse dans peu de temps, Brivel allait mourir, il était condamné et il commençait à le réaliser.
« Pardonne-moi, Duncan » arriva-t-il à murmurer entre deux quintes de toux ensanglantée.
Se raidissant à ces mots, Duncan imagina la scène inversée. Lui à terre, transpercé et mourant et Brivel debout et victorieux. Jamais alors il n’aurait eu un mot de réconfort de la part de son adversaire. Pourquoi en aurait-il pour lui ? S’interrogea Duncan.
Sur ce, il lui refusa toute compassion et se releva. Devant l’incrédulité de son ancien ami, il asséna froidement :
« Mon pardon, tout comme mon amitié, tu l’as perdu il y a des années, Colonel Rovan. »
L’utilisation du grade militaire était une preuve de plus de toute la rancoeur que Duncan avait en lui et soulignait la gravite de la trahison du Baron. La carrière martiale brillante à laquelle l’aîné des Korventen avait été promis, l’affection de son père et sa reconnaissance, tout lui avait été spolié et Brivel en avait allègrement profité en se substituant à lui.
En entendant les paroles cruelles de Duncan, le blessé voulu répondre, argumenter ou se justifier mais il s’étranglait avec son propre sang. Il commença à tousser et cracha de plus en plus mais cela ne fit qu’accélérer son agonie. Dans un dernier râle, Brivel put articuler un mot, un nom :
« Estelle… »
Ainsi s’éteignit le Baron Brivel Rovan, Colonel dans l’Armée Royale de Callaven à l’âge de vingt-six ans. Duncan soupira longuement alors que la vie quittait le corps de son camarade puis dit à moitié pour lui-même :
« Même elle, tu ne la méritais pas. »
Il se dirigea ensuite vers le cheval sellé de son père, il ne lui restait plus qu’une chose à faire, quitter la ville et être libre.
Alors qu’il était en train de détacher le cheval pour le guider en dehors des écuries, une voix féminine retendit dans le bâtiment :
« Par l’Eternel ! Que s’est-il passé ici ? »
S’attendant à des ennuis, Duncan dégaina son épée et attrapa l’arbalète qu’il avait rattaché à la selle du cheval – ce qui était inutile vu qu’elle était déchargée. Ainsi armé, il sortit de la stalle et se retrouva nez à nez avec sa mère et Estelle Rovan.
« Duncan !? » s’écrièrent-elles à l’unisson mi-surprises, mi-terrorisées.
Il devait avoir l’air bien menaçant pour elles, ses habits étaient couverts de sang et son épée, essuyée rapidement, avait encore la lame en partie rougie.
Il baissa rapidement ses armes mais ne dit mot.
« Qu’est-il arrivé ? demanda sa mère les larmes aux yeux devant les cadavres de son mari et du Baron.
- Le Régicide et son complice sont morts, répondit-il laconiquement.
- Tu les as tués ? demanda Estelle effondrée.
- Tu te rends comptes que tu es désormais un double meurtrier et un parricide, ajouta sa mère alors que Duncan gardait le silence.
- C’était des traitres.
- Tu seras quand même jugé ! Tu vas retourner en prison ou pire être exécuté ! s’écria la Marquise, s’emportant devant le trop plein de calme de son aîné.
- Non, je pars.
- Et où iras-tu ? Sans aucun bien ni soutien ?
- Là où père aurait dû aller depuis longtemps, au Nord.
- Tu ne connais rien du Nord ! protesta sa mère.
- J’apprendrais, fit-il en guidant son cheval vers la sortie.
- Je viens avec toi, dit alors Estelle à la surprise générale.
- C’est insensé, lui répondit Duncan, incrédule.
- Je ne veux plus rester ici, expliqua-t-elle en regardant son mari décédé. Si je reste, je vais devoir porter le deuil de Brivel puis élever son enfant sous la stricte tutelle de sa famille. Je serai captive de son souvenir pour le reste de ma vie. Je n’ai pas choisi ce mariage, Duncan, il m’a été imposé par mes parents et les siens. Pour une fois dans mon existence, je veux faire un choix, laisse-moi te choisir Duncan, même si cela te parait insensé, même si c’est insensé. Laisse-moi te soutenir.
- Le voyage sera périlleux, trop pour une femme enceinte, argumenta Duncan.
- Je sais que je peux y arriver, affirma la jeune femme.
- Non, Estelle, c’est trop dangereux. Nous n’aurions rien à part ce que nous avons sur le dos et je ne souhaite pas attendre avant de partir.
- Il y a une solution, intervint la Marquise en se rangeant du côté d’Estelle. Faites étape chez nous, dans les Marches, au manoir, je vous aiderai en vous donnant ce que je peux.
- Vous me pardonnez, mère ?
- Non, fit-elle avec un regard vers le corps de son mari défunt, mais tu es mon fils et je ne peux
pas te condamner non plus.
- C’est décidé, je viens avec toi, déclara Estelle qui avait commencé à selle un cheval. Pas d’inquiétude, ajouta-elle en réponse au regard incrédule de Duncan qui pensait qu’elle volait la
monture, c’est celui de Brivel, donc un peu le mien.
- Partez, leur ordonna la Marquise, je vous rejoindrais dans quelques temps lorsque les évènements de ce soir se seront calmés.
- Qu’allez-vous dire pour le Marquis ? lui demanda Estelle.
- La vérité. Mon fils s’est parjuré pour rendre justice au Roi défunt puis s’est enfui.
- Merci, mère.
- Vivez. » conclut-elle.
Quelques minutes plus tard, deux cavaliers sortirent des écuries et traversèrent la ville encore endormie alors que les premières lueurs du jour commençaient à poindre. Alors que son fils disparaissait à sa vue, la Marquise Korventen laissa libre cours aux larmes qu’elle retenait depuis un moment. Cela faisait bien longtemps que son mari ne s’était plus intéressé à elle et les années avaient depuis dissipé les sentiments qu’elle avait eus pour lui. Elle ne pleurait pas sa disparition mais elle était soulagée de voir son aîné autrefois condamné, auquel son mari lui avait interdit de rendre visite, se libérer de toute entrave pour enfin vivre tel qu’il aurait dû.

                                                                                              

Le Roi Nikolaï Reihm invita le Prince à s’asseoir arguant que son explication risquait d’être assez longue et peut être assez difficile à accepter.
« Sachez, Prince Belenor, que ce que nous allons vous révéler, le Maréchal Dalger et moi-même, a été consigné par le Roi dans ses mémoires.
- Il a écrit ses mémoires ! s’exclama le jeune homme, incrédule.
- Pour faire une version courte, disons qu’il savait très exactement comment allait être sa fin. Ce qui lui a permis de s’organiser, si vous voulez.
- Il voyait l’avenir ? C’est impossible.
- Non, pas l’avenir, seulement sa fin.
- Mais comment ?
- De la même façon que vous pouvez présenter des aptitudes exceptionnelles.
- Un Don ?
- Précisément. Tout le monde dans votre famille a un Don, plus ou moins prononcé. Ingald voyait sa fin, vous maîtrisez une forme plus conventionnelle de magie, les éléments.
- C’est plus compliqué que ça. Mon père aurait un Don lui aussi ?
- Evidemment. Assez utile en plus.
- Il ne m’en a jamais parlé.
- Vous n’avez pas remarqué ? Avez-vous déjà réussi à lui mentir ?
- J’ai appris assez vite que j’étais un très mauvais menteur, donc non je n’ai jamais réussi, avoua Belenor.
- En vérité, il est impossible de lui mentir, il sait parfaitement déceler le mensonge de la vérité. Utile pour gouverner, n’est-ce pas ?
- Comment pouvez-vous en savoir autant sur ma famille alors que je ne vous connais pas ?
- Ingald est un ami d’enfance. J’étais présent lorsqu’il a découvert son Don.
- Quand était-ce ?
- A la mort de son fils, le Prince Kaliops. C’était à Dollovan.
- Je sais tout cela, on m’a raconté cette histoire de chute de cheval mortelle.
- Evidemment. En revanche, vous ne savez pas que j’étais avec Ingald, lorsque, pendant la veillée mortuaire, il fit un malaise alors que sa fin se révéla à lui. Il ne comprit pas tout de suite ce que sa vision impliquait. Par contre, il y avait vu ainsi Wilbur qu’il avait rencontré quelques mois plus tôt. Je ne connaissais pas alors celui qu’il présentait comme un chevalier dévoué et
volontaire. Ingald venait de se voir se faire tuer par un de ses meilleurs hommes en qui il pensait avoir confiance.
» Cette révélation conjuguée à la mort de son fils n’explique que mieux la quête spirituelle qu’il
commença à suivre et qui le mena jusqu’à la prêtrise, mais ça vous le savez autant que moi.
- Oui, mais je ne comprends pas. Cette vision était datée ? Comment Ingald pouvait-il savoir, plus de vingt ans à l’avance, que cela se produirait aujourd’hui ?
- Il ne le sut pas tout de suite. Il m’a avoué que sa vision revenait tous les matins, peu avant qu’il ne se réveille et chaque fois plus précise. Donc oui, pour répondre à votre question, cela fait des années qu’il sait que sa mort devait avoir lieu ce soir.
- C’est n’importe quoi ! Vous dites qu’il savait, qu’il connaissait les témoins et le coupable et qu’il n’a rien fait pour les empêcher ? je dois ajouter que votre rôle est très étrange, vous vous infiltrez dans le Palais, y placez des hommes en remplaçant la garde Royale. Vous avez facilité l’assassinat en somme. Malgré votre beau discours ou l’amitié qui vous lierait à Ingald vous êtes aussi coupable que Wilbur.
- Votre trouble se comprend, Prince Belenor, intervint Dalger. Ce fut aussi ma réaction lorsque j’entendis le plan du Roi pour la première fois. En tant que serviteur fidèle de votre grand-père, j’étais très réticent à l’idée de participer à l’assassinat de son fils. Votre père ne l’a d’ailleurs jamais accepté.
- Mon père était au courant ? s’étonna Belenor.
- Oui, et il refusa le destin de son frère. C’est lui qui convainquit le Roi Ingald de prendre le temps de réfléchir pendant que lui assurait l’exercice du pouvoir. Ce fut ainsi que l’Archiduc Morwind régna de facto sur le Royaume pendant qu’Ingald se retira dans un monastère près de Sipar où il apprit la prêtrise. Puis, lorsque le Roi revint, il était toujours aussi convaincu de son destin et Morwind ne voulait toujours pas l’accepter. Ils décidèrent alors de l’exil de Morwind et de son renoncement à la succession. C’est ainsi qu’il y a six ans, vous êtes devenu Prince-Héritier, Belenor.
- Père ne m’avait pas présenté les choses ainsi. Il m’avait fait part de plusieurs désaccords avec le Roi et son projet de coup d’Etat qui lui valut l’exil alors que j’étais déjà parti en ambassade. Etait-ce donc là mon rôle, ne pas être présent ?
- C’était l’idée, oui, affirma le vieux maréchal. Vous deviez partir avec les autres héritiers des Pairs du Royaume avec qui vous gouverneriez par la suite. Pendant ce temps-ci, le pouvoir donné à Wilbur a facilité la découverte des traitres à la Couronne.
- C’est pour cela que j’ai tué le Capitaine de la Garde Royale d’ailleurs, commenta le lycan.
- J’aimerai avoir plus de précisions sur votre rôle, Roi Nikolaï, car vous étiez certes au courant du destin du Roi mais en quoi votre présence a joué dans cette vaste préparation ?
- Comme je vous l’ai dit plus tôt, la vision d’Ingald s’est précisée avec le temps. Il m’écrivit un jour qu’il m’avait vu assistant à sa mort. A partir de là, ma présence fut évidente et, dans les lettres qui suivirent, il me fit part de sa volonté de profiter de sa fin pour débusquer les traitres qui pourraient affaiblir le règne de son successeur. Nous décidâmes alors que je devais rencontrer Wilbur et lui proposer mon aide.
» De plus, cela me permis également de finaliser l’union de mon peuple à travers ce projet car Wilbur nous promis des terres choses que les lycans n’avaient plus eu depuis l’avènement de l’Empire. Cette promesse acheva de convaincre la tribu du Vice-Roi. C’est d’ailleurs le Vice-Roi lui-même qui se prit d’amitié pour votre Wilbur et ils mirent en place le déroulement de cette journée depuis les explosions dans la ville à la prise d’otages du Roi et de sa Cour. C’est ainsi que je compris qu’une partie de la Garde Royale et son Capitaine en particulier étaient volontaires pour le Coup d’Etat. D’où ma décision de l’exécuter car j’ai également eu vent de projets de rébellion contre moi.
» En effet, le Vice-Roi ne souhaitait plus partager le pouvoir avec moi et voulait profiter du chaos suivant la mort d’Ingald pour m’évincer avec le soutien de Wilbur et de ses fidèles.
» Vous voyez, Prince Belenor, mon rôle était de vous aider à identifier et à diminuer le nombre des traitres à votre Royaume. De plus, j’en ai profité pour dératiser le mien, ce qui n’aurait pu que plaire à votre oncle, j’en suis convaincu.
- Reste un dernier problème, l’identification des traitres est faite, en revanche leur élimination, ce n’est pas encore le cas.
- Hier j’ai eu mon dernier entretien avec le Roi, révéla Dalger. Il me confia que ses heures passées avec le prisonnier Duncan Korventen allaient porter leurs fruits. Il avait l’intime conviction que le traitre serait châtié par son propre fils. Wilbur a fait l’erreur de dénigrer totalement son aîné après son emprisonnement et le Roi, a contrario, fut un visiteur fidèle tout ce temps.
- Duncan commettrait un parricide ?
- Le Roi en était presque sûr.
- Cela reste un meurtre, Dalger, un crime. Seule la justice peut disposer des traitres. Cela vaut
aussi pour vous, Roi Nikolaï.
- Et qu’allez-vous faire, me tuer ?
- Je devrais vous enfermer, répondit Belenor sur un ton cassant. En même temps je ne peux pas me mettre à dos tous les lycans.
- Vous allez devoir apprendre que le métier de Roi est de trancher des cas impossibles, fit
remarquer Dalger.
- Je le sais bien. »
Le Prince Belenor se leva et alla s’appuyer d’une main sur le montant d’une porte fenêtrée et regarda, pensif, un moment à l’extérieur, la lumière du jour commençant à illuminer la vue des jardins.
« Est-ce tout ce que je devais savoir sur la mort du Roi ? demanda-t-il toujours le dos tourné.
- Dans les grandes lignes, vous savez tout.
- Alors très bien, je dois aller annoncer la nouvelle. »
Sur ces mots, il s’arracha à la vision du Soleil qui commençait à percer le ciel de ses premiers rayons, en se retournant il eut un dernier regard pour le défunt, son oncle, le Roi Ingald, mort assis poignardé à son bureau. Finalement son visage avait presque l’air serein, ce qui, après les explications de Dalger et du Roi Nikolaï paraissait compréhensible. Tout le monde n’a pas l’occasion de préparer autant sa propre mort.
Arrivé devant la porte à double battant qui menait à la grande salle, il saisit les deux poignées et ouvrit en grand. Dans la salle de réception, il y avait peu de bruits, beaucoup étaient sous le choc des événements de la nuit. Lorsque le Prince apparu dans l’ouverture, tous les visages se tournèrent vers lui et les plus éloignés se rapprochèrent rapidement.
Conscient que les mots qu’il allait prononcer allaient créer beaucoup d’émoi et conclure cette longue nuit ainsi que sa vie de jeune Prince insouciant, il prit une longue inspiration, ferma les yeux, attendant quelques secondes. Puis Belenor déclara à l’Assemblée :
« Le Roi est mort. »

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25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 00:51

La foule s’était rassemblée devant l’estrade où le Roi devait faire son allocution annuelle. La place de Palais Royal était bondée et, comme l’avait prédit Sybille, de nombreux Garde Royaux en uniforme bleu et or étaient présents, prêts à réagir à la moindre suspicion.

Fildar et sa partenaire se tenaient sur le toit d’une haute bâtisse qui donnait directement sur la place. Leur point d’observation était idéal et ils pouvaient même observer les rues alentours. En apparence il était inimaginable de concevoir une attaque sur le Roi, toutes les armes de la ville ayant été contrôlées et scellées – mis à part celles de l’armée.

Le monarque apparu enfin, sortant de son Palais et suivi de la Cour qui devait être en train de festoyer à l’honneur du mariage qui avait été célébré. Ingald prit place sur l’estrade d’où il dominait la foule et ainsi tous pouvaient le voir. La foule se tut rapidement à la vue de leur chef d'Etat et Ingald commença à prononcer son discours. Fildar n'écoutait pas vraiment, préférant surveiller les mouvements suspects. A sa grande surprise, il n'y en eu pas. Alors que le discours se poursuivait, le Cavalier Noir commençait à s'agiter. Ce n'était pas possible, tous les indices indiquaient une attaque contre la personne du Roi, à ce moment. Sybille posa sa main sur son bras pour le calmer, il ne fallait pas se déconcentrer.

Peu après, ils entendirent un bruit sourd venant de derrière eux. En se retournant ils découvrirent qu'un incendie s'était déclaré suite à une explosion dans la ville haute. Un détachement de gardes se dirigea vers l'attaque en courant et Fildar le suivit par les toits tout en demandant à Sybille de continuer à surveiller la place.

Le bâtiment en flammes était celui d'une Maison d’une famille noble mineure mais il semblait complètement vide et aucun passant ne semblait avoir été blessé. Le chef du détachement de gardes  donna quelques ordres brefs et ils commencèrent à fouiller les alentours à la recherche d'un indice quelconque. De son point d'observation, Fildar ne pouvait rien voir de particulier ni ne pouvait descendre chercher des indices car il se rendrait suspect aux yeux des autorités.

Alors qu’il se relevait, prêt à partir, un garde appela ses collègues. Le Cavalier Noir s’y dirigea également, toujours de toit en toit, restant à couvert. Assis contre un mur se trouvait un homme, comme endormi. Comme le confirma l’un des gardes royaux, l’homme était mort, assassiné. Malheureusement, Fildar n’eut pas le temps d’écouter plus longtemps la conversation car une autre explosion retentit, bien plus loin, à l’autre bout de la ville haute.

Le chef de l’escouade détacha deux de ses subalternes pour informer ses supérieurs, restés à la place où le Roi donnait son discours, de la situation et ordonna au reste du groupe de continuer à chercher des indices.

Le raisonnement du chef se tenait, en  effet, un autre groupe allait sûrement être envoyé sur le lieu du second incendie. Fildar, quant à lui, choisi d’y aller, pour se rendre compte par lui-même.

Il s’agissait cette fois-ci de la demeure d’un riche marchand, à la bordure de la ville haute, presque située au pied du mur intérieur. La devanture, richement décorée auparavant était en flammes et, alors que le Cavalier Noir arrivait sur les lieux, il découvrit qu’un détachement, beaucoup plus important que le premier, inspectait déjà la zone.

Il ne leur fallu pas longtemps pour découvrir une nouvelle victime, une femme, apparemment, vu la coupe des vêtements. Elle se trouvait à côté de l’entrée d’un petit égout, adjacent à la bâtisse. Fildar ne pouvait pas voir grand-chose de plus car elle avait la tête plongée dans l’eau du caniveau. Il put néanmoins distinguer des lacérations profondes dans son dos comme si elle avait été attaquée par une bête.

Il n’eut pas l’occasion de s’interroger plus longtemps car déjà une troisième explosion avait lieu, lointaine, au-delà du mur, dans la ville basse. Les fauteurs de trouble s’éloignaient du Palais Royal ce qui rassurait quelque peu Fildar pour la sécurité du Roi et de sa cour.

Il commença à se rediriger vers la place où l’attendait Sybille tout en essayant de répondre aux questions que ces attaques soulevaient. Quelle était la raison de ces attentats ? Au final, à part faire un peu de bruit et beaucoup d’agitation ponctuelle, il n’y avait pas trop de conséquences. Peut être n’était-ce qu’un règlement de comptes entre des réseaux de contrebande. Ce ne serait pas le premier à prendre autant d’importance. Les gardes finiraient bien par trouver les coupables vu les indices qui avaient déjà été découverts en si peu de temps. Après tout, la ville était bouclée et personne ne pouvait en sortir.

Cette réflexion amena une autre interrogation : comment avaient-ils fait pour passer le mur intérieur pour déclencher leur dernier incendie ? Peut être y avait-il plusieurs groupes ?

Encore perdu dans ses pensées, Fildar atteint la place et retrouva Sybille assez rapidement. A son regard interrogatif, il expliqua :

«  Il y a, fort heureusement, très peu de victimes et les explosions s’éloignent d’ici. J’espère qu’on est tranquilles même s’il reste de nombreuses questions sans réponse. Quelle est la situation ici ?

-       C’est assez calme, la foule est contenue par les quelques gardes qui restent car tous les autres ont quitté la place pour inspecter les rues. Le Roi essaie de rassurer tout le monde, il est d’ailleurs particulièrement bon, les gens boivent ses paroles.

-       Il est connu pour cela, oui. Le peuple l’aime et cela a toujours beaucoup embêté ses ennemis politiques.

-       Concernant les attaques, c’est un seul et même groupe ?

-       Je ne suis pas sûr, ça me parait bizarre qu’ils aient réussi à franchir le mur sans se faire prendre. Les gardes étaient alertés.

-       Ils n’auraient pas pu l’escalader ? Passer par-dessus le mur ?

-       Aussi rapidement ? Ça me parait bien impossible pour des gens normaux.

-       Alors par en-dessous, ils auraient creusé un tunnel bien avant leur attaque.

-       Des tunneliers ? Et qui ne se seraient pas fait repérés ? Impossible. » fit Fildar, catégorique. Avant d’ajouter, sous le coup d’un éclair de lucidité : « Les égouts ! Ils sont passés par les égouts ! il faut les arrêter !

-       Comment ça ? S’ils sont passés par les égouts pour leurs attaques, ils sont sûrement déjà partis.

-       S’ils peuvent passer par les souterrains pour sortir, ils peuvent très bien faire également demi-tour et revenir ici, attaquer le Roi.

-       Que vas-tu faire ?

-       Les stopper, je connais une entrée pour les souterrains, près du manoir Korventen, je vais y aller et les stopper.

-       Seul ? Ils seront sûrement trop nombreux, je viens avec toi.

-       Non, toi, tu vas au Palais, prévenir la Garde Royale qui y est restée, ces gardes-ci n’ont pas dû bouger. Demande-leur de surveiller les entrées aux sous-sols et emmène-en un groupe avec toi dans les souterrains.

-       Comment je te retrouverai ?

-       Il suffira de suivre les bruits de combat, si j’ai réussi à les coincer.

-       Et dans le cas contraire ?

-       Ce sont eux qui vous trouveront, fit sombrement le jeune homme en se relevant.

-       Fildar ? demanda doucement Sybille en lui retenant la manche

-       Quoi ?

-       Bonne chance.

-       A toi aussi. » conclut-il avant de se diriger vers le manoir familial.

Tout apparaissait si logique maintenant, les premières attaques n’avaient pour but que de distraire le gros de la Garde pour les forcer à patrouiller dans les rues et à délaisser le Roi.

Il ne mit pas longtemps à atteindre la grande maison où il avait vécu lorsqu’il venait avec son père à la capitale. Elle était comme dans ses souvenir, assez grande mais pas trop avec deux étages et un petit jardin derrière.

L’entrée pour les égouts qu’il connaissait lui avait été montrée par son frère alors qu’ils étaient plus jeunes. C’était un accès caché car il était fermé d’une plaque de métal recouverte de la même pierre qui pavait les rues. Seule la discrète encoche dans le sol au milieu d’un des coins de la plaque rectangulaire trahissait la présence d’une embouchure.

Toujours allant de toit en toit, Fildar retrouva facilement l’emplacement qu’il cherchait. Quelle ne fut pas la surprise du Cavalier Noir lorsqu’il découvrit que la fameuse plaque avait été retirée. Prudent, il descendit quelque peu et se tint sur le parapet du mur qui ceignait le jardin du manoir.

Un crissement attira son attention, venant de l’intérieur de la bâtisse. Il tourna la tête dans cette direction et ses oreilles furent agressées par un bruit assourdissant d’explosion alors qu’il était lui-même projeté au sol par la violence du choc. Il se cogna lourdement contre le mur et fut sonné un instant.

Les vitres du manoir explosèrent projetant des éclats de verre partout dans la rue et le jardin alors que les flammes s’élevaient à l’intérieur. Fildar fit un geste pour bouger de sa position mais la douleur fut trop intense. Il avait dû se casser quelque chose lors de sa chute.

Reprenant peu à peu ses esprits, il essaya d’analyser la situation. Malheureusement, son esprit embrouillé ne lui permettait pas de faire de réfléchir posément.

Il esquissa de nouveau un geste, mais se retint au dernier moment car des silhouettes sortirent de la maison. Vêtues de noir et contre la lumière du feu, Fildar ne pouvait pas voir grand-chose. Il devina quand même qu’ils étaient assez grands et qu’ils marchaient en faisant de très grands pas. Ils passèrent par-dessus le muret et Fildar les entendit discuter alors qu’ils longeaient la rue.

«  …quoi détruire cette maison ? Les autres ne suffisaient pas ? interrogeait l’un avec un curieux accent guttural

-       Personne ne te demande de comprendre, répondit sèchement l’autre avec un accent similaire. Direction le Palais.

-       Les autres ont-ils fait le ménage ?

-       Oui, je te l’ai déjà dit. C’est le principe du piège, s’exclama l’autre apparemment excédé. On attire beaucoup de gardes dans les rues, puis on revient une dernière fois ici pour attirer les gardes restants et semer la panique. La cible se réfugie dans le Palais, sauf que les autres ont déjà… »

La voix s’étouffa alors qu’il refermait la plaque sur l’embouchure. Ils avaient disparus dans les égouts. Fildar devina néanmoins qu’il avait envoyé Sybille droit dans la gueule du loup. Leur coup était parfaitement préparé. Lorsqu’il entrerait dans le Palais, le Roi n’aurait plus pour défense que ses courtisans.

Il fallait qu’il les prévienne, qu’il les aide. Le jeune homme s’efforça à bouger au prix d’un terrible effort. Il fallait qu’il continue. Se tenait au mur, il se mit debout alors que déjà, il entendait les gardes arriver.

Il saignait abondamment de plusieurs plaies mais il se força à escalader le mur, passa de l’autre côté. Il se retrouva juste au dessus de la plaque d’égout. Souffrant toujours terriblement, il la souleva et s’introduisit dans le souterrain. Alors qu’il refermait correctement l’embouchure, son corps lui fit défaut et il tomba sur sol recouvert de pierres du tunnel et la douleur fut si intense qu’il perdit connaissance.

 

*

* *

 

Lorsque la nouvelle explosion retentit, Sybille était à mi-chemin du Palais, elle cherchait encore un moyen d’y rentrer sans passer pour une suspecte. La nouvelle attaque la surprit car ils n’avaient pas prévu cela. En revanche les gardes présents sur la place ne mirent pas longtemps à réagir.

«  Mon manoir ! hurlait le père de Fildar. C’est mon manoir ! Allez-y tous cette fois-ci et trouvez les coupables de ce méfait !

-       Du calme, mon ami, essayait de temporiser le Roi. Rentrez chez vous, c’est plus sûr, conseilla-t-il à la foule.

-       Vous aussi, Votre Majesté, argua le Conseiller Dalger, rentrez au Palais, avec la Cour.

-       Oui vous avez raison. Au Palais ! »

Sybille vit alors tous les gardes se diriger vers l’endroit où avait eu lieu l’attentat tendit que la foule se dispersait non sans désordre alors que les nobles – hormis ceux qui rentraient également dans leur demeure – se dirigeaient vers le Palais.

Elle devait les prévenir, les alerter du danger des souterrains. Depuis le toit où elle était, elle pouvait voir que les jardins royaux étaient peu gardés, ce qui lui permettait de s’introduire dans le Palais. Sans plus réfléchir, elle s’y dirigea, retrouva le lieu où le mur était moins haut, par où elle et Fildar s’étaient introduits dans la mâtiné. Elle sauta du toit au mur d’enceinte de l’espace vert puis se laissa tomber souplement.

Elle couru rapidement vers la porte la plus proche et essaya de l’ouvrir. Celle-ci n’était pas verrouillée et elle pénétra dans le Palais Royal.

Les couloirs n’étaient étrangement pas éclairés. Sybille partit à la recherche d’un Garde Royal en courant. Elle dû traverser deux corridors avant de voir au loin une silhouette en uniforme bleu et or.

Forçant le pas, elle se dirigea vers lui. Celui-ci se retourna vers elle au dernier moment. Surpris de voir une femme courir en sa direction il eut un mouvement de recul qui permit à Sybille de commencer à parler :

«  Vous devez m’aider ! hurlait-elle presque. Le Roi est en danger ! Conduisez-moi à un officier, des assassins viennent par les souterrains ! »

Le garde lui posa une main sur l’épaule et bizarrement Sybille se sentit mal à l’aise. Il se dégageait de cet homme une drôle d’impression. De l’autre main, il souleva la visière de son casque et Sybille découvrit un visage dur, aux traits anguleux, particulièrement viril aux sourcils très broussailleux, bruns tout comme ses favoris qui laissaient libres de poils le pourtour de sa bouche et le menton.

«  Pourquoi pensez-vous que nous ne sommes pas déjà arrivés ? » lui demanda-il d’une voix au fort accent guttural.

Affolée, Sybille voulu se dégager de l’étreinte mais sa poigne était trop forte. Il leva l’autre main, serra le poing et Sybille redouta un coup au visage mais à la place trois longues griffes sortirent d’entre ses doigts. Il plaqua la jeune femme contre le mur et tout en la regardant droit dans les yeux, arma son coup. Sybille ferma les yeux, attendant la mort arriver. Elle hurla lorsqu’elle sentit les griffes s’enfoncer profondément dans sa chair et la poigne qui lui serra l’épaule se relâcher. Elle se laissa alors tomber le long du mur.

Le flanc, il lui avait planté ses griffes dans le flanc. Pourquoi ne pas lui avoir coupé la tête ? Intriguée, elle rouvrit les yeux pour découvrir le garde imposteur étendu par terre, la gorge tranchée, aux pieds d’un nouvel arrivant tout essoufflé.

Sybille leva les yeux vers lui et le reconnu :

«  Maître Elfrad ! murmura-t-elle.

-       Je suis là, ma demoiselle, la rassura-t-il en examinant la blessure. Vous perdez beaucoup de sang, les entailles sont profondes mais vous devriez survivre si j’arrive à trouver un docteur.

-       Qu’est-ce que…Qui était-ce ?

-       Son nom, je n’en ai aucune idée. C’était un Lycan.

-       Il faut les prévenir… Prévenir le Roi…Il est en danger…

-       Calmez-vous, je m’en suis occupé. Je suis là aussi pour le protéger, non ?

-       Merci…

-       Là, dormez, c’est mieux pour vous, je m’occupe de tout. »

Sous l’injonction du vieil homme, Sybille ne put résister à la furieuse envie de se reposer. Alors qu’elle sentait l’homme essayer de bander ses plaies avec du tissu arraché à sa cape, la jeune femme abandonna toute lutte pour rester éveillée et lentement sombra dans l’inconscience.

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25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 00:49

Callaven, la nuit précédant le Jour du Roi

 

Le ciel était dégagé de tout nuage, ce qui permettait à l’observateur nocturne de distinguer de nombreuses étoiles. L’été touchait à sa fin et les nuits commençaient à se rafraichir. La ville était assez vivante cette soirée car beaucoup étaient déjà arrivés pour la fête du lendemain.

Deux cavaliers arrivèrent à la porte nord de la ville, ils furent arrêtés par les gardes, qui leur apposèrent des scellés sur leurs armes comme il était de coutume lors des jours festifs pour éviter qu’il y ait trop de grabuge et de bagarres mortelles. Les voyageurs étaient nombreux ces jours ci et les deux cavaliers purent entrer dans la ville.

Ils s’arrêtèrent à une grande auberge proche des murs de la cité haute. L’établissement, ironiquement nommé Le Presque-Noble, avait sa salle commune bondée de monde. Un barde régalait l’assistance de ses chants et quelques couples dansaient dans une partie de la salle. Les deux nouveaux venus s’approchèrent du comptoir où ils furent accueillis par le patron, Samuel Debava, un homme dégarni, au visage rond, pas très grand et assez gros.

«  Que me ferai-je le plaisir de vous servir, mes seigneurs ?

-       Nous cherchons un endroit ou passer la nuit, annonça le premier des deux cavaliers.

-       Vous souhaitez deux chambres, c’est cela ? Je suis désolé, mes seigneurs, j’ai bien peur d’afficher complet.

-       Nous nous contenterions d’un lit, corrigea le second cavalier d’une voix clairement féminine.

-       Pardonnez ma méprise, gente dame, mais comme je vous le disais je n’ai plus de place. A moins que vous réussissiez à convaincre l’un des clients de vous cédez sa chambre.

-       Nous verrons, fit l’homme. Avez-vous une table de libre ? Pas trop exposée si possible.

-       Bien sûr, il y a de la place dans la salle supérieure, là-bas, répondit Samuel en désignant les cinq marches qui menaient à une seconde salle.

-       Merci, aubergiste, dit la femme. Viens, allons nous asseoir. » ajouta-t-elle pour son compagnon.

Les deux voyageurs s’éloignèrent du comptoir et allèrent prendre place à l’endroit indiqué. En s’asseyant ils retirèrent leurs grandes capes sombres et la femme découvrit son visage. C’est alors qu’une voix forte s’éleva en leur direction :

«  Sybille ? Sybille de Rembrunt, quelle joie de vous voir ici ! »

L’intéressée sursauta d’être reconnue aussi rapidement. Elle dirigea son regard vers l’homme qui l’avait appelée et qui s’approchait de leur table. Il était jeune, assez grand, les épaules larges, ses cheveux bruns bouclés étaient assez courts et une barbe du même tenant lui mangeait une bonne partie des joues. Un autre jeune homme semblait le suivre, beaucoup moins bâti en force, il partageait tout de même de nombreux traits de visage avec le premier venu ce qui laissait penser qu’ils devaient avoir un lien familial.

Sybille reconnu le premier au bout d’un temps, car cela faisait quelques années déjà qu’elle n’était pas venue à Callaven. De plus, la dernière fois qu’elle l’avait vu, il ne portait pas la barbe et n’avait pas cette musculature impressionnante.

«  Imladas Sandorn, fit-elle après avoir mis un nom sur son visage, je suis ravie de vous voir également.

-       Cela fait bien longtemps que nous ne nous étions vus. Permettez-moi de vous présenter mon frère cadet, Vladimir.

-       Je me souviens, oui, cela fait assez longtemps et vous n’étiez qu’un jeune garçon, alors.

-       Vous êtes toujours aussi belle, la flatta Vladimir.

-       Si jeune et déjà charmeur, commenta-t-elle en retour.

-       Il est à la bonne école, répliqua l’ainé. Je ne pensais pas vous voir ici, aujourd’hui, alors que votre père est – dit-on – avec le Surintendant de Sipar à Dunnastell. Néanmoins je suis très heureux de vous revoir, pour le Jour du Roi qui plus est.

-       Et moi donc, j’ai toujours beaucoup apprécié cette fête même si mon père ne nous y emmenait pas chaque année mes frères et moi. Après tout, je ne suis pas du Royaume.

-       En effet, mais ça n’a jamais gêné personne de voir des étrangers le Jour du Roi. Qu’a votre ami ? demanda Imladas. Pourquoi garde-t-il son visage couvert et sa bouche close ?

-       J’ai mes raisons, répondit l’intéressé d’une voix qu’Imladas aurait reconnu entre mille.

-       Fildar ! s’écria-t-il.

-       Silence, par pitié, l’implora le Cavalier Noir, je ne veux pas être annoncé.

-       Tout le monde te croît perdu, mon ami. Il faut t’annoncer et fêter ton retour.

-       Non.

-       Pourquoi cela ?

-       J’ai disparu Imladas. Assez longtemps pour que père demande la libération de mon frère Duncan. Si je réapparais aujourd’hui, que lui arrivera-t-il ?

-       Je ne pense pas que le Roi irait jusqu’à l’emprisonner de nouveau.

-       Peut être que non, mais qui sait ? De plus mon père a toujours préféré Duncan, laissons le croire à ma mort qui lui sert si bien.

-       Si ce n’est pas pour revoir ta famille alors pourquoi es-tu revenu ?

-       Il paraît que deux de mes amis vont se marier, il serait très discourtois de ma part de ne pas y assister.

-       Ainsi vous êtes venus, tous les deux, juste pour assister à une cérémonie, sans vous annoncer ni essayer de revoir vos vieux camarades. Je suis désolé, Fildar, mais je peine à le croire.

-       Très bien, admit celui-ci après un long soupir. Nous avons entendus de nombreuses rumeurs durant notre voyage et tout porte à croire qu’il se prépare quelque chose, ici. Je ne voulais pas donner l’alerte inutilement et gâcher la fête, d’autant plus que je ne suis sûr de rien.

-       Quel genre de rumeurs ?

-       De toutes sortes, certaines parlent de voyageurs inhabituels, vêtus de noir et ne dévoilant jamais leur visage.

-       Ça me rappelle quelqu’un, bizarrement, commenta Sybille.

-       Puisque cela à l’air de vraiment vous tenir à cœur. » céda Fildar en enlevant son capuchon.

Imladas découvrit alors que le visage de son ami avait bien changé, les joues creusées, les traits amincis mais surtout la couleur de ses yeux avait changé. En effet, les yeux bruns de Fildar s’étaient peu à peu teintés de pourpre pour finalement devenir complètement violets, couleur des plus inhabituelles. Il y avait aussi les canines, plus longues qui lui donnaient un air de prédateur. Imladas avait assisté au début de la transformation de son ami mais elle avait beaucoup avancé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus, même si la lueur malsaine qui avait habité les yeux de Fildar semblait avoir totalement disparue. Il semblait bien plus sain d’esprit qu’auparavant, lorsqu’ils s’étaient quittés, plusieurs mois auparavant, dans les chutes de neige du Nord de l’Empire.

Il remarqua alors que Sybille avait, elle aussi, un peu changé comme si elle partageait la transformation de Fildar mais dans une bien moindre mesure, ses yeux avait quelques reflets violacés et, bien qu’elle le cachait bien, son sourire révélait des canines un peu plus pointues que la moyenne.

«  Ne t’inquiètes pas outre mesure de mon apparence, assura Fildar, le poison qui me rongeait a disparu.

-       Si tu le dis. J’ai tout de même rarement vu des yeux de cette couleur.

-       J’ai dû accepter certains changements pour m’en sortir. Cette transformation physique n’est rien comparée à ce que j’ai dû subir.

-       Que veux-tu dire ?

-       Je te souhaite de ne jamais connaître tous les tourments par lesquels je suis passé, avoir son esprit peu à peu rongé par une présence étrangère qui corrompt jusqu’à tes souvenirs et tes émotions pour faire de toi son hôte docile.

-       Comment as-tu survécu ?

-       Nous sommes allés à Vessala, comme prévu.

-       Les pouvoirs de guérison de Siougrev ne sont donc pas usurpés.

-       C’est vrai, admit Fildar qui ne voulait pas parler de l’Archange qui leur était apparu et qui l’avait sauvé.

-       Il se fait tard, avec Vladimir, nous allons rentrer. Avez-vous une chambre ?

-       Malheureusement non, l’auberge est pleine, comme beaucoup dans la ville.

-       Venez dormir chez nous, nous avons quelques chambres qui sont inoccupées. Ne t’inquiètes pas, ajouta-t-il en voyant l’air peu convaincu de son vis-à-vis, mon père saura garder le secret de ton identité.

-       Je te fais confiance, Imladas, allons-y. »

 

Le lendemain matin, Fildar se leva un peu avant l’aube. La fin de la soirée s’était passée sans encombre, le Comte Théodrim les ayant acceptés, Sybille et lui sans poser beaucoup de questions. Il leur avait promis d’ouvrir l’œil à tout événement louche qui pourrait se passer pendant la journée et de se tenir prêt à réagir. Fildar ne lui avait pas révélé de quoi il s’agissait, pas plus qu’il n’en avait dit à Imladas et son frère.

Les rumeurs qui circulaient concernaient beaucoup le domaine Korventen, beaucoup faisant état d’individus peu recommandables qui fréquentaient les lieux en plus grand nombre et plus souvent qu’à l’accoutumée. Fildar savait depuis longtemps que son père avait versé dans beaucoup d’activités plus ou moins légales lors de sa jeunesse et qu’il entretenait encore un réseau de connaissances parmi les malfrats de tous horizons.

Malgré tout, le Marquis Wilbur avait toujours été juste à défaut d’être bon lorsqu’il gérait son domaine et Fildar avait du mal à croire à tous les bruits qu’il avait pu entendre ici ou là. Tout trouverait une réponse ce jour.

Il n’attendit pas longtemps avant que Sybille le retrouva dans le hall de la résidence Sandorn. Son absence avait dû la réveiller, comme souvent car il avait pris l’habitude de se lever tôt alors que le Soleil n’était pas encore visible. Sans beaucoup plus de bruit, ils sortirent.

Fildar avait prévenu Imladas qu’il ne fallait pas compter sur lui et Sybille pour rester à leurs côtés tout au long de la journée. Le Cavalier Noir ne voulait pas se mêler trop aux nobles, préférant se fondre dans la foule pour mieux observer les individus suspects.

Alors qu’ils descendaient une rue en direction des murs intérieurs, le jeune homme ressenti une présence qu’il n’avait pas côtoyé depuis longtemps. Celle-ci le mit très mal à l’aise. De plus la présence semblait grandir, se rapprochant extrêmement rapidement.

Fildar s’arrêta, scrutant la rue en contrebas car cela semblait en venir mais il ne distingua rien. Son malaise grandit encore et la vieille douleur à son bras se réveilla, alors il comprit et leva la tête. Juste au moment où la douleur se fit la plus intense, il vit une grande ombre se diriger vers le Palais Royal. La nuit ne le trompa pas, il s’agissait d’un Dakhart et de son cavalier.

Poussé par la curiosité, Fildar prit la main de Sybille et ils se dirigèrent vers le nouveau venu. Bien évidemment, les architectes qui avaient construit le Palais avaient pensé à aménager une esplanade pour ce genre de visites. Peu utilisée car les Chevaliers Ailés sortaient très peu souvent de leur enclave, la petite place était tout de même bien entretenue.

Elle se trouvait derrière le Palais, dans les jardins privés. Ainsi si, comme le souhaitait Fildar, ils devaient y aller, ils auraient à s’introduire dans l’enceinte royale. L’autre solution serait de se présenter aux gardes mais alors toute la ville serait au courant de son retour.

Fort heureusement, il connaissait un moyen de s’introduire dans les jardins sans être vu. En effet, les murs de ceux-ci étaient très hauts sauf en un endroit où une ruelle remontait suffisamment pour que le passage soit plus aisé.

Ils se dirigèrent donc vers la petite ruelle et enjambèrent le muret sans trop de difficultés. Ils prirent bien attention à ne pas faire de bruit en tombant ni endommager les parterres de fleurs. Fort heureusement l’attention des gardes étant dirigée vers l’étrange nouvel arrivant, ils ne furent pas repérés. De là ils purent circuler dans les jardins sans être vus et atteindre l’esplanade réservée aux Dakharts. Ils progressaient à l’abri des regards et en arrivant en vue de l’esplanade, Fildar eut un s’arrêta net.

Le Dakhart le regardait fixement comme s’il voyait à travers le buisson derrière lequel Sybille et lui se tenaient. Le monstre, haut de quatre mètres, s’appuyait sur ses immenses ailes nervurées qui déployées devaient bien atteindre les dix mètres d’envergure. Le Chevalier qui le montait était visiblement en grande discussion avec un officier de la garde. Bien qu’il ait passé quelque temps à Karrog en convalescence, Fildar ne put reconnaître celui-ci qui lui apparaissait de dos et portait encore son heaume. C’était néanmoins bien un Chevalier, sa cape verte brodée d’un Dakhart blanc – les armes de l’Ordre – en attestait.

Le jeune homme ne fit plus un mouvement, pétrifié par le regard du Dakhart. Soudain, le Chevalier se retourna brusquement et regarda dans sa direction. Il renvoya poliment les gardes qui s’éloignèrent tandis que lui s’approchait des deux jeunes gens.

«  J’ai rarement vu ma monture réagir si fortement à une présence humaine, fit l’homme en armure, à part pour certains de mes confrères. »

Fildar avait déjà entendu cette voix, mais il était si difficile de l’identifier, des Chevaliers Ailés, il en avait côtoyé beaucoup. Alors qu’il s’approchait, l’homme retira son heaume laissant apparaître un visage dur, aux traits comme taillés dans la roche. Il avait de longs cheveux argentés et son regard bleu-vert glacial semblait avoir ciblé Fildar qui le reconnut, bien qu’il sembla beaucoup plus jeune qu’auparavant. En effet, les stigmates de son supplice avaient disparus, il s’agissait du Grand-Maître Istram Vonwulf en personne.

«  Je sais que vous êtes là, qui que vous soyez, continua le Chevalier, montrez-vous ou je n’hésiterai pas à utiliser la force. »

Le Cavalier Noir fils un pas en dehors de sa cachette à la grande surprise de sa compagne. Celle-ci fut d’autant plus étonnée que Fildar avança tête nue, lui qui tenait tant à ne pas être reconnu.

«  Fildar Korventen ! s’exclama Istram. Vous avez bien changé, mais je suis heureux de voir que le poison ne vous a pas tué.

-       Et pourtant, Grand-Maître, répondit Fildar, ma terreur en voyant votre créature est insondable.

-       Sa vue glace le sang de bien des braves, mais dans votre cas je comprends d’autant plus. Pourquoi en êtes-vous si troublé ? Vous êtes passé par un grand traumatisme après tout.

-       Ma guérison ne fut pas aisé, j’ai été plus terrifié que jamais durant le processus et je me suis juré de terrasser toutes mes peurs par la suite.

-       Que voulez-vous faire ?

-       Laissez-moi l’approcher.

-       Allez-y, accorda Istram après un temps de réflexion, il est aussi troublé que vous. Votre sang porte l’odeur de leur espèce et pourtant vous n’en faite pas partie. »

Prenant son courage à deux mains Fildar fit un pas, puis un autre, toujours sous le regard rubis du monstre ailé. Toujours cachée, Sybille retint son souffle car elle avait entendu parler de ce dont ces créatures étaient capables.

Le jeune homme ne se démonta pas et continua d’avancer, puis, lorsqu’il ne fut plus qu’à un pas du Dakhart, il tendit la main attendant une réponse de son vis-à-vis. La monture ne bougea pas pendant un long moment puis, elle arqua le cou pour loger sa tête en dessous de la main de Fildar en signe clair de soumission.

Surpris, il n’osa plus faire un seul geste, alors Istram intervint en chuchotant :

«  Il vous accepte, maintenant vous devez monter sur son dos pour sceller le pacte.

-       Mais je ne sais pas du tout comment faire.

-       Laissez-vous guider, le baptême de l’air entre un Chevalier et son Dakhart est quelque chose d’unique et vous devez lui faire confiance autant qu’il doit le faire. C’est un échange, une symbiose qu’aucun cours ni aucun mot ne saurait transcrire. Allez-y, si vous refusez, le Dakhart risque de vous tuer. En réalité, tout au long du premier vol, le Dakhart va chercher à vous tuer car par essence il ne veut pas de maître, vous devez faire preuve de volonté et vous imposer. »

Peu rassuré, Fildar longea le long cou de la créature tout en le touchant toujours de sa main et atteignit la selle. Réduisant les hurlements de sa terreur interne à un faible écho lointain, Fildar enfourcha le monstre et prit les rênes. Sans attendre, le Dakhart décolla d’une puissante poussée qui faillit désarçonner le Cavalier Noir qui s’accrocha tant bien que mal.

Lorsque la créature disparu de son champ de vision, Istram se tourna vers le buisson où se cachait Sybille et déclara :

«  Vous pouvez sortir de votre cachette vous aussi, ma demoiselle. »

Surprise, cette dernière sursauta sortit brusquement de sa cachette.

«  Comment ? commença-t-elle.

-       Vous n’avez pas l’air très familière avec les pouvoirs d’un Chevalier Ailé, lorsque j’ai vu mon Dakhart se tourner vers ce buisson, j’ai tout de suite senti qu’il y avait non pas une, comme votre compagnon a bien tenté de me faire croire, mais deux personnes qui se cachaient. De là, déterminer que vous êtes une jeune femme ne fut pas difficile.

-       Et Fildar ? N’est-ce pas dangereux ?

-       Extrêmement risqué. Ne vous inquiétez pas, non seulement, je suis étroitement lié à ma monture et je ressens tout ce qui se passe là haut en ce moment même mais, de plus, je n’ai jamais vu un Dakhart baisser la tête si rapidement devant un humain, d’autant plus que celui-ci est le mâle dominant, le plus indépendant de tous.

-       Vous n’êtes pas un peu fou ? s’écria la jeune femme. Après tout ce qu’il a enduré, vous l’envoyez à une mort presque certaine.

-       Justement, c’est dans ce "presque" que réside toute la force de Fildar, dominer ce Dakhart en particulier si rapidement, aucun Chevalier Ailé  ne pourrait le revendiquer. Et pourtant je peux vous assurer que votre ami a une volonté de fer que mon Dakhart n’arrive pas à plier malgré tous ses efforts.

-       Que faites-vous ici ? C’est rare de voir un Chevalier Ailé dans le Royaume, vous sortez généralement très peu de votre enclave de Karrog.

-       C’est exact mais les choses changent, n’est-ce pas ? Je suis porteur d’un message du Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris pour le Roi de Callaven, Ingald Acciprides.

-       Mais qui êtes-vous donc ? J’ai entendu Fildar vous appeler Grand-Maître, pourtant j’avais cru entendre que le Grand-Maître actuel, Istram Vonwulf, était un autonomiste, jamais il accepterait de faire le messager pour le compte de l’Empire.

-       N’ai-je pas dit que les choses peuvent changer ? Je suis le Grand-Maître de l’Ordre des Chevaliers Ailés, je suis Istram Vonwulf. J’ai certes été un fervent défenseur de l’indépendance de l’Ordre par rapport à l’Empire mais je préfère aider l’Empire à faire face que regarder sa chute sans rien faire. Mais vous qui êtes-vous ?  Je vous entends parler depuis tout à l’heure et votre accent me fait dire que vous n’êtes pas de Callaven.

-       Non, en effet, je suis une Impériale, de Bonnenbourg. Mon nom est Sybille de Rembrunt.

-       La fille du Duc ! Quelle surprise, j’ai quitté votre père pas plus tard que hier soir avant de m’envoler de Dunnastell pour Callaven.

-       Comment va-t-il ? La dernière fois que je l’ai vu il était encore à Bonnenbourg avec le Surintendant.

-       Ils sont débordés, le Conseil ne peut s’ouvrir officiellement tant qu’un observateur de Callaven soit présent.

-       Pourquoi cela ?

-       Car Drastan a demandé à ce qu’ils aient droit à un observateur et cela leur a été accordé sous condition qu’il y ait également un représentant du Royaume. Néanmoins quasiment tous les nobles d’Empire sont déjà rassemblés et les tractations ont commencées.

-       Je commence à comprendre.

-       J’espère que le choix d’un représentant ne prendra pas trop de temps car Moriannor a quelques amis à Dunnastell et chaque jour il gagne de nouveaux partisans. Si j’en crois le Surintendant il préférerait que ce soit… »

Le visage du Grand-Maître perdit toutes ses couleurs. Conjugué à son arrêt en plein milieu de sa dernière phrase, Sybille s'inquiéta:

«  Qu'y a-t-il, Monseigneur?

-       C'est impossible, il a brisé mon lien...

-       Que voulez-vous dire?

-       Mon Dakhart, Fildar l'a dompté... C'est incroyable.

-       N'était-ce pas ce que vous vouliez?

-       Non. Le vol devait lui apprendre à résister à la volonté de la créature, et de réussir à s'en faire un peu obéir. Cela nécessite des années d'entraînement pour un Chevalier avant de pouvoir atteindre ce stade mais j'ai senti en Fildar des compétences... étranges et je voulais les voir à l'œuvre. Tout ceci est stupéfiant! Jamais personne n'a pu briser un lien qui existait entre un Chevalier et son Dakhart.

-        Vous dites que...

-       Oui, il ne m'appartient plus, votre compagnon a désormais une monture. Si seulement il était Chevalier, ce serait un atout sans pareil pour l'Ordre et la compréhension de la Voie de l'Air. Regardez, il revient. »

L’ombre qui pointait à l’horizon grandit de plus en plus pour révéler Fildar sur le dos du Dakhart, ses mouvements semblaient bien plus assurés qu’au décollage et ils se posèrent sans encombre. Sybille ne savait pas trop quoi penser, à la place du Grand-Maître, elle aurait été furieuse de voir son animal volé par un autre, pourtant Istram semblait prendre cela avec philosophie.

«  Je tiens à te féliciter Fildar, lui dit le Chevalier alors qu’il mettait pied à terre, jamais dans tout l’histoire de l’Ordre un Dakhart dominant fut dompté si rapidement d’autant plus qu’il y avait déjà un lien d’établi.

-       Vous devez me pardonnez, Monseigneur, je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Vous avez l’air bizarre, vous allez bien ?

-       ....C'est fini. Je me sens... Bizarre... Je ne suis pas fâché mais... plutôt heureux. Heureux d'être le témoin de la naissance d'un nouveau Maître des Dakharts! 

-       Pardon ?  

-       Si vous étiez un Chevalier Ailé, vous pourriez prétendre au titre de Grand-Maître, mon titre, malheureusement, je ne sens pas d’affinité à l’Air en vous.

-       Non, en effet. L’Air n’est pas mon élément.

-       Car vous connaissez le vôtre ? Généralement, en dehors de notre Ordre, seul les mages et les prêtres ont une affiliation plus forte avec l’un des sept éléments. Quel est le vôtre ?

-       Celui qui m’a sauvé, répondit seulement Fildar en dévoilant le croissant de lune noir à l’emplacement de son cœur.

-       La Ténèbre, compris Istram avec un mouvement de recul. Vous êtes décidemment un homme plein de surprises, Fildar Korventen. »

Ce dernier lui répondit par un sourire énigmatique et détourna son regard vers le Dakhart qu’il venait d’apprivoiser.

Le silence fut soudain brisé par le bruit de pas sortant du Palais et s’approchant d’eux. Istram se retourna et vit quelques dignitaires en habits d’apparat. L’homme de tête était d’âge mûr avec les cheveux gris et un certain embonpoint.

«  Grand-Maître Istram Vonwulf, déclara-t-il, nous n’avons jamais eu l’occasion de nous rencontrer. Je m’appelle Wilbur Korventen, Marquis et Grand Conseiller de la Couronne.

-       En parlant de Korventen. » s’exclama Istram en se retournant.

Il pensait voir Fildar et Sybille aux côtés du Dakhart mais il n’y avait plus que la monture, les deux jeunes gens avaient disparus.

«  Un problème Grand-Maître ? s’inquiéta Wilbur.

-       Non, du tout. Veuillez m’excuser, le voyage a dû me fatiguer plus que je ne l’aurai cru.

-       Comme je vous comprends. Veuillez excuser mon retard à vous rencontrer mais en ce jour de nombreuses affaires méritent mon attention. »

Istram prit alors conscience qu’il avait dû discuter pendant au moins vingt minutes avec les deux intrus avant que le Marquis ne le reçoive. Comme il le disait, le Jour du Roi est toujours très difficile à organiser et l’emploi du temps des personnes de son importance devait être chargé. Néanmoins Istram avait un mandat impérial, signé du Surintendant de Sipar en personne, qu’il avait présenté à son arrivée.

«  Rien de grave, j’espère, commenta Istram.

-       Non, ne vous inquiétez pas, tout est prêt. Dites moi, le papier que l’on m’a présenté est des plus obscurs sur les raisons de votre présence ici.

-       Je suis ici pour demander au Roi de nommer un représentant pour le Grand Conseil de Dunnastell qui ne saurait attendre plus longtemps pour s’ouvrir.

-       Je ne puis vous assurer d’une entrevue avec lui aujourd’hui, mais sachez que tout sera fait pour qu’une décision soit prise dans les plus brefs délais.

-       Il s’agît tout de même d’une question des plus urgentes.

-       Nous n’en doutons pas. Le Roi reste néanmoins particulièrement occupé aujourd’hui.

-       Alors j’attendrai, peut être pourrai-je l’approcher plus tard dans la journée.

-       Faites comme bon vous semble tant que vous n’entravez pas le bon déroulement des événements. La Garde Royale est particulièrement tendue lorsque le Roi doit apparaître en public.

-       En aucun cas, je n’oserai troubler les événements. » conclut Istram alors que le Marquis Korventen s’en allait déjà.

 

Fildar et Sybille avaient observé la scène du haut du muret qui leur avait permis de pénétrer dans les jardins. Le jeune homme avait pu revoir son père de loin et une part de lui-même avait voulu courir vers lui, dire qu’il était bien en vie et qu’il ne fallait plus s’inquiéter pour son sort, mais la raison lui dictait d’attendre que le jour passe, trop de rumeurs circulaient à son propos.

Avant de s’éloigner du Palais, Fildar jeta un dernier coup d’œil au Dakhart qui attendait dans le jardin. Celui-ci dû sentir son regard car il tourna la tête dans sa direction. Le lien qu’ils partageaient tout deux était fort bien que très jeune et le Cavalier Noir ne savait pas trop comment y réagir. Il avait vaincu sa peur, cela au moins devait compter.

Il donna l’ordre silencieux à la créature de rester tranquille pour le moment, celle-ci comprit immédiatement et se mit à regarder ailleurs. Prenant la main de Sybille, il l’emmena chercher un point d’observation pour la cérémonie de mariage, car, malgré tout, il voulait y assister.

 

Le mariage devait être célébré dans la Cathédrale Royale, magnifique édifice à l’architecture aérienne et surabondante de détails complexes. Comme souvent dans les églises du Royaume, la grande nef était bordée de trois chapelles de chaque côté, chacune dédiée à l’un des Archanges et faisant face à l’Elément opposé. Ainsi le Feu et l’Eau se faisaient face, puis l’Air et la Terre et enfin la Lumière et la Ténèbre. Le chœur de la Cathédrale, comme toujours était dédié à l’Eternel et de là officiait le maître de cérémonie.

A jour particulier, office exceptionnel et c’était donc le Roi en personne qui devait mener la célébration. En général, bien que faisant partie des ordres, Ingald laissait la conduite de l’office à l’Archevêque du Royaume.

Depuis l’alcôve consacrée à l’Archange des Ténèbres, Fildar et Sybille avaient vue sur l’autel central où se déroulerait la cérémonie. Plongée dans le noir, comme l’élément auquel il était consacré, la petite chapelle avait le double avantage de les protéger des regards indiscrets et de leur offrir des places de choix que personne ne leur réclamera. En effet, les places de l’assemblée ayant été attribuées, il leur était impossible d’avoir une chaise dans la grande nef centrale sans être immédiatement repérés. De plus, à part pour les dévotions particulières, les chapelles restaient inutilisées pendants les grands offices comme celui de ce jour.

Peu à peu tous les invités s’installaient à leurs places et Fildar put revoir des visages qu’il n’avait plus vus depuis longtemps.

Parmi les premiers à arriver, le Maréchal Dalger, appuyé sur sa canne, avec sa courte barbe blanche parfaitement taillée et son crâne dégarni. Il était accompagné de son fils et de sa famille mais Fildar ne se souvenait plus de leurs noms.

Il put aussi voir l’arrivée du Comte Théodrim Sandorn, son air de colosse toujours aussi impressionnant, suivit de sa femme et de ses deux fils Imladas et Vladimir. Fildar se sentait un peu coupable de ne pas aller vers eux alors qu’ils les avaient – lui et Sybille – accueillis la nuit précédente. Malgré le caractère solennel du lieu, comme à son habitude, Imladas ne pouvait s’empêcher d’essayer de faire sourire son entourage et le jeune Vladimir avait beaucoup de mal à se retenir de rire.

Un peu plus tard, alors que l’assemblée grossissait de plus en plus, Fildar identifia près de la chapelle consacrée à l’Air, le Comte Kaurad Bregorgne et sa famille, l’air toujours aussi austère. Ses enfants étaient tous là, à commencer par l’ainée Catherine que Fildar avait toujours trouvée très belle – il avait cru en tomber amoureux, avant – mais son côté très prude l’avait toujours empêché d’aller vers elle. Pas très loin venait Argenia, la petite sœur. Il ne l’avait pas revu depuis quelques années et Fildar fut surpris, en effet, l’enfant qu’il connaissait était maintenant une très jolie jeune fille dont la beauté saurait encore croître. Entres ses deux sœurs, Tibérion avait fière allure, d’autant plus que toute la famille portait les couleurs familiales : le bleu, le rouge et le blanc. Il semblait en grande conversation avec sa petite sœur alors que la grande leur lançait un regard réprobateur. Cela fit sourire Fildar, elle n’avait pas changé, fière et protectrice envers sa famille.

Peu après, il put voir arriver d’autres visages connus, les anciens amis de son frère avec en tête le Baron Brivel Rovan, le plus vieux du groupe, ainsi que sa femme Estelle – ancienne fiancée de Duncan – qui apparemment était enceinte. Fildar se rappelait encore du mariage où il avait dû subir tous les regards des invités, son père ayant préféré rompre purement et simplement l’arrangement entre lui et la famille Decros plutôt que, comme la coutume le suggérait, proposer son fils cadet pour honorer la promesse de mariage.

Cela restait un douloureux souvenir pour le jeune homme car pour la famille d’Estelle, marier leur fille avec un Korventen était beaucoup plus prestigieux que l’union avec un Rovan. En effet, son père, Wilbur, étant alors simple baron mais aussi Pair du Royaume et donc siégeait au Conseil Royal, situation bien plus enviable à celle des Rovan, vieille famille d’une baronnie frontalière de l’Empire dont les revenus économiques diminuaient de génération en génération et les membres se consacraient souvent à une carrière militaire dans l’Armée Royale. Jusque là les officiers que la famille avait produits n’étaient pas brillants.

Heureusement, Brivel Rovan était bien meilleur et s’était illustré à plusieurs reprises comme un bon commandant, son grade actuel de Colonel à seulement vingt-sept ans laissait promettre de belles choses pour l’avenir de sa carrière.

Fildar espérait que la jeune femme à la magnifique chevelure rousse était heureuse avec cet homme brillant et bon d’après ce qu’il avait pu voir lorsque Brivel et Duncan passait du temps ensemble étant enfants.

Ce fut au tour des Korventen d’arriver ensuite et, à la vue de sa famille, le Cavalier Noir se renfrogna, se ramassant un peu sur lui-même pour être sûr de ne pas être vu et encore moins reconnu. Son père, le Marquis Wilbur, avançait d’un pas assuré vers les places qui leur avaient été attribuées, il répondait courtoisement aux salutations qu’il recevait de part et d’autre.

A son bras, sa femme, la mère de Fildar se faisait plus discrète. Elle avait toujours été ainsi, se montrant peu, préférant s’occuper de ses fils ou, à défaut, des affaires du domaine familial alors que son mari était à la Cour. Excellente gestionnaire, elle avait permis à Wilbur de jouir d’une très bonne réputation surtout pour la qualité du haras et des chevaux qu’ils élevaient et vendaient, principalement pour l’Armée Royale. C’était aussi une femme aimante et Fildar n’a jamais eu à se plaindre de l’éducation que lui avait pourvue sa mère.

Enfin, en retrait de ses parents venait Duncan, son frère ainé. Ses cinq années d’emprisonnement n’avaient pas été tendres avec lui, lorsque Fildar se souvenait d’un grand capitaine, fier – voire arrogant – dans son uniforme militaire, bâti en force avec de larges épaules et un tour de cou de taureau – tout le portrait du père plus jeune –, maintenant, Duncan avait beaucoup perdu de son allure. Si son visage avait encore beaucoup de traits en commun avec celui de son père, notamment les mêmes yeux couleur noisette et – à ce qui se dit – les mêmes cheveux châtains que Wilbur pendant sa jeunesse, la comparaison s’arrêtait là. En effet, c’est le visage émacié et le corps très amaigri que Duncan apparaissait. S’il avançait toujours le dos droit, le regard fier et conquérant avait disparu, il avait à la place les yeux tristes d’un homme qui regarde les gens et le monde avec distance. Cette image ému Fildar, pour qui son frère avait toujours été le modèle à suivre, celui à qui tout réussissait.

Néanmoins, il connaissait son frère, celui-ci allait se relever de ses années perdues et il allait redevenir celui qu’il était auparavant. Gare à ceux qui entraveraient la route de Duncan reprenant sa place.

Enfin, la famille du marié faisaient leur entrée, le Comte Cuthbert en tête, ses longs cheveux blonds attachés sur sa nuque et il portait les couleurs familiales, le bleu, le vert et le blanc. Il semblait toujours aussi jeune, le temps n’ayant apparemment que peu d’effet sur lui. Normalement il devrait accompagner la mère de la mariée jusqu’à sa place, faisant son entrer juste après le marié au bras de sa propre mère. Comme Al’Ivna n’avait pas de famille – de sa connaissance tout du moins – le protocole avait été un peu réarrangé

Lorsque tous se furent installés, la musique commença à retentir. Le marié faisait son entrée, Soldoban, dans son magnifique costume aux couleurs des Aronberg menait sa mère, la Comtesse Elise, jusqu’au premier rang où elle avait sa place puis il monta les quelques marches jusqu’à l’autel encore vide.

L’orchestre joua avec encore plus d’entrain pour l’entrée de la mariée qui avançait au bras du Roi Ingald lui-même. Al’Ivna, déjà charmante naturellement, était magnifique dans sa longue robe blanche à la coupe complexe mais qui la mettait très en valeur. Ses cheveux blonds n’étaient de très légèrement tenus derrière ses oreilles pointues d’elfe pour dégager le visage et le front. Elle avançait, souriante, comme la plus heureuse des femmes. Assurément, ce devait être le plus beau jour de son existence.

Le Roi, quant à lui, portait ses habits de parade aux couleurs des Acciprides, bleu et or et son manteau arborait un grand aigle d’or, symbole familial et emblème du Royaume.  Comme souvent pour les grandes occasions, il portait la couronne royale qui symbolisait sa charge. L’objet, pièce d’or magnifiquement travaillé, lui ceignait le front et sept branches du même métal partaient de cet anneau et se rejoignaient légèrement au-dessus du sommet de son crâne.

Arrivés à l’autel, le Roi mena la mariée face à Soldoban puis se plaça au centre. Deux clercs se placèrent de part et d’autre du monarque, ils lui retirèrent son manteau royal et l’aidèrent à enfiler son habit de prêtrise. Celui-ci avait la même coupe que le manteau qu’il venait de quitter. A la place de l’emblème familial, en revanche, figurait celui de l’Ordre des Clercs. Il s’agissait d’une étoile pourpre à six branches, inscrite dans un cercle. Chacune des six parties ainsi formées avait sa propre couleur, symbolisant chacun des Archanges. Dans le sens horaire, le Feu, rouge, s’enchaînait avec l’Air, blanc, puis la Lumière, jaune, suivie de l’Eau, bleue, ainsi que la Terre, verte, et enfin la Ténèbre, noire.

Une fois habillé, le Roi leva la main et, immédiatement, l’orchestre se tut. Enfin la cérémonie commençait.

«  Comme il est bon de tous vous revoir ainsi réunis en ce jour, festif à plus d’un titre, commença Ingald. Nous sommes ici pour unir deux âmes devant l’Eternel et ses serviteurs. Rendons-leur grâce car il est toujours merveilleux de voir comment deux jeunes gens se trouvent et décident de partager la vie de l’autre…

-       Notre Roi a toujours eu un don pour enjoliver ses paroles, vous ne trouvez pas ? demanda tout bas l’homme assis à côté de Fildar.

-       Oui, vous avez raison. » répondit-il machinalement avant de sursauter.

Depuis quand était-il là ? Ni Fildar, ni Sybille ne l’avaient remarqué avant qu’il parle. L’homme était très mince et assez grand, mesurant juste un peu moins que le Cavalier Noir. Dégarni sur le haut du crâne, il avait les cheveux gris qui allaient de paire avec la fine moustache elle aussi grise. Son visage arborait quelques rides légères, il paraissait avoir entre cinquante et soixante ans. Ses vêtements, tels ceux de Fildar étaient noirs et ne portaient la marque d’aucune maison.

«  Vous savez, certains trouvent qu’avoir la tête couverte dans un lieu de culte est une insulte et un blasphème. On pourrait de plus soupçonner que vous préparez un mauvais coup. Vous feriez mieux de vous découvrir et votre amie également.

-       Je ne souhaite pas être reconnu, monsieur, d’ailleurs je ne vous connais pas et je n’ai pas à me justifier devant vous.

-       Ceci est un peu rude de votre part, Fildar Korventen, je vous connais, moi, depuis assez longtemps.

-       Comment !?

-       Je suis au courant bien des choses. Par contre, je ne savais pas que vous connaissiez si bien Sybille de Rembrunt.

-       Vous semblez vraiment très bien renseigné, peut-être trop pour votre sécurité, fit Fildar en se préparant à attaquer silencieusement.

-       Je doute que vous ayez changé au point d’être capable de frapper un vieil homme dans une Cathédrale, pendant un office qui plus est.

-       Qui êtes-vous et que nous voulez-vous ?

-       Je me nomme Elfrad, cela ne vous dit peut-être rien, mais j’étais jusqu’à il y a peu, l’intendant de l’Archiduché Acciprides, au service du Prince Morwind. Lorsqu’il fut exilé, je le suivis jusqu’à ce qu’il m’ordonne de retourner sur le continent pour conseiller son fils.

-       Je crains que le Prince Belenor ne soit pas ici.

-       Il viendra, j’en suis sûr.

-       Pourquoi venir vers moi alors, si ce n’est pas pour retrouver le Prince ?

-       Si ce que j’ai entendu sur vous est vrai, je pense que nous allons pouvoir coopérer. J’ai besoin de vous, car tout indique que la fête ne va pas durer.

-       Comment le savez- vous ?

-       Les rumeurs ont parfois un fond de vérité et c’est une partie de mes attributions d’établir leur véracité. Vous avez entendu les rumeurs parlant de grands hommes habillés de noir et furetant un peu partout, je me trompe ?

-       Oui, mais j’ai entendu tant de choses, la rumeur dont vous parlez est contredite par au moins six autres.

-       Pourtant celle-ci est vraie, des hommes mal intentionnés se sont introduits dans le Royaume et dans la ville. Malheureusement, je ne sais que peu de choses et leur plan précis reste un mystère.

-       Ils agiront à la nuit tombée, je pense.

-       Pourquoi cette certitude ? Tout le monde n’agit pas sous le couvert de l’obscurité comme vous. Bref, restez vigilants tous les deux. J’ai également prévenu vos amis mais je pense que, contrairement à vous, la joie de l’instant va les distraire un peu plus.

-       J’aurai aimé en profiter moi aussi, mais les circonstances imposent le contraire.

-       Il en faut pour se sacrifier pour les autres, si nous réussissons beaucoup de gens seront vivants demain au lieu d’être morts, grâce à vous. Ce sera votre seule récompense car ils ne vous connaîtront pas, mais cela en vaudra quand même le centuple de votre sacrifice. »

La voix d’Elfrad se faisait de plus en plus distante jusqu’à être moins qu’un murmure et disparaître. Lorsque Fildar s’en rendit compte, l’ancien intendant avait disparu. Des applaudissements retentirent alors dans toute la Cathédrale en écho aux derniers mots du Roi :

«  Je vous déclare donc unis par les liens du mariage ! »

Puis plus bas à l’intention de Soldoban :

«  Vous pouvez embrasser la mariée. »

Fildar et Sybille se joignirent au tonnerre d’applaudissements qui clôturaient la cérémonie alors que les jeunes mariés, heureux, se serraient l’un à l’autre.

Rapidement la Cathédrale se vida, Soldoban et Al’Ivna fermant la procession de sortie. Sur le parvis, couvert de roses, ils eurent encore le droit à une acclamation et comme il était de coutume, la mariée jeta son bouquet aux jeunes célibataires. Ce fut le timide Vladimir Sandorn qui l’attrapa ce qui lui valu quelques railleries de la part de son frère Imladas.

Puis tous les convives se dirigèrent vers le Palais Royal où avait lieu le banquet et le bal de mariage. Ceci permit à Fildar et Sybille de s’échapper de cette foule pour s’enfoncer dans le reste de la ville où la fête battait également son plein.

Beaucoup de gens utilisaient les petites places de la ville pour des concerts improvisés quand elles n’étaient pas transformées en grandes pistes de danse. Il y avait un monde impressionnant de personnes dans les rues et Fildar comprenait mieux pourquoi ils n’avaient pas pu être logés dans une auberge la veille au soir car, bien qu’il ait déjà participé aux festivités du Jour du Roi, il était jusque là toujours resté dans la ville haute.

Conformément aux conseils d’Elfrad, il restait attentif et essayait de repérer les personnes suspectes. Cependant ces derniers restaient apparemment discrets car de longues heures s’étirèrent sans que ni Fildar ni Sybille n’en repèrent un.

Au bout d’un moment, alors qu’ils étaient attablés au balcon d’un café qui s’étendait sur plusieurs étages et qui leur permettait de profiter d’une belle vue sur la Place Guillmarc’h Premier, l’une des plus vastes places de la ville basse, célèbre pour son marché, Sybille désespéra :

«  Nous ne savons même pas leur but, ni encore moins leur cible. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

-       Suffit de brûler la botte.

-       On ne va pas brûler la ville pour les faire sortir de leur trou !

-       Bien sûr que non. Dis moi, tu ne trouves pas que de plus en plus de gens quittent la place, fit Fildar en changeant de sujet, il est encore tôt pourtant.

-       N’y-a-t-il pas une allocution du Roi dans pas très longtemps ?

-       Le Roi ! s’exclama Fildar.

-       Quoi le Roi ? s’inquiéta Sybille.

-       C’est leur cible, le moment où il sera le plus exposé. A la vue de tous.

-       Le plus exposé ? J’en doute, toute la Garde Royale, au grand complet, quadrillera la place où aura lieu l’apparition publique. Ingald sera inatteignable.

-       Imagine seulement qu’ils soient suffisamment nombreux pour submerger la Garde.

-       C’est pour cela que les armes sont scellées en ce jour, répondit Sybille du tac-au-tac en désignant les liens qui entouraient l’arme de son vis-à-vis.

-       Ça m’inquiète quand même. Il faut que nous trouvions un bon point d’observation et discret.

-       Pourquoi pas les toits ? Si nous restons couchés, nous sommes difficilement repérables, surtout que la nuit va commencer à tomber.

-       Allons-y. »

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25 décembre 2013 3 25 /12 /décembre /2013 00:45

XXV

Le Jour du Roi

Tauroc, deux semaines avant le Jour du Roi.

B

âtie sur un piton rocheux solitaire surplombant les vastes plaines du Comté de Sandorn, Tauroc veillait. La ville, de taille moyenne, entourait le château familial construit sur le roc. Le comté, qui couvrait une partie du Sud du Royaume, était paisible et vivait principalement de l’élevage de bovins. Le marché, très réputé, attirait d’ailleurs beaucoup d’étrangers au Royaume ainsi il était courant d’entendre les accents des Impériaux ou de Drastan dans les rues de la ville. Lors de la Grande Foire qui avait lieu au milieu du printemps, la population de la ville pouvait presque tripler avec l’affluence. Cette année encore, malgré les troubles politiques, l’événement eu beaucoup de succès malgré l’absence des marchands de Drastan.

Du haut des remparts du château, Imladas admirait le paysage, il aimait cette ville, ce Comté qui était dans sa famille depuis longtemps. S’il n’y avait pas la guerre, il n’aurait pas ressenti le besoin de voyager, ne serait-ce qu’à la Capitale, ou même dans les baronnies qui étaient inféodées à sa famille. Aujourd’hui, c’était tout autre chose, non seulement il y avait les troubles politiques, mais aussi son voyage dans l’Empire qui lui avait fait découvrir la richesse du monde ainsi que les autres capitaines avec qui il était parti et avait noué des liens forts.

Encore une fois, il allait quitter Tauroc. Cependant, cette fois-ci, les raisons étaient heureuses, le mariage de Soldoban et d’Al’Ivna ainsi que l’annuel Jour du Roi.

«  Magnifique, n’est-ce pas ? » fit une voix qu’il connaissait bien derrière lui.

Cela le fit sursauter mais en se retournant, Imladas put confirmer son intuition, il s’agissait de son père, le Comte Théodrim. Grand, imposant, le colosse affichait un visage bienveillant. Sa carrure impressionnante était un trait familial, ainsi Imladas aussi avait de larges épaules. Néanmoins, l’âge avait commencé à faire son effet et les muscles de son père commençaient à perdre de leur fermeté tandis que son appétit lui créait un ventre de plus en plus proéminant. Cela ne faisait que souligner sa bonhommie naturelle. En effet, bien que mangé par une épaisse barbe grisonnante, son visage était souvent illuminé d’un sourire en coin.

«  J’adore cet endroit, affirma Imladas.

-       Notre terre est riche et prospère. C’est la grande fierté de notre famille, contrairement à d’autres, nous ne recherchons pas à nous élever plus haut. Ma seule ambition, et celle de nos ancêtres avant moi, a toujours été de préserver ce Comté. C’est la raison pour laquelle nous nous battons.

-       Je sais tout cela, Père. Pourquoi me le répéter ?

-       Ne l’oublie jamais alors car, même si tes voyages et tes combats te mènent loin, ici sera toujours chez toi.

-       Nous allons juste au mariage d’un ami, Père.

-       Cette fois-ci, oui. Mon cœur me dit que la guerre approche, qu’on le veuille ou non. Je parle de la vraie guerre, celle qui nous affectera tous, pas seulement les dirigeants et les cartographes.

-       Si seulement c’était faux.

-       Souviens-toi toujours de cela alors. Surtout lorsque tu soulèveras la Pierre. »

La "Pierre" était, comme son nom l’indique, un rocher qui trônait depuis toujours dans la grande salle de château familial. A chaque fois qu’un nouveau Comte était nommé, il devait, pour se légitimer, soulever la Pierre devant la foule et ainsi gagner son titre.

«  Ce moment suivra votre mort, puisse-t-il arriver le plus tard possible. Si guerre il y a, il est possible que je succombe le premier, ce serait donc à Vladimir de le faire.

-       Ton frère a dix-sept ans, il est jeune, je préfère ne pas encore le préparer à cela.

-       Vous avez raison, père. Je vais rassembler mes effets, nous partons à l’aube n’est-ce pas ?

-       A l’aube, oui. Nous avons quelques jours de voyage pour rejoindre la capitale.

-       Bonne nuit, père. »

Imladas se retirant, Théodrim resta seul sur les remparts à contempler son fief. Le regard perdu vers l’horizon, il se remit à penser à ce que lui avait raconté son fils à propos de la famille rivale de Bregorgne. Il était difficile pour lui d’imaginer avoir une discussion cordiale avec Kaurad, le Comte de Bregorgne. Théodrim avait depuis toujours eu un ressenti négatif avec cette famille, comme son père et tous ses ancêtres avant lui. Imladas avait promis à son fils, pour lui faire plaisir, de parler un peu avec son rival Kaurad lors du mariage. Malgré tout, Théodrim redoutait déjà ce moment et ruminait sa promesse depuis qu’il l’avait prononcée.

*

* *

Montmer, dix jours avant le Jour du Roi

«  Tire un peu plus sur la corde, s’il te plait, Argenia, pour border la voile, demanda Tibérion.

-       Tu ne devrais pas l’encourager, le réprima Catherine. La place d’une femme n’est pas celle d’un matelot.

-       Et je devrais, comme toi, laisser notre frère Tibérion gérer tout le bateau pour me consacrer à la contemplation béate des vagues ?

-       Doucement, les filles, je voulais vous faire plaisir en vous emmenant faire un tour en voilier, pas vous donner une nouvelle raison de vous chamailler.

-       Regarde, Tibérion ! Quel est ce bateau ? s’exclama Argenia en désignant un voilier à l’entrée de la baie.

-       Je ne sais pas, allons voir. » décida Tibérion.

La baie de Montmer était connue comme étant le dernier port sur les côtes sud et ouest du Royaume et de l’Empire et de nombreux bateaux y faisaient escale. La ville était donc assez riche, ses revenus provenant en grande partie de la pêche et droits de mouillage des bateaux de passage. Elle restait néanmoins une ville moyenne, loin de la grandeur de la capitale Callaven. De là où ils se trouvaient, Tibérion pouvait observer le château familial qui surplombait la baie, du haut des grandes falaises qui en marquaient l’entrée sud.

Le navire inconnu était un grand et long trois mâts tel qu’on en voyait partir pour la haute mer. Il tranchait beaucoup avec les bâtiments présents dans la baie qui, pour la plupart étaient conçus pour longer les côtes.

Le voilier qu’ils utilisaient était justement l’un de ces petits bateaux. Tibérion l’avait emprunté à son père pour faire une petite sortie avec ses deux sœurs, Argenia et Catherine. Bien qu’ayant un air de famille, les deux jeunes filles différaient beaucoup par leur caractère.

En effet, Argenia, la plus jeune, âgée de seize ans, était un vrai garçon manqué préférant se consacrer à des tâches masculines plutôt que de se contenter des activités qui lui étaient attribuées. Assez grande pour une fille de son âge, elle portait ses cheveux châtain assez longs et avait hérité des yeux noirs de son père, Kaurad.

Du haut de ses vingt-deux ans, Catherine, en revanche, avait les yeux verts de sa mère, sa chevelure était légèrement plus claire que celle de sa sœur et avait de légères boucles, au contraire de sa sœur qui avait les cheveux raides. Très charmante, Catherine était beaucoup plus féminine que sa sœur, ce qui lui avait valu l’attention de nombreux soupirants jusqu’à ce qu’elle se fiance, l’an dernier, avec un chevalier de Dollovan de vingt-sept ans, Enguerrand de Montrouge. Malheureusement les tensions actuelles entre Callaven et Drastan – qui avait annexé la principauté de Dollovan une quinzaine d’années auparavant – avaient rendu leurs entrevues plus espacées tant et si bien que leur mariage tardait à être célébré.

Tout ceci rendait Catherine irritable et susceptible et, la plupart du temps, elle passait ses nerfs sur sa petite sœur qui n’avait rien demandé. Depuis son retour au domaine familial, Tibérion essayait de temporiser l’atmosphère électrique qui régnait entre les deux sœurs mais ce n’était chose aisée et souvent il se retrouvait en proie à l’ire des deux jeunes filles alors qu’il tentait seulement de trouver un compromis.

«  Je vois une bannière, fit Argenia qui avait pris la longue vue.

-       De laquelle il s’agît, lui demanda Tibérion.

-       Je ne sais pas trop, elle est bleue et il y a des signes comme des étoiles argentées dessus. J’en compte cinq.

-       C’est la bannière de l’Archiduc Morwind Acciprides, idiote, intervint Catherine. Tu le saurais si tu retenais tes leçons plutôt que de rêvasser.

-       Oh ça va, je l’aurais retrouvé si tu m’avais laissé un peu de temps. Et je sais aussi que l’Archiduc a été exilé.

-       En même temps si tu ne savais pas ça, tu serais vraiment la dernière des idiotes.

-       Silence les filles, s’imposa Tibérion. Allons plutôt voir pourquoi l’Archiduc se risque à mouiller dans notre baie passant outre l’ordre d’exil. »

Lorsqu’ils s’approchèrent plus près encore du navire, ils purent lire son nom, l’Esmera, qui confirmait qu’il appartenait bien à Morwind Acciprides. De plus, ils remarquèrent que l’ancre avait été jetée et aucune autre activité ne semblait régner sur le pont, tout portait à croire que l’Archiduc les attendait.

Cette théorie se révéla être juste car lorsqu’ils attinrent le grand voilier, les marins leur lancèrent des cordes pour attacher leur embarcation et une échelle pour monter à bord. Ils y furent de plus invités par une voix grave que Tibérion identifia comme celle de l’Archiduc.

La sécurité étant prioritaire devant la galanterie, le jeune homme grimpa à l’échelle le premier. Sur le pont, il y avait quelques marins qui s’affairaient à vérifier cordages et voiles et qui n’avaient pas l’air de s’occuper du nouvel arrivant. Il fut accueillit par un vieil homme dégarni en livrée bleue et argentée, couleurs de l’Archiduc. Il reconnut l’intendant de Morwind – mais ne pu retrouver son nom – et invita alors ses sœurs à grimper à bord, le danger en étant, a fortiori, absent.

Le vieil homme les conduisit à l’Archiduc qui se tenait en haut des escaliers menant au gouvernail. Celui-ci était en train d’observer la baie et Montmer à l’aide de sa longue-vue. Il portait un long manteau, semblable à ceux des officiers de la marine, d’un bleu assez sombre et un tricorne noir. Dessous il était vêtu de ses habits d’Archiduc, bleus et argents avec en écharpe, une bande de cuir noir supportant le fourreau et son épée sur son flanc gauche – ce qui indiqua à Tibérion qu’il était droitier contrairement à son fils. La présence de l’épée surprit passablement le jeune homme qui n’avait jamais vu l’Archiduc avec une arme.

Morwind se baissa sa longue-vue et se tourna vers eux, il avait les cheveux châtains foncés légèrement plus longs que l’année précédente au Conseil Royal et ceux-ci commençaient à grisonner sur les tempes  mais était toujours aussi galbe. Ses yeux verts émeraude comme son fils se posèrent sur les trois nouveaux arrivants et il les salua :

«  Mes Demoiselles Catherine et Argenia Bregorgne, Mon Seigneur Tibérion Bregorgne, bienvenue à bord de l’Esmera. Je suis très heureux de voir que la famille de mon ami Kaurad se porte aussi bien. Vous vous demandez surement pourquoi mon navire à jeté l’ancre à l’entrée de votre baie.

-       Oui, Seigneur, c’est pourquoi nous nous sommes permis de nous approcher. Pardonnez mon audace, mais vous n’avez plus le droit de poser le pied dans le Royaume de Callaven.

-       Et je ne l’ai pas fait, comme vous pouvez le constater. Je n’ai d’ailleurs pas l’intention de le faire, malgré l’envie de revoir mon frère et mon fils par ces temps troublés. Voyez-vous, j’ai beaucoup voyagé ces derniers mois et dans chaque port où nous jetions l’ancre, il y avait de nouvelles rumeurs sur l’état du continent. Mon frère, le Roi, a grand besoin de conseillers de qualité et j’ai appris que Wilbur Korventen s’était hissé à mon ancien poste.

-       En vérité, précisa Tibérion, le Marquis et le Maréchal Dalger occupent vos anciennes fonctions.

-       Je sais, néanmoins je doute depuis longtemps de la fiabilité du Marquis Korventen et mon frère, si vous me permettez, n’est pas un Roi qui sait s’imposer, il se laisse grandement influencer par ses conseillers. Bref, j’ai quitté ma fonction volontairement, mais aujourd’hui je m’inquiète grandement pour la vie de mon frère et celle de mon fils. En effet, la bataille de Karrog et le ralliement sans condition de Rabougnal sont deux indices qui montrent que l’Empire, malgré la perte de l’Empereur et le sac de sa capitale, reste assez fort. Ajoutez à cela que le Prince Héritier de Callaven ait participé à ces actions et le fait que l’armée du Royaume ait toujours demandé une revanche sur Drastan pour la perte de Dollovan et vous obtenez une alliance assez puissante pour tenir tête au Seigneur Moriannor, or je crois que ce dernier a suffisamment bien préparé son plan pour désunir ses adversaires.

-       Qu’allez-vous donc faire alors ? s’enquit Argenia.

-       Moi ? Rien, je n’ai pas le droit, comme votre frère me l’a rappelé, de pénétrer sur les terres du Royaume. Je vais donc poursuivre ma quête maritime. En revanche, Elfrad, mon intendant ici présent, va conseiller et aider mon fils.

-       Très bien, Seigneur, approuva Tibérion. Permettez-moi quand même une question : comment allez vous le retrouver ? Votre fils est censé être à l’Académie mais il est possible qu’il n’y soit plus.

-       Mon intuition me dit qu’il sera présent lors du Jour du Roi à Callaven. A l’Académie, Belenor a dû avoir accès à bien plus d’informations que moi dans l’Empire des Iles et si mes conclusions sont justes, il viendra à Callaven pour protéger son oncle le Roi.

-       Vous avez l’air tellement sûr qu’il va se passer une chose terrible ce jour-là, s’étonna Catherine.

-       Si seulement je pouvais vous dire ce qu’il va se passer, mais je n’en sais rien, tout ce que j’ai pu apprendre ou déduire me conduisent à penser que le Roi sera en danger car il apparaîtra en public et que les espions de Drastan, ou pire un contingent armé, pourraient en profiter.

 » Je vous ai dit tout ce que je savais. Maintenant il me faut partir car si jamais un vrai garde-côte surprenait mon navire je serai bon pour la prison – ou pire – et mon équipage également. S’il vous plait, emmenez mon intendant avec vous lors du Jour du Roi. J’aurai beaucoup apprécié discuter avec votre père, le Comte Kaurad, aussi transmettez lui mes sincères amitiés – loin des oreilles indiscrètes bien entendu, car je n’ai jamais jeté l’ancre ici, ajouta l’Archiduc avec un sourire en coin.

-       Bon voyage, Seigneur, lui souhaita Tibérion.

-       Et bonne chance à vous, répondit Morwind, une guerre se prépare et tout le monde ici sera impliqué, ce qui n’annonce rien de bon. Ah ! Et tous mes vœux de bonheur à votre ami Soldoban Aronberg, les Elfes font des femmes raffinées mais – paraît-il – parfois incompréhensibles.

-       Nous transmettrons le message, affirma Argenia en souriant.

-       Quant à toi, Elfrad, mon vieil ami, sers mon fils aussi bien que tu m’as servi, bon voyage.

-       Bon voyage à vous, Seigneur, éviter de mourir alors que je ne suis pas là. » conclut le vieux intendant assez tristement.

Morwind attendit que le petit voilier de Tibérion et ses sœurs soit complètement rentré dans la baie de Montmer avant de se tourner vers le capitaine du navire :

«  Capitaine Silas, cap à l’Ouest, sur Métima, ordonna-t-il.

-       Très bien, Seigneur. » répondit ce dernier avant d’hurler des ordres à tout l’équipage.

L’île de Métima était la dernière terre elfique à l’Ouest de l’Empire des Iles. Au cours de son voyage, Morwind avait découvert que les coordonnées géographiques que son fils lui avait montrées pour l’Orbe de Vie désignaient une terre très à l’Ouest des îles connues. Ainsi Métima serait la dernière escale avant la traversée vers l’inconnu.

Morwind savait que son équipage lui était fidèle mais il ne leur avait néanmoins toujours pas annoncé le véritable but de leur voyage, de peur de les effrayer car de nombreux navires s’étaient aventurés à l’Ouest de Métima et aucun n’était revenu. D’aucuns parlaient de malédiction et d’océan maudit, en tous cas, il était admis que les eaux occidentales n’étaient pas faites pour les petites embarcations. Fort heureusement, Morwind avait confiance en son navire, l’Esmera, et pensait pouvoir atteindre sa destination, même si le voyage de retour paraissait compromis.

Alors que le bateau avançant laissait disparaître peu à peu la baie de Montmer et les terres du Royaume de Callaven, Morwind eut une dernière pensée pour son ami Elfrad qu’il avait envoyé rejoindre son fils. Ce vieil homme qu’il désignait comme intendant était en fait beaucoup plus important pour les Acciprides. En effet, depuis sa jeunesse au service du père de Morwind, Elfrad avait appris à observer les petits détails et écouter les conversations qu’il n’était pas censé entendre. Cela faisait de lui un espion très discret car connu de tous depuis longtemps et donc insoupçonnable. Avec les années, il avait, de plus, appris l’art du déguisement, pouvant aisément se faire passer pour un garde, un serviteur ou un simple mendiant. Ces compétences furent bien utiles à Morwind lorsqu’il était Premier Conseiller de son frère le Roi Ingald.

Bien sûr, Belenor ne savait rien de ce double emploi mais Morwind savait qu’en découvrant les compétences de son intendant, son fils saurait s’en servir. Il avait élevé son fils pour être un jour Roi et gouverner avec clairvoyance, il avait confiance en lui.

*

* *

Callaven, cinq jours avant le Jour du Roi

Du haut d’un des balcons du manoir Korventen, Duncan observait la ville se préparer au jour le plus festif de l’année, l’anniversaire du Roi. C’était la première fois en cinq ans qu’il pourrait y assister même s’il n’était pas encore totalement libre, en témoignait les deux gardes qui se tenaient près de la porte du balcon et qui le suivaient où qu’il aille, quoiqu’il fasse.

Les cinq années qu’il avait passées en prison l’avaient profondément marqué. En effet, condamné pour avoir outrepassé ses ordres lors de son rapt sur le village de Gorley, il avait écopé de la prison à vie, échappant de peu à la peine capitale. Jamais il n’avait regretté son geste. L’expédition punitive qu’il avait menée était juste, mais avec le recul, laisser ses hommes violer et tuer lui semblait excessif. Il aurait dû les épargner et se contenter de la mise à sac du village.

C’était de l’histoire ancienne, il avait payé son crime. Lorsqu’il apprit qu’il allait sortir de prison, quelques mois auparavant, il pensait que sa famille serait là pour l’accueillir au grand complet et même certains de ses amis… mais non. Il n’avait trouvé que ses deux gardes qui lui servaient d’escorte depuis lors. Il n’avait appris qu’après que l’annonce de sa libération n’avait pas encore été faite publiquement et que seul son père et les nobles du Conseil étaient au courant.

Il en voulait beaucoup à son père de ne pas être venu le chercher en personne, peu importait ses nouvelles fonctions. Duncan n’avait revu sa mère que beaucoup plus tard car son père ne voulait pas qu’il quitte la ville et elle était à Castelkor, le fief familial. Elle n’avait pas été prévenue et il avait dû lui écrire une lettre annonçant qu’il était libre pour qu’elle vienne le voir à la capitale.

Ce fut sa mère qui lui expliqua que son père avait exigé sa libération car son deuxième fils, Fildar, avait disparu sans garantie qu’il soit encore en vie. Ce n’était donc pas par amour, mais bien pour avoir l’assurance d’une succession à la Maison Korventen que Duncan avait été relâché.

Mis à part ses parents, personne n’avait reprit contact avec lui. Aucune visite. De plus il ne sortait pas beaucoup de la résidence familiale et se voyait mal débarquer chez d’autres sans y avoir été invité.

Il regrettait beaucoup que ses anciens amis n’aient pas fait l’effort de se rappeler à lui. Déjà en prison il n’avait que très peu de visites et de moins en moins à longueur que sa peine se prolongeait. A la fin, son visiteur le plus régulier était le Roi Ingald avec qui il avait l’habitude de discuter pendant une demi-journée au moins une fois tous les mois. Bien que n’ayant pas beaucoup d’affinités avec le Roi au préalable, Duncan avait appris à apprécier ces discussions. Ingald était également prêtre et ses visites avaient beaucoup aidé l’ex-prisonnier à endurer sa peine.

Il passait beaucoup de temps, ces derniers jours, ainsi, au balcon, observant la ville se préparer aux festivités, regardant les bannières des nobles défiler jusqu’à leur résidences, annonçant clairement à tous leur arrivée.

Soudain, sa mère l’appela doucement de la porte du balcon :

«  Duncan, deux femmes sont là pour te voir. Veux-tu les rencontrer, ou préfère-tu que je les renvoie ?

-       Qui sont-elles ? demanda-t-il.

-       La Dame Estelle Rovan et la demoiselle Catherine Bregorgne.

-       Je vais les accueillir. » décida Duncan.

Les deux femmes annoncées attendaient dans le vestibule. Comme Duncan s’y attendait, il s’agissait bien de deux de ses amies d’enfance, dont l’une était son ancienne fiancée – l’arrangement entre les deux familles s’était fait quand il n’avait que dix ans et elle neuf –, Estelle Decros, qui, apparemment, s’était finalement mariée avec le Baron Brivel Rovan.

Elles s’étaient toutes deux épanouies pendant ces cinq dernières années, particulièrement Catherine qui n’avait que dix-sept ans lorsqu’il avait été emprisonné. Estelle, quant à elle, avait toujours la même longue chevelure rousse bouclée et les yeux gris pétillants. Elle semblait néanmoins plus mûre. L’œil de Duncan s’attarda également sur son ventre arrondi que les plis de sa robe ne cachaient pas entièrement. Estelle était enceinte.

«  Oh, Duncan ! » commença cette dernière.

Celui-ci ne répondit pas, leur indiquant d’un geste de le suivre sur la terrasse du manoir qui offrait une belle vue sur le petit jardin de ville d’arrière cour tout en les protégeant des yeux et oreilles indiscrets. Il leur fit signe de s’asseoir sur les sièges en osier qui étaient disposés là. Il attendit qu’elles soient toutes deux bien installées avant de s’exprimer :

«  Mademoiselle, madame, je suis ravi de vous revoir après toutes ces années.

-       Duncan, répondit Estelle, tu nous as tellement manqué !

-       C’est ce que j’ai cru comprendre, rétorqua-t-il avec un regard insistant sur le bas-ventre de son ancienne fiancée.

-       Tu étais condamné à la prison à vie ! explosa Catherine visiblement offusquée par le comportement de l’ex-détenu. Que voulais-tu que nous fassions ?

-       Vous auriez pu essayer de ne pas m’oublier, pour commencer. Pendant toutes ces années, la seule personne à être venue me voir régulièrement était celui qui m’avait condamné, le Roi !

-       Nous sommes désolés, Duncan, tu semblais toujours si peu heureux de recevoir une visite que petit à petit nous nous sommes détournés. Il nous a fallu du temps pour tourner la page, à tous. Aujourd’hui, à la surprise générale, tu es libre, mais le monde a évolué en cinq ans et tu dois l’accepter. »

Les mots d’Estelle étaient durs mais justes. C’était toujours ainsi avec elle, elle lui faisait voir ce qu’il refusait de regarder alors qu’il l’avait juste en face de lui. C’était pour cela qu’il avait appris à l’apprécier lorsqu’ils étaient plus jeunes et qu’il s’était accroché à son souvenir lorsqu’il était en prison. En vain, visiblement.

«  Tu n’as presque pas changé, Estelle, lui dit-il. Je retrouve la même moralisatrice que je connaissais… et que j’appréciais.

-       Je n’ai pas à me justifier devant toi, Duncan. Je t’appréciais beaucoup moi aussi, à l’époque, et je m’étais faite à la décision de nos familles de nous fiancer. Lorsque j’ai appris ce que tu as fait à ce village, en plus de la nouvelle de ton emprisonnement, j’étais brisée. Toi détenu, il n’a pas fallu longtemps à mon père pour rompre nos fiançailles. Mon père s’attendait à ce que, comme la coutume le veut, ton père, le baron Wilbur nous propose de me fiancer à ton frère Fildar mais, il a préféré rompre purement et simplement l’engagement. J’ai été courtisé, Duncan, mais je ne pouvais penser à personne d’autre que toi pendant des mois. Puis les mois devinrent des années et mon père commençait à s’impatienter. Il fallait me faire une raison, tu étais en prison et aucun signe ne laissait penser que tu en sortirais un jour. C’est à ce moment là que je reçu la proposition de Brivel, Baron de Rovan. Je le connaissais que très peu, il était un peu plus vieux que nous lorsque nous étions jeunes, et c’était un très bon ami de mon frère. Il était charmant, de bonne famille et avec une excellente réputation. Je pensais que cela m’aiderai à passer à autre chose. Après une longue période où il m’a fait une cour assidue à laquelle je n’étais pas insensible, j’ai accepté de me marier, autant par affection pour lui que pour en finir avec les requêtes incessantes de tous ces courtisans et de mon père par-dessus le marché. Avant l’annonce de ta libération, je mettais faite à l’idée de passer ma vie avec lui. Comme tu l’as sûrement deviné, je porte son enfant et je l’aimerai de tout mon cœur car je le désire autant que Brivel. Aujourd’hui, je doute, j’ai mis tant de temps à me dire que tu étais perdu et te revoilà. Je n’ai pas pu me décider à venir te voir plus tôt, Duncan, c’aurait été trop dur. Catherine a accepté de venir avec moi pour me soutenir. (Elle lui prit la main.) Malgré tout mes efforts, mes sentiments pour toi n’ont pas disparus, mais je suis mariée maintenant et je serai bientôt mère. Je ne peux plus revenir en arrière. Je suis passée à autre chose et tu dois le faire également. »

Estelle soutint le regard de Duncan un long moment, attendant qu’il dise quelque chose. Il voyait bien qu’elle était au bord des larmes, comment elle serait la main de son amie avec insistance mais il ne dit rien. Il digérait chacune de ses paroles. Tout devenait un peu plus clair pour lui. Son ancienne fiancée était toujours amoureuse de lui et avait dû feindre sa perte pour avancer dans sa vie. Ainsi c’était la raison pour laquelle tous l’avaient abandonné, ils avaient voulu avancer sans lui ou plutôt avancer malgré lui. Malheureusement pour eux, Duncan était de nouveau libre – ou presque – et ils allaient devoir faire avec.

Alors que la lumière se faisait pour lui sur les raisons de son isolement social de ces dernières années, Duncan se leva et partit dans un rire tonitruant, à la grande surprise de ses deux vis-à-vis. Il n’avait pas rit comme cela depuis des années, depuis avant son emprisonnement.

«  Duncan ? s’inquiéta Catherine. Ça va ?

-       Parfaitement bien, répliqua-t-il lorsque son fou rire se fut calmé un peu. Je viens de comprendre beaucoup de choses, merci Estelle et merci à toi aussi Catherine. Je vois une bague de fiançailles à ton doigt, qui est-ce ?

-       Enguerrand de Montrouge, répondit-elle, chevalier de Dollovan. Malheureusement, la guerre qui s’annonce empêche la célébration de notre union.

-       Ah, visiblement les Pairs du Royaume n’ont toujours pas abandonné l’idée de reprendre la principauté. Bonne chance, Catherine, je ne connais pas ce chevalier, mais il est dit de les Dollovinois sont insatiables !

-       Duncan ! s’indigna Estelle. Ce n’est pas une chose à évoquer devant une demoiselle.

-       Bonne chance à toi aussi, Estelle Rovan, tu restes encore, malgré tout, la dame de mes pensées. Passe le bonjour à ton mari et à toutes mes connaissances qui, contrairement à vous, n’ont pas encore le cran de venir me visiter. Au revoir. »

Son fou rire avait totalement disparu lorsqu’il les quitta pour rentrer dans la maison. Catherine fut beaucoup plus choquée que son amie par le comportement de Duncan. Estelle était particulièrement émue par les dernières paroles de son ancien fiancé. Elle prit le temps de sécher ses larmes et espérait que ses yeux ne seraient pas trop rougis lorsqu’elle rentrerait auprès de son mari. Dignement, elle se leva et, suivie de son amie, elle quitta le manoir.

Elle mit un point d’honneur à ne pas se retourner mais, lorsque la bâtisse ne fut plus en vue, elle ne put se retenir à exploser en sanglots. Son amie Catherine la soutint et l’emmena à la résidence des Bregorgne plutôt que de la laisser rejoindre sa maison directement. Estelle avait besoin d’un peu plus de temps pour faire la part des choses et son amie l’avait bien comprise.

Du haut de son balcon, Duncan avait observé la sortie des deux femmes et, lorsqu’elles disparurent hors de son champ de vision, il sentit une larme rouler sur sa joue. Elle était mariée. Elle était enceinte. Il devait l’oublier. Il l’avait déjà fait.

Mais elle l’aimait.

*

* *

Callaven, trois jours avant le Jour du Roi

Arrivé à la capitale depuis quelques jours, en même temps que la plupart des autres familles nobles, Soldoban observait lui aussi les préparatifs du Jour du Roi. Il était coutumier que de nombreux couples choisissent ce jour pour célébrer leur union et, avec le recul, Soldoban trouvait sa démarche bien peu originale. Néanmoins, lorsqu’il réussissait à croiser sa future femme – ce qui était de plus en plus dur tant elle était prise par les préparatifs de la cérémonie –, Al’Ivna semblait heureuse et rayonnante. De plus leur union serait célébrée par le Roi Ingald en personne, ce qui enchantait Soldoban autant que cela lui faisait redouter ce moment.

Ils avaient passé beaucoup de temps dans le fief familial d’Alhorée qui se trouvait en bordure de la forêt qui faisait la frontière avec la colonie elfique. Durant ces jours, Soldoban avait été heureux de constater que sa mère, la Comtesse Elise, accueillait la nouvelle de son futur mariage avec beaucoup de joie malgré le peu d’informations qu’ils étaient capables de fournir sur le passé de sa fiancée. Cela importait peu à la comtesse, en effet, ne s’était pas mariée à un parfait inconnu en son temps ?

De nombreux mystères entouraient les origines de son père et il n’avait jamais osé en discuter avec son fils, c’était un tabou. Pourtant Soldoban s’inquiétait beaucoup des changements qui s’étaient opérés en lui ces derniers temps. Il ressemblait de plus en plus à un elfe et personne n’avait voulu lui expliquer pourquoi. Ses parents feignaient de le remarquer comme si cela était normal.

De nombreuses fois, alors qu’il était en voyage avec le Prince Belenor et les autres, il avait pensé interroger son père à ce sujet mais depuis, à chaque fois qu’il se retrouvait devant lui, il le laissait prendre le dessus dans la conversation et les questions qui lui importaient mourraient sur sa langue avant d’être sorties de sa bouche.

Ce fut son père justement qui le sorti de sa contemplation de la cité pour lui montrer le costume qu’il allait porter lors de la cérémonie. Ils allèrent dans les appartements de Soldoban où le couturier les attendait.

Les essayages furent assez brefs, la coupe étant exactement celle que voulait le marié, et le couturier avait suivi ses directives à la lettre. Il s’agissait d’une veste longue, noire, aux bords délicatement brodés d’argent avec une chemise grise et blanche. Le pantalon était, quant à lui, blanc que recouvraient jusqu’aux genoux ses bottes noires de cavalier. Il y avait aussi la ceinture à la boucle dorée qui soutenait l’épée familiale au fourreau et à la garde recouverts d’or. Enfin son père lui passa autour des épaules un lourd manteau aux couleurs familiales, bleu et vert avec l’arbre blanc ainsi que l’épée et la flèche entrecroisées, les armes Aronberg. Lorsque Soldoban eut tout essayé et approuvé le travail qui avait été effectué, son père demanda au couturier de les laisser. Cuthbert s’assit dans un fauteuil et invita son fils à faire de même.

«  Avant que tu ne te maries, il y a plusieurs choses dont j’aimerai te parler, commença son père.

-       J’ai également quelques questions, avoua Soldoban.

-       Je n’en doute pas et je pense pouvoir fournir bon nombre de réponses. Te voir dans ton costume de mariage, portant comme seules couleurs celles de la famille Aronberg m’a fait prendre conscience d’une chose, je t’ai gardé bien loin du secret de mes origines et je pense que tu es en droit de savoir.

-       J’écoute, fit Soldoban en essayant de cacher son excitation.

-       J’imagine qu’aussi loin que tu peux te souvenir, tu ne m’as jamais vu sans cela, dit Cuthbert en désignant sa ceinture qui avait toujours intrigué Soldoban car la boucle représentait un serpent se mordant la queue.

-       Non en effet, confirma le fils.

-       Eh bien voilà qui devrait répondre à quelques unes de tes questions. » expliqua-t-il en débouclant sa ceinture.

Soldoban ne comprit pas tout de suite de quoi voulait parler son père, en effet, il avait beau regarder la boucle de ceinture, rien ne se passait. Il allait demander ce qu’il devait voir à son père mais il fut choquer par l’apparence de celui-ci. L’homme qui se tenait en face de lui quelques secondes auparavant n’était plus et un elfe se tenait à sa place. C’était bien son père, il reconnaissait les traits bien qu’ils soient plus fins.

«  Vous n’êtes pas humain ! s’exclama Soldoban. Je comprends tout à présent.

-       Je savais que ne mettrais pas longtemps à comprendre, se réjouit le Comte d’une voix plus claire et plus pure que celle à laquelle son fils était habitué. Je suis un elfe de naissance mais je vis comme un homme depuis des années.

-       Pourquoi cela ? La famille Aronberg a eut des métissages avec les elfes par le passé alors pour vous en cacher ?

-       C’est une assez longue histoire, qui n’est compréhensible que si l’on connait les coutumes elfiques. Je m’appelle Nirmas de la famille Olonwë. Pour faire simple, notre famille a toujours été très proche de la famille impériale, le patriarche familial n’était jamais très loin d’être Premier Consul – le chef du gouvernement de l’Empire des Iles –, l’Empereur déléguant beaucoup au contraire des dirigeants d’ici.

 » Mon père était justement Premier Consul quand j’étais jeune et entretenait d’assez bonnes relations avec l’Empereur Nolmo. Seulement, celui-ci souhaitait s’impliquer d’avantage dans le système gouvernemental. Je le connaissais bien et j’étais ami avec sa fille Aina. Je soutenais donc cette évolution. Au contraire, mon père et de nombreuses autres familles y étaient opposées. Connaissant la popularité de l’Empereur auprès du peuple, les nobles ne voulaient pas s’engager dans une guerre civile qui ne leur aurait pas été favorable.

 » Ils prévoyaient au contraire d’assassiner l’Empereur et d’installer sa fille sur le trône. Lorsque j’appris la teneur de ce projet, je suis voir mon père et lui dit tout le dégoût qu’il m’inspirait. J’étais son ainé et je pensais qu’il m’écouterait mais il n’en fit rien. Il se tourna vers mon frère cadet, Hillidas – oui, comme le Vice-Empereur de la colonie qui borde les frontières du domaine Aronberg –, et je compris alors qu’il me fallait fuir. Je volai dans les affaires familiales cette ceinture magique et je disparu. Je quittai les îles et je m’enfui vers la colonie. J’y restai un moment, le temps de m’habituer aux effets de la ceinture et d’observer la suite des événements.

 » L’Empereur Nolmo fut assassiné, conformément au plan de mon père et Aina devint Impératrice. Enfin, mon frère reçu comme récompense pour sa loyauté le titre et les fonctions de Vice-Empereur de la colonie sur le continent. Refusant d’avoir à affronter mon frère, je quittai la colonie pour le Royaume. Ce fut là que je rencontrai ta mère et son père le Comte Harold. La suite tu la connais.

-       C’est incroyable, mais cela explique tant de choses, réalisa Soldoban. Mon apparence, votre connaissance des coutumes elfiques.

-       Je suis d’ailleurs très heureux de te voir fiancé à Al’Ivna, même si nous ne savons rien de ses origines.

-       Seul le Seigneur Siougrev de Vessala doit savoir, mais il n’en a jamais parlé.

-       J’ai toujours du mal à croire que tu aies vraiment rencontré Siougrev, l’ami du Premier Empereur. Savait-tu qu’ils élaboraient leurs plans ensemble avant chaque bataille ?

-       Il parait, oui. Il ne parle jamais de son passé, c’est un homme très secret.

-       J’imagine bien, après tout c’est le premier et le seul humain à avoir bravé la Mort pendant trois mille ans. La question est : qu’a-t-il fait pour y parvenir ?

-       Si cela était connu, les hommes ne seraient plus condamnés à mourir si vite.

-       "Les hommes" pas "nous", remarqua Cuthbert, ainsi tu ne te considère plus comme tel.

-       Comment le pourrais-je ? Je ne leur ressemble plus, ma fiancée est une elfe et je viens d’apprendre que mon père en est un également.

-       Ce qui ne fait pas de toi un elfe pour autant, car, bien que nous ayons de nombreux cousins exilés hors des frontières de l’Empire des Iles – telle ta future femme –, ta mère est bien humaine et tu es autant humain qu’elfe. Ne le vois pas comme une faiblesse, ajouta Cuthbert alors que son fils ne semblait pas apprécier ses paroles, mais comme une force. »

*

* *

 

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28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 17:40

XXIV

Retour au pays

L

es lumières venant de Sipar étaient nombreuses et les contours de la ville se dessinaient dans la nuit noire. La capitale impériale se repeuplait peu à peu, un régiment de l’armée impériale stationnant dans ses murs et protégeant les ressortissants. De leur camp, les soldats de Callaven pouvaient contempler la cité qui avait perdu beaucoup de sa majesté depuis l’attaque de Drastan.

Cela faisait quelques semaines qu’ils voyageaient depuis Rabougnal pour rentrer au pays, et il en faudrait encore une autre pour arriver à destination. La route n’était pas trop éprouvante après ce qu’ils avaient vécu et enduré. Ils avaient la chance que les différents domaines qu’ils traversaient fussent contrôlés par des seigneurs loyaux à l’Empire et il y était peu probable qu’ils y rencontrent des rebelles. Des bandits encore moins, car si les deux parties hésitent encore à s’affronter ouvertement, ils ne font pas preuve de la même compréhension envers toutes les troupes plus ou moins indépendantes. Sans compter les opportunistes qui profitent des troubles pour s’engager dans les rangs de l’un ou l’autre camp.

Ironiquement donc, la route était plus calme en ces temps de trouble qu’en temps de paix. Le calme avant la tempête diraient certains, si seulement ils pouvaient avoir tort. Malheureusement tous sentaient que le conflit ouvert n’allait pas tarder à éclater.

Bien conscient de tout cela, Soldoban finissait de faire le tour des sentinelles du premier quart avant de rejoindre sa tente. Il voulait s’assurer que tout était en ordre, n’ayant pas l’aura d’autorité qu’inspirait le Prince, le capitaine Aronberg ne souhaitait pas pour autant que le laxisme s’installe.

«  Toujours aussi strict, hein, Soldoban, lui dit Imladas qui l’avait rejoint. Ne t’en fais pas, cette nuit ne sera pas pire que la précédente ni meilleure que celle qui suivra. C’est juste une nuit.

-       Je préfère ne pas relâcher mon attention.

-       Pourquoi postons-nous des sentinelles alors ? Si tu restes toute la nuit éveillé, tu ne seras plus en mesure d’assurer tes fonctions demain.

-       Tu as sûrement raison.

-       Viens plutôt avec nous prês du feu. » fit le grand capitane Sandorn en entourant les épaules de son ami de son bras.

Ainsi prisonnier, Soldoban n’avait pas le choix et il se retrouva autour d’un feu en compagnie d’Imladas et de Tibérion. Peu auraient cru que ces deux jeunes hommes aujourd’hui inséparables étaient en fait issu de deux familles en froid depuis plusieurs générations.

«  J’y pense à l’instant, fit justement remarquer Soldoban, comment allez-vous gérer votre retour dans vos familles qui s’aiment tant l’une et l’autre ?

-       Je pense qu’il n’y aura pas trop de problèmes, répondit Tibérion. Nos pères se détestent plus par principe que par conviction, je suis convaincu que nous pouvons leur faire ouvrir les yeux.

-       Bizarrement, je pense que mon père sera plus difficile à convaincre, intervint Imladas.

-       Pourquoi cela ? demanda Soldoban. Il paraît beaucoup plus accessible que le Marquis de Bregorgne.

-       Oh, sans aucun doute, mais je pense que son ressentiment envers la famille de Bregorgne est plus profond qu’on pourrait le croire. Enfin, c’est mon avis. Dans le pire des cas, je le menacerai d’épouser une des sœurs de Tibérion.

-       Pardon ? s’étrangla ce dernier avec sa bière. Je t’interdis de t’approcher de mes sœurs !

-       Pas d’inquiétude ! le rassura Imladas en étouffant un éclat de rire. Contrairement à vous deux, je ne veux pas me marier dans l’heure. Le célibat est beaucoup plus… vivant.

-       Qui parle de mariage ? protesta Tibérion. Je ne me vois pas encore me marier avec Ællena, même si…

-       Moi, je parle de mariage, le coupa Soldoban.

-       Ah oui ? Grande nouvelle ! Comment comptes-tu aborder le sujet avec ton père ? lui demanda Tibérion. Al’Ivna n’est pas vraiment de haute naissance dirons-nous.

-       Non, avoua-t-il, c’est vrai. Mon père est également "sorti de nulle part" – ce sont ses dires – avant d’épouser ma mère.

-       Tu perpétues la tradition, en somme, ironisa Imladas.

-       Si on veut, oui, continua Soldoban. J’aurai quelques questions à poser à mon père en rentrant.

-       Comme quoi ? lui demanda Tibérion.

-       Par exemple, pourquoi plus le temps passe et plus je ressemble à un elfe alors que mes parents sont humains ?

-       Peut être que tu es un enfant elfe adopté, trouvé dans les bois ! Après tout, le domaine de ta famille (jusqu’à preuve du contraire) borde la frontière de Callaven avec la colonie elfe…

-       Plus sérieusement, le coupa Tibérion, Al’Ivna est-elle au courant ? A-t-elle dit oui ?

-       Non, je ne le lui ai pas encore demandé. Nous n’avons pas encore abordé le sujet mais je suis presque sûr qu’Al’Ivna dira oui.

-       Qu’est-ce que je suis censé accepter ? » demanda l’intéressée qui sorti de l’obscurité.

L’apparition subite de l’elfe prit les trois capitaines au dépourvu car aucun d’eux ne l’avait entendue approcher. Il était connu que les elfes aient le pied leste mais en faire l’expérience lorsque l’on s’y attendait le moins était toujours déroutant.

Si, pour Soldoban, la surprise eut pour effet de réveiller ses reflexes guerriers, en se levant brusquement, la main sur la garde de son épée, les deux autres eurent une réaction toute différente. Tibérion sursauta, tellement qu’il en tomba de la souche sur laquelle il était assis. Quant à Imladas, il eut également un soubresaut mais, à la vue de son vis-à-vis s’affalant sur le sol, il ne put réprimer un éclat de rire qui, avec la bière qu’il avait dans la bouche, se transforma en une projection bruineuse.

L’elfe aussi ne put que s’esclaffer de la petite panique qu’elle avait semée. Néanmoins fidèle au stoïcisme de sa race, elle reprit vite ses esprits.

«  Alors ? Qu’est-ce que tu me caches ? demanda Al’Ivna à son compagnon.

-       Rien du tout, ma chère, se défendit celui-ci.

-       J’en doute fort.

-       Rien d’essentiel, je te l’assure.

-       Bon, eh bien moi, je ne veux pas m’immiscer dans vos problèmes de couple, intervint Imladas. Je vais me coucher.

-       Je te suis. » ajouta Tibérion.

Les deux capitaines s’éloignèrent, laissant le couple seul près du feu de camp. Ils rejoignirent la tente qu’ils partageaient tous les deux. Lorsqu’ils partirent de Callaven, un an auparavant, les capitaines utilisaient trois tentes : Soldoban et Tibérion dans la première, Fildar et Imladas dans la deuxième et le Prince Belenor, seul, dans la dernière. Cette répartition avait été décidée pour éviter de laisser dormir les capitaines Bregorgne et Sandorn qui ne s’aimaient pas beaucoup. Néanmoins, les choses changèrent et, lorsqu’ils sortirent des Bois Cendrés, Tibérion laissa sa place à Al’Ivna et rejoignit Fildar et Imladas. Désormais, avec la disparition du capitaine Korventen ils se retrouvaient seuls à partager la tente mais cela ne les gênait plus le moins du monde.

Ils se couchèrent donc, rapidement, les journées étant longues et les nuits trop courtes pour être gâchées. Néanmoins, Tibérion avait du mal à trouver le sommeil et, au bout d’un moment, il chuchota à son voisin :

«  Tu penses que Soldoban va nous en vouloir de l’avoir abandonné avec Al’Ivna ?

-       Ah ah, s’esclaffa Imladas, peut être que oui. Pourtant si rester seul avec sa future femme l’embarrasse, ça promet pour leur vie de couple.

-       Tu as sûrement raison. Je me demande néanmoins s’il  lui a fait sa demande lorsqu’on est partis.

-       Je ne pense pas, non. Il a beau être renfermé, je pense qu’il fera sa demande de façon très romantique. Il doit prévoir quelque chose de spécial, pour être sûr qu’elle soit tellement sous le charme qu’elle ne puisse refuser.

-       Par contre, je parierai bien qu’il se marie le Jour du Roi. Le Royaume en fête, c’est le moment idéal.

-       Certainement ! Même si c’est très commun de se marier ce jour-là, je pense que notre ami n’y échappera pas. »

Le silence se prolongeant, les deux hommes furent happés par le sommeil. A l’extérieur de la tente, n’entendant plus de discussion, Al’Ivna s’éloigna en faisant bien attention à ne pas se faire remarquer.

Elle avait suivi la discussion des deux capitaines depuis le début. En effet, sa conversation avec son compagnon ne menant à rien, Al’Ivna avait feint la fatigue et Soldoban et elle s’étaient couchés dans leur tente. Son compagnon s’était endormi rapidement mais elle n’avait pas sommeil et décida de sortir prendre l’air en faisant un tour du camp. Heureusement pour elle, Soldoban était profondément assoupi et il ne l’entendit pas sortir. Il avait peut être l’apparence d’un elfe mais il n’en avait pas encore les sens.

Ainsi, elle s’éloigna du camp – éviter les sentinelles était au final très aisé pour une elfe comme elle –, suffisamment pour ne plus être vue ou entendue. Ayant besoin de réfléchir, elle s’assit dans l’herbe, face aux lumières lointaines de la capitale.

L’idée de se marier avec Soldoban était séduisante, elle l’aimait sincèrement. Pourtant, il était beaucoup plus jeune qu’elle. Du haut de ses deux cent cinquante ans – ce qui restait très jeune pour une elfe –, Al’Ivna, aurait dû se trouver un compagnon depuis longtemps mais, à Vessala, les Elfes n’était pas nombreux et, comme elle fut, jusqu’à ce qu’elle suive les hommes de Callaven, une des Gardiennes du Secret – les protecteurs de Vessala – elle n’avait pas beaucoup voyagé en dehors des Bois Cendrés ni côtoyé beaucoup de personnes de sa race.

Elle devait prendre le temps de poser le pour et le contre de cette proposition de mariage. Mis à part l’âge, elle n’avait que peu de réels arguments à opposer. Al’Ivna n’avait jamais connu ses parents et avait élevée par le Seigneur Siougrev à Vessala. Jusqu’à sa rencontre avec le Prince Belenor et ses compagnons, elle n’avait jamais pensé quitter les Bois. Finalement sa vie était avec Soldoban, elle avait tellement appris sur le monde pendant ces quelques mois avec lui. La décision n’appartenait qu’à elle seule et malgré toutes ses certitudes sur l’amour mutuel qu’ils se vouaient, la jeune elfe doutait.

Al’Ivna resta ainsi, assise dans l’herbe, durant cette fraîche nuit de printemps. Elle laissa son regard se perdre dans la contemplation de Sipar et ses lumières qui, bien que la nuit soit bien avancée, se détachaient encore de l’obscurité. Elle saurait dire combien de temps passa alors qu’elle était dans cette position, perdue dans ses pensées. La jeune elfe était si profondément ancrée dans sa torpeur qu’elle ne remarqua pas les froissements de l’herbe alors que quelqu’un s’approchait d’elle.

Ce fut le bruit d’une torche plantée dans le sol qui l’arracha à sa réflexion. Elle rouvrit les yeux, découvrant Soldoban, débout, qui se tenait à côté du flambeau. Il observait calmement l’horizon. Al’Ivna se releva et son compagnon se retourna, la lumière de la torche se réfléchissant dans ses yeux bleus. Ajouté à cela, Son visage était fermé comme s’il allait lui reprocher de s’être éclipsée ce qui lui donnait un air un peu terrifiant.

«  Soldoban, je suis désolée, je peux tout expliquer.

-       C’est parfait, répliqua-t-il en laissant son regard se balader tout autour d’eux.

-       Parfait pour quoi ? De quoi parles-tu ? »

Les yeux de Soldoban se fixèrent dans les siens, il n’y avait aucune trace de colère. Au contraire, il semblait paisible. Le jeune mit alors un genou en terre, Al’Ivna s’alarma :

«  Qu’y a-t-il, Soldoban ? As-tu mal quelque part ?

-       Pas du tout, calme-toi. Je souhaite seulement te poser une question.

-       Pourquoi est-ce que tu… ? Par l’Eternel ! s’exclama-t-elle lorsqu’elle comprit. Soldoban !

-       Laisse moi parler veux-tu ?

-       Oui, excuse-moi.

-       Al’Ivna, veux-tu m’épouser ? demanda-t-il en sortant une bague en argent sertie d’un diamant de sa poche.

-       Oui ! » répondit sans hésiter la jeune elfe en sentant des larmes de bonheur couler sur ses joues.

Un grand sourire s’afficha sur le visage de son désormais fiancé. Il se releva, lui passa la bague à l’annulaire de la main gauche. Puis il la serra dans ses bras.

Finalement, toutes ses interrogations et ses doutes s’étaient dissipés d’eux-mêmes lorsque son compagnon avait plongé son regard dans le sien. Elle n’avait trouvé que l’affirmative pour  répondre à la question tant redoutée.

*

* *

Une semaine plus tard, la centaine d’hommes de Callaven atteint enfin la frontière de l’Empire avec leur pays. Tibérion était heureux de rentrer, pas que le voyage ait été dur, loin de là mais en ces temps troublés pour l’Empire, le Royaume de Callaven lui paraissait être un havre de paix.

Ces derniers jours de voyage étaient passés rapidement et sans encombre, il y avait toujours quelques soldats grognons mais pour l’essentiel, le moral était au beau fixe et puis, Soldoban semblait enfin sourire naturellement, après qu’il ait demandé Al’Ivna en mariage et qui avait accepté.

Le poste frontière n’était plus très loin. Lorsqu’ils étaient sortis du Royaume, celui-ci avait été attaqué, les gardes assassinés sans que les hommes du Prince Belenor puissent définir l’origine de l’attaque. Cette fois-ci, il y avait des douaniers en poste et le drapeau bleu à l’aigle d’or de Callaven flottait haut au-dessus du petit complexe défensif.

Cependant, en s’approchant, ils découvrirent que les gardes-frontière ne portaient pas tous l’uniforme de l’armée de Callaven. La plupart d’entre eux abhorraient un tabard jaune avec un ours noir brodé dessus, l’emblème de la Maison Korventen.

Les trois capitaines firent arrêter la troupe et quittèrent la colonne pour rencontrer l’officier en poste. A la vue de leur bannière aux couleurs royales, l’Aigle d’Or sur champ azur, les visages des gardes s’illuminèrent. Acclamés par ceux-ci, les capitaines demandèrent à voir l’officier en charge.

Il ne fallut pas longtemps avant qu’un homme à la barbe noire hirsute sortit pour les rencontrer. Il portait comme emblème une tour noire sur un champ vert sur son bouclier. Pourtant, l’Ours Noir cousu sur sa cape jaune le désignait également comme un homme du Baron Korventen.

«  Bienvenue, les accueillit-il, je suis le Baron Brivel Rovan, colonel de l’Armée de Callaven et officier en charge de ce poste frontière. Vous devez être l’ambassade de Sipar, menée par le commandant et Prince-Héritier Belenor Acciprides.

-       Seigneur, vous devinez juste, répondit Soldoban. Je suis le Capitaine Soldoban Aronberg et voici les capitaines Tibérion Bregorgne et Imladas Sandorn. Notre mission d’ambassade est accomplie et nous rentrons à Callaven.

-       J’aimerai rencontrer le Prince Belenor avant de vous laisser passer. Est-il resté auprès de vos hommes ?

-       J’ai bien peur, Seigneur, qu’il vous soit impossible de le rencontrer. Le Prince ne voyage plus avec nous, ses responsabilités l’ont appelé ailleurs.

-       Voilà qui est bien dommage. Le capitaine Fildar Korventen est-il resté avec le Prince ? Je ne le vois pas non plus. J’aurai aimé saluer le fils de mon suzerain.

-       Hélas non, confirma Soldoban. Il ne fait plus partie de cette ambassade lui non plus. »

Après quelques secondes de silence, ce dernier reprit :

«  Pardonnez mon audace, Seigneur, mais depuis quand le Baron Wilbur Korventen a-t-il des vassaux ?

-       Je comprends votre trouble. Après votre départ de nombreuses choses ont changées dans le Royaume. L’Archiduc Morwind Acciprides a été exilé, la fonction de Premier Conseiller du Roi a échu tout d’abord au Maréchal Dalger qui, sentant la charge trop lourde pour lui demanda l’appui d’un des Pairs du Royaume. Ce fut le Baron Wilbur Korventen qui obtint l’honneur de servir comme Premier Conseiller avec le Maréchal. Nous parlons maintenant des Grands Conseillers de la Couronne pour les désigner. Puis, Wilbur Korventen fut fait Marquis et Défenseur du Nord par le Roi Ingald. Ainsi, plusieurs Barons, moi inclus, dont les fiefs bordent la frontière avec l’Empire, sommes devenus vassaux de la Maison Korventen.

-       Une fulgurante ascension, commenta Tibérion pour lui-même mais le regard que lui glissa Imladas signifiait qu’il avait entendu.

-       Merci pour ces informations, Seigneur Rovan.

-       Je ne vous retiens pas plus longtemps, capitaines. Vous pouvez passer. Bienvenue au Royaume de Callaven, bienvenue chez vous. »

*

* *

Quelques jours plus tard, la compagnie entrait dans Callaven. La capitale et ses murs de granit gris paraissaient bien ternes en ce début de printemps, par rapport à la ville joyeuse lors de leur départ, l’été dernier. La route pavée n’était plus couverte des bouquets de fleurs qu’avait lancés la foule lors qu’ils partaient pour Sipar. Cette fois-ci, tout le monde vaquait à ses occupations. Ici, un boucher vantait la qualité de sa viande, là une femme balayait la devanture de son commerce. Tout ceci faisait un boucan monstre pour n’y était pas habitué et le fait d’avoir tant voyagé les avaient sevrés de toute cette pagaille, aussi Tibérion avançait en grimaçant et, remarqua-t-il, ses compagnons faisaient de même.

Personne ne semblait se soucier de la colonne de soldats qui remontaient l’avenue royale vers le Palais. Très vite, ils furent à l’entrée de la ville haute, ceinte par un second mur ponctué de corps de garde. Les gardes avaient, eux, été mis au courant de leur venue aussi ils n’entravèrent pas leur progression. Plus propre et moins bruyante, la ville haute était, de loin plus agréable. C’était là que logeaient les nobles ainsi que les riches marchands.

Les bâtisses les plus spacieuses et les plus proches du Palais Royal étaient appartenaient aux familles des Paris du Royaume, à savoir les Aronberg, Bregorgne, Korventen et Sandorn. Les capitaines furent d’ailleurs surpris de voir les bannières de ceux-ci flotter, signifiant que leurs pères étaient présents dans la ville. Ils s’attendaient naturellement à ce que la bannière jaune à l’ours noir des Korventen soit levée, le Grand Conseiller Morwind ne devant pas s’éloigner souvent de la capitale. Ainsi flottaient la licorne blanche sur champ de gueules, au chef d’hermines blanches sur champ d’azur, emblème de la maison Bregorgne, du taureau noir sur un champ tranché au premier de gueules et au second jaune, emblème des Sandorn, ainsi que l’épée et la flèche croisés surplombant un chêne blanc sur un champ parti au premier d’azur et au second vert, l’emblème de la maison Aronberg. Ces bannières étaient inattendues et les capitaines auraient à se confronter à leurs pères respectifs plus tôt que ce qu’ils escomptaient.

L’esplanade du Palais s’étendait devant eux lorsqu’ils furent accueillis par une petite troupe de soldats. A leur tête, le Chevalier Godefroy Delaroche, un grand homme dans la fleur de l’âge avec les cheveux qui commençaient à peine à grisonner, le Commandant de la Garde Royale, dans son armure frappée de l’aigle d’or, leur déclara :

«  Messires, j’espère que vous avez fait bon voyage. Bienvenue à Callaven, Sa Majesté souhaite vous voir. Vos pères étant présents, une session extraordinaire du Conseil Royal va se tenir pour votre retour. Elle doit commencer le plus tôt possible.

-       Si c’est ce que Sa Majesté ordonne, alors nous vous suivons, répondit Soldoban en mettant pied à terre.

-       Parfait. » conclut le Chevalier en tournant les talons, les invitant à lui emboîter le pas.

Il les conduisit jusqu’à la Salle du Conseil, la même qui avait vu la décision de leur ambassade, avant leur départ. Leurs pères étaient déjà présents assis autour de la table. Le Roi Ingald présidait l’assemblée, à l’autre bout de l’entrée. Comme toujours depuis qu’il avait été nommé Maréchal de Callaven, Dalger se tenait à la gauche du Roi. A sa droite, en lieu et place de l’Archiduc Morwind, son frère, se tenait le Marquis Wilbur Korventen. Ensuite venaient leurs pères, les Comtes Cuthbert Aronberg, Théodrim Sandorn et Kaurad Bregorgne.

«  Fils de Callaven, commença le Roi une fois qu’ils furent tous entrés dans la salle, bienvenue chez vous. Je vous en prie, installez-vous. » 

A ces paroles cérémonielles, les trois capitaines s’inclinèrent très bas devant leur souverain avant de regagner leurs places. Cette fois-ci, ils n’occupaient pas la droite de leurs pères respectifs mais étaient assis face à eux. Ils n’étaient pas convoqués au Conseil en tant que fils de Pairs, aujourd’hui, ils étaient capitaines de l’Armée Royale.

«  Je pense que vous avez de nombreuses choses à nous apprendre, intervint le Marquis Wilbur, des événements tragiques ont eu lieu pendant les mois où vous étiez à l’étranger. Nous avons, bien sûr, été prévenus de la chute de Sipar et des rebellions des Blancs, l’Empire est manifestement en déclin mais nous imaginons que vous avez un point de vue différent du nôtre, ayant vécu ces tragédies de l’intérieur.

-       L’Empire est fort, fit Tibérion. Leur souverain est mort, leur capitale est tombée, de nombreux nobles essaient d’en profiter pour se rebeller, certes, mais s’il y a une chose que nous avons pu apprendre en côtoyant les loyalistes, c’est leur abnégation et leur courage. Karrog était réputée imprenable et les Dakharts invincibles, nous l’avons prise avec un minimum de pertes, Rabougnal était, du temps de l’Empereur, une des provinces les plus enclines à chercher l’autonomie, nous l’avons fait se ranger du côté du Surintendant de Sipar. Nous sommes repassés par la capitale en revenant ici, loin d’être abandonnée, les gens y reviennent, y vivent. Moriannor et Drastan n’ont pas gagné, ils ont réveillé un lion et il est furieux.

-       Merci pour ces précisions, capitaine Bregorgne, dit Dalger de sa voix lente et chevrotante. Plus important encore, vous êtes partis cinq et vous revoilà trois. Où sont le Prince Belenor et Fildar Korventen ? Leur perte serait fâcheuse.

-       Ne vous inquiétez pas, les rassura Imladas, l’héritier du Trône se portait à merveille lorsqu’il nous a quittés.

-       Pourquoi vous a-t-il abandonné ? s’inquiéta néanmoins Ingald.

-       Ce n’était pas la première fois, commença à expliquer Imladas.

-       Comment ose-t-il ? le coupa le Marquis Wilbur. Je vous l’avais dit, ce prince-moine ne sera jamais capable de gouverner, il abandonne sa charge dès qu’il en a l’occasion, mon fils aurait été un choix plus avisé.

-       Il n’empêche qu’il manque à l’appel lui aussi, remarqua froidement le Comte Kaurad. Le capitaine Sandorn n’avait pas terminé. Continuez, je vous prie.

-       Merci, messire. Je disais donc que ce n’était pas la première fois. Après la bataille de Karrog, le Prince est parti en ambassade pour l’Union des Etats Septentrionaux, pour le compte de l’Empire. Il nous a rejoints, quelques mois plus tard à Rabougnal, juste avant de nous quitter à nouveau, pour l’Académie.

-       Mon héritier va devenir Mage ? s’étonna le Roi. Quelle curieuse nouvelle.

-       Il a manifesté un Don d’après l’Archimage Kerneli qui l’accompagnait. Il est parti étudier.

-       Un Roi-mage, pour un prince-moine, c’est une belle ascension. Il en concurrencerait presque notre Défenseur du Nord, ironisa le Comte Théodrim Sandorn.

-       Toujours aussi drôle, Messire Sandorn, répondit l’intéressé avec un regard noir. Je ne vous permet pas.

-       Et vous, vous ne vous permettez que trop, lança le vieux Maréchal. Je vous rappelle que vous n’êtes que Conseiller du Roi, et en aucun cas supérieur aux autres nobles ici présents.

-       Paix, Conseillers, paix, intervint le Roi. Personne ne conteste vos compétences Wilbur. Vous pouvez être fier de votre ascension, depuis que je vous ai rencontré, chevalier errant du Nord. De votre côté, Pairs du Royaume, veuillez excuser la rudesse de messire Korventen. Revenons-en à ce qui nous réunis ici aujourd’hui. Le Prince n’a-t-il rien laissé pour moi ou pour le Conseil ?

-       Justement, intervint enfin Soldoban, voici la missive qu’il m’a confiée.

-       Merci, dit simplement le Roi en la prenant. Nous avons beaucoup parlé de mon neveu et héritier, mais qu’en est-il de Fildar Korventen ? Est-il avec le Prince ?

-       Non, il a été blessé lors de la bataille de Karrog, expliqua le Capitaine Aronberg. Par un Dakhart. Il a néanmoins survécu au poison réputé mortel. Nous voulions lui procurer les meilleurs soins et le Prince l’a envoyé escorté des Capitaines Bregorgne et Sandorn en quête d’un guérisseur car il souffrait de symptômes étranges. Il avait développé une intolérance à la lumière du Soleil et un goût prononcé pour la viande saignante.

-       Et ? le pressa le Marquis Wilbur.

-       Il nous a échappé, avoua Tibérion. Il a montré une bravoure et un courage hors du commun en mettant hors d’état de nuire tout un groupe de Blancs dans une auberge. Ensuite, il s’est envolé, nous l’avons bien rattrapé mais il semblait changé, comme possédé. Il nous a laissé le choix : le laisser partir ou le combattre. Ne pouvant nous résoudre à nous battre contre un compatriote et un ami nous le laissâmes partir. Où est-il en ce moment même ? Nul ne le sait.

-       Mon fils… se lamenta Wilbur. Mon héritier…Disparu ?

-       J’en ai bien peur messire, confirma Imladas.

-       C’est une tragédie pour ma Maison. Mon fils ainé est dans vos geôles, Sire, et mon second et héritier, disparu. De grâce, Votre Majesté, rendez-moi mon fils. Libérez Duncan. Cela fait cinq ans déjà.

-       Et c’est bien peu pour ce qu’il a fait, intervint Dalger. Il a failli déclencher une guerre avec Drastan à lui tout seul. La nouvelle de sa libération ne fera qu’attiser la colère du Seigneur de l’Est.

-       Pour préserver le Royaume quelques semaines, que dis-je, quelques jours supplémentaires, vous serez prêts à sacrifier ma Maison ? Sire, de grâce !

-       De quoi parle-t-il ? demanda Soldoban.

-       Nous avons reçu plusieurs rapports d’éclaireurs, lui répondit son père. Le Pont du Sud de l’Eriol n’est plus défendu et il y a fort à parier que Drastan se prépare à nous attaquer. La guerre est à nos portes.

-       Et ne nous les gardons pas assez ! fit Wilbur. Renforçons les frontières.

-       Encore ? s’indigna Kaurad. Nous avons déjà beaucoup diminué les patrouilles intérieures et bientôt il faudra choisir : nos villes ou nos routes. En renforçant encore l’armée aux frontières, il nous sera obligé de dégarnir les garnisons de nos villes.

-       Qu’attendons-nous ? répliqua Wilbur. Si nous arrêtons Drastan à nos frontières, il n’est nul besoin de défendre nos villes.

-       Le Marquis Korventen marque un point, admit Dalger, de plus le Seigneur de l’Est ne peut pas faire de mouvement d’armée sans être assez vite repéré par nos éclaireurs. Si l’armée défend les frontières de manière efficace, nous aurons non seulement le temps de la rassembler là où Drastan frappera mais en plus, nous pourrons lever le ban et l’envoyer en renfort à temps.

-       Personne n’y voit d’objection ? demanda le Roi et attendit une minute avant de continuer. Alors c’est décidé, la garnison des villes sera réduite et envoyée aux frontières du Royaume. Bien sûr, cela concerne uniquement l’Armée Royale, le ban n’est pas convoqué et les seigneurs n’ont nul besoin d’envoyer leurs hommes d’armes s’ils n’en voient pas l’utilité.

-       Sire, la question de mon fils est restée en suspens.

-       Comme l’avait remarqué Maréchal Dalger, répondit le souverain, la nouvelle de sa libération pourrait mettre le feu aux poudres, aussi il sera placé sous surveillance. Duncan Korventen ne pourra pas sortir de l’enceinte de la ville haute de Callaven et sera tout le temps placé sous escorte, par vos propres hommes Marquis.

-       Votre Majesté est trop bonne, le remercia Wilbur.

-       La séance est levée, déclara Ingald. A nos trois capitaines de retour au pays, bon retour dans vos fiefs familiaux. Vous avez bien mérité une permission. »

Ingald devait être, comme le souhaitait le protocole, le dernier à partir, étant situé le plus loin de la porte. Ce fut le Maréchal Dalger qui sorti en premier de la salle, les nouveaux ordres à donner à l’Armée Royale impliquait qu’il devait se mettre au travail sans plus attendre. Il fut suivit par le Marquis Wilbur qui dû aller voir son fils Duncan pour lui annoncer la nouvelle de sa libération conditionnelle.

Ensuite les autres Pairs suivis de leurs fils respectifs sortirent de la salle. Chacun avait beaucoup à raconter, car les trois capitaines qui étaient revenus avaient bien changé par rapport à ceux qui avaient quitté le Royaume.

Comme à son habitude, Imladas ne tarda pas à faire part à son père Théodrim des différentes situations cocasses qu’ils avaient vécu et, comme le Comte Sandorn avait le rire facile, tous entendaient ses éclats dans les couloirs du Palais Royal.

Tibérion sentait bien que son père Kaurad grinçait des dents à chaque fois qu’il entendait son rival rire. Lui expliquer comment il en était venu à apprécier ce compagnon d’aventure qu’était Imladas n’allait pas être chose aisée. Il fallait aussi qu’il lui avoue qu’il n’avait nullement l’intention de se marier avec les jeunes filles que son père entendait certainement lui présenter mais qu’il souhaitait épouser une jeune femme de Rabougnal. Aussi pour le moment, Tibérion préféra garder le silence et attendre de revenir à Montmer, le fief familial pour commencer à expliquer tout ceci à son père, en douceur.

Cuthbert Aronberg, se montra très vite curieux des aventures de son fils, et celui-ci avait également quelques questions à lui poser et surtout sa fiancée à lui présenter. Il n’avait pas le choix de reporter cette rencontre, Al’Ivna attendant à la porte du Palais. Bizarrement l’annonce qu’il avait rencontré quelqu’un ne surprit pas le Comte Aronberg, cela lui arracha au contraire un sourire. Une fois face à face, Al’Ivna sembla lui plaire car, tout sourire, Cuthbert la traita comme une princesse selon les coutumes elfes.

Il a dû les apprendre au contact des colons elfes vu la proximité de notre Comté avec la frontière, supposa Soldoban.

Ils partirent le soir même pour Alhorée, la demeure des Aronberg depuis des générations, aux bords de la grande forêt qui marque la frontière avec la colonie elfe.

Ainsi il ne resta que le Roi dans la salle du conseil. Seul avec la missive que lui avait écrite son neveu et héritier. Lorsqu’il avait su que l’ambassade rentrait sans le Prince, il fut extrêmement déçu. Il voulait revoir son héritier, sa seule famille depuis qu’il avait dû exiler Morwind, son frère cadet. Plus que jamais depuis la mort de sa femme et de son fils, Ingald se sentait désespérément seul. Il se souvenait encore de ses discussions avec l’Empereur Mogueras sur la solitude du pouvoir. A l’époque, il avait mis ces divagations sur le fait que le souverain de l’Empire venait d’apprendre sa stérilité, mais aujourd’hui celles-ci se révélaient pleines de sens.

Peut être qu’au final l’Archiduc Morwind avait raison, son état ne lui permettait pas de gouverner correctement, peut être qu’il valait mieux qu’il abdique en faveur de Belenor, plus jeune, plus vigoureux. Ses yeux se posèrent alors sur la missive, elle contenait sûrement des informations que le Prince n’avait pas confiées à ses capitaines et qu’il ne voulait pas ébruiter. Ingald défit alors le cachet de cire représentant un faucon et il se mit à lire.

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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 16:40
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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 23:32

XXIII

Le secret de la famille impériale

L

orsque Belenor se réveilla, il lui semblait qu’il venait juste de fermer les yeux. Pourtant il était de retour à l’Académie, allongé sur le lit de sa cellule, et il faisait nuit noire. Ses membres étaient engourdis et se dérobèrent sous lui lorsqu’il essaya péniblement de se mettre debout.

Désormais assis sur son lit, incapable de sortir de la pièce, il se mit à rassembler les bribes de souvenirs qui lui revenaient peu à peu. L’incompréhension qu’il avait eue en recevant la lettre de feu sa Sainteté l’Empereur Mogueras. La coupe de vin qui avait gelé entre ses mains. Cette même coupe qui, un instant brisée, se retrouvait comme neuve l’instant suivant. Puis, plus rien. Le néant.

L’Archimage Kerneli devait pouvoir répondre à ses questions, lui expliquer au moins les phénomènes bizarres qui avaient eu lieu. Malheureusement, il ne pouvait pas encore sortir de la pièce.

N’ayant aucune envie de se rendormir maintenant – il avait l’impression d’avoir dormi plusieurs jours sans discontinuer ! – Belenor passa un long moment seul avec lui-même.

Au bout d’un moment, il songea à appeler quelqu’un, les questions sans réponses l’exaspéraient mais, justement, quelqu’un ouvrit la porte, inondant la pièce de lumière. Belenor dû attendre que ses yeux s’habituent à la nouvelle luminosité pour reconnaître le nouvel arrivant : Charles de Rembrunt.

« Belenor, s’exclama-t-il, tu es réveillé ! Je dois tout de suite prévenir Maître Kerneli.

-       Attends ! » l’implora le Prince mais l’Apprenti avait déjà filé.

Il n’eut pas à attendre longtemps avant d’entendre des pas qui se rapprochaient de sa cellule. Rapidement donc, la lumière revint mais le choc fut moins rude que la première fois et il put assez vite voir que Charles était revenu avec Kerneli. Ce dernier s’approcha, toucha de la main le front du Prince et le força à s’aliter

«  Cela me fait plaisir de te voir enfin conscient, dit Kerneli après un moment de silence. Je dois t’avouer que j’ai par moments cru que tu ne te réveillerais jamais.

-       Allons, Maître Kerneli, répliqua Belenor, je suis sûr que vous avez déjà vu des malades se relever de l’inconscience après quelques jours.

-       Quelques jours oui, mais je dois avouer que c’est la première fois que je m’occupe d’un inconscient qui se réveille au bout de trois mois.

-       Trois mois ? Vous plaisantez !

-       Il dit la vérité, Belenor, intervint Charles.

-       Que m’est-il arrivé ?

-       Après avoir passé les barrières de l’Académie, ton Don n’était plus entravé, expliqua Kerneli. Je l’avais anticipé, bien entendu, et je pensais que tu en profiterais pour l’utiliser pour t’en aller d’ici. C’est pourquoi je me suis imposé pour t’accompagner. Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’est que, pendant ton séjour ici, malgré les barrières, ton Don continuait à acquérir et copier les Dons des autres. La seule limite semble être la stabilité du pouvoir, ainsi tu n’as pu utiliser que les Dons de Mages confirmés ou d’Apprentis proches de le devenir.

-       Je n’ai fait que geler du vin et reformer une coupe brisée si tous les événements bizarres qui ont eu lieu sont de mon fait.

-       Les seuls que tu aies vus. A l’extérieur du bureau de l’Impératrice, c’était, et tu me pardonneras l’expression, "un sacré bordel". J’ai pu reconnaitre les Dons de plusieurs Mages. Le plus étonnant est que, pour certains d’entre eux, tu n’as pu les croiser qu’un court instant. Ton Don est vraiment très particulier.

-       Pourtant, notre première rencontre, dans la bibliothèque de Callaven, fut très courte et j’y ai acquis votre Don.

-       Peu être que c’était la première fois que tu me voyais mais moi je t’ai croisé de nombreuses fois auparavant. Ton oncle, Sa Majesté le Roi Ingald est un ami de longue date.

-       Si vous le dites. Comment se fait-il que je sois resté inconscient si longtemps, l’effet des barrières n’aurait-il pas dû affaiblir mon Don et me permettre de me remettre assez vite ?

-       Oui, en théorie c’est ce qu’il aurait dû se passer. Il faut croire que les barrières ont eu pour effet de diminuer ton Don suffisamment pour t’arracher à la mort. Tu as apparemment acquis énormément de pouvoir en venant ici. Ton esprit n’est pas encore assez fort pour maîtriser tout cela. Nous avons dû prendre des mesures.

-       Quel genre de mesures ? s’inquiéta le Prince.

-       Regarde autour de ton cou. »

Belenor remarqua alors qu’il portait un collier de chaînes avec, au milieu, un aigle d’or prenant son envol accompagné d’un faucon argenté. Drôle de symbole pour un Acciprides dont l’emblème est justement un aigle d’or encore plus pour Belenor dont l’emblème personnelle était un faucon d’argent.

«  C’est un Sceau, expliqua Kerneli. Il agit comme les barrières de l’Académie mais sur toi seul et en plus puissant. Cet artefact prend une forme différente selon le porteur. Il semble que la tienne est naturellement celle de ta famille.

-       Cela veut-il dire que je suis totalement coupé de mon Don ?

-       Normalement, un tel Sceau coupe un Mage de ses pouvoirs, mais j’ai de plus en plus tendance à croire que tu n’es pas normal. C’est à toi de nous montrer jusqu’à quel niveau ton Don est réduit. »

Au fil du temps, Belenor avait pris l’habitude de faire appel à son Don sans vraiment y penser. C’était devenu naturel, comme bouger un bras ou respirer.  Il regarda autour de lui et vit une chope de bois posée sur un tabouret à côté d’un broc d’eau. Il voulut attirer la chope à lui, sans se concentrer énormément, il lui sembla qu’elle bougea un peu. Il la regarda alors intensément et, comme Siougrev le lui avait appris – il y avait si longtemps lui semblait-il – il visualisa une flamme dans son esprit et y déversa toutes ses émotions pour amplifier son pouvoir. Alors seulement la chope bougea et rejoint sa paume ouverte. Dans le même temps, l’aigle d’or du Sceau brilla d’une intense lumière.

«  Incroyable ! s’exclama l’Archimage. Même en considérant ton fort potentiel, je ne t’imaginais pas capable de faire appel à ton Don aussi simplement.

-       Ce n’est pas aussi simple qu’auparavant. J’ai dû me concentrer plus et c’est plus fatiguant.

-       Cela reviendra avec le temps. Peut être qu’au final tu seras obligé de suivre les cours comme les autres Elèves.

-       C’est une plaisanterie, j’espère. Je dois assister au Grand Conseil à Dunnastell.

-       L’Impératrice me l’a dit. Néanmoins, tu ne peux pas, dans ton état actuel quitter l’Académie et te passer de la protection que nous t’offrons. Il faut t’entraîner et reprendre des forces. Ton voyage doit attendre.

-       En parlant de voyage, votre femme est-elle ici ? Ou un autre Voyageur ?

-       En plus de vouloir partir le plus vite possible, tu veux que le trajet soit instantané, se moqua gentiment Kerneli. Ton impatience finira par te jouer des tours.

-       Cela me dépasse et vous aussi ! Ce sont des affaires d’Etat !

-       Allons, allons. Je t’assure que Jeanne sera présente lorsque tu seras prêt. Repose-toi maintenant, sinon ton rétablissement n’en sera que plus long. »

*

* *

Les premiers jours de convalescence furent très durs, Belenor ne pouvait rester consciente que quelques heures d’affilée. Cela lui rappelait douloureusement le début de son année passée à Vessala. L’Archimage Kerneli affirmait que, dans son cas, utiliser son Don sans savoir le contrôler entraînait une grave anémie. Ce qui était néanmoins préférable à la mort foudroyante, comme cela arrivait à de nombreux mages désireux d’augmenter leur pouvoir.

Lorsqu’il pu enfin se lever, ses jambes ne le soutenait pas fermement et il devait se reposer sur une canne, tel un vieil homme alors qu’il n’avait que vingt-deux ans !

Comme le lui avait prédit Kerneli, il s’était résigné à suivre les cours, comme les autres Elèves. Pas tous, encore heureux, car son état ne le lui permettait pas. Cela ne le dérangeait pas, Belenor pouvait ainsi choisir les cours auxquels il assistait.

Quand il n’était pas en classe, le Prince passait beaucoup de temps avec l’Apprenti Charles de Rembrunt qui avait un emploi du temps beaucoup plus souple. Leurs discussions, sur les fondements des Arcanes, les théories de la technique magique auxquelles Charles se prédestinait, étaient longues et beaucoup plus intéressantes et complètes que les cours sur les mêmes sujets dispensés aux Elèves.

Peu à peu, Belenor reprenait des forces. Lorsque, pour la première fois depuis son réveil – environ six semaines plus tard – il alla à la Bibliothèque, il pouvait enfin passer des journées à un rythme normal – moins de douze heures de sommeil par jour – et il marchait presque normalement. Bientôt, il l’espérait, sa canne ne lui serait plus indispensable.

Malgré sa curiosité de savoir ce que lui avait légué l’Empereur Mogueras, Belenor avait attendu d’être capable de se concentrer assez longtemps pour se rendre à la Bibliothèque. Il se doutait d’avance que la référence que feu l’Empereur lui avait léguée se trouvait dans une section interdite aux Elèves et il se préparait donc à affronter – verbalement – la bibliothécaire.

«  Bonjour que puis-je faire pour vous ? commença poliment la vieille elfe quand il poussa la porte. Ah ! Acciprides, ça faisait longtemps que tu n’étais pas venu, continua-t-elle beaucoup plus froidement. Que veux-tu ? Je te préviens tout de suite malgré tout ce qui t’est arrivé, tu restes un Elève à mes yeux. Aucun passe-droit.

-       Je comprends bien, Madame, les Elèves ont des droits limités par le règlement de l’Académie.

-       Contente de te l’entendre dire.

-       Néanmoins vous ne sauriez refuser à un représentant de Sa Majesté Impériale, Dunvainwen de Moganris, un accès total à vos archives, répliqua-t-il avec un grand sourire en lui montrant le sauf conduit impérial.

-       Où as-tu volé cela, Acciprides ? »

Ignorant l’insulte, le Prince lui montra la référence qu’il cherchait :

«  Je dois consulter cet ouvrage, pouvez-vous me l’indiquer ?

-       Jeune insolent ! fit-elle en prenant rageusement le bout de parchemin. C’est la section réservée aux affaires diplomatiques. Je connais bien cette référence, je peux te la montrer sans soucis.

Flairant le piège de ce changement d’attitude si soudain, Belenor demanda :

«  L’ouvrage n’existe plus c’est cela ? Il a été volé ? Ne me menez pas en bateau, cela provient du testament de l’Empereur.

-       Il y a des rumeurs comme quoi il avait beaucoup d’humour, visiblement il ne l’a pas perdu même quand il écrivait son testament. Suis-moi. »

Intrigué, car il était sûr que quelque chose ne collait pas, Belenor lui emboita le pas. L’humour de l’Empereur Mogueras était devenu légende dans les familles nobles, tant d’hommes se laissaient gagnés par l’apathie lorsqu’ils étaient au pouvoir, submergés par des problèmes urgents lorsqu’ils n’étaient pas urgentissimes. Pourtant pourquoi faire une plaisanterie dans son testament à Belenor qu’il n’avait jamais rencontré. Cela n’avait pas de sens. Mogueras affirmait que Moriannor avait eu accès à ces documents et qu’en les lisant il comprendrait les motivations du Seigneur de Drastan. Si c’était une plaisanterie, elle était vraiment de mauvais goût.

La bibliothécaire l’emmena jusqu’à la section concernée – que Belenor avait déjà consultée sans pouvoir beaucoup s’y consacrer, faute de temps – et continua vers une pièce un peu en retrait, fermée par grille. L’elfe la déverrouilla et alla chercher le livre en demandant à Belenor de rester à l’entrée. Elle ressorti avec un livre peu volumineux qui ressemblait un peu à des notes tant les feuilles semblaient reliées rapidement.

«  Les Mémoires d’Imberich, Troisième Empereur, annonça fièrement la vieille dame, en posant le livre sur une table de lecture. Amuse-toi bien. »

Une question fulgura soudain dans l’esprit de Belenor :

«  Qui est la dernière personne à être entré dans cette petite pièce ?

-       Un Apprenti, aujourd’hui Mage.

-       Les Apprentis ont-ils le droit de pénétrer dans cette partie réservée de la Bibliothèque ?

-       Normalement non, mais, contrairement à toi, cet étudiant était particulièrement sympathique et consciencieux. Il s’intéressait de près aux affaires de l’Empire et à la politique en général. Lorsqu’il me demandait de consulter un livre qui se trouvait dans cette section, je lui laissai la pièce ouverte toute la journée.

-       Comment s’appelait-il ?

-       Cela fait quelques années maintenant. Je crois me souvenir qu’il se prénommait Moriannor, il venait de Drastan, je n’ai jamais su son nom de famille.

-       Vous rendez-vous compte qu’à cause de votre laxisme, une guerre ouverte est déclarée entre Drastan et Sipar ?

-       C’est exactement pour cela que je ne te laisse pas l’accès à cette pièce, tu es trop désagréable. Heureusement que le livre que tu veux est tellement vieux que tu n’en tireras rien, car sinon je t’aurai pas laissé le consulter. Bonne lecture. »

Brusquement, la bibliothécaire lui tourna le dos et s’en fut, il l’avait mise en colère. Après tout il y avait de quoi, un jeune homme lui fait un peu de charme et elle lui laisse l’accès aux archives impériales. Pourtant Belenor imaginait qu’elles devaient être bardées de protections en tout genre pour ne pas être consultés. Comme le livre qui était posé sur la table, vu ce que la vieille elfe en disait, il n’y avait rien à en tirer.

Sans plus attendre, le Prince l’ouvrit en plein milieu. Il n’y avait rien d’écrit, toute la page était blanche. Il feuilleta un peu, il n’y avait aucune écriture. Rien.

Une protection surement. Si l’Empereur lui avait donné la référence de ce livre, il devait avoir les moyens de lire son contenu. Il revint à la première page, il y avait une phrase d’écrite :

Par mon sang mes Mémoires ont été scellées, seul lui pourra les révéler.

 

La voilà la protection. Seul le sang d’Imberich permettait de lire ses Mémoires. Le sort devait laisser également les membres de la famille impériale lire le livre. Malheureusement pour Belenor, il n’était ni l’Empereur Imberich, ni un membre de la famille impériale. Piégé. Le testament impérial devait être incomplet. La vieille bibliothécaire avait finalement raison, il ne tirerait rien de notable de ce livre.

Désemparé, il réfléchissait en pianotant des doigts sur la page du livre. Que faire ensuite ?

Aller représenter Callaven au Grand Conseil, il devait toujours délivrer à Ascadon le nom de l’héritier et ainsi assurer une descendance officielle à Mogueras.

Retourner à Callaven, revoir le Roi Ingald et lui demander conseil, Belenor en avait bien besoin, il y retrouverait aussi ses capitaines Soldoban, Tibérion et Imladas.

Retrouver Fildar qu’il n’avait pas revu depuis Karrog.

Revoir Dématris.

Plus que tout autre, cette pensée revenait encore et encore à lui, il devait la revoir, assister à son accouchement qui ne devait plus tarder maintenant. Il avait peur de ne pas voir naître son enfant tant il lui restait de choses à faire et si peu de temps.

En tous les cas, il n’avait pas le temps de rester ici, à l’Académie.

Alors qu’il s’apprêtait à se lever, il remarqua que son pianotage intensif sur la première page du livre avait laissé des traces. A première vue, cela ressemblait à de petites tâches comme les vieux livres en avaient souvent. Cependant en s’y reprenant à deux fois, Belenor distingua des caractères, des lettes, mais elles s’estompaient peu à peu.

"Il n’y a rien à perdre", pensa-t-il en regardant sa main gauche.

Il s’entailla un peu le majeur de celle-ci à l’aide de l’embout métallique de sa plume et laissa tomber une goutte de sang sur le livre. Le résultat ne se fit pas attendre. La page sembla boire la goutte de sang et, immédiatement, la page se couvrit de lettres qui s’organisaient en mots, phrases et paragraphes. Surpris, Belenor se remit rapidement et commença sa lecture :

Félicitations, vous avez résolu ma petite énigme. Vous êtes donc de mon sang, l’un de mes descendants ou alors vous êtes un mage capable de briser les sorts les plus complexes de mon époque.

Je préfère vous considérer comme étant de mon sang.

Ni moi, ni personne ne peut à l’heure où j’écris savoir ce qu’il restera de l’Empire, de mon nom lorsque vous lirez ces lignes. J’imagine que ma contribution la plus notable à mon temps est l’abolition de l’esclavage dans l’Empire et s’il existe encore, vous connaissez peut être mon nom.

En vérité, vous apprendrez en lisant ces lignes que l’Histoire Impériale est loin d’être complète, en effet, de nombreux événements sont – et doivent rester – cachés à la population, pour son bien, pour éviter de nombreux troubles. Moi-même, ce que j’écris ici, je ne peux le révéler à un tiers et il en ira de même pour vous. Scellées, ces informations ne peuvent être partagées qu’avec un autre de mon sang, le vôtre, qui a également lu ces lignes.

 

Je suis Imberich, premier du nom et Troisième Empereur. L’Empire, tel que je le connais aujourd’hui, n’a malheureusement pas la grandeur de mon prédécesseur, Logarn II, mon grand-père et Second Empereur. D’ailleurs, lui-même avait perdu des parcelles de celui de Logarn I Le Conquérant.

L’Empire du Conquérant était vaste, très vaste et seul son caractère légendaire et son génie de la stratégie et de la politique garantissait la cohérence de son immense territoire. Dès sa mort, son successeur eu dû mal à en garder les rênes. Il y avait trop de cultures et de peuples différents.

Très vite, les provinces d’Halden la Grande, au Nord de la capitale, Sipar, et de Entyr au Sud, par delà le Désert se soulevèrent. Mon grand-père, Logarn II, lutta tant que lui permettait les ressources de l’Empire, mais les deux rebellions étaient simultanées. Bien que les troupes impériales fussent, en quantité et en qualité, bien supérieures à celles des rebelles,  l’Empire finit par accepter l’indépendance des deux provinces.

Ainsi naquirent le Septentrion et la Tropilis. Ces deux Royaumes restaient très liés à l’Empire car Logarn II avait durement négocié les termes de la paix et de l’indépendance. La Couronne du Septentrion alla à la famille Palatine qui avait été bien plus modérée lors de la rébellion que les meneurs de celle-ci, les El’Korgas. En revanche, à Entyr, ce furent les instigateurs, les Alameïn, qui obtinrent la suzeraineté. L’Empereur avait en effet arrangé le mariage de sa jeune sœur Elisa avec l’aîné des Alameïn.

Ces deux accords assurèrent, et assurent encore, la paix entre ces trois peuples.

Ce ne fut pas la plus grande crise que l’Empire ait connue. La succession de mon grand-père fut particulièrement difficile. Le port de la Couronne Impériale offre une vie longue, néanmoins, les Mages assurent qu’elle n’est pas éternelle. Il est donc normal qu’elle attise les convoitises de tous les prétendants au Trône.

Vous n’êtes pas sans savoir, j’en suis sûr, les règles qui régissent la passation de pouvoir. Nous suivons la règle de la primogéniture masculine. Celles-ci sont assurées par des Mages Guérisseurs qui protègent l’Héritier jusqu’à ce qu’il arrive à majorité et engendre un fils. Ils aident également pour que le premier né soit un garçon. Si un deuxième garçon nait, la magie entourant les artefacts du pouvoir l’empêche de l’exercer. Ainsi l’Héritier et lui seul est reconnu, les autres sont obligés de quitter la famille impériale et de renoncer irrévocablement à leurs droits sur le Trône. Cela efface également de leur mémoire et de la mémoire collective leur appartenance à la famille impériale.

Toutes ces règles, je les ais mises en place pour éviter la catastrophe que fut mon accession au Trône. La question ne s’était pas posée avant car mon grand-père était le dernier descendant mâle du Conquérant qui avait vécu près de cent ans. Logarn II vécu près de cent-vingt ans et mon père fut enterré avant lui.

 

Nous étions quatre frères : l'aîné Childéric, moi-même, Guillmarc’h et Cynan, les benjamins jumeaux. Bien sûr, notre frère aîné était naturellement désigné pour le Trône. Pourtant, Childéric, en grandissant, ne mûrissait pas beaucoup, le temps passé auprès de notre père puis, lorsque celui-ci trépassa, auprès de l'Empereur vieillissant semblait l'ennuyer et l'exercice du pouvoir ne l'intéressait pas. Il préférait, de loin, se retirer dans son fief, la forteresse de Karrog, où une colonie de monstres volants, des Dakharts, avait été découverte. Childéric voulait les apprivoiser et en faire des montures de guerre comme des chevaux mais avec la puissance des airs tels les anciens Dragons aujourd'hui disparus.

Mes deux autres frères et moi voyions d’un très mauvais œil son accession au Trône. Surtout les jumeaux qui, plus jeunes et immatures avaient soif de pouvoir. Childéric n’aurait pas su être suffisamment fort pour assurer l’unité impériale.

Nous nous étions concertés et l’idée de devenir les des plus proches conseillers d’un Empereur offrait une position très avantageuse et puissante, d’autant plus si le dirigeant était désintéressé comme notre ainé. Ils se sont vite rangés à ce projet plutôt que de s’enterrer dans la gouvernance de leurs fiefs respectifs. Moi-même, j’aspirais à cela d’autant plus que, si par malheur, Childéric n’enfantait pas c’aurait été mes descendants qui lui succéderaient.

Malheureusement, mes projets tombèrent à l’eau.

 

Depuis longtemps, Childéric avait été promis à la Princesse Isabelle de Dollovan. Il ne l’aimait pas alors que la rumeur ne cessait de vanter ses charmes. Le fait est qu’au cours de l’une des ses retraites à Karrog, il rencontra Fran Vanim, fille d’un berger et ils tombèrent éperdument amoureux l’un de l’autre. Jeune et rêveur, Childéric, le Prince Impérial nourrissait le projet de l’épouser, elle, une roturière sans noblesse ! S’il l’avait prise comme maîtresse, quoique déshonorant pour une personne de son rang de s’enticher d’une femme du bas-peuple, tout cela n’aurait rien eu d’officiel et l’honneur de la famille impériale aurait été sauf.

Notre père s’y serait opposé, bien sûr, s’il l’avait su mais Childéric n’étant pas fou, il ne le lui avait pas révélé. Lorsque notre père mourut, un an avant le trépas de Logarn II, Childéric devint le chef de la famille impériale après l’Empereur. Il avait les mains libres et son projet allait se réaliser alors que la santé de l’Empereur se dégradait.

Il demanda officiellement la main de sa bien-aimée à son père, un paysan. La dot qu’il pouvait offrir pour sa fille était ridicule. Que pouvait-il offrir, le rustre, lorsque le prétendant avait déjà tout ?

Je ne sais plus exactement comment elle le sut, mais lorsque ce fut le cas, la Princesse de Dollovan, déshonorée, voulut rencontrer l’Empereur. Ce fut à cette occasion que nous nous rencontrâmes, Isabelle et moi. Sa beauté, tant vantée, n’était pas qu’une flatterie et je me demande en pourquoi mon frère lui préférait Fran, sa pauvre paysanne.

Logarn II, malgré sa vieillesse, fut pris d’une ire similaire à celles qui l’animaient lorsqu’il était encore jeune et qui lui permirent quelques coups stratégiques ou politiques audacieux. Celle-ci fut la dernière.

Il voyagea jusqu’à Karrog, le Princesse et moi l’accompagnions. Mes deux autres frères étaient dans leurs fiefs et ne purent nous rejoindre à temps. Childéric fut très surpris de voir ainsi une partie de la cour de Sipar se présenter devant sa forteresse. Il m’a avoué, bien plus tard, qu’il croyait que nous venions célébrer son mariage en grande pompe. Cette naïveté lui coûta très cher car il accueillit l’Empereur furieux à bras ouverts alors que celui-ci allait durement le réprimander.

Childéric voulut absolument nous montrer comment se déroulait le dressage des Dakharts. Sa paysanne était là, avec l’un des jeunes monstres volants. Je dois avouer qu’elle était en effet très belle de corps mais cela ne suffit pas à mon avis à faire une femme de société, encore moins une Impératrice. Elle fut surprise de voir l’Empereur alors que lui, en bon politicien, en profita pour la questionner pendant qu’elle n’avait pas érigé de barrières.

Je ne me souviens plus exactement à quelle question elle perdit totalement ses moyens mais alors le jeune Dakhart échappa à son contrôle. Peut-être que le ton de l’Empereur ne lui plaisait pas et l’avait énervé. En tous les cas, le monstre se retourna contre sa jeune maîtresse et mordit la paysanne à l’épaule droite et lui arracha le bras. Malheureusement pour elle, toute morsure de Dakhart est mortelle de part le poison qu’ils sécrètent. Ainsi, malgré les efforts du guérisseur qui accompagnait Logarn II, Fran succomba dans les heures qui suivirent.

Lorsque tout espoir de la sauver fut perdu, Childéric entra dans une colère noire. Il chassa de force l’Empereur et sa cour de son domaine et s’enferma dans sa forteresse.

Je fus très surpris qu’il ait, par la suite, continué à dresser les Dakharts pourtant, lorsque, bien plus tard, il sortit de sa retraite, il vint me voir sur le dos d’un des ces monstres. Devenu philosophe il disait qu’il sentait la présence de Fran à ses côtés dans l’air lorsqu’il volait. En vérité il avait découvert ce que ses disciples appellent aujourd’hui "la Voie de l’Air" qui permettait d’atteindre de hauts niveaux de spiritualité.

Tout cela, ainsi que la fondation de l’Ordre des Chevaliers Ailés, fut postérieur aux événements qui aboutirent à mon accession au Trône Impérial, aussi nous y reviendrons plus loin.

Nous fûmes donc chassés du domaine de mon frère. Ce qui ne fut pas pour arranger l’humeur de mon grand-père et le voyage de retour à Sipar sembla interminable.

Au final, la Princesse Isabelle avait sauvé son honneur et son mariage avec Childéric pouvait avoir lieu. Malgré tout, elle m'avoua, lors du voyage, qu'elle pleurait la mort de la paysanne car elle avait pu voir l'amour qui habitait alors mon frère. Elle se désespérait de ne jamais connaître cela. C'est pourtant le drame des familles régnantes, on se marie par intérêt et s'il on y trouve le bonheur c'est un plus mais on doit souvent faire sans. Je pense que c'est lors de ce voyage de retour à la Capitale que je compris combien je risquais d'être seul. J'appréciais beaucoup Isabelle mais elle était promise à mon frère. C'est donc avec une tristesse non feinte de nous séparâmes lorsqu'elle rentra chez elle.

Quelques semaines plus tard, Logarn II décéda naturellement, dans son sommeil. Techniquement, à partir de ce moment, Childéric était Empereur et devait être sacré.

Mes frères, le Surintendant de Sipar – qui garantissait le protocole et expédiait les affaires courantes pendant la vacance – et moi allâmes à Karrog pour annoncer la nouvelle et emmener le nouveau monarque à Bonnenbourg pour son Sacre.

Childéric ne voulut pas nous recevoir et son Chancelier nous informa officiellement qu’il renonçait pour lui et ses descendants au Trône Impérial, qu’il brisait ses fiançailles avec Isabelle de Dollovan et qu’il proclamait Karrog comme une province autonome.

Par cette décision, il faisait de moi le nouvel Empereur, mais mes frères ne l’entendaient pas comme cela. Ils souhaitaient depuis toujours être indépendants, jouir d’un peu de pouvoir. Childéric aurait été un dirigeant coulant, plus enclin à leur laisser de l’autonomie que moi. Et ils le savaient. Ils s’étaient mis d’accord pour faire sécession en même temps comme le Septentrion et la Tropilis au début du règne de notre grand-père.

 

Bien sûr, je ne savais rien de ces projets. Je fus rapidement reconnu Empereur par les officiels de Sipar et j’allai donc à Bonnenbourg, fief de mon frère Guillmarc'h pour le Sacre. Ce dernier me refusa l'entrée dans la ville et annonça qu'il se ne me reconnaissait pas comme son suzerain. Il se rebellait et voulait créer un Etat indépendant. Je reçu peu après un message de Dunnastell - fief de Cynan - qui avait la même teneur.

Furieux, dès que je fus rentré à Sipar, je convoquai le ban pour lutter contre les rebelles. Ainsi, je pouvais jauger la loyauté de mes vassaux. Les pairs d’Empire, membres du Conseil Impérial n’étaient pas tous derrière moi, à mon grand désarroi. L’Archiduc de Redenn, la Duchesse de Rabougnal, le Grand Archimage de l’Académie et le Prince de Dollovan – le père d’Isabelle – m’avaient rejoint. En revanche les Archiducs de Callaven et de Drastan s’étaient rebellés. Alors que le premier rejoignit Guillmarc’h à Bonnenbourg, le second alla avec Cynan à Dunnastell.

Ces deux désaveux me mettaient dans un grand embarras : Guillmarc’h se retrouvait avec tout l’Ouest et le Sud de l’Empire tandis que Cynan contrôlait quasiment tout l’Est de l’Eriol, mis à part mon fief d’Ilshter au Nord-est.

Pour renforcer ma position, je demandai la main d’Isabelle de Dollovan qui croulait sous les propositions depuis que Childéric avait rompu ses fiançailles avec elle. Non seulement cela m’assurait la fidélité de son père mais également celle de son frère ainé, le Prince Robert de Dollovan qui était un grand ami de Guillmarc’h. Il était alors contraint  de rester à mes côtés.

La disposition initiale de mes forces ainsi que celle des mes alliés laissait penser que j’allais logiquement m’occuper en priorité de Guillmarc’h et ensuite de Cynan.

Ainsi alors que le premier avait bien préparé ses défenses, prêt à soutenir de longs sièges dans ses places fortes, le second s’était organisé pour harceler mes arrières. La stratégie que j’ordonnai était audacieuse et extrêmement risquée : nous allions attaquer Cynan et prendre Dunnastell par surprise.

Mon armée rencontra celle de Cynan juste après avoir franchi l’Eriol. Grâce à la surprise, la victoire fut éclatante et nous évitâmes un bain de sang. Peu après, devant la citadelle de Dunnastell, je me réjouis de voir que mes suppositions étaient justes, la place forte était presque vide. Malheureusement, il s’agît là d’une des plus puissantes forteresses de l’Empire et même un tout petit contingent peu infliger de lourdes pertes à une grande armée. C’était la situation dans laquelle nous nous trouvions. Le siège risquait d’être soit très long, soit très coûteux en hommes et nous commencions à recevoir des rapports inquiétants de l’Archiduc de Redenn : Guillmarc’h s’approchait de la Redenn pour l’assiéger.

Je n’avais donc pas le temps d’assiéger "tranquillement" Dunnastell, il fallait en finir, vite et avec le moins de pertes possible. Je fis alors un choix dont je questionne encore la légitimité. Je demandai à l’Archimage de Terre qui m’accompagnait de m’aider à prendre la ville et éviter un assaut difficile et sanglant.

L’utilisation des Dons dans les batailles était proscrite, l’art de la guerre étant soumis à de nombreuses règles et la magie n’en faisait pas partie. Le fait est qu’un affrontement entre Mages pouvait devenir un immense massacre.

L’Archimage, acquis à ma cause, accepta néanmoins et il fit littéralement sauter les portes de la ville. La surprise fut totale et le désespoir des défenseurs immense. La citadelle tomba sans beaucoup de combats.

Malheureusement, Cynan étant alors à Drastan, je ne puis mettre la main dessus. Sa place forte principale était tombée et une bonne partie de son armée vaincue, si j’avais pu continuer vers la grande cité de l’Est, il aurait été vaincu. Ce furent les alertes de Redenn qui m’en empêchèrent, m’obligeant à me tourner vers l’Ouest.

En fin tacticien qu’il était, je savais que Guillmarc’h serait informé dès que mon armée franchirait l’Eriol. Il retirerait alors en partie la sienne du siège pour préparer ses défenses à Bonnenbourg. Il faut toujours surprendre à la guerre et nous marchâmes alors vers la ville du Sacre.

Une fois devant les murs de la cité côtière, nous tardâmes à nous rendre compte qu’elle n’était pas si défendue que cela. Le gros des forces de Guillmarc’h était resté assiéger Redenn. Je m’étais trompé. Encore une fois je mis le Don de l’Archimage de Terre à contribution et la ville tomba en peu de temps. Pourtant nous avions déjà trop tardé.

La ville prise, il fallait affronter Guillmarc’h à Redenn. Lorsque nous atteignîmes la ville, le spectacle qui s’offrit à nos yeux fut des plus désolants. L’armée que mon frère avait rassemblée était grande, presqu’aussi nombreuse que la mienne à en juger par la taille du campement autour de la cité. Cette dernière avait durement souffert, certains remparts étaient écroulés et le feu consumait les faubourgs et la ville basse. Le second rempart, la ville haute tenait encore semblait-il. Nous arrivions en plein milieu d’un assaut qui tournait visiblement très mal pour l’Archiduc.

Il ne me fallu pas beaucoup d’énergie pour convaincre mes officiers de l’urgence d’une bataille pour défaire mon frère. Si les défenseurs tenaient bon, il serait coincé entre nos deux armées, tel le fer rouge entre le marteau et l’enclume.

Nous chargeâmes donc vers Redenn. Je pense que les défenseurs, voyant l’armée impériale déferler vers les attaquants, reprirent courage et tinrent bon, du moins au début. Nous n’eûmes pas trop de mal à repousser l’adversaire vers la cité et à nous y engouffrer nous aussi. La bataille bien que très coûteuse en vies humaines tournait à notre avantage. Il est toujours difficile de juger l’état d’une mêlée lorsqu’on y est impliqué, encore plus lorsque celle-ci se déroule dans les rues tortueuses d’une ville comme Redenn.

 L’armée de mon frère, poussée par la mienne, redoubla ses efforts pour prendre la ville haute. Quelques heures après le début de la bataille, le second niveau tomba aux mains de Guillmarc’h et ses hommes purent trouver refuge dans les défenses de la ville, il reprenait l’avantage malgré leur nombre inférieur.

Ce fut alors qu’un cor sonna, venant d’en dehors de la cité. C’était l’armée de Cynan, venu au secours de son frère. Enfin ils pouvaient réaliser ce que j’avais tenté d’éviter depuis le début du conflit : une bataille à trois avec mon armée coincée entre deux feux.

Je me retrouvais donc dans la même situation que Guillmarc’h quelques heures plus tôt.  Pourtant, tout n’était pas perdu, mes hommes étaient plus nombreux et plus entraînés, l’armée de Cynan n’était que l’ombre d’elle-même depuis la défaite que nous lui avions fait subir.

Sur le moment, je me suis vraiment demandé si Cynan aurait le cran de se jeté dans la mêlée, à un contre trois même si Guillmarc’h était là aussi. Il le fit quand même, il chargea, jetant toutes ses dans la bataille.

Mes souvenirs de cette bataille sont gravés dans ma mémoire à jamais, je revois encore l’armée adverse chargeant, prêt à frapper, mes hommes se rassemblant, prêt à tenir le choc. Juste avant que les deux armées se rencontrent, malgré le vacarme de la bataille, j’entendis clairement - ou je m’imagine l’entendre après coup - une incantation. Il y avait un Mage dans l’armée de Cynan !

C’était un Mage de Feu. Il déclenchât une immense explosion qui anéantit mes premières lignes. Sans plus attendre, je demandai à l’Archimage de Terre de répliquer et celui-ci provoqua de grandes secousses qui firent autant de dommages parmi les hommes que sur la ville.

Un duel s’en suivit pendant lequel les soldats des trois armées en firent les frais. Des bâtiments volent en éclats. Le feu meurtrier se répandait à travers la ville. Il fut dit que jamais encore un duel de Mages fut si sanglant. Vous comprenez maintenant pourquoi je me demande si mon premier ordre à l’Archimage de Terre était légitime vu les dégâts qu’il causa par la suite.

Le chaos était total et les morts furent nombreux. Celui qui me fit le plus de mal fut le décès du Prince régnant de Dollovan car lorsque son fils le Prince Robert convainquit ses hommes de rejoindre Guillmarc’h.

Les deux Mages avaient provoqué de grands cataclysmes et cela attira l’attention de leurs supérieurs. Ainsi, alors que le duel continuait de semer la désolation dans les rangs des soldats et transformait la ville de Redenn – belle et florissante – en un champ de ruine, un Voyageur débarqua ainsi qu’une dizaine de Mages. Ceux-ci firent cesser le duel et mirent fin à la bataille sans qu’il y ait de vainqueur déclaré.

 

Je ne sais pas de quelle magie ils usèrent – et je ne le saurai jamais – mais à un instant j’étais à Redenn en train de donner des ordres au Capitaine des Gardes Pourpres et le suivant je me trouvais dans la Salle du Conseil à l’Académie, entouré de tous les Archimages. Mes deux frères et les deux Mages qui s’étaient livrés au duel étaient également présents.

Ils nous forcèrent à mettre fin à la guerre sur le champ, signer un traité de paix fondé sur nos positions actuelles. Nous protestâmes, bien sûr, mais que dire à des Mages qui ont vu à quelles extrémités notre soif de pouvoir nous avait menés.

Ainsi Guillmarc’h devenait suzerain de Callaven et Dollovan et prit le titre de Roi de Callaven, Cynan, quant à lui, devint Maître de Drastan. Ces deux contrées étaient indépendantes de mon Empire qui venait de perdre une bonne moitié de sa taille. Ils fondèrent également de nouvelles dynasties pour régner sur leurs tout nouveaux royaumes. Guillmarc’h devint Guillmarc’h Premier Acciprides et Cynan fut désormais connu comme Cynan Premier Gwynfed.

Ensuite, les Mages renvoyèrent mes frères – qui disparurent, tout simplement – et me gardèrent avec eux. Ils m’expliquèrent que la guerre qui venait de se dérouler était la pire de toute l’histoire et qu’il était fort probable qu’elle en appellerait d’autres si rien n’était fait. Ils m’emmenèrent avec eux à Redenn. La ville, désormais abandonnée, n’était plus qu’un champ de ruines ou la désolation régnait sans partage. Je ne pouvais que m’attrister du sort terrible que notre querelle fratricide avait réservé à cette ville. Je pense qu’à ce moment je regrettais sincèrement que l’escalade de violence en soit arrivée là.

Les Mages affirmèrent que j’étais responsable de ce qu’il s’était passé, tout autant que les deux duellistes qui n’avaient su s’arrêter. Pour eux, cette guerre devait être oubliée et ils me firent une proposition. Ils allaient utiliser la magie des deux Mages antagonistes – et peu importait que l’un d’eux soit l’un des Sept Archimages – pour remodeler la mémoire collective.

Je pensais que c’était impossible mais ils me dirent que lorsqu’une vie est consumée pour la magie, l’énergie disponible devenait immense. Ainsi je compris que les duellistes allaient mourir, consumés. Ils m’expliquèrent qu’il devait y avoir une personne qui se souvienne de tout et cette personne, c’était moi. De plus, pour éviter une nouvelle guerre de succession, ils m’offrirent leur aide pour éditer des règles, celles que je vous exposais au début.

Tous les autres, les Mages eux-mêmes, tout le monde allait oublier ce qu’il s’était passé. Pire encore, mes frères allaient oublier notre paternité et ainsi leurs prétentions sur mon Trône. Les Mages m’offraient une paix durable dont seul je connaîtrais le prix. Je ne pouvais qu’accepter.

 

Lorsqu’enfin je rentrai à Sipar, le Surintendant me fit part des différents rapports qu’il avait reçus, du Sacre qu’il fallait préparer et de mon mariage avec la Princesse Isabelle qui approchait. Il ne me parla pas de la disparition de l’Archiduc de Redenn, de sa famille et de son fief ni des dégâts qu’avaient subi les villes de Bonnenbourg et Dunnastell.

La magie avait opéré et je restais le seul au courant de la véritable histoire de l’Empire, le seul connaissant le secret de ma famille. Quant à Redenn, elle fut abandonnée, les gens affirmant qu’elle était hantée par une sorte de démon. Pour ma part je pense que l’immense quantité de magie qui avait été consumé à cet endroit entraînait des effets secondaires. Plus tard naquit la légende selon laquelle un ange ou un esprit avait élu domicile sous la ville et pouvait révéler le futur de ceux qui le visitaient, s’ils étaient prêts à en payer le prix. Ils l’appelaient l’Oracle

Le plus choquant fut lors de mon Sacre, à Bonnenbourg puis lors de mon mariage à Sipar. A ces deux cérémonies officielles, mes frères étaient là en tant que dignitaires des puissances voisines et, lorsque j’engageai la discussion avec eux, le ton était cordial et poli, rien à voir avec la complicité que nous pouvions avoir avant. Cela me fit beaucoup de mal. De même, le Prince Robert de Dollovan fut très heureux de marier sa sœur à "un ami et un allié", lui qui m’avait trahi pour Guillmarc’h – désormais son Roi – ne semblait en avoir gardé aucun souvenir.

 

Le livre continuait sur plusieurs centaines de pages et Belenor n’en avait lu que les premières pages, correspondant sûrement à l’introduction. Il avait appris beaucoup de choses. Enfin, certaines de ses questions trouvaient une réponse.

Plus important encore, il faisait partie de la famille impériale! Ainsi que toute sa famille et apparemment celle de Moriannor également. Peut-être que leur soi-disant ressemblance venait de cette origine commune.

 Moriannor de la Maison Gwynfed qui avait lui aussi lu ce livre s’il l’on en croyait les dires Mogueras, confirmés par la bibliothécaire.

Une idée s’imposa à lui comme une illumination : il devait aller à Callaven. C’était là que le Maître de Drastan porterait son prochain coup.

Son but devait être d’éliminer le Roi Ingald mais comment allait-il procéder ? S’il n’avait pas encore agi, c’est qu’il attendait un événement en particulier. Si attaquer frontalement Callaven était hors de propos alors quel serait sa tactique ? Attendre un point faible, un moment où le Roi serait moins protégé, plus accessible.

Le Jour du Roi.

La voilà la raison de l’attente de Moriannor. Ingald était un homme qui n’aimait pas parler en public, ni encore moins la foule. Il limitait ses allocutions au maximum. Belenor était sûr que depuis qu’il était parti du Royaume, le Roi ne s’était jamais montré en public.

Annuellement, le jour de son anniversaire, Ingald faisait une allocution en public, généralement la seule de l’année. A cette occasion il était vulnérable, il pouvait être atteint.

Lorsqu’il était parti de Callaven – il y avait si longtemps que cela lui paraissait une éternité – le Jour du Roi venait de passer, elle avait eu lieu juste avant le Conseil Royal qui lui avait donné la fameuse mission qui lui fit quitter le Royaume accompagné de ses quatre capitaines. Après un rapide calcul, Belenor se rendit compte que le Jour du Roi dans quelques jours peut être même le lendemain !

Il n’y avait pas de temps à perdre, la vie de son oncle était en menacée. Il sortit en trombe de la pièce, la bibliothécaire lui lança un :

«  Pour un livre vide, il t’a passionné plus que je le pensais. Y-aurais-tu trouvé un écho au vide criant de ton esprit ?

-       Parfaitement, vous pouvez le ranger maintenant. »

Le sourire narquois de la vieille elfe fit place à une grimace d’indignation, mais Belenor n’eut pas le temps de s’en préoccuper, il passait déjà les portes du bâtiment. La journée était bien entamée et les ombres commençaient à beaucoup s’allonger.

De retour dans sa chambre, il commença par se changer. Ses affaires n’avaient pas été bouclées à la remise comme avant, un petit gain de sa mésaventure chez l’Impératrice. Il se débarrassa rapidement de la tunique d’Elève et remis ses habits princiers. Ce fut presque avec soulagement qu’il boucla son baudrier duquel pendait son épée. Il se sentait tellement plus en sécurité avec elle que sans.

Une fois prêt il se mit en quête de l’Archimage Kerneli. S’il voulait arriver à Callaven dans les plus brefs délais il devait trouver Jeanne Aneim, la Voyageuse, et son mari était beaucoup plus simple à repérer.

Alors qu’il marchait rapidement dans les couloirs, les semelles de ses bottes, renforcées de fer claquant contre le sol, faisaient beaucoup de bruit qui attiraient l’attention des personnes présentes dans les pièces devant lesquelles il passait.

De l’une d’elles il vit sortir Andreï de Moganris qui l’interpella :

«  Maître Belenor !

-       Ne m’appelle pas ainsi, je ne suis pas ton maître, je ne l’ai jamais été.

-       Comment dois-je vous appeler alors ?

-       Appelle-moi Belenor, et tutoie-moi.

-       Très bien, Belenor, tu t’en vas ?

-       J’en ai bien peur, je retourne chez moi. Et je suis pressé.

-       Tellement pressé que tu en as oublié ta canne ? Je m’étais habitué à te voir clopiner avec, plaisanta l’adolescent.

-       Ah… Oui je l’ai laissée à la bibliothèque. Je n’en ai plus besoin maintenant. Tu vois, je suis capable de me déplacer sans.

-       Reviendras-tu ici ?

-       Je ne sais pas. Il faudrait car j’ai encore beaucoup de choses à apprendre mais j’ai d’autres choses à faire, plus importantes, plus urgentes.

-       C’est dommage. Je deviendrai peut être plus puissant que toi alors.

-       On verra. Adieu Andreï.

-       Adieu Belenor, vivre à l’Académie sera beaucoup moins drôle sans tes coups d’éclats.

-       Profite-en pour étudier plus sérieusement. Ah et une dernière chose.

-       Laquelle.

-       Prends bien soin d’Icella.

-       Oui, je le ferai. » conclut le jeune homme en rougissant.

D’un pas vif, Belenor s’éloigna du fils d’Ascadon. Il lui avait promis de veiller sur lui et aujourd’hui il était obligé de le laisser aux mains des mages. Le Surintendant de Sipar lui pardonnerait sûrement ce petit impair à leur accord.

Il atteint rapidement le bureau de l’Archimage Kerneli. Il entra sans attendre la réponse après avoir toqué à la porte. Il était là, en train de discuter avec une femme. Lorsque cette dernière se retourna, le Prince fut heureux de reconnaître Jeanne Aneim.

«  Cher Belenor, tu as l’air bien pressé. Je vois que tu es rétabli, tant mieux.

-       Jeanne, je dois aller à Callaven.

-       C’est donc Callaven maintenant, je croyais que ta priorité était le Grand Conseil de Dunnastell.

-       Vous êtes un ami de la famille, n’est-ce pas ? dit-il à Kerneli. La vie de mon oncle le roi est en danger.

-       Comment le sais-tu ? Tu l’as appris en lisant un livre ? répliqua l’Archimage

-       Précisément, mais cela importe peu. Je dois être à Callaven le plus vite possible.

-       Ton agitation est plus grande que d’habitude Belenor, quelle menace pèse sur le Roi Ingald ?

-       Je pense que le Seigneur Moriannor cherche à le tuer, à l’assassiner en fait. A l’occasion du Jour du Roi où il sera plus vulnérable.

-       Je t’ai rarement vu si préoccupé, Belenor. Je te crois. Jeanne, pourrais-tu nous emmener à Callaven.

-       Bien sûr, répondit-elle. Quand voulez vous partir ?

-       Tout de suite, s’empressa de dire Belenor.

-       Très bien, préparez-vous. »

Comme son mari, inquiétée par les révélations du Prince acquiesçait, elle se leva et prit une grande inspiration.

Cela devenait une habitude avant chaque Voyage, il repensait à Dématris, d’autant plus qu’avec son rapide calcul tout à l’heure, il s’était rendu compte qu’elle devait être dans son huitième mois de grossesse. Il se désespérait déjà de pouvoir assister à l’accouchement.

Un portail, similaire à celui que Belenor avait emprunté pour Voyager d’Halden à Rabougnal puis de Rabougnal jusqu’à l’Académie, se forma juste devant les étagères remplies de livres du bureau de l’Archimage. De l’autre côté, la ville de Callaven se distinguait, resplendissante dans la lumière orangée du Soleil couchant. Une seule ombre au tableau : le Palais Royal était en feu !

Sans plus réfléchir Belenor dégaina son épée et se précipita, suivit de la Voyageuse et de l’Archimage, bien obligés de suivre son rythme.

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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 22:16

XXII 

L’Académie

C

ela faisait bien longtemps que personne ne lui avait imposé un couvre-feu, et Belenor n’aurait jamais cru qu’il aurait encore à en subir un et pourtant, la bibliothèque de l’Académie fermait à sept heures du soir pour les Elèves dont il faisait partie. Il était sept heures et demi et le Prince y était toujours, n’ayant pas vu l’heure passer. Cependant, la bibliothécaire, une vieille elfe acariâtre qui était très à cheval sur les règles, l’avait découvert pendant sa ronde. Il avait pourtant trouvé une bonne cachette dans l’aile des traités diplomatiques où personne ne venait jamais.

Elle l’énervait à le traiter comme un gamin de dix ans. Il allait bientôt devenir père, bon sang ! Il faut dire aussi que les autres Elèves avaient en moyenne l’âge d’Icella – douze ans – lorsqu’ils étaient acceptés à l’Académie. La formation durait normalement trois ans avant que l’Elève devienne un Apprenti puis cinq à sept ans encore avant de gagner le titre de Mage. Parmi eux, certains devenaient Archimages et siégeaient au Haut Conseil des Mages.

Malheureusement, il ne pouvait pas cacher sa condition et se faire passer pour un des Apprentis qui avaient plus de libertés. En effet, afin de montrer que tous les Elèves étaient égaux, et que peu importait leur origine, ils étaient obligés de porter un long uniforme gris, couleur représentant leur absence de lien avec une quelconque Arcane car Elèves devaient apprendre les rudiments des Sept Arcanes avant de choisir celle dans laquelle ils allaient exercer. Il avait bien difficile d’en trouver à la taille du Prince, d’ailleurs, mais il n’y a pas échappé, comme au couvre-feu.

«  Je t’y reprend encore, Belenor Acciprides ! L’heure c’est l’heure et tes camarades sont déjà en train de dîner. Tu aurais dû les suivre lorsqu’ils sont sortis.

-       Je ne les ai pas vus, mentit Belenor en soupirant profondément, et puis je n’ai pas faim. Ils peuvent prendre ma part.

-       Pas de cela avec moi ! Cela fait trop longtemps que tu braves mon autorité, Acciprides, je vais devoir en référer à la Professeur.

-       Comme bon vous plaira. Si vous voulez bien m’excuser, Madame. »

"Professeur" était le titre porté par le ou la Mage qui s’occupait de la discipline des Elèves. Contrairement à la grande majorité de ses camarades, Yvonne Palini, la Professeur actuel, n’inspirait aucune peur à Belenor. Elle ne le supportait pas et intercédait souvent en sa faveur pour qu’il devienne Apprenti plus rapidement. Le Prince imaginait bien qu’Yvonne voulait surtout garder la mainmise sur l’ensemble des Elèves car certains d’entre eux aimaient suivre l’exemple de Belenor.

Sans attendre sa réponse qui serait de toute façon négative, Belenor sorti de la pièce, laissant la bibliothécaire déblatérer ses inepties sur l’insolence des Elèves, l’arrogance inacceptable des nobles tels que lui et le respect dû au personnel encadrant.  

Cela faisait déjà plus d’un mois qu’il était à l’Académie et il avait vraiment l’impression d’y perdre son temps. Il était venu pour parfaire la maîtrise de son Don et, à la place il ne faisait que prendre des cours encore plus basiques que ceux que Siougrev lui avait donnés, il y avait de ça si longtemps déjà.

Belenor sortit du bâtiment qui abritait la bibliothèque ainsi que certaines salles de classe pour se diriger vers le réfectoire. Pour cela il traversa la grande place ronde, pavée de pierre blanche avec en son centre une statue du mage fondateur de l’Académie.

Celle-ci était en fait une ville à part entière, située un peu en retrait de la capitale, Kalanst, de la colonie elfique. Alors que le Vice-Empereur Hillidas vivait sur la côte, dans cette ville, l’Académie se trouvait à la bordure de la forêt qui formait l’épaisse frontière entre la colonie et l’Empire au Nord, le Royaume de Callaven à l’Ouest, l’Eriol, le fleuve, se chargeait de délimiter la frontière Est du territoire Elfe.

L’Académie était composée de divers bâtiments, presque tous en pierre blanche et d’un long et haut mur qui empêchait autant les intrus d’entrer que les Elèves – tous considérés comme potentiellement dangereux – d’en sortir.

Le réfectoire était à l’opposé de la grande place circulaire juste à côté des quartiers des Elèves. Il s’élevait sur plusieurs étages, les Elèves, les Apprentis et les Mages ne mangeant pas ensemble.

Il traversait la place, passant sous la statue du fondateur, un vieil homme à la barbe longue représenté debout, droit, une main tenant son bâton, l’autre ouverte et accueillante tendue vers l’entrée de l’Académie.

Alors qu’il allait passer la porte du réfectoire, il entendit des pas rapides, derrière lui, montant les quelques marches d’escalier qui y menait. Plus par reflexe militaire que par réel sentiment de menace, Belenor se retourna brusquement, sa main droite cherchant à empoigner le fourreau de son épée et la gauche le pommeau. Malheureusement, ses armes, au même titre que ses vêtements, lui avaient étés confisquées à son arrivée.

«  Prince Belenor, quelle surprise ! s’exclama le jeune homme qu’il avait surpris. Pas besoin de vous montrer si menaçant avec moi voyons. »

Croisant les bras, Belenor étudia l’individu qui l’avait reconnu – bien que cela ne soit pas difficile vu qu’il était le seul Elève de sa taille. C’était un adolescent d’environ seize ans, en habits bruns d’Apprenti, qui étaient identiques à ceux des Elèves mis à part la couleur. Les cheveux longs, bruns avec des yeux bleu-verts, le jeune homme semblait serein. Son visage rappelait quelque chose au Prince, celui d’une fille, une amie d’enfance. Sybille !

«  Charles de Rembrunt ! Quel plaisir de te voir ici ! Je ne savais pas que tu avais un Don et que tu étudiais à l’Académie.

-       J’étudie ici, c’est vrai, depuis mes douze ans mais je n’ai pas de Don. Les Arcanes sont accessibles même sans aucun Don, vous savez. De nombreux mages autrefois n’avaient pas de Don, ils ne sont généralement pas aussi puissants mais ils compensent cela par une maîtrise approfondie des techniques.

-        Y en-a-t-il encore aujourd’hui ?

-       Malheureusement non, si je réussi, je serai le premier depuis près de cinq siècles. Les autres mages ne sont pas très enthousiastes et font tout pour me ralentir. Je viens tout juste de devenir Apprenti.

-       Mangeons ensemble, si tu le souhaites.

-       Vous n’avez pas le droit de manger à l’étage des Apprentis.

-       Mais tu as le droit de manger à celui des Elèves, non ?

-       J’imagine.

-       Si on te demande quelque chose, tu pourras dire que je t’ai forcé.

-       Je n’oserai pas, Prince Belenor.

-       Pas de Prince ici, tutoies-moi comme les autres. Après tout, un Apprenti est mon supérieur, je devrai te vouvoyer.

-       Comme tu voudras.

-       Allons manger. »

Comme de coutume à cette heure, la plupart des Elèves étaient au réfectoire, ce qui rendait l’endroit assez bruyant. Ils n’étaient pourtant pas si nombreux, à peine plus de cinquante, alors que la salle pouvait en accueillir facilement cinq fois plus et certains étages étaient inutilisés depuis longtemps. En effet, le nombre d’Elèves avait constamment diminué durant les cinq derniers siècles, la découverte d’enfants avec un Don se raréfiant de plus en plus.

Dès qu’il s’assit à une table libre, Charles en face lui, une petite dizaine d’Elèves les entourèrent. C’était toujours ainsi, il attirait toujours quelques curieux à cause de son âge avancé pour un Elève mais aussi à cause de sa maîtrise de l’Air.

En effet, pour éviter toute utilisation non autorisée des Dons, c'est-à-dire en dehors des cours et encore sous la surveillance d’un Mage, l’Académie était pourvue de "barrières" qui bloquaient leur accès jusqu’à un certain niveau de maîtrise des techniques. Normalement aucun Elève ne pouvait user de son Don et très peu d’Apprentis – seulement ceux en fin de formation – y avaient accès.

Il semblait que l’entraînement que Belenor avait suivit avec Siougrev à Vessala était suffisant pour qu’il puisse maîtriser l’Air en toute circonstances. Ce qui ravissait ses camarades qui ne le pouvaient et qui agaçait fortement les Mages qui le considéraient comme un Elève en début de formation.

Belenor voulait pouvoir discuter tranquillement avec son vis-à-vis mais il savait que les curieux ne le lâcheraient pas avant d’obtenir satisfaction.

Assez rapidement il imagina le moyen qui lui permettait de faire les deux. Bien sûr ça n’allait pas plaire aux autres Elèves mais après tout ils voulaient qu’il utilise son Don.

Fermant les yeux, il écarta théâtralement les bras en même temps qu’il faisait appel à sa maîtrise. Comme il l’avait prévu, les réclamations cessèrent, et pour cause, il ne pouvait plus les entendre. En effet, il avait érigé un mur d’air circulaire autour de Charles et lui qui avait repoussé les curieux d’un bon pas. Rendant l’air solide, Belenor empêchait à la fois les gens et les sons de traverser le mur. Pourtant de l’extérieur celui-ci était invisible.

«  Bien maintenant que nous sommes tranquilles, dit-moi un peu, Charles, comment va ta sœur ? Cela fait depuis qu’elle a été promise au Comte Impérial Irmuler de Fendsbourg que nous ne nous sommes vus.

-       Vous êtes capable d’utiliser votre Don même ici ! Comment se fait-il que vous soyez qu’un Elève ? Rares sont les Apprentis comme moi à pouvoir faire comme vous !

-       Je croyais t’avoir dit de me tutoyer, souri le Prince. Pour répondre à ta question, il semble que de nombreux Mages considèrent le temps passé comme Elève très formateur. Cela va sans dire que je ne suis pas de cet avis. Malheureusement je n’ai aucun pouvoir ici pour faire améliorer ma situation. Maintenant, peux-tu répondre à ma question ?

-       Euh… fit le jeune homme les yeux encore écarquillés par ce qui venait de se passer. Elle va bien, aux dernières nouvelles. Son fiancé est mort, assassiné par le Cavalier Noir, mais elle a survécu et est retournée chez mon père. Rassurez vous, elle ne voyageait pas seul, un homme l’accompagnait. Apparemment il serait de Callaven comme vous. Vous le connaissez peut être, un certain Fildar Korventen.

-       Pardon ? s’étrangla Belenor. Bien sur que je le connais, c’était l’un de mes capitaines et un ami ? Il avait disparu seul au Sud de Moganris, je me demande bien comment il a fait pour se retrouver avec Sybille. Surtout avec le Cavalier Noir qui rode, il prend pour cible les Blancs semblerait-il et le fiancé de ta sœur était l’un de leur dirigeants je crois.

-       Oui, d’après ce que j’en sais.

-       Elle aurait pu être menacée. Une chance qu’ils ne se soient pas fait pourchassés par ce tueur. Ainsi Fildar est à Bonnenbourg, c’est une bonne nouvelle.

-       Cependant la dernière lettre que j’ai reçue commence à dater. Il est possible que les choses aient changées. Mon père a quitté Bonnenbourg avec Ascadon de Moganris pour Dunnastell. Dis-moi, Belenor, en tant que Prince de Callaven, que penses-tu de l’attaque du Seigneur Moriannor sur Sipar?

-       Tu sais, Charles, ma famille et celle des Seigneurs de Drastan ne se sont jamais beaucoup aimées, et depuis la prise de Dollovan, elles se détestent ouvertement. Lorsque Moriannor a attaqué Sipar, nos éclaireurs avaient repéré des mouvements de troupes à la frontière et nous croyions que cela nous était destiné. Nous nous trompions, visiblement. Ce que personne n’a compris c’est la raison de tout ceci, pourquoi n’attaquer que Sipar et ne rien faire ensuite ? Il doit avoir un plan pour gagner cette guerre. Pour le moment, il a l’avantage car les troubles de la mort de l’Empereur Mogueras paralysent l’Empire, mais après le Grand Conseil, dans quelques mois, ce sera différent.

-       Ainsi Moriannor devrait attaquer avant le Grand Conseil ?

-       Normalement oui s’il voulait conquérir le pays. Pourtant, avec l’apparition des Blancs qui se battent pour lui et renforcent la paralysie du pays, je pense que son but est plutôt d’obtenir un accord une fois que ses partisans auront pris le contrôle du pays. Il avait prévu son coup depuis longtemps, c’est évident. Aujourd’hui seul le Surintendant de Sipar, Ascadon de Moganris, peut réellement tenir tête à Moriannor, s’il réussit à rallier tous les Hauts Nobles lors du Grand Conseil.

-       Ça ne va pas être simple.

-       J’ai foi en lui, c’est un stratège doué et il est épaulé par ton père qui est un politicien confirmé. Sa tâche sera difficile mais il peut y arriver.

-       Et Callaven dans tout cela ?  Iras-tu au Grand Conseil ?

-       J’aimerai bien y aller mais je suis coincé ici pour le moment. Tu sais comment sont les politiciens, la décision ne sera pas prise tout de suite.

-       Tu as donc l’intention de rester ici.

-       Certainement pas aussi longtemps que nos supérieurs le souhaiteraient. Et puis même si je pouvais y aller il faudrait que j’aie l’aval de mon oncle, le Roi Ingald, pour représenter Callaven. Ainsi il faudrait que je retourne chez moi avant de penser pouvoir aller à Dunnastell.

-       Dis-moi, Belenor, as-tu quelque chose à te reprocher ?

-       Pourquoi cette question ?

-       La Professeur semble assez contrariée d’être coincée de l’autre côté du mur d’air, répondit Charles avec un coup d’œil vers ce qui se déroulait derrière Belenor.

-       Oh. Je crois que notre conversation privée se termine ici. »

D’une seule pensée, Belenor désira que le mur disparaisse et immédiatement le bruit du réfectoire revint agresser ses oreilles. Sans se retourner, il interpella la Professeur qui, assurément, était là pour lui :

«  Je sais ce que vous allez dire et vous aurez raison, je ne dois pas utiliser mes compétences en dehors des lieux prévus à cet effet. Et je suis désolé d’avoir importuné votre amie la bibliothécaire mais j’ai trouvé un livre intéressant et j’en ai oublié le couvre feu.

-       Rien de tout ceci, Acciprides, répondit la femme. Comme à ton habitude tu mines l’autorité de tes supérieurs mais j’en ai assez de me battre contre ton orgueil, j’ai parlé de ton cas à l’Archimage Dominika Curtis, la ton avenir est entre les mains du Haut Conseil.

-       Voilà qui est bien déloyal de votre part, l’accusa le Prince avec un sourire. Vous savez bien que l’Archimage Dominika est la plus virulente défenseuse de l’égalité de traitement entre tous les Elèves. Je crains que mes jours ici soient plus nombreux que je ne l’expectais vu qu’elle ne me présentera pas sous mon meilleur jour.

-       Tu ne peux t’en vouloir qu’à toi-même, Acciprides. Ton insolence et tes gamineries paieront bientôt, sans aucun doute.

-       Vous êtes donc venue ici, pendant mon repas, devant tous mes camarades, pour m’annoncer, toute fière, que vous me ferez payer mon irrespect. Vous savez, le respect qui vous est soi disant dû est à double sens. Si vous ne me respecter pas à ma juste valeur, vous ne devez pas attendre à ce que je vous rende la pareille.

-       Tu es un Elève ! Nous ne te devons rien, toi, par contre, tu dois nous obéir. Nous ferons de toi un exemple et enfin le calme reviendra.

-       Je n’ai en aucun cas encouragé un désordre quelconque, mais sachez que faire de moi un exemple ne suffira pas. Je suis bien gentil de vous montrer pacifiquement que votre méthode et vos règles sont dépassés. Imaginez que je soie mal intentionné et décide de prendre le contrôle de votre Académie par la force en gagnant les Elèves et les Apprentis à ma cause. Vous n’y résisteriez pas.

-       Toutes tes belles paroles ne servent à rien. Le Haut Conseil sera seul juge. Ne t’en déplaise, je ne suis pas ici pour t’annoncer cela mais une lettre pour toi est arrivée.

-       Depuis quand les lettres arrivent lors du repas du soir ?

-       Depuis qu’elles portent le Sceau Impérial. Le messager vient d’arriver. Tiens, prends là, et, pour une fois, laisse les autres finir de manger en paix. »

Le Prince avait arrêté d’écouter après avoir entendu "Sceau Impérial". Sans un mot il se leva, se retourna et fit face à la Professeur, de deux mains plus petite que lui. Cette femme d’environ quarante ans à la chevelure brune un peu grisonnante sur les tempes lui tendait un parchemin cacheté. Elle le regardait avec ses grands yeux noirs menaçants qui signifiaient qu’il avait bel et bien réussi à la mettre hors d’elle. Lui adressant un grand sourire, il lui prit le message. Regardant le cachet il reconnu bien le Sceau Impérial, le Lion et la Couronne, il sortit alors du réfectoire.

Il n’avait pas beaucoup mangé mais peu importait, normalement seul l’Empereur pouvait utiliser le Sceau Impérial. Ce message venait donc de l’Impératrice qui usait du Sceau en tant que Régente.

Rapidement, il se rendit à sa chambre, très sobre qui comme toutes celles des Elèves ne contenaient qu’un lit, un tabouret, un coin pour la toilette ainsi qu’une petite armoire pour ranger les uniformes gris. Il n’avait jamais aimé le luxe excessif que pouvaient abhorrer certains nobles ou riches commerçants mais pour autant il n’avait pas souhaité être privé de tout confort. Pour certains de ces camarades, cet ameublement représentait déjà plus que ce qu’ils connaissaient chez leurs parents. Soupirant à cette triste pensée, il s’assit sur le tabouret et entreprit de décacheter le message.

Prince Belenor de Callaven,

Vous n’êtes pas sans connaître les troubles qui agitent mon pays, vous avez montré une détermination sans faille lorsqu’il a fallu défendre ses intérêts que ce soit à Karrog ou à Halden.

En cela je vous en remercie. J’aimerai vous inviter pour discuter des choses qui restent à faire pour assurer la succession de mon défunt mari la plus pacifique possible.

Je sais que vos obligations à l’Académie vous empêchent de la quitter en temps normal, mais ne vivons nous pas une époque littéralement extraordinaire ?

C’est pourquoi vous trouverez ci-joint un sauf-conduit qui vous permettra de sortir de l’Académie sans problèmes.

Je vous attends demain à l’heure du déjeuner.

Assurez mon petit fils, Andreï, de tout mon soutien, il a un grand potentiel à ce que l’on m’a dit.

Puisse les Six et l’Eternel être toujours avec vous,

 

Son Altesse Sérénissime, l’Impératrice Dunvainwen.

Belenor n’en crut pas ses yeux, l’Impératrice voulait le rencontrer ! Il désirait depuis longtemps s’entretenir avec elle et rencontrer le Dauphin, le futur Empereur. De plus le sauf-conduit lui laissait quitter l’Académie qui s’apparentait de plus en plus à une prison dorée.

Il déplia le second parchemin, le sauf conduit et à sa grande surprise le texte lui offrait plus de libertés de ce qu’il attendait :

Tout ce que le porteur de ce document entreprend il le fait sur mon ordre et n’a de compte à rendre qu’à moi seule et à la Couronne Impériale.

Il me représente et mérite le même traitement que ma personne.

Puisse les Six et l’Eternel être toujours avec vous,

 

Son Altesse Sérénissime, l’Impératrice Dunvainwen.

Avec ce papier entre ses mains il pouvait faire exactement ce qu’il voulait du moment que les gens qu’il rencontrerait était fidèle à l’Empire.

Ravi, il se coucha et trouva assez rapidement le sommeil malgré une pensée pour Dématris qu’il avait du mal à oublier surtout que, de plus en plus, il avait l’impression de l’avoir abandonnée.

*

* *

Le lendemain matin, au réfectoire, alors qu’il mangeait tranquillement avant d’user de son sauf-conduit pour son déjeuner avec l’Impératrice, Andreï s’assit à sa table qui, pour une fois, n’attirait pas l’attention des autres, peut être que le sermon de la Professeur avait eu son petit effet.

«  Bonjour, Belenor, il paraît que tu as reçu une lettre portant le Sceau Impérial.

-       En effet, l’Impératrice t’assure de tout son soutien, ton potentiel la ravi.

-       Je ne l’ai pas vue depuis quelques années maintenant, j’ai du mal à me souvenir de son visage. A chaque fois que je la voyais, elle était toujours très occupée. Elle aidait beaucoup l’Empereur et donnait souvent son avis que l’Empereur écoutait au grand dam de certains Conseillers Impériaux.

-       C’est ce que l’on m’a dit aussi.

-       Que te voulait-elle ?

-       C’est très impoli de demander ce genre de choses. Elle veut me rencontrer aujourd’hui et elle m’a fourni un sauf conduit. J’ai peur de ne pas pouvoir t’emmener avec moi, l’invitation s’adressait à moi seul.

-       Ce n’est pas grave, mais es-tu sûr que le sauf conduit suffira ? Nous ne sommes pas dans l’Empire ici.

-       Certes mais sa puissance est respectée. Peu de gens ici oseraient défier l’Empire, même aujourd’hui alors que Sipar est tombée.

-       Je l’espère pour toi.

-       La première chose à faire est de récupérer mes biens, je ne vais pas me présenter devant l’Impératrice avec cet uniforme gris.

-       Je peux t’accompagner au dépôt ?

-       Tu devrais plutôt te préparer aux cours. Ils te sont utiles, à toi.

-       Ton enseignement n’était pas mauvais, loin de là, je suis plus avancé que les autres dans l’appréhension de mon Don. Ils sont tous trop jeunes.

-       Oui, mais je suis sûr que si tu fais preuve d’un minimum d’intérêt les enseignant reconnaîtront ton niveau et tu deviendras alors Apprenti assez vite.

-       Exactement le contraire de ce que tu fais.

-       C’est différent, je n’ai pas le temps de passer toutes les étapes. Etant Prince de Callaven, j’ai de nombreuses responsabilités. Je suis venu ici pensant que l’on me compléterait ma formation et non la reprendre depuis le début. En revanche, toi, tu as le temps d’apprendre, de devenir un grand Mage.

-       Vous me laisseriez seul ? Après m’avoir enseigné tant de choses ?

-       Tu n’es pas seul ici et puis, tu connais aussi Icella.

-       Depuis Rabougnal ! Ce n’est pas si long, et puis, c’est une petite fille!

-       Plus pour très longtemps, crois-moi, répliqua Belenor en souriant. Allez file en cours. »

Andreï se résigna aux arguments du Prince même s’il n’y croyait pas trop. Belenor, quant à lui resta un moment plongé dans ses pensées, à ressasser son adolescence, époque où comme son cadet, trop pressé, il ne pouvait imaginer que les gens changeaient avec le temps, que les enfants grandissaient et faisaient des adultes.

Comme souvent sa réflexion dériva vers Dématris, elle qui avait grandi sans voir le jour – sans rien voir du tout ou presque – et qui ne connaissait rien du monde dans lequel il l’avait emmené. Désormais à Halden, abandonnée dans sa prison dorée, elle devait le haïr. En effet, si, de son côté, le Prince pouvait nier en public de n’avoir jamais engagé de relation, elle, en revanche, portait son enfant. Bien sûr leur grand père commun, Junos el’Korgas leur avait assuré sa discrétion mais Belenor avait du mal à accorder sa confiance à cet homme qui tenait les rênes de son pays par sa milice personnelle, au dessus des lois, qui le renseignait sur tous les agissements de ses rivaux.

Même si elle ne devait accoucher que dans de longs mois, malgré que les sentiments qu’ils éprouvaient l’un envers l’autre leur soient défendus, Belenor voulait être présent à ses côtés lors de la naissance de leur enfant. Une raison de plus de ne pas rester à l’Académie.

De nouveau déterminé, il se leva et quitta le réfectoire pour le dépôt où il récupérerait ses affaires.

Il n’eut pas beaucoup de mal à les récupérer. En effet, si l’homme qui s’occupait du dépôt refusa fermement au premier abord, la vue de la lettre et surtout de la signature impériale le fit plier.

Habillé de ses effets princiers qu’il préférait de loin à l’uniforme gris et terne d’Elève, il entra aux écuries pour reprendre son cheval. Il n’avait pas été confisqué et avait le droit de le promener de temps en temps, quand son emploi du temps le lui permettait. Néanmoins, son arrivée en cape et tuniques bleues brodées d’argent suscitèrent la curiosité des palefreniers. Ils ne s’opposèrent pas lorsqu’il sella seul son cheval, un hongre gris qui était loin d’égaler son ancien étalon, Brivar, mort à Redenn.

La vraie difficulté fut de passer la porte d’entrée. En effet, en plus des gardes, l’Archimage Kerneli était là à l’attendre. Il avait dû être prévenu par le préposé au dépôt, après tout, Belenor avait pris le temps de se changer pour paraître convenablement devant l’Impératrice.

«  Prince Belenor, l’interpella l’Archimage, ne nous quittez pas si tôt. Vous n’êtes pas prêt.

-       Je ne quitte pas définitivement l’Académie, je suis convoqué par l’Impératrice qui réside non loin d’ici.

-       Vous semblez avoir des amis hauts placés, dit donc, mais vous ne comprenez rien. Je sais que vous êtes impatient et que votre statut d’Elève vous gêne. Moi aussi, je fais mon possible pour écourter votre formation, vous avez énormément de potentiel. Cependant, ici, vous êtes protégé.

-       Contre quoi ? Nous sommes dans une colonie elfique, elle n’est pas inquiétée par les troubles de l’Empire.

-       Contre vous-même, les barrières magiques vous permettent de développer votre Don en toute sécurité. Sans elles, vous pourriez être en danger tant que vous ne vous maîtrisez pas complètement.

-       Je veux bien vous croire, cependant, une invitation de l’Impératrice ne se refuse pas comme ça, répliqua Belenor en montrant son sauf conduit.

-       Je vois que vous ne changerez pas d’idée. Nous sommes dans une impasse, si vous n’obtempérez pas, je demanderai aux gardes de vous ramener de force à votre classe mais, connaissant l’Impératrice et ayant une bonne idée du rapport que vous ferez de la situation, les relations entre l’Académie et l’Empire risquent d’en pâtir. Pour autant je ne peux vous laisser sortir de l’enceinte, vous risquez votre vie.

-       N’exagérons rien, ce n’est pas si loin et je ne pars que pour la journée. Je me connais assez pour écourter ma visite si je sens que je ne vais pas bien et revenir ici.

-       Vous ne connaissez rien à la magie et ses façons de se manifester. Puisque vous partirez quoique je dise ou fasse, il faut que vous soyez accompagné.

-       Cela risque de ne pas être du goût de l’Impératrice, l’invitation s’adressait à moi et à personne d’autre.

-       Voyons, que ferai un Prince de votre rang sans escorte ? C’est décidé, je vous accompagne. N’ayez crainte, je ne m’immiscerai pas dans les affaires d’Etats qui ne me concernent pas. Gardes, attendez que je revienne avec mon cheval. Surveillez cet homme il ne doit pas sortir de l’enceinte sans moi, ne prêtez aucune attention à ses paroles ou aux documents qu’il vous présenter. »

*

* *

Après près de deux heures de voyage, Belenor et Kerneli arrivèrent au Manoir de l’Impératrice. Trop petit pour être qualifié de Palais, cette grande bâtisse, toute en pierre blanche, à l’architecture aérienne et épurée, faisait office de résidence d’été pour les Empereurs et leur famille.

Un gage d’entente cordiale entre l’Empire et la colonie elfique. En effet, l’établissement des colons elfes, une centaine d’années après la Fondation de l’Empire, fut à l’origine d’une terrible guerre entre l’Empire elfe des Iles et l’Empire humain de Sipar. Depuis les relations s’étaient apaisées, chacun des deux Etats s’étant juré de ne pas intervenir dans les affaires de l’autre.

Les deux compagnons stoppèrent leurs chevaux devant la grande grille en fer forgé avec des Lions d’Or, l’emblème de la famille impériale. Le capitaine des gardes leur ouvrit, assurant le Prince qu’il était attendu.

A l’entrée du Manoir, un intendant grisonnant, en livrée pourpre et or, les attendait.

«  Bienvenue Messeigneurs, Sa Majesté l’Impératrice vous attend, veuillez me suivre. »

Sans discuter, ils le suivirent, laissant les rênes de leurs chevaux à un palefrenier. L’intérieur de la demeure était aussi somptueux que l’extérieur avec une décoration très riche, pleine de dorures, des tableaux de batailles victorieuses, tout montrait la puissance de l’Empire et sa richesse.

L’Intendant les introduisit dans un petit salon au décor bleu et blanc. Ils durent attendre quelques minutes avant que l’Impératrice y fasse également son entrée. Immédiatement, comme le protocole l’exigeait, ils firent la révérence appropriée à la femme la plus puissante de l’Empire

Femme d’âge mûr, d’une soixantaine d’année, aux longs cheveux gris aux légères boucles qui lui tombaient harmonieusement un peu en dessous des épaules, elle affichait un visage pratiquement dépourvu de rides – probablement grâce à l’usage de fards – qui la rajeunissait beaucoup. Son lien de parenté avec Ascadon de Moganris devint évident lorsqu’elle posa ses yeux bleus sombre – les mêmes que son fils le Surintendant – sur Belenor.

«  Prince Belenor, lui dit-elle d’une voix cristalline, comme nous sommes heureux de vous rencontrer. Comme toujours, venant de la famille Royale de Callaven, vous savez vous entourer. Ravie de vous accueillir ici, Archimage Kerneli.

-       C’est un honneur pour moi d’accompagner un Prince pour rencontrer l’Impératrice.

-       Vous n’avez pas réussi à partir seul, n’est-ce pas ? répliqua-t-elle à l’intention de Belenor avec un sourire.

-       L’Académie a ses règles et il est difficile de passer outre. J’en enfreins déjà beaucoup en sortant de l’enceinte, venir seul paraissait hors de propos pour mes supérieurs.

-       Vous avez la langue d’un diplomate, c’est une qualité pour un futur chef d’Etat.  Près de quinze ans auprès de feu l’Empereur Mogueras ne me l’a jamais donnée. Nous avons beaucoup à discuter, venez dans mon bureau. Archimage, si vous voulez bien nous excuser. Navrée, mais ces affaires sont privées, nous passerons à table juste après.

-       Très bien, Votre Grâce, répondit Kerneli. Néanmoins, Belenor, si jamais tu ressens la moindre gêne, arrête tout et viens me trouver, cela peut te coûter la vie.

-       Mis à part de légers maux à la tête, au dos et aux cuisses dus au voyage à cheval, je me porte bien. N’ayez crainte, Maître Kerneli, je suis suffisamment grand pour savoir quand je suis en danger.

-       Grand bien t’en fasse si tel est le cas. »

Entendant à peine les derniers mots de l’Archimage, Belenor suivit l’Impératrice jusqu’à son bureau. Le petit mal de tête dont il parlait était vraiment négligeable et Belenor aurait cru qu’il disparaitrait peu après qu’il soit descendu de cheval mais il était toujours là. Une question de temps, tout simplement.

Le bureau était une grande pièce comme s’y attendait le Prince venant de la famille impériale. Le bureau proprement dit, beau meuble de bois bordeaux avec de belles dorures était bien rangé, même si une pile de feuilles attendant d’être lues trônait en plein milieu et gâchait un peu l’effet. Lumineuse, la pièce avait une grande fenêtre qui donnait sur les jardins, une évasion surement bienvenue lorsque les problèmes de l’Etat semblaient insolvables.

L’Impératrice désigna au Prince un fauteuil en face d’elle, de l’autre côté du meuble.

«  Tout d’abord, nous voulions vous remercier de l’aide que vous avez apportée à Ascadon à Karrog, Callaven a ainsi montré sa loyauté envers son allié, malgré les différends dont nous pouvons souffrir parfois.

-       Je vous remercie, Votre Grâce.

-       Il faut que vous sachiez que Moriannor exige d’avoir un observateur lors du Grand Conseil de Dunnastell.

-       J’imagine que vous allez refuser.

-       La ruse est là, nous allons accepter à la seule condition qu’un observateur de notre plus proche allié ait également le droit d’assister au Grand Conseil. Nous avons besoin de Callaven, encore une fois.

-       Ce serait avec plaisir que je porterai votre message à la Cour du Roi. Néanmoins, comment pouvez-vous être sûre que le Seigneur Moriannor acceptera ?

-       Nous le préviendrons que tant que le Royaume de Callaven n’est pas représenté, le Grand Conseil ne pourra s’ouvrir. Son observateur pourra toujours essayer de négocier avec les Hauts présents à Dunnastell mais ça ne sera pas facile. La tradition veut que chaque famille, en attendant l’ouverture officielle reste dans sa résidence et ne reçoive aucune visite. Cela assure qu’aucune famille, arrivant en avance ne puisse exercer d’influence sur les autres.

-       La Trêve Sacrée…

-       Exactement, cela laissera également du temps à Ascadon pour préparer ses plans. Nous lui avons fait parvenir le testament de l’Empereur Mogueras, il devra le lire devant le Conseil, comme c’est de coutume lorsqu’un Empereur décède.

-       Il devra également communiquer au Conseil au moins le nom du Dauphin s’il ne se présente pas de lui-même.

-       Oui, malheureusement, c’est la première fois dans l’histoire impériale que le Dauphin n’est pas connu de tous. Mon mari mentionne son nom dans une page de son testament, mais celle-ci, nous ne lui avons pas fait parvenir car les messagers tout aussi loyaux qu’ils soient, ne sont pas incorruptibles. Les routes n’étant pas sûres, cette partie du testament – la plus importante – voyagera avec vous.

-       Vous me confiez le secret le mieux gardé de l’Empire ! C’est un trop grand honneur.

-       Vous êtes insoupçonnable. La famille impériale ne divulgue jamais ses secrets, même entre eux, alors avec les étrangers à l’Empire… En voyageant avec vous cette partie du testament impérial sera remise dans les mains du Surintendant de Sipar sans aucun doute.

-       Je suis honoré de devoir remplir une telle mission pour l’Empire. Je vous promets que votre fils recevra la partie manquante du testament de mes mains.

-       Nous n’en attendions pas moins d’un Prince de Callaven. Maintenant que cela est réglé, mon mari vous a laissé quelque chose.

-       A moi ? Je ne le connaissais pas, fit Belenor qui n’en revenait pas.

-       Oui à vous. Il ne vous connaissait pas personnellement, mais il connaissait bien votre famille, votre oncle en particulier. Il savait également que vous régnerez un jour sur Callaven. Tenez. » ajouta-t-elle en lui tendant une enveloppe cachetée du Sceau Impérial.

Belenor la prit et, comme l’Impératrice ne semblait pas vouloir changer de sujet de conversation, brisa le Sceau et sortit la lettre. Elle contenait deux feuillets, l’un contenait une série de chiffres et de lettres, une référence de bibliothèque a priori. Sur l’autre il y avait un mot très court :

Prince Belenor de Callaven,

Si vous lisez ces mots, nos pires craintes se sont réalisées. Ma mort, provoquée par le Seigneur de Drastan, ne peut avoir qu’une seule cause, le Seigneur Moriannor a pu, lors d’un de ses passages à l’Académie, lire le livre dont je vous ai donné la référence.

J’ose espérer que vous pourrez, vous aussi, vous rendre à l’Académie où le seul exemplaire restant de ce livre est entreposé dans la Bibliothèque.

Seul vous pouvez lire et comprendre les motivations du Seigneur de Drastan.

 

Sa Sainteté, l’Empereur Mogueras.

 

Le Prince ne comprenait pas. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Il n’était même pas de l’Empire. La confiance de Mogueras était teintée de mystère. Lorsque l’Empereur avait rédigé son testament, Belenor n’avait même pas encore quitté Callaven. Il n’avait alors encore rien accompli qui le distingue de son père ou de son oncle.

Tout cela ne faisait qu’accentuer son mal de tête.

« Voulez vous que je vous serve un rafraichissement, Prince Belenor ? Vous n’avez pas l’air bien, intervint l’Impératrice.

-       Votre Grâce, vous n’avez pas à faire cela, parvint-il à répondre difficilement.

-       J’insiste. » fit-elle en se levant.

Elle se dirigea vers une petite table en bois vernis, près de la porte où attendait une carafe et deux coupes vides en cristal. L’Impératrice les remplit de vin et en tendit une avant de se rasseoir.

Distraitement, Belenor la prit, se tenant la tête de l’autre main. Il ne comprenait pas, pourquoi lui ? Et cette migraine ! Elle ne voulait pas partir. Machinalement, il porta la coupe à ses lèvres, un peu de vin ne pouvait pas faire de mal.

La coupe était glacée. Pire encore, le vin était gelé. Surpris par la température, le jeune homme lâcha la coupe qui se brisa sur le parquet ciré, répandant des éclats de verre et de vin gelé partout.

«  Veuillez m’excuser, votre Grâce, implora Belenor, je ne comprends pas ce qu’il se passe.

-       Ainsi donc voici votre Don, comme l’appellent les Mages, vous êtes capable de geler les liquides. C’est assez spectaculaire.

-       Non, je n’ai jamais… Je ne comprends pas. » balbutia difficilement Belenor que la migraine attaquait de plus en plus.

Jamais il n’avait rencontré quelqu’un doté d’un tel Don. Il savait que l’Archimage Dominika Curtis était une Mage d’Eau mais elle n’en avait jamais fait démonstration devant lui et il n’était pas sûr qu’elle maîtrise la fusion des liquides. Sa migraine devenait de plus en plus forte, mais il devait poser encore quelques questions à l’Impératrice. Premièrement, il devait, par politesse, ramasser les bouts de verre cassés.

«  Excusez-moi pour la coupe, réussi-t-il à articuler, je vais aider à ramasser. »

Il se baissa et vit que la coupe en cristal gisait par terre sans aucun bris. Il la ramassa et la posa sur le bureau. Jamais il n’avait vu un objet cassé se reformer de lui-même. Et ces maux de tête qui ne voulaient pas cesser !

«  Incroyable, s’extasia l’Impératrice, vous avez plusieurs Dons !

-       Je suis incapable de faire cela... Je ne comprends pas… »

Il se souvint enfin des recommandations de l’Archimage Kerneli. Il devait le trouver, c’en était trop !

«  Si vous voulez bien m’excusez, fit Belenor en se levant péniblement, je dois voir l’Archimage de toute urgence. »

Lorsqu’il fut enfin debout, il remarqua que l’Impératrice lui soutenait un bras. Il ne devait pas montrer autant de faiblesses à une femme aussi puissante. Poliment, il dégagea son bras et se dirigea pas à pas vers la porte, en se tenant à tous les meubles qui étaient à sa portée. Le monde autour de lui était de plus en plus flou et semblait tanguer comme le pont d’un navire en pleine tempête. Plus très assuré d’où il mettait les pieds, il trébucha sur le tapis.

De là, il n’avait plus la force de se remettre debout, ses yeux se fermèrent tout seul. Il entendit encore une femme crier, mais elle semblait si lointaine :

«  Maître Kerneli ! » faisait-elle.

Puis le noir fut complet. Il perdit connaissance.

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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 21:03

XXI 

Guérison

 

Les averses étaient nombreuses en ces mois printaniers et avaient transformé les routes de terre en sillon de boue, ce qui ralentissait beaucoup le voyage de Sybille vers Vessala. En effet, elle se déplaçait avec une charrette pour pouvoir transporter Fildar. Le meilleur moyen qu’elle avait trouvé pour éviter les questions et passer plus inaperçue avait été d’acheter un cercueil pour le corps inconscient. S’habillant de uniquement de noir depuis son départ de Bonnenbourg, elle passait pour une endeuillée. D’ailleurs dans les villages qu’elle traversait, elle était souvent surnommée la Veuve Noire. Elle ne faisait rien pour le démentir, cela évitait de nombreuses questions. Naturellement, les villageois préféraient se tenir à l’écart d’une femme toute de noir vêtue et transportant, pour tout bagage, un cercueil dans sa charrette. Sybille espérait de tout cœur que Fildar saurait lui pardonner ce déshonneur, encore plus grand que de voyager en charrette pour le chevalier qu’il était.

Le matin était encore jeune et la brume matinale occultait l’horizon mais, enfin, Sybille pouvait voir l’orée du bois. L’avantage de ce type de temps nuageux était que le Soleil était souvent éclipsé et ne donc le voyage en devenait plus aisé. En effet, lorsque l’astre diurne rayonnait, il devenait difficile pour Sybille de supporter la lumière. Depuis quelque temps, son intolérance à la lumière s’était accentuée au point que même avec ce ciel couvert, elle préférait porter son capuchon profondément ramené sur son visage.

En ces temps incertains, les voyageurs se faisaient rares et Sybille n’en avait croisé que très peu de Bonnenbourg au carrefour qui lui avait fait quitter la Grand’ Route, aucun depuis. En même temps seuls les inconscients prenaient cette direction, même en temps normal.

Il ne fallut pas longtemps à Sybille pour atteindre l’orée du Bois et y pénétrer. Elle ne trouva qu’un mot pour décrire l’atmosphère de ces lieux, oppressante. Une fois qu’elle passa la première barrière d’arbres, la nature se tut, le silence se fit. Très vite également, les rayons du Soleil furent cachés par les branches et la lumière ambiante en fut de beaucoup atténuée ce qui était bien plus supportable pour elle.

Sybille n’avait aucune idée de la façon de trouver Vessala. Fildar lui avait dit que ce serait les gens de la cité cachée qui la trouveraient en premier. Elle avait donc juste à suivre le chemin  qui traversait la forêt de long en large et prier pour les hommes de Siougrev ne tuent pas sans sommation.

Bercée par les mouvements de balancier de la charrette et le silence ambiant qui n’était troublé que par le pas lourd des sabots du cheval de trait, les crissements du véhicule et sa propre respiration, Sybille somnolait. Ainsi lorsqu’une voix d’homme lui somma de s’arrêter, elle sursauta.

«  Que faites vous dans ces bois ? demanda la voix.

-       Je dois me rendre à Vessala pour rencontrer votre maître, le Seigneur Siougrev.

-       Le fait que vous connaissiez ces noms montre que vous n’êtes pas là par hasard. Pourtant, je ne peux vous conduire à mon maître sous le seul prétexte que vous connaissez son nom.

-       Je suis là pour ses talents de Guérison. Seul lui a les capacités de m’aidez. Je me rends, sans condition, à votre jugement.

-       Je ne sais pourquoi, mais je suis tenté de vous croire. Je vous conduirais à lui, Dame, mais vous ne verrez le chemin et vous me remettrez toute arme.

-       Comme il vous plaira, bandez-moi les yeux.

-       Très bien, faites attention au moindre geste brusque, je n’hésiterai pas à vous tuer. »

Sybille l’entendit alors approcher. Sur sa gauche un homme s’approcha, encapuchonné d’une cape verte sombre qui lui permettait de se fondre aisément dans la forêt sans être repéré. D’une de ses poches il sorti une bande de tissu qu’il noua autour des tempes de Sybille. Il s’installa ensuite à ses côtés sur le banc de la charrette, lui prit les rênes des mains et les fit claquer. Ils reprirent alors leur progression, sans que Sybille ne puisse voir où ils se rendaient, ce qui était une sensation étrange de se déplacer sans voir sa destination.

L’homme n’avait pas remis le capuchon de Sybille après lui avoir bandé les yeux. Les arbres cachaient tellement le Soleil qu’elle ne sentait pas sa chaleur sur la peau de son visage. Ces derniers temps, elle avait appris à craindre la lumière du jour qui lui irritait la peau et lui donnait des maux de tête. Sous les arbres du Bois Cendré, elle se sentait bien, ainsi elle ne demanda pas à ce que l’inconnu lui remette le capuchon en place.

Alors qu’ils s’enfonçaient plus avant dans le bois, le silence régnait et n’était interrompu que par les quelques crissements de la charrette et le bruit des sabots du cheval de trait.

Le trajet dura une bonne heure, jugea Sybille mais elle ne pouvait en être sure, les yeux bandés. L’homme resta muet tout ce temps et donc elle sursauta lorsqu’elle entendit une voix de femme s’exclamer :

«  Dylan ! Qui est cette femme que tu nous ramènes ?

-       Elle insiste pour rencontrer maître Siougrev.

-       Il médite sous le chêne millénaire, comme à son habitude. Conduit la et laisse cette charrette ici.

-       N’y touchez pas, je vous prie, intervint Sybille, ce que je transporte est important.

-       Un cercueil ? Maître Siougrev ni personne ne peut ressusciter les morts.

-       N’y touchez pas, c’est tout ce que je vous demande.

-       Garde un œil dessus, chérie. » demanda Dylan alors qu’il aidait Sybille à descendre.

Il l’entraîna les mains posées sur ses épaules en lui indiquant les différents obstacles. Le chemin qu’ils empruntaient était tellement compliqué que même si elle avait voulu essayer de se le rappeler, elle n’aurait pu tant la tâche était ardue.

Après un moment, elle sentit sous ses pas qu’ils traversaient une sorte de pont en bois, firent quelques pas où Dylan dû la guider à travers ce qui semblait être des racines, puis ils s’arrêtèrent. Une voix, profonde, devant eux s’exclama alors :

«  Je déteste être dérangé pendant que je médite, tu devrais le savoir, Dylan.

-       Oui, maître. Seulement, j’amène avec moi une femme qui souhaite votre assistance.

-       Retire-lui son bandeau. »

Il s’exécuta. Après s’être rapidement habituée au retour de la lumière, Sybille pu alors observer le maître de Vessala. Il était assis sur une sorte de rocher plat, face au ravin qu’ils avaient traversé par le pont et qui créait une sorte d’île autour de l’immense chêne qui devait bien être millénaire. Il leur tournait le dos et sa tête chauve semblait fixer la profondeur de la forêt qui s’étendait au-delà du gouffre. Dylan, quant à lui s’était placé en retrait, appuyé au tronc de l’arbre et il attendait sans un mot.

«  Laisse-nous, Dylan » ordonna Siougrev.

Sans plus attendre l’homme tourna les talons et s’en alla par le petit pont de bois qui était derrière Sybille. Lui partit, elle n’osa pas prononcer un mot avant Siougrev. Une minute passa, puis deux avant que le maître de Vessala brise le silence :

«  Cela fait bien longtemps que personne ne m’ait dérangé ainsi.

-       Pardonnez ma hardiesse, Seigneur, implora-t-elle en ployant le genou.

-       Non, je ne veux pas de cela, fit-il en se levant. Trop peu de gens ont l’audace de briser ainsi la routine des autres. J’admire cela. »

Il se retourna et tendit la main pour aider Sybille à se relever. Elle put alors détailler son visage. Il semblait avoir une quarantaine d’années avec quelques rides mais sans plus. Pourtant ses yeux, d’un bleu sombre semblaient lire dans son âme et être emplis d’une sagesse comme seul un homme ayant vécu une longue vie pouvait acquérir.

«  Vous avez bien du chemin pour venir me voir. Votre mal, bien qu’inconnu, n’a pas l’air si grand, les soins sont-ils si mauvais hors d’ici ?

-       Ce n’est pas pour moi que je suis venue. Mon ami, que vous connaissez, a, jusque là, survécu à une blessure de Dakhart.

-       Conduisez-moi à lui. Immédiatement. »

Le changement de ton de la voix de Siougrev indiqua à Sybille qu’il ne prenait pas cela à la légère. Même ses yeux reflétaient désormais une froide détermination. Sans attendre, elle lui indiqua l’endroit approximatif et lui emboita le pas. Sur le passage du maître, tous interrompaient leurs activités, intrigués de le voir suivi d’une étrangère.

S’arrêtant devant la charrette, Sybille demanda à ce que le cercueil soit transporté dans une pièce sombre, dont on pouvait clore toutes les ouvertures lumineuses. Siougrev interpella quatre hommes qui se trouvaient là pour les aider. Ils transportèrent le cercueil dans une grande habitation en bois qui était construite autour d’un large tronc. Elle semblait avoir été faite sans jamais heurter l’arbre, épousant ses formes, respectant ses racines. La pièce où ils emmenèrent le cercueil avait été aménagée sous le tronc, avec les racines qui faisaient office de plafond. Sybille était stupéfaite par la beauté de cette réalisation. Devant son air ébahi, Siougrev déclara :

«  Moi aussi, la première fois, j’ai été bluffé par l’architecture des Elfes Noirs.

-       Vous êtes allés chez eux et vous avez survécu ?

-       Autrefois, ils n’étaient pas autant renfermés sur eux-mêmes qu’aujourd’hui. La Conquête et la Fondation de l’Empire par Logarn que les humains louent tant ne fut pas si heureuse pour les autres races. Déposez-le au centre, indiqua Siougrev aux porteurs, et laissez nous. »

Les hommes déposèrent le cercueil à l’endroit indiqué et sortirent. La porte fermée, la pièce était vraiment sombre, éclairée à la lumière de quelques bougies. Le Seigneur de Vessala souleva le couvercle et commença à analyser le corps.

Fildar avait beaucoup maigri depuis qu’il était inconscient. Ses joues s’étaient creusées et étaient devenues très pâles. Il était méconnaissable. Siougrev poussa un long soupir et tendit les mains au dessus du corps inanimé. Ses paumes s’illuminèrent. En réaction la peau de Fildar, très pâle se grisa plus ou moins sur tout son corps sauf au niveau de la tête et une partie de la poitrine, au niveau du cœur, qui restèrent aussi blanches que neige. Quant à son bras droit, là où le Dakhart l’avait entaillé, était aussi noir que les plus profondes ténèbres.

«  Généralement, les maux que je soigne ne se caractérisent que par quelques plaques noires. J’ai peur que ce mal dépasse mes compétences.

-       Vous ne pouvez rien faire ? Il m’avait dit que vous étiez un grand Guérisseur.

-       Fildar Korventen, c’est bien lui, n’est-ce pas ? Lorsque j’ai soigné son Prince, le mal était bien moindre. L’école de Guérison s’est beaucoup affaiblie depuis mon époque, non ?

-       D’après ce que l’on en dit, aucun mage n’est né avec le Don de Guérir depuis des centaines d’années.

-       C’est bien ce que j’avais compris. Je vais voir ce que je peux faire mais avant laissez-moi vous soigner.

-       Ce n’est pas pour moi que je suis venue. Je peux très bien vivre ainsi.

-       Regardez vous-même. »

Siougrev répéta son examen sur Sybille et elle se rendit compte que de nombreuses petites plaques noires parsemaient sa peau, en particulier autour de sa main gauche, là où Fildar dans un dernier sursaut la lui avait entaillée avant de sombrer dans l’inconscience.

«  Vous êtes plus atteinte que je ne le pensais. Je pense pouvoir facilement stopper la progression de cette infection, après l’avoir étudiée.

-       J’aurai préféré que vous vous occupiez de Fildar d’abord.

-       Ce mal m’est inconnu. Il faut que je l’étudie, je ne me risquerai pas à soigner votre ami s’il y a plus de chance que je le tue par ignorance. De plus il a atteint un stade où seul son esprit résiste encore. Il est fort d’avoir résisté jusque là, je pense qu’il est stable pour un moment encore. Je vais l’aider à soulager la douleur, pour le moment. »

Il passa sa paume lumineuse au-dessus du corps, une partie de la lumière émise semblait être absorbée. Quand Siougrev eut fini, Fildar poussait un tout petit gémissement que l’on pouvait prendre pour du soulagement.

«  Voilà, c’est votre tour maintenant, ma Dame, qui avez oublié de vous présenter.

-       Je me nomme Sybille, répondit-elle presqu’en s’excusant, fille du Duc Veassen de Rembrunt.

-       Très bien, Dame de Rembrunt, dormez maintenant. »

Elle voulu protester mais le mage saisi ses tempes de sa main lumineuse et elle sentit une grande sérénité, toutes ses inquiétudes pour Fildar, son voyage et cet endroit semblait s’évaporer comme neige au Soleil. Sa vue se brouillait de plus en plus et la dernière chose qu’elle vit furent les yeux bleus et sombres de Siougrev qui se voulaient rassurants.

 

*

* *

 

Lorsque Sybille rouvrit les yeux, elle se trouvait dans une chambre et dans un lit qui lui étaient inconnus. Tout était fait de bois, même aux murs, aucune trace de pierre. La pièce était éclairée par une grande ouverture et le Soleil brillait haut dans le ciel, il ne devait pas être loin de midi. Voyant cette lumière si forte, Sybille eut le reflexe de se recouvrir brusquement des couvertures. Elle avait été exposée à l’astre du jour ce qui lui irritait toujours la peau.

Il lui fallut un moment avant de réaliser qu’il n’en était rien, la lumière ne l’avait pas brûlée du tout. Peu à peu tout lui revint, Siougrev, sa promesse d’essayer de la guérir, son voyage jusqu’à Vessala et Fildar pour qui elle l’avait entreprit.

Si elle ne sentait plus rien au contact de la lumière du Soleil, c’était que Siougrev avait réussi à la guérir ! Il avait dû guérir Fildar également!

Sans plus attendre, elle voulu sortir aller le voir. Elle sauta du lit et se dirigea vers la porte. Elle allait l’ouvrir mais au dernier moment, arrêta son geste. Elle était nue. Ses yeux firent le tour de la pièce pour voir si ses vêtements y étaient. Fort heureusement, il y en avait là, sur un tabouret à l’autre bout du lit, juste sous la grande fenêtre ronde. Prestement, elle se dirigea vers eux et commença à les enfiler. Ses mains étaient engourdies ce qui rendait la tâche ardue.

Elle avait à peine boutonné la moitié du chemisier blanc que quelqu’un ouvrit la porte sans s’annoncer. Sybille se raidi, elle fit attention à couvrir sa poitrine du tissu blanc et le maintint d’un bras passé en travers avant de se retourner lentement. Le jeune garçon qui se tenait là ne semblait pas avoir plus de dix ou douze ans. Droit comme un piquet, il écarquillait des yeux. Son regard la jugea de haut en bas et lorsqu’il vit ses jambes nues depuis la mi-cuisse jusqu’aux chevilles, il faillit lâcher les draps qu’il tenait, probablement pour changer le lit.

«  Pardonnez moi, ma Dame, je ne voulais pas, commença-t-il.

-       Ce n’est rien, dépose ce linge et va me chercher Siougrev ou quelqu’un de compétent.

-       Tout de suite ! fit-il en tournant les talons.

-       Et, ajouta-t-elle avant qu’il ne disparaisse de la chambre, n’oublie jamais de t’annoncer avant d’entrer dans la chambre d’une femme. Cela te sera utile à l’avenir.

-       Oui, ma Dame, je ferai attention. »

Le jeune garçon sortit, Sybille put finir de se rhabiller. Ces vêtements n’étaient pas les siens, à part les sous-vêtements blancs, ils étaient dans les tons verts, comme tous les forestiers des Bois Cendrés qu’elle avait aperçus avant que Siougrev s’occupe d’elle.

Le vert lui faisait toujours penser à sa mère qui en portait continuellement, car elle restait attachée à sa famille dont le blason était un cygne blanc sur champ vert. A contrario son père portait le plus souvent du bleu et du blanc en référence à son emblème familial, le lys d’azur sur fond immaculé. Les rapports entre ses deux parents avaient toujours été tendus selon ce qu’ils en laissaient voir – consciemment ou non – à Sybille.

Elle avait à peine fini d’enfiler ses bottes noires – au moins celles-ci étaient les siennes ! – que quelqu’un frappa à la porte. Au moins celui-ci savait qu’elle était réveillée, il n’entrerait pas sans qu’elle le lui dise.

«  Entrez, dit-elle en se relevant.

-       Ma Dame, fit l’homme qu’elle reconnut comme étant Dylan, veuillez tout d’abord excuser Tom, mon fils, il n’a pas voulu être impoli.

-       Je ne lui en veux pas, n’aillez crainte. Si c’est vous que le Seigneur Siougrev envoie, pourriez vous me conduire à lui ?

-       Personne n’a vu le Seigneur depuis longtemps. Il s’est enfermé dans la salle du cercueil de votre ami et n’en sort jamais. Il a demandé à ce que des repas lui soient déposés devant la porte à heures fixes et qu’il ne voulait pas être dérangé.

-       Depuis combien de temps suis-je inconsciente ?

-       Votre rétablissement a duré presque six mois. Vous vous êtes réveillée à de nombreuses reprises entre temps mais vous déliriez ou vous ne vous souveniez pas de qui vous étiez.

-       Six mois… fit-elle pensivement. Menez-moi à votre Seigneur Siougrev.

-       Il ne veut voir personne.

-       Si comme vous le dites, cela fait longtemps qu’il s’est enfermé, le fait que je soie de nouveau consciente devrai l’intéresser un minimum.

-       Je veux bien vous emmener devant sa porte. Vous essaierez de lui parler si cela vous amuse de perdre votre temps.

-       Faites donc. »

Il lui demanda alors de le suivre et ils sortirent de la chambre. De là ils descendirent un escalier et traversèrent ce qui semblait être un salon ou ils croisèrent le fils de Dylan. Celui-ci ne put s’empêcher de fixer Sybille dès qu’elle entra dans la pièce et plus particulièrement ses jambes désormais vêtues, ce à quoi elle répondit par un grand sourire et un clin d’œil qui firent rougir le jeune garçon jusqu’aux oreilles. Son père, qui avait suivi l’échange silencieux, fit mine de froncer les sourcils ce qui fit rire Sybille intérieurement.

En y repensant, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu l’occasion de sourire. Elle était comme soulagée d’un poids qui avait pesé sur son humeur sans qu’elle s’en rende compte quand elle voyageait seule. Il ne manquait plus que Fildar aille bien et tout irai pour le mieux.

Elle sortit de ses pensées lorsque Dylan lui indiqua la fameuse porte et la laissa devant sans un mot de plus, elle ne souvenait même plus du chemin qu’ils avaient emprunté pour arriver devant cette porte. Ils étaient sortis de la maison – qui devait être celle de Dylan tout compte fait – et avaient fait quelques pas, mais elle serait incapable de se retrouver l’habitation de départ. Le plus surprenant était qu’elle ne se souvenait même plus avoir senti le Soleil ni même plissé des yeux, pourtant comme elle l’avait estimé à son réveil, il ne devait pas être loin de midi.

Elle soupira un coup et frappa un coup à la porte. Sybille s’attendait à ne pas avoir de réponse et devoir s’annoncer pour que Siougrev lui ouvre, mais il n’en fut rien.

«  Entrez, Sybille. » fit la voix du Seigneur de Vessala.

Très surprise, elle s’exécuta. La pièce était sombre, uniquement éclairée à l’aide d’une dizaine de bougies et Fildar était là, au centre de la pièce reposant sur un matelas. Siougrev lui tournait le dos, penché sur son patient, apparemment très concentré. Sibylle referma doucement la porte et resta derrière le maître des Bois Cendrés, attendant qu’il s’adresse à elle.

Au bout d’un moment, celui-ci poussa un long soupir et se redressa. Il se retourna et elle vit que son visage n’avait plus rien de solennel tel qu’elle l’avait vu avant. Les traits tirés par la fatigue et les yeux cernés au possible, il semblait au bord de l’épuisement. Siougrev leva vers elle un regard triste.

«  J’ai essayé beaucoup de moyens mais son mal est plus tenace que je n’aurai pu l’imaginer même en étant très pessimiste.

-       Comment va-t-il ?

-       Pas mieux en tout cas, peut-être même un peu moins bien. Je suis désolé, mon savoir ne peut pas grand-chose de plus.

-       Vous n’allez pas abandonner ! s’exclama-t-elle alors qu’elle sentait des larmes lui monter aux yeux. N’y a-t-il point un moyen de requérir plus de pouvoir vu qu’il vous en manque ?

-       Personne à ma connaissance n’est capable de soigner un tel mal, même à mon époque j’étais l’un des meilleurs Guérisseurs et aujourd’hui il n’y en a plus un seul. Seul Dieu et ses Archanges pourraient lui venir en aide. Il ne reste qu’à prier et je n’ai jamais été bon pour cela.

-       Quel Archange pourrait aider ? Ils n’interviennent jamais directement.

-       Ils le peuvent si vous faites la demande correctement.

-       Pourriez-vous le faire ?

-       Je connais les incantations pour entrer en contact avec l’un d’entre eux, mais les invoquer à un prix, ils ne se dérangent pas pour rien.

-       Je pense que je suis suffisamment désespérée pour en faire la demande. Lequel des Six pouvez-vous appeler ?

-       Les Ténèbres. Je sais, il n’a pas une réputation de bienfaiteur, ajouta-t-il alors que Sybille laissa libre cours à ses larmes, mais je suis sûr que vous pourrez le convaincre.

-       Faites-le ! Je n’ai rien à perdre.

-       Réfléchissez y bien. Je vous laisse jusqu’à la nuit. Je vais me reposer un peu, ce genre d’incantation est difficile et épuisante. »

Il sortit sans plus de cérémonie, laissa Sybille seule, sanglotant. Elle levait les yeux de temps en temps sur Fildar, inexpressif, il n’avait pas changé tout le temps que Siougrev s’était occupé de lui, toujours aussi pâle, presque cadavérique.

 Venant de Bonnenbourg, il était normal qu’elle fût très pieuse. Depuis sa tendre enfance, son père, le duc de Rembrunt, qui était un proche du clergé de la Cathédrale du Sacre, l’avait initiée à la prière. Pourtant de tous les Archanges, celui des Ténèbres était, pour Sybille, maléfique et elle ne lui adressait presque jamais une prière complète.

Jamais personne n’avait évoqué la possibilité d’appeler un Archange à intervenir directement, le seul fait que cela soit possible dépassait l’entendement. Ils étaient divins, ne se souciant que peu des affaires du monde sauf quand celui-ci était en péril. En invoquer un pour sauver Fildar…C’était inespéré. Encore fallait-il qu’il accepte de l’aider. Il allait exiger un prix, évidemment, et il serait élevé, assurément.

Elle détailla encore une fois le visage de Fildar qui était encore beau malgré la maladie qui le rongeait. Cela en valait la peine. Peu importe le prix qui serait demandé, elle le paierait.

La journée passa plus vite qu’elle ne le crut et elle fut surprise lorsque Siougrev revint, visiblement reposé, prêt à appeler l’Archange.

«  Vous n’avez pas changé d’avis ? demanda-t-il.

-       Non. Faites-le, s’il vous plait.

-       Je n’ai pas pratiqué cela depuis longtemps, avant la fin de la Conquête, en fait. C’est toujours dangereux de déranger un Archange. Reculez-vous. »

Sans un mot, elle obéit et observa Siougrev prononcer des incantations dans une  langue qu’elle n’avait jamais entendue. Jusque là elle n’avait vu que très peu de fois des mages à l’œuvre et jamais ceux qui avaient un Don ne prononçaient d’incantation. Quant à ceux qui n’en avaient pas, leurs formules étaient beaucoup plus courtes. En réalité, le Seigneur de Vessala semblait prier, comme en transe.

Patiemment elle attendit, rien ne se passait. Siougrev psalmodiait de plus en plus vite, faisait de courtes pauses puis recommençait encore et encore.

La sueur commençait à sérieusement perler sur son crâne chauve lorsque, soudain, une sorte de violente brise souffla et éteignit toutes les bougies qui éclairaient la pièce. Elle semblait prendre sa source du mur en face du maître des Bois Cendrés que celui-ci fixait intensément depuis le début.

Il avait arrêté son incantation. Dans le noir le plus total ils attendirent. Une minute passa puis deux avant qu’une voix qui semblait féminine retentit.

«  Depuis plus de deux mille ans, personne n’a jamais osé prendre le temps de prononcer les mots pour me faire venir ainsi. »

Subitement une bougie se ralluma, puis deux, proches du mur du fond. La faible lumière ainsi créée permettait de distinguer la silhouette d’une femme. Entièrement vêtue de noir, avec une longue robe au décolleté provoquant tellement il était plongeant, laissant apparaître bien plus que ne suggérant la forme de sa poitrine. Sa peau était blanche comme la craie et sa longue chevelure, obscure comme une nuit sans lune. Ses lèvres, fines, étaient noires. Ses yeux, entièrement noirs, semblaient vous transpercer de part en part sans que vous ne puissiez leur cacher quelquechose. Tout en elle était soit complètement sombre soit entièrement blanc.

Ses yeux sans pupille se posèrent sur Fildar, puis sur Sybille et enfin revinrent sur Siougrev.

«  Ainsi c’est pour eux que vous m’appelez.

-       Oui, Archange, répondit Siougrev qui semblait troublé par quelque chose mais il n’en dit rien.

-       Je croyais que les Archanges étaient des hommes, intervint Sybille.

-       Vous vous trompiez, nous somme ce que nous sommes. Je suis l’Archange des Ténèbres, Humble Servante de l’Eternel. Je suis la Vierge Noire. Et vous, femme, qui êtes-vous ?

-       Je me nomme Sybille de Rembrunt.

-       Et vous, qui connaissez mon nom ?

-       Je suis Siougrev, fit froidement le Seigneur de Vessala.

-       Et lui, qui est-il ? demanda l’Archange en désignant le malade.

-       Fildar de Korventen, répondit Sybille. Pardonnez mon audace, Archange, je vous demande humblement de l’aider, sans vous il ne survivra pas.

-       Et pourquoi le ferai-je ? Pourquoi irai-je défier le destin qui lui a été attribué ?

-       Je vous donnerai ce que vous désirez.

-       Que puis-je attendre d’une simple humaine sinon la déception ?

-       Je vous offre mes services, à compter de ce jour, ordonnez et j’obéirai. Et je suis sure que Fildar vous offrira les siens en reconnaissance.

-       Vous vendriez le libre arbitre de cet homme pour le sauver.

-       Je n’ai pas dit ça…

-       Très bien, la coupa la Vierge Noire, j’accepte. De quoi souffre-t-il ?

-       Une morsure de Dakhart. C’est la première fois que je vois quelqu’un y survivre plus d’une minute, expliqua Siougrev.

-       Ainsi il a suffisamment de volonté pour s’opposer à ce poison. La plupart du temps leur volonté s’effondre lorsqu’ils comprennent ce qu’ils deviendront s’ils laissent le venin faire sont œuvre. Ils se laissent mourir plutôt que de le combattre. Lui, il l’a combattu, il l’a même vaincu, j’ai l’impression, dit-elle pensivement avec une main sur le front du malade.

-       Il l’a vaincu ? Pourquoi est-il encore si mal alors ? demanda brusquement Sybille.

-       Pour cela, continua la Vierge Noire sans faire attention à la remarque, il a dû sacrifier une partie de son humanité pour mêler une partie du poison à lui. Malheureusement, la partie qu’il a rejeté, la plus mauvaise est tenace et a continué son œuvre. Sa volonté est forte, il tient toujours mais cela ne durera plus longtemps, les forces que vous lui avez insufflées en essayant de le guérir s’amenuisent, Siougrev. Je peux essayer de lui enlever le poison qui le ronge mais je ne pourrai pas lui rendre la part d’humanité qu’il a abandonné volontairement. Pour cela j’aurai besoin de votre aide, Sybille.

-       Que puis-je faire ? Je ne connais rien à la Guérison.

-       Il ne s’agit pas de cela. Son esprit doit être purifié. Il vous connait bien et saura que si vous apparaissez dans son esprit il pourra vous faire confiance.

-       Dans son esprit ?

-       Oui, je vais vous y envoyer. Sachez qu’il est comme assiégé, ses souvenirs les plus noirs se retournent contre lui. Trouvez le et aider le à vaincre ses peurs.

-       Comment saurai-je comment m’y prendre ?

-       Vous trouverez bien un moyen. Si vous échouez vous serez coincée dans cet esprit corrompu et je ne pourrai plus rien pour vous. Nous serons contraints de l’éliminer et vous aussi par la même occasion. Une telle abomination doit mourir.

-       Je suppose que je n’ai pas le choix.

-       Vous avez devinez. Donnez-moi votre main. »

Docilement, Sybille lui tendit la main droite. La Vierge Noire la saisit et avec sa main libre elle toucha le front de Fildar. Inspirant profondément, elle ferma ses yeux noirs. Lorsqu’elle les rouvrit, la jeune femme se sentit défaillir comme si son esprit se faisait absorbé. Peu à peu tout s’assombrit.

 

*

* *

Lorsque Sybille rouvrit les yeux – elle ne se rappelait pas avoir perdu conscience pourtant elle s’était bel et bien évanouie – elle ne reconnut pas l’endroit où elle se trouvait. Si tant est qu’un tel environnement était possible. En effet, elle semblait flotter dans le vide, il n’y avait ni haut ni bas. L’obscurité était complète, jamais Sybille n’avait vu cela. Elle commençait à prendre peur lorsque la voix de la Vierge Noire retentit :

Vous êtes de nouveau consciente, bien. Je vais vous guider.

-       Suis-je dans l’esprit de Fildar ? C’est… vide.

Non, ceci n’est pas son esprit, c’est un passage intermédiaire, obligé pour vous protéger. Si je vous avais envoyé directement dans son esprit, il aurait pu mal réagir et, vous considérant comme intruse et dangereuse, essayer de vous tuer. Préparez-vous, et rappelez vous que son esprit est malade, si quelque chose vous parait impossible dans la réalité, elle est possible ici. Seul le malade décide comment tourne son monde.

-       Je suis prête.

Très bien, bonne chance.

La voix se tut et Sybille eut l’impression d’être propulsée vers une lumière qui venait d’apparaître et qui grandissait à grande vitesse. Lorsqu’elle l’attint, elle arriva sur une grande place pavée. Le sentiment d’avoir un sol palpable sous ses pieds lui fit du bien. Elle ne reconnut pas tout de suite l’endroit, en fait certaines parties de son environnement étaient floues, comme imprécises. Observant autour d’elle, la jeune femme finit par apercevoir une bannière bleue avec un aigle d’or. Elle était à Callaven, mais pourquoi Callaven ?

Vous êtes dans son esprit, seul lui décide, rappela la voix de la Vierge Noire retentissant dans sa tête. Trouvez-le et vous comprendrez pourquoi cet endroit le trouble.

Sybille commença à se déplacer, très vite elle comprit que l’endroit avait ses limites. En effet, si elle se rapprochait trop des parties floues, peu à peu, tout semblait vaporeux et instable. Elle décida qu’il valait mieux ne pas s’y aventurer.

Elle traversa donc la place dans l’autre sens et tout devint peu à peu plus net. De là, elle attint l’un des jardins de la ville qui ne devait pas être loin du Palais Royal. Dans le jardin, deux enfants semblaient jouer dans l’herbe. Où était Fildar ? Elle n’avait vu aucun détail pouvant indiquer sa présence ou la raison pour laquelle c’était cet endroit qui était présent dans son esprit.

Les deux enfants la bousculèrent en passant devant elle en courant. Le plus jeune devait avoir cinq ans et semblait fuir l’ainé qui le poursuivait en riant. Généralement, Sybille aimait bien les enfants mais là elle n’ait pas le temps pour ces enfantillages. Surement que leurs parents n’étaient pas très loin, après tout, les jardiniers n’aiment pas voir des enfants courir dans leurs espaces sans surveillance.

Réalisant soudain qu’elle n’avait vu personne jusqu’ici, elle se concentra sur les deux enfants. Peut être que Fildar était l’un d’eux, après tout elle était dans son esprit et lui seul édictait les règles du possible et de l’impossible.

Intriguée, elle s’approcha des deux garçons. Le plus grand, semblait avoir environ dix ans, avait réussi sans grande difficulté à rattraper le cadet qui s’était écroulé par terre. Ce dernier se tenait le genou, il s’était fait mal mais l’ainé ne semblait pas s’en soucier, continuant à affirmer être le plus fort.

«  Tu ne seras jamais à la hauteur ! Fildar est nul ! clamait-il à tue-tête.

-       J’ai mal ! sanglotait l’autre. S’il te plait, Duncan, aide-moi !

-       Père dit qu’un homme doit pouvoir se relever seul. Je ne t’aiderai pas, petit frère. Tu es faible et tu dois t’endurcir. »

Fildar avait un frère ainé ! Cette nouvelle intrigua Sybille car il s’était toujours présenté comme l’héritier de la famille Korventen. Jamais il n’avait mentionné ce lien familial. Pourtant elle lui avait parlé de ses deux frères. De plus, quelque chose clochait avec cet enfant, il semblait avoir des spasmes qui le rendaient flou et sombre le temps d’un instant.

En s’approchant encore plus, elle vit que le regard de l’ainé – Duncan ? – était complètement rouge sang. Il avait vraiment une tête à faire peur. Quand celui-ci la vit approcher, elle sentit une rage infinie dans son regard. Se tournant vers le petit Fildar il prit une dague qui était à sa ceinture. Pourtant Sybille était sure qu’il n’en portait pas juste avant ! Duncan s’avança pour poignarder son frère, mais elle s’interposa.

Le rouge des yeux de Duncan se fit plus intense mais elle lui rendit son regard en prenant l’enfant de cinq ans dans ses bras. Comme il se faisait de plus en plus menaçant elle donna un violent coup de pied dans le ventre du gamin de dix ans. Celui-ci expira un long râle, puis, subitement, ses yeux redevinrent blancs.

Tout alors changea autour d’elle, Duncan s’estompa peut à peu tout comme son environnement. Seul Fildar resta et il la regarda avec ses yeux d’enfant. Il lui avait dit qu’avant sa transformation ses yeux étaient ambrés pourtant le garçon avait déjà les yeux violets tirant sur le rouge.

Ce qu’elle venait de voir n’était donc pas un souvenir comme elle l’avait cru au premier abord, elle était bel et bien dans l’inconscient de Fildar. Ainsi le poison attaquait ce sanctuaire en essayant de pervertir son esprit.

Elle sentit que le garçon qu’elle tenait dans les bras se faisait plus léger et, le scrutant plus précisément, elle vit qu’il commençait à disparaître.

«  Merci d’être venue, Sybille, le vert te va si bien, fit le garçon de sa voix aigue en faisant  référence à sa tenue. Malheureusement, il est encore là, quelque part. Il ne me laisse jamais tranquille bien longtemps. »

Avant qu’elle ne puisse lui demander toutes les questions qui lui brulaient les lèvres, il disparut et elle se retrouva seule dans le noir et aucun indice pour continuer à aider Fildar.

Comme il vous l’a dit, vous n’avez pas fini, retentit la voix de la Vierge Noire dans sa tête. Faites attention pour la suite, désormais vous ne les surprendrez plus.

Une nouvelle fois, lorsque la voix se tut, une lueur apparut au loin et Sybille se sentit propulsée vers elle. Cette fois ci elle arriva dans une pièce sombre, qui avait de grandes fenêtres mais il faisait nuit et aucune bougie n’était allumée. La pièce était grande et semblait assez luxueuse, comme une salle de banquet d’un manoir d’un noble fortuné. Elle ne reconnaissait pas l’endroit et la bannière qu’elle pouvait à peine distinguer représentait un ours noir sur un fond clair, ce qui ne lui évoquait rien. En tous cas, la pièce était beaucoup plus nette que le jardin précédent, avec de nombreux détails et semblait beaucoup plus réelle qu’imaginée.

Deux personnes semblaient discuter dans la pièce adjacente. Prudente, la jeune femme se rapprocha et colla son oreille contre la porte. La voix bourrue d’un homme grondait :

«  Tout cela, c’est à cause de ce satané Morwind. Depuis qu’il gouverne, pendant que son frère – le Roi ! – passe du bon temps dans un monastère de l’Empire, il prend des décisions à sa guise sans consulter personne. Le Roi a déjà laissé le trône à son frère pendant deux ans lorsque son fils est mort. Combien de temps va durer cette nouvelle régence ?

-       Je le comprends, répondit une femme d’une voix douce, si je te perdais toi et nos deux fils, j’aurai du mal à m’en remettre. Cela fait presque quinze ans qu’il a perdu son fils. Il a besoin de se reposer de temps en temps. De plus, tu sais bien qu’en matière de justice, la parole du Roi – ou du Régent en l’occurrence – est indiscutable,.

-       Et tu le défends en plus ! Il emprisonne notre fils Duncan et toi, tu le défends ! La prison à vie, quel déshonneur ! Jamais il ne pourra prendre ma succession.

-       Ce que Duncan a fait mériterait la mort, selon les lois. Je suis peut être sa mère mais je ne l’ai pas élevé pour cautionner cela.

-       Nous devrions être fiers de lui, peu de nos capitaines auraient eu le cran de poursuivre à travers l’Empire l’escouade qu’avait envoyé Moriannor pour nous espionner.

-       Il a violé la frontière impériale et les a poursuivis jusqu’en dehors de l’Empire. Lorsqu’il les a rattrapés, dans le premier village après la frontière impériale il a ordonné à ses hommes de tuer, de mettre à sac, et de violer les femmes avant de les brûler avec leur village. Personne ne peut cautionner cela !

-       La guerre est rude pour ceux qui n’y sont pas habitués. Dans le Nord, ce genre d’expéditions punitives est monnaie courante et le commandant n’est jamais châtié. Ici, au lieu de couvrir de gloire mon fils, vous l’emprisonnez à vie ! Ma maison est ruinée ! Mon héritier déshonoré. »

Sybille entendit une porte s’ouvrir de l’autre côté de la pièce et un jeune homme – à en juger par sa voix – y entra en disant.

«  Père ! Rappelez-vous que vous n’avez pas qu’un seul fils !

-       Jamais tu ne m’as donné une raison de te considérer comme mon héritier. Il ferait beau voir, d’ailleurs, que tu le deviennes. Ma maison dirigée par un éleveur de chevaux !

-       Fildar est bon, Wilbur, intervint la femme, meilleur que ne le sera jamais Duncan.

-       Duncan était fort, un homme persévérant et audacieux. Toi, Fildar, tu es de mon sang et c’est la seule chose que tu m’as prise. Je pensais que te donner le nom de mon père aurai pu t’inspirer mais apparemment non.

-       Votre préférence à toujours été vers Duncan, fit Fildar, mais il n’est plus là et vous ne pouvez rien faire pour le ramener. Je suis votre héritier désormais que vous le vouliez ou non.

-       Ainsi vous vous liguez contre moi. Serait-ce une conspiration ? Plutôt mourir que de vous laisser mes terres et mon titre. Ce soir, vous allez tous les deux mourir, avec moi. »

Sybille réagit directement. Il était là elle en était sure, il avait pris possession de Wilbur. Sans plus réfléchir, elle ouvrit la porte, se saisissant également d’un candélabre qui était à sa portée.

La pièce n’était pas très grande, un petit salon avec quelques fauteuils. Une cheminée dans laquelle brûlait un feu vif occupait le mur à sa droite. Deux des fauteuils étaient tournés face à la cheminée et semblaient occupés tandis que Fildar, qui semblait avoir quinze ans, ses traits étaient reconnaissables, était debout près de l’un d’eux – celui de sa mère, très certainement.

Alors qu’elle entrait dans la pièce, le père, Wilbur, qui avait un certain air de famille avec son fils malgré sa carrure beaucoup plus forte et son embonpoint naissant, se levait. Lorsqu’il regarda Sybille, elle put voir ses yeux entièrement rouges ce qui confirma ses craintes.

L’homme pris alors une épée qui était apparue dans le feu de la cheminée et commença à menacer Fildar. Sans réfléchir, armée de son candélabre, elle traversa la pièce et essaya de l’assommer. Wilbur secoua la tête, sonné mais contrairement à ce qu’elle voulait ses yeux étaient encore d’un rouge intense. Il se mit en garde, la menaçant de son épée de feu. Promptement, sachant qu’elle n’avait aucune chance armée de son chandelier, elle poussa du pied le fauteuil où il était assis un instant plus tôt. Cela détourna l’attention de Wilbur suffisamment longtemps pour qu’elle s’approche de Fildar et, lui prenant la main, de s’enfuir de la pièce.

Ce dernier la suivit sans résister, comme dans un état second. Puis, alors qu’ils s’éloignaient de la pièce sans se retourner, Sybille entendit un hurlement de rage. Une secousse fit trembler le sol sous ses pas et elle trébucha ainsi que son compagnon.

En se relevant, elle remarqua qu’encore une fois, le couloir dans lequel ils se trouvaient semblait s’évaporer, perdant de plus en plus ses détails. Comprenant qu’encore une fois, Fildar allait disparaître, elle lui  déclara :

«  Je suis sure que nous pouvons y arriver, mais, Fildar, bats-toi ! Je ne pourrai pas le faire seule la prochaine fois. Il m’attendra à coup sûr.

-       Merci d’être encore venue, Sybille, répondit l’adolescent. Plus tu avances, plus ce sera dur, mais je reprends des forces grâce à toi.

-       Quelle sera la prochaine étape ? lui demanda-t-elle.

Fildar garda le silence, les yeux dans le vide et l’air infiniment triste. Il commençait à disparaître lui aussi.

«  Quelle sera la prochaine étape ? répéta-t-elle plus fort.

-       Sa naissance… » lâcha-t-il avant de s’évaporer et de la laisser seule.

Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose, elle allait voir le moment où Fildar a été mordu par un Dakhart, à Karrog. Il lui avait raconté la bataille et, comme pour tous les récits qu’elle avait pu entendre sur la guerre,  elle n’avait vraiment pas envie d’en vivre une. Pour sauver Fildar elle devait l’endurer.

Vous êtes près du but, ne vous découragez pas, fit la voix de la Vierge Noire. Même si vous ne le ressentez pas, vous êtes sous ma protection, c’est pour cela qu’il fuit lorsque vous protégez Fildar. La dernière étape sera plus dure que les précédentes, vous entrez dans son territoire. Trouvez Fildar et aidez-le.

Sybille ne fut pas surprise cette fois-ci lorsqu’une lumière apparu au loin et qu’elle s’en approcha rapidement.  Elle s’attendait au chaos et elle ne fut pas déçue. La première impression qu’elle eut de son nouvel environnement était la multitude de bruits différents qui, se mélangeant, agressaient les oreilles. Des hommes criaient des ordres, d’autres de douleur. Il y avait aussi des hennissements de chevaux, des cris stridents de Dakharts, le bruit des duels, des chocs du métal contre le métal.

Sybille avait déjà assisté à des tournois de chevalerie avec des duels et elle croyait être habituée à ses sons. C’était comme s’il y avait mille tournois en même temps voire plus.

Par reflexe elle se boucha les oreilles, le temps de s’habituer. Elle regarda autour d’elle. La bataille faisait rage dans la place. Les bataillons étaient totalement mélangés entre ceux rouges et or de l’Empire, bleu et or de Callaven – bien que beaucoup moins nombreux – ainsi que les Chevaliers ailés, vert et blanc. Il y avait peu de cavaliers encore sur leurs chevaux, des fantassins combattaient côte-à-côte avec des archers qui s’efforçaient d’abattre les Dakharts qui passaient en rase motte.

Il y avait un cavalier blessé adossé au rempart du fond. Elle regarda le ciel, il y avait des formations de Dakharts qui se battaient les uns contre les autres. Son regard se reposa encore une fois sur la mêlée, mais où pouvait être Fildar ? se demandait-elle. Le cavalier blessé semblait inconscient et inconnu parmi tant d’autres dans son cas mais un détail attira son attention, son bras droit était entaillé par une dent ! C’était lui, elle en était sure !

Alors qu’elle s’approchait du blessé, elle vit un soldat – un officier devina-t-elle à son uniforme – tomber du ciel. Littéralement ! Celui-ci se releva de sa chute comme s’il venait de sauter d’un petit muret et non pas du haut du donjon. Il regarda autour de lui et elle le reconnut. Belenor ! Même s’il semblait exténué par les combats, il était beau à ses yeux comme il l’avait toujours été.

En confiance, elle s’approcha de lui et de Fildar. Le Prince se pencha sur le blessé, examinant la blessure. Une dent de Dakhart était enfoncée dans son bras droit et suintait un liquide noir. Prudemment il l’enleva. C’est alors que Sybille vit une jeune femme assez grande aux cheveux blonds presque blancs s’approcher des deux hommes. Elle était accompagnée d’un adolescent qui ne semblait pas du tout apeuré par la bataille.

Tous les trois lui tournaient le dos et elle ne voyait pas leurs visages mais lorsqu’elle arriva à portée de voix elle les entendit discuter :

«  Il est condamné disait le Prince sombrement.

-       Oui, acquiesça la jeune femme, laissons le mourir. »

Entendant cela, Sybille comprit qu’ils étaient possédés par le poison. Il faisait revivre à Fildar ses pires moments en lui montrant ses plus grandes craintes. N’écoutant que son courage, elle ramassa par terre une lance qui avait appartenu à un cavalier, désormais mort, le bas de son corps séparé du haut. Elle courut vers les trois personnes qui voulaient regarder Fildar mourir sans rien faire.

Lance en avant elle allait transpercer de la pointe acérée le dos de la jeune femme lorsque, brusquement, Belenor se retourna. Les yeux rouges de rage il leva la main. Sans pouvoir se contrôler, elle sentit ses pieds quitter le sol et sa main s’ouvrit pour la lâcher la lance. Puis elle décrivit un arc dans les airs pour finalement percuter le rempart en pierre. Le coup lui coupa le souffle et elle retomba sur le sol près de Fildar, vidée de ses forces.

Elle ne pouvait rien faire face à un mage, elle ne savait à peine manier une arme ! Ne pouvant se remettre debout, elle rampa jusqu’à Fildar qui respirait difficilement, en crachant du sang. La voyant s’approcher de lui, il tourna la tête et lui lança un regard infiniment triste et sa bouche semblait essayer de sourire sans y arriver vraiment.

«  Tu es venue…haleta-t-il.

-       Je suis là, répondit-elle.

-       Je crois que cette fois-ci… Nous ne nous… en sortirons pas si… facilement.

-       Courage Fildar ! Bats-toi ! Souviens-toi qu’ici c’est toi qui décide de ce qui se passe, ce qui est possible ou non.

-       Ma blessure …est bel… et bien réelle.

-       Seulement parce que tu y crois ! Convainc-toi du contraire et elle disparaitra ! Je vais t’aider. »

Utilisant ce qui lui restait de forces pour bouger ses membres, elle retira la dent du bras du blessé. Et essaya tant bien que mal d’éponger le venin.

«  Regardez-la donc, ricana Belenor. Elle croit pouvoir le sauver. Il est condamné, personne ne peut résister !

-       C’est le moment, Fildar, lui dit-elle en ignorant le discours décourageant du Prince. Relève-toi ! Bats-toi ! Il ne peut pas te résister si tu le décides ! Rappelle-toi que tu l’as fait plier une fois en lui prenant sa force. Tu peux l’utiliser contre lui ! »

Encore une fois, elle se sentit décoller du sol. Le Prince la regardait avec une haine infinie.

«  C’est qu’elle est insistante ! Il est en mon pouvoir et il va mourir. Et toi avec lui !

-       Non ! » déclara Fildar en se remettant péniblement debout.

Sybille fut infiniment soulagée de le voir ainsi. Il se saisit de son épée qui gisait à côté de lui et avec une vitesse incroyable et une fluidité de mouvements digne d’un maître d’armes, il décapita l’adolescent. Puis, sans s’arrêter, transperça la jeune femme entre les pièce de métal qui formaient une sorte d’armure. Les deux, qui avaient eux aussi les yeux rouges, s’écroulèrent et le vermeille disparut.

Il mit Belenor en joue. Celui-ci dégaina également son épée. Sybille, qui était toujours suspendue dans les airs, encouragea Fildar du mieux qu’elle put. Un vrai duel de grands escrimeurs s’en suivit. Il ne devait pas être facile pour lui d’affronter le Prince qu’il estimait tant d’après ce qu’elle avait compris.

L’affrontement fut long, les deux adversaires semblaient danser mais aucun des pas ne se ressemblaient. Chacun essuya quelques entailles mais aucune bien n’était bien profonde. Cependant plus le combat durait, plus il lui semblait que Fildar refaisait des forces. Il prenait peu à peu le dessus. Soudain Sybille ne fut plus retenue dans les airs, elle tomba purement et simplement.

Juste à ce moment, Fildar trouva une faille dans la garde de Belenor et cela lui permit de lui couper le bras gauche, celui tenait l’épée, au niveau du coude. Puis, dans le prolongement du mouvement, il lui trancha la tête. Le Prince, décapité, s’écroula et une grande secousse fit trembler la place entière. Les autres combattants s’estompèrent et Fildar s’approcha d’elle.

«  Merci d’être venue, déclara-t-il. Sans toi, je ne peux qu’imaginer ce qu’il se serait passé. »

Sans lui laisser le temps de répondre, il la prit dans ses bras, protecteur. Elle fut soulagée car exténuée, elle ne pouvait plus bouger un muscle après le traitement que Belenor lui avait fait subir. Depuis quand il se faisait passer pour un Mage ? Surement un des délires de l’esprit malade de Fildar.

Peu à peu, tout autour d’elle s’estompa mais au lieu de l’obscurité, c’est un environnement de lumière qui remplaça la forteresse de Karrog. Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait, un grand sourire illumina le visage de Fildar.

«  Il est temps pour moi de sortir de ta tête je pense, dit Sybille avec un sourire.

-       Et à moi me réveiller de ce cauchemar, ajouta-t-il. Il n’a que trop duré.

-       Ce ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir.

-       Cette fin ne me parait pas trop mauvaise, mais il manque un petit quelque chose.

-       Quoi donc ?

-       Ça. » affirma Fildar en approchant sa tête de la sienne, comme pour un baiser.

Malheureusement pour eux, Sybille, qui voulait bien répondre à cette invitation par l’affirmative commença à disparaitre et leurs lèvres ne purent que se frôler avant qu’elle ne disparaisse complètement.

 

*

* *

 

Lorsque Sybille rouvrit les yeux, elle était toujours dans la pièce sombre où Siougrev avait tenté de soigner Fildar. Il était là lui aussi et venait également de reprendre conscience. Le maître des lieux était assis dans un coin observant toujours d’un œil curieux la Vierge Noire. Celle-ci lâcha la main de la jeune femme et leur dit :

«  Peu de femmes auraient eu autant de courage et de foi que vous, Sybille de Rembrunt. Vous avez réussi avec brio.

-       Qui êtes-vous ? demanda Fildar.

-       Je suis l’Archange des Ténèbres, lui répondit-elle de but en blanc. Siougrev m’a appelé et c’est grâce à moi que votre amie a pu vous aider dans votre combat intérieur. Seulement tout cela à un prix.

-       Et comme promis nous l’acceptons, affirma Sybille.

-       Puisqu’il le faut, se résigna Fildar partagé entre la reconnaissance pour l’Archange de l’avoir aidé et la méfiance envers le marché que Sybille avait conclu.

-       Ainsi soit-il. A partir de ce jour et jusqu’à vos derniers jours, vous serez marqués comme miens. Je serai votre maître comme un seigneur peut avoir un suzerain, je serai la votre. Vous ne pourrez pas vous opposer à ma volonté. »

La Vierge Noire toucha leurs poitrines à l’emplacement du cœur et Sybille sentit quelque chose – en pouvait dire quoi – s’infiltrer en elle. Lorsque l’Archange retira sa main, la jeune femme regarda l’endroit qu’elle avait touché, un croissant de lune noir y était comme tatoué.

Je peux désormais vous contacter comme ceci, retentit la voix de la Vierge Noire dans sa tête comme lorsqu’elle était dans l’esprit de Fildar. Ainsi personne ne peux entendre ce que je vous dis. Dès maintenant, vous vous référerez à moi en utilisant mon nom de naissance que seuls mes serviteurs connaissent. Viviane.

Sur ce dernier mot, l’Archange disparu sans plus de cérémonie. Siougrev se leva alors et leur déclara :

«  De toute ma longue vie je n’ai jamais vu cela. Vous êtes mort Fildar, votre cœur s’est arrêté, et le votre aussi, Sybille, lorsque l’Archange vous touchait, pour pénétrer votre esprit. Néanmoins, je me dois de vous mettre en garde, ce n’est pas le même Archange que lorsque je l’invoquais avant. Il se passe des choses que je ne comprends pas moi-même. Je ne sais pas dans quoi vous vous êtes embarqués avec cet accord mais je n’avais jamais entendu parler d’êtres divins se liant avec des mortels.

-      Nous ferons attention, assura Fildar. Je ne sais combien de temps nous avons profité de votre hospitalité, Seigneur Siougrev, mais je vous assure que nous n’avons pas l’intention d’en abuser plus longtemps.

-     C’était un plaisir de vous aider. Malheureusement, votre guérison ma coûté beaucoup d’énergie, ainsi, si comme votre Prince, vous êtes pressé par le temps, je crains ne pas pouvoir faire grand-chose.

-       Combien de temps ? demanda Fildar.

-       Presque six mois m’a-t-on dit, répondit Sybille.

-       En effet, et je ne peux pas le rendre plus court, confirma Siougrev. Je suis désolé.

-       Ce n’est pas grave. Cela fait donc presqu’un an que je suis parti de Callaven, réfléchit le Cavalier Noir qui malgré tout méritait toujours ce surnom. Les autres doivent êtres rentrés au pays. J’aimerai le revoir aussi.

-       Nous pouvons y aller, assura Sybille, ensuite il faudra aller à Dunnastell pour le Grand Conseil.

-       Oui, ça me parait bien. Nous partirons donc dès demain, décida Fildar.

-       Comme vous le souhaitez, approuva Siougrev, quant à moi je vais méditer sous le grand chêne.

-       Merci infiniment, le remercia la jeune femme alors qu’il s’éloignait, sans vous rien n’aurait été possible. »

Il lui sourit une dernière fois et sorti de la pièce. Prenant bien soin de ne pas laisser entrer trop de lumière, après tout, Fildar était toujours aussi sensible au Soleil, mais il était guéri et son état n’empirerait plus. Dommage qu’ils ne puissent profiter plus longtemps dans la tranquillité de Vessala, mais Fildar en avait décidé ainsi.

Souriant, elle le regarda. Son visage qui avait été si pâle reprenait quelques couleurs mais il resterait toujours très blanc comparé à la normale. Il la regarda également et lui rendit son sourire. Puis, il approcha son visage du sien, en la regardant toujours dans les yeux, ces yeux violets qui étaient inhabituels. Leurs lèvres se touchèrent une fois puis, oubliant tout ce qui les entourait, ils s’embrassèrent.

 

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26 mars 2012 1 26 /03 /mars /2012 00:28

Salut à tous,

 

Quelques nouvelles:

 

-Déjà le Chapitre XXI : Guérison est en bonne voie d'écriture, rassurez vous.

 

-De plus voici une refonte du blason personnel de Belenor AcccipridesBelenor Acciprides

 

- Enfin dernière information, le changement de nom de Ludciné de Rembrunt. En effet elle se nommera désormais Sybille de Rembrunt! Le nom précédent me déplaisait.

 

à très bientôt pour la suite!

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  • : La Couronne de l'Empereur
  • : La Couronne de l'Empereur est un roman de fantasy contant les aventures du Prince Belenor Acciprides.
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Chapitre XXVI

Scénario :100%

Ecriture : 100%

Relecture : 100%

 

 

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